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Reconceptualiser la péninsule des Balkans
Les Balkans sont la région stratégique la plus importante en Europe aujourd’hui et, à vrai dire, ils ont tenu ce rôle pendant les siècles précédents, en dépit du fait que les diverses grandes puissances l’aient reconnu à leur époque ou non. Le but de l’étude n’est pas d’analyser méticuleusement le passé, mais de définir le présent et de prévoir l’avenir.La source de leur importance contemporaine est de servir de facilitateur géographique pour deux méga-projets russes et chinois [Gaz russe et TGV chinois, Ndt] qui visent à pénétrer le continent unipolaire avec une influence multipolaire inébranlable. Cela explique la raison pour laquelle les Balkans sont le deuxième espace le plus susceptible d’être victime de guerres hybrides. Tout cela sera décrit en détail dans les sections à suivre, mais avant ce point, il est absolument nécessaire que le lecteur reconceptualise sa compréhension des Balkans afin de mieux comprendre la logique stratégique derrière les plans géo-économiques ambitieux de Moscou et de Pékin.
Importance géo-historique
Les Balkans ont joué un rôle primordial dans l’histoire de l’Europe principalement parce qu’ils sont le pont terrestre reliant l’Europe centrale et occidentale avec la Turquie et le Moyen-Orient. En conséquence, les deux forces ont été en mesure d’utiliser ce territoire afin de projeter leur influence dans chaque direction, avec les Romains traitant la Grèce comme un tremplin pour des conquêtes plus à l’Est, tandis que les Ottomans exploitaient les portions plus continentales de la région pour s’enfoncer dans le cœur de l’Europe avant leur défaite décisive au cours de la bataille du siège de Vienne de 1683 [et leur première tentative de 1529, NdT]. Il est donc incontestable que la péninsule des Balkans a été historiquement un pivot charnière géostratégique clé dans la mobilisation de l’influence européenne au Moyen-Orient et vice-versa. Mais un autre facteur doit être mentionné : les liens civilisationnels de la Russie dans la région.La plupart des Balkans sont liés à la Russie à travers des liens intimes d’obligations religieuses, linguistiques, ethniques et historiques, ce dernier lien étant le plus fortement incarné par la campagne de libération du tsar Alexandre II dans la région en 1877-1878. Selon ce dernier, les conceptions géopolitiques que la Russie avait à l’époque sont exceptionnellement controversée et sortent du contenu de cette analyse, mais il est pertinent de montrer que les Balkans de l’Est (Roumanie, Bulgarie) ont servi de pont reliant physiquement la Russie au Moyen-Orient (Turquie), avec pour point culminant le bref accès des forces russes au village de San Stefano à quelques kilomètres de Constantinople.
Plus récemment, la diplomatie de la Russie dans les Balkans dans la perspective de la Première Guerre mondiale et son alliance avec la Serbie a été vilipendée par ses homologues européens, car ils y ont vu un jeu de puissance plus important dans l’utilisation des Balkans pour atteindre la mer Adriatique, et par extension la Méditerranée. Que ce fût ou non la grande intention ou simplement un effet collatéral bénéfique de l’alliance est un point discutable, puisque le but de cette explication est de montrer que la Russie, tout comme les Européens et les Turcs, pouvait capitaliser sur la position des Balkans afin de faire avancer ses objectifs géostratégiques et se connecter avec chacune des deux régions concurrentes. Par conséquent, lorsque l’on considère le mot Balkan, il faut immédiatement penser au mot pont, puisque c’est historiquement le sort global dévolu à cette région. L’exception la plus notable est celle du Macédonien Alexandre le Grand qui a utilisé la région comme un tremplin pour ses conquêtes orientales légendaires, mais un tel exploit de renommée mondiale ne sera jamais répété dans la région par la suite.
Importance géo-économique
A l’époque contemporaine, les Balkans ont moins de potentiel militaire mais plus de potentiel à pour une intégration économique (bien que la crise des réfugiés soit une question asymétrique distincte qui sera certainement discutée plus tard). Avec cela à l’esprit, on peut conceptualiser la région comme étant un espace relativement déconnecté entre les grandes économies allemande, russe et turque. De manière réaliste cependant, et fonctionnellement, il est seulement pertinent d’y relier l’Allemagne et la Turquie. La majeure partie du commerce de la Russie avec ces deux blocs passe par l’Europe de l’Est et la mer Noire, respectivement. Considérant cela, les politiques du Drang nach Süden (Faisons route vers le Sud) de l’UE et de l’OTAN font beaucoup plus sens conceptuellement, car il est clair que les États-Unis et l’Allemagne veulent consolider cette région sous leur contrôle total afin de reconstruire l’infrastructure de connexion de l’ère yougoslave qui a été délibérément détruite pendant les guerres des années 1990.La grande importance géo-économique des Balkans pour l’Allemagne et, par extension, pour l’ensemble de l’économie de l’UE est donc évidente. Le plus grand marché et la plus grande puissance économique de l’Europe veut avoir un contrôle total direct (UE) et indirect (sous contrôle américain via l’OTAN) des routes commerciales du continent avec son homologue du Moyen-Orient, la Turquie, qui est la plus grande puissance économique (y compris par ses ressources non commerciales) en Asie de l’Ouest à proximité de l’UE et joignable par voie terrestre. Si l’on se rappelle l’histoire, alors ceci est le même principe qui a motivé le Berlin-Bagdad Express à la veille de la Première Guerre mondiale et qui a joué un rôle de premier plan pour expliquer pourquoi l’Allemagne et son allié austro-hongrois étaient si farouchement contre la projection de l’influence russe dans la région.
Retour vers le futur aujourd’hui, alors que les impératifs stratégiques les plus pressants de l’Allemagne (et par extension moderne, également ceux des États-Unis) étaient d’établir un contrôle total sur la péninsule des Balkans et de rationaliser les itinéraires de transport en conformité avec ces déterminants géo-économiques. Si une tierce partie (dans les deux cas, la Russie, mais aujourd’hui soutenue par la Chine) devait insérer physiquement son influence dans le centre géographique de ce processus (Serbie), cela serait considéré comme une vulnérabilité stratégique critique qui devrait être contrée à tout prix. Ne pas le faire serait placer la ligne de vie future du commerce germano-turc (vu plus largement dans ce contexte que le commerce entre l’Union européenne et le Moyen-Orient) sous l’influence d’une entité non choisie qui pourrait vraisemblablement manipuler cet arrangement à son grand avantage stratégique (actuellement considéré comme la promotion de l’influence multipolaires aux frais de celle unipolaire).
Catégorisations sous-régionales
Il est important à ce point d’articuler clairement ce dont on parle quand on parle des Balkans. Géographiquement, cela fait référence à la péninsule des Balkans, généralement reconnue comme étant les pays de l’ex-Yougoslavie, la Roumanie, la Bulgarie, l’Albanie et la Grèce. Plus précisément, cependant, il y a une certaine connotation utilisée par de nombreux commentateurs en référence à ce terme. Et ils l’utilisent souvent de façon interchangeable avec les pays de l’ex-Yougoslavie. Ce n’est pas le cas pour notre auteur cependant, puisque pour lui, les Balkans se référent à l’ensemble de l’espace géographique dont ils sont la définition. On peut ajouter au contexte de cette définition des modifications géopolitiques concernant la catégorisation des trois sous-régions au sein de l’espace des Balkans. Il sera nécessaire de les décrire pour que le lecteur puisse avoir une meilleure compréhension de leurs dynamiques.Les descriptions suivantes sont extraites de travail de l’auteur dans l’article Un nouveau calcul stratégique pour les Balkans.
Les Balkans occidentaux
Cette désignation fait référence aux États contrôlés par les forces unipolaires qui sont géographiquement aux extrémités occidentales de la péninsule. Ils comprennent la Slovénie, la Croatie, la partie croato-musulmane de la Bosnie et l’Albanie. Géographiquement parlant, le Monténégro tombe également dans cette catégorie, mais la courageuse résistance de sa population à la décision unilatérale de leur gouvernement donne l’espoir que cela puisse représenter une percée géopolitique des Balkans centraux à l’avenir.Les Balkans centraux
Cette partie de la péninsule qui n’est pas sous le contrôle formel de l’une des institutions pro-américaines représente le terrain le plus fertile pour que la multi-polarité prenne racine, et elle inclut la Republika Srpska en Bosnie, la Serbie et la République de Macédoine. Ces États se chevauchent proprement avec leur désignation géographique, avec pour seule anomalie sous-régionale l’occupation temporaire de la province du Kosovo qui tombe donc actuellement sous l’influence géopolitique des Balkans centraux [plutôt occidentaux ? NdT] (et donc, du monde unipolaire).Les Balkans de l’Est
La Roumanie et la Bulgarie sont derrière cette désignation géopolitique, et elles sont toutes deux sous le contrôle total des organisations unipolaires. Les événements géopolitiques ici sont beaucoup moins dynamiques que dans les autres parties de la péninsule, avec comme seule dynamique typique, la relation inverse entre un déclin de l’économie et l’augmentation des forces militaires américaines.La connexion grecque
Dans les deux sens, géographique et géopolitique, la Grèce est reliée à chacun des sous-ensembles des Balkans. Elle se connecte physiquement à la partie occidentale, centrale et aux Balkans de l’Est quand on la considère du point de vue de la géographie, et en termes de loyauté dans cette nouvelle guerre froide, elle est fondamentalement divisée entre les camps unipolaire et multipolaire. La Grèce a toujours éprouvé un sentiment de séparation par rapport à ses autres frères des Balkans, et ce méli-mélo incertain de catégorisations l’accentue encore davantage.Analyse situationnelle des sous-régions des Balkans
Après avoir décrit les appellations sous-régionales des Balkans, il est maintenant approprié de fournir une brève analyse de leurs situations stratégiques. Cela aidera le lecteur à comprendre l’état actuel des choses et à donner du sens hors de la sélection des Balkans centraux par la Russie et la Chine comme emplacement de leurs deux méga-projets.Les Balkans occidentaux
Catégorisées selon leur utilité stratégique pour les États-Unis, les deux membres également les plus importants des Balkans occidentaux vis-à-vis de la stratégie unipolaire sont l’Albanie et la Croatie, toutes deux capables d’exercer une influence au-delà de leurs frontières. L’Albanie peut le faire dans la province serbe occupée du Kosovo et les régions occidentales de la République de Macédoine, tandis que la Croatie fait quelque chose de similaire sur la partie croato-musulmane de Bosnie (bien que dans une moindre mesure par rapport à l’Albanie sur sa zone d’influence). Dans les deux cas, un aspect nationaliste s’exprime, et il est spécifiquement promu dans le but de déstabiliser les pays des Balkans centraux, la Serbie et la Macédoine. Il faut aussi rappeler que les deux dirigeants des Balkans occidentaux ont vu leurs aspirations irrédentistes brièvement actualisées par les occupants fascistes durant la Seconde Guerre mondiale, et la mémoire cauchemardesque de la Grande Albanie et de la Grande Croatie n’a toujours pas été oubliée par les Macédoniens et les Serbes qui ont souffert le martyre sous ses régimes.Le proxi suivant, le plus important des Balkans occidentaux est la Bosnie, mais son intérêt principal ne réside pas dans ce qu’elle peut faire pour promouvoir l’unipolarité, mais dans la façon dont elle peut être utilisée pour briser la multipolarité en provoquant encore une autre guerre des Balkans. Ce sera exploré plus en profondeur dans d’autres analyses à suivre. Pour l’instant, il est pertinent pour le lecteur de reconnaître que le pays est fondamentalement divisé entre deux groupes sous-nationaux unipolaires et multipolaires – l’entité pro-occidentale croato-musulmane, et la Republika Srpska pro-multipolaire.
Cet arrangement est dû aux accords de Dayton qui ont mis fin à la guerre civile en Bosnie et à la fédéralisation du pays. Les États-Unis et leurs alliés en sont cependant maintenant, de façon alarmante, à prendre des mesures pour réviser cet accord et potentiellement faire mouvement contre l’autonomie juridiquement consacrée de la Republika Srpska dans le pays. Par conséquent, dans le schéma général des choses, la Bosnie devrait être considérée comme un grand déclencheur géopolitique que les USA pourraient activer contre la Serbie (et par effet indirect, contre la Russie) afin de créer une situation géographique et stratégique pour saboter les Balkans multipolaires et l’actualité des méga-projets de la Chine et de la Russie, si les USA estiment que toutes les autres options ont été épuisées.
Si on continue, le Monténégro suit la Bosnie en termes d’importance dans la construction des Balkans occidentaux. Bien que ce soit un petit État, démographiquement insignifiant par rapport aux trois autres déjà mentionnés, et sans aucune ambition nationaliste expansionniste ou de mécanisme classique de déclenchement par procuration qui pourrait être utilisé militairement par le monde unipolaire, le Monténégro joue cependant un rôle éminemment stratégique. En vertu de sa situation géographique, sa séparation d’avec la Serbie en 2006 a fait perdre à cette dernière son statut de nation littorale et a augmenté la multitude de pressions potentielles déjà utilisée contre elle. Cela a été rendu possible par près de trois décennies de règne de Milo Djukanovic, qui a été un parfait exemple du chef proxy suivant à la lettre les enchères géopolitiques de ses maîtres. Plus révélateur, lui et certains de ses amis au gouvernement ont unilatéralement pris la décision préventive d’accepter l’adhésion à l’OTAN en septembre, avant même qu’elle ne l’a leur ait jamais été proposée, dans le but de démontrer publiquement leur loyauté envers l’Occident. Cela a eu pour conséquence prévisible d’être à l’origine d’une rébellion nationale parmi la majorité des citoyens, catégoriquement opposée à la mesure de servilité humiliante que constitue le fait de rejoindre le bloc militaire qui l’a bombardée en 1999, et la tension palpable entre les masses et le maître sera exposée un peu plus loin dans l’analyse.
Enfin, le dernier membre des Balkans occidentaux en importance est la Slovénie, mais elle n’a pas toujours été utilisée de cette façon. Si on fait un bref retour dans les années 1990, elle était l’étoile brillante des Balkans, ayant échappé aux ravages de la guerre, indemne grâce à son emplacement chanceux à l’extrémité géographique de la péninsule, et dans une large mesure, elle a encore le meilleur niveau de vie de la région. Le succès de la Slovénie peut être attribué à ce qu’elle soit un petit État (tant en termes géographique que démographiques) avec des atouts économiques proportionnellement développés. Cette combinaison particulière suscite l’envie de beaucoup dans la région. Malheureusement, très peu de gens (y compris les décideurs influents) ont bien compris les secrets de son succès et ont estimé qu’il pouvait être stimulés dans leur propre pays si, et seulement si, ils suivaient le leadership institutionnel de la Slovénie et se déplaçaient aussi près de l’Ouest que possible. Ils ont attribué à tort la stabilité de cette dernière à sa proximité avec l’UE et l’OTAN, et non pas à des conditions nationales et historiques uniques, et ils ont été délibérément induits en erreur en pensant que l’adhésion à ces deux organisations conduirait leur pays à une période de prospérité de type slovène. Les États-Unis ont manipulé cette perception, conçue artificiellement et largement promue, afin de garantir l’adhésion de la Croatie à l’OTAN et à l’UE en 2009 et 2013 respectivement, qui a désormais largement dépassé l’importance stratégique de la Slovénie pour ses plans.
Les Balkans centraux
Cette région géopolitique nouvellement conceptualisée est la plus importante en termes de potentiel multipolaire, mais en conséquence, c’est ce qui en fait également la plus grande cible de déstabilisation. Les vulnérabilités socio-politiques de ses trois états seront examinées dans la partie II, donc à ce stade, il est pertinent de seulement expliquer les caractéristiques générales de chacun de ces pays. En commençant par la plus septentrionale, la Republika Srpska qui est la fière partie de la Bosnie qui est restée en grande partie libre des influences unipolaires. Après avoir été victime d’une agression occidentale au cours de la campagne de bombardement de 1994 (ironiquement menée sous des prétextes «humanitaires»), son peuple et sont leadership sont hostiles à l’OTAN et très circonspects vis à vis de l’UE. Plus que tout, cependant, ils apprécient l’autonomie acharnée de leur entité et feront tout pour préserver son existence. Ils sont très conscients des efforts de Sarajevo et de ses alliés pour l’abolir subtilement et progressivement, de sorte qu’ils soient toujours en état d’alerte défensif pour parer à de nouvelles provocations. Fait important, la Republika Srpska est coincée entre la Croatie, membre de l’OTAN et le protectorat exercé sur la partie croato-musulmane de Bosnie par l’OTAN. Elle reste militairement vulnérable en cas de reprise des hostilités. Néanmoins, cela n’a pas eu l’effet d’intimidation que l’Occident pouvait avoir anticipé, depuis que son président, Milorad Dodik, ait continué à affirmer avec confiance la souveraineté de son entité et ne semble pas enclin à reculer.Ensuite la Serbie se trouve au centre à la fois de la construction des Balkans centraux et de la péninsule des Balkans dans son ensemble, ce qui en fait le pivot de toute la région, et ce, malgré la guerre contre elle qui depuis des décennies a conduit à la réduction progressive de son territoire administré. À la suite de l' »opération Tempête » en 1995 soutenu par les États-Unis, la Croatie a ethniquement nettoyé des centaines de milliers de Serbes de la République serbe de Krajina dans la partie orientale de l’ère moderne du pays, puis a suivi une agression commune dévastatrice avec la Bosnie visant à paralyser la Republika Srpska. La République serbe de Krajina a été effacée, alors que la Republika Srpska a été contrainte à une fédération avec la partie croato-musulmane de la Bosnie et l’influence formelle de Belgrade a été retirée de la région. Puis l’OTAN a lancé une guerre contre la Yougoslavie en 1999 dans le but de faire sortir la province du Kosovo de l’attraction gravitationnelle de la Serbie, et le référendum de 2006 sur l’indépendance initiée par le larbin pro-occidental Djukanovic a retiré le Monténégro du mélange et a abouti à la situation actuelle de la Serbie. À l’heure actuelle, son gouvernement est divisé entre des représentants unipolaires (le Premier ministre) et multipolaires (le président), et il essaye un peu maladroitement de manœuvrer entre l’Est et l’Ouest. Malgré ces revers et l’agression asymétrique actuellement menée contre elle par la crise des «réfugiés» fabriquée et délibérément guidée (à analyser à part plus tard), la Serbie reste toujours le noyau stratégique pour l’intégration des Balkans (que ce soit pour les Balkans centraux ou l’ensemble de la région).
Fermant la composante sud des Balkans centraux, on trouve la République de Macédoine. La situation géopolitique et géophysique de ce pays lui permet de fonctionner comme le pont de liaison critique entre les ports grecs et le centre des terres des Balkans centraux (et plus loin la Hongrie et l’Allemagne), et c’est absolument le point de passage principal pour le commerce régional nord-sud. Elle est également l’État de transit le plus traversé lors de la crise des «réfugiés» en partie à cause de sa géographie plus facile. À l’heure actuelle, Skopje est « officiellement » pro-occidental et veut rejoindre les institutions unipolaires, mais la population est plus que jamais suspecte vis à vis de l’UE et de l’OTAN après la tentative de Révolution de couleur de mai 2015. Le gouvernement a aussi des relations pragmatiques et mutuellement bénéfiques avec la Russie. Cette position charnière de la Macédoine dans les Balkans du centre-sud a fait l’objet d’une concurrence féroce entre les puissances voisines. Les idéologies expansionnistes de la Grande Albanie et de la Grande Bulgarie ont encore des prétentions envers son territoire et ont même brièvement réussi à les exercer politiquement lors de leur occupation commune fasciste à l’époque. Les deux gouvernements officieusement irrédentistes abritent encore des ambitions hégémoniques sur ce pays à ce jour. Mais selon les patriotes Macédoniens, les Grecs sont actuellement les plus hostiles de cette grappe parce qu’ils refusent de reconnaître le pays par son nom constitutionnel et, comme certains l’affirment, continuer à occuper la Macédoine égéenne. La pertinence de chacune de ces revendications est particulièrement poignante lors de l’examen des scénarios de guerre hybrides complexes auxquels doit faire face la Macédoine, et elles reviendront à la surface plus tard dans le cadre de diverses vulnérabilités socio-politiques du pays.
Les Balkans de l’Est
Pour commencer, la Roumanie est géographiquement le plus grand État des Balkans. Du point de vue de la recherche sur la guerre hybride, toutefois, elle est le pays le moins touché. Bucarest s’abstient en grande partie de s’occuper des affaires balkaniques, et quand il interagit dans la région, c’est principalement uniquement avec son voisin et allié également membre de l’UE et de l’OTAN, la Bulgarie, qui forment ensemble ce que l’auteur a appelé le bloc de la mer Noire de la mobilisation Intermarum anti-russe. La Roumanie se soucie beaucoup plus de la Moldavie et de la minorité hongroise à l’intérieur de ses frontières qu’elle ne le fait de la Serbie ou de l’un des autres pays des Balkans occidentaux ou centraux examinés, mais le stationnement de militaires américains et l’hébergement de technologies anti-missile ne peut être totalement ignoré dans le calcul régional. Cela dit, il est peu probable qu’ils seront dirigés vers l’Ouest, mais plutôt vers l’Est contre la Russie et ses unités navales en mer Noire et en Crimée. En outre, l’occupation par les États-Unis de la province serbe du Kosovo via le Camp Bondsteel, l’une de ses plus grandes bases, est suffisante pour projeter une influence déstabilisatrice directement au cœur des Balkans centraux, permettant ainsi au territoire roumain d’être utilisé pour le but stratégique contre la Russie précédemment mentionné. Pour une large part, alors, la Roumanie sera exclue du reste de l’analyse parce que son orientation géopolitique est plus pertinente pour la Hongrie, la Moldavie, le ruban ethnique roumain dans la région Bucovine de l’Ukraine occidentale et la Russie. Mais le même manque d’orientations politiques dans les Balkans ne peut pas être décrit à propos de la Bulgarie.Cet État des Slaves du Sud avait historiquement entretenu des relations très étroites et intimes avec la Russie, que ce soit au cours des époques impériale, soviétique ou actuelle et le socle de liens familiaux perdure encore à ce jour. Le problème, cependant, est que l’élite politique bulgare ne partage pas l’appel de ses citoyens pour la Russie et sont fermement dédiés à l’euro-atlantisme, qui leur dicte de prendre toutes les mesures nécessaires pour dissocier tous leurs liens en provenance de Russie. Mais Sofia ne peut évidemment pas supprimer les liens civilisationnels et historiques communs qui la lient avec Moscou. Il faut recourir à la sphère politico-économique à la place, et les éléments anti-russe les plus forcenés sont venus de Bulgarie ces derniers temps, que ce soit la mise en œuvre des sanctions, le rejet de South Stream [projet de gazoduc pour faire passer le gaz russe vers l’Europe, NdT] et la décision de fonder un centre de commandement de l’OTAN dans le pays. A l’époque de la tentative macédonienne de Révolution de couleur en mai 2015, la Bulgarie a déplacé de façon provocante certaines de ses troupes à la frontière, apparemment pour se protéger contre les terroristes inexistants qui auraient pu être à proximité, mais en réalité pour faire pression sur un pays que beaucoup en Bulgarie revendiquent comme une extension de leur propre territoire. Si on comprend les ambitions hégémoniques que la Bulgarie recèle vers son voisin, il est plus facile de prévoir le rôle qu’elle aura dans certains scénarios de guerre hybride contre la Macédoine, et qui seront certainement étudiés dans les parties à venir.
La connexion grecque
La République hellénique a toujours joui d’un certain degré de séparation par rapport aux autres pays des Balkans, malgré le partage de similitudes profondes avec eux. L’alphabet grec était la base de l’alphabet cyrillique conçu par les saints Cyril et Methode de Macédoine, et les Grecs partagent la même foi orthodoxe que la plupart de leurs frères des Balkans. Néanmoins, il y a encore beaucoup de différences entre eux, et les Grecs sont très fiers du caractère distinctif qui les sépare de leurs voisins. En termes modernes, il est notable que la Grèce a été le premier pays des Balkans à être accepté dans l’OTAN et l’UE, et en termes géopolitiques, elle s’est comportée comme une tête de pont atlantiste dans la région depuis le début de l’ancienne guerre froide. Mais même ainsi, cela pourrait être en train de changer de nos jours parce que la même géographie qui a permis une fois au monde unipolaire de pénétrer dans les Balkans peut également être exploitée pour une diffusion d’influence multipolaire dans le double sens de la grande péninsule et à la fois de sa partie maritime méridionale.Voici pourquoi la Grèce est si géopolitiquement importante dans la nouvelle guerre froide, et le Premier ministre Tsipras a semblé comprendre magistralement la position privilégiée de son pays pour équilibrer adroitement entre l’Est et l’Ouest, les mois précédant la dramatique période de l’été 2015 et du référendum sur l’austérité. Même s’il a finalement rejeté le vote Oxi de son peuple, il n’a pas perdu son soutien, ce qui indique qu’il a gagné une masse suffisamment critique de partisans par son discours fort et ses exploits internationaux visibles afin de rester au pouvoir, au moins pour le moment (on en reparlera plus tard). Depuis la conclusion d’un accord avec ses créanciers, la Grèce a été nettement moins active sur la scène mondiale, mais une partie de ce constat pourrait être expliqué par la crise absolument écrasante des réfugiés qui a submergé le pays et a nécessité une attention concentrée sur les affaires intérieures. Quoi qu’il en soit, l’Occident a appris sa leçon sur Tsipras et son sens géopolitique. C’est la raison pour laquelle il y a une exploitation des contradictions politico-économiques intérieures de la Grèce afin de la garder divisée et incapable de réaliser son plein potentiel pour aussi longtemps que possible. Malgré cela, Tsipras a enseigné un brillant exemple aux Grecs du point auquel la position de leur pays était critique dans les affaires mondiales en ce moment, et le génie géopolitique et l’auto-émancipation qui en ont découlé sont peu susceptibles d’être oubliés de sitôt par ses compatriotes.
Résumé du potentiel de connexion géo-économique des Balkans
La Grèce bute physiquement sur chacune des trois sous-régions des Balkans et pourrait théoriquement agir comme leur point d’accès logistique pour le commerce vers et à partir de la Méditerranée et plus loin à l’étranger. Ceci est d’autant plus le cas pour les Balkans centraux et orientaux que pour ceux de l’Ouest, car ceux-ci ont leurs propres ports de l’Adriatique à partir desquels interagir directement avec le reste du monde. Du point de vue de l’UE, il est tout à fait possible de créer un réseau d’échanges commerciaux nord-sud entre l’Allemagne et la Turquie qui contourne complètement le rôle géographique de la Grèce, en utilisant l’axe Serbie-Bulgarie-Turquie au lieu de l’axe Macédoine-Grèce-Turquie pour se faciliter la vie. Le problème avec cette construction est qu’elle limite le commerce des pays des Balkans principalement aux deux nœuds économiques qui les prennent en tenaille (Allemagne et Turquie), et la région ne pourra jamais atteindre son plein potentiel si elle est indéfiniment piégée comme une zone de transit et une simple connexion infra-structurelle peu importante pour le monde extérieur.La géographie grecque joue ici l’objectif stratégique libérateur ultime : désenclaver les Balkans de la tutelle germano-turque et ouvrir un accès plus direct aux marchés mondiaux. Les Balkans centraux sont naturellement prêts à faciliter les projets d’infrastructure nord-sud conjoints tels que celui proposé en raison de la façon dont les vallées serbes et macédoniennes mènent naturellement aux ports de la mer grecque, ce qui est en fait l’itinéraire le plus pratique pour tout État non européen désireux d’avoir accès à la région et à un arrière-pays européen plus profond. On verra dans une prochaine section comment exactement cette vision est attrayante pour la Russie et la Chine, étant donné qu’une telle voie pourrait non seulement lier les Balkans plus étroitement à l’ordre multipolaire émergent, mais utiliserait leur géographie régionale pour multiplier l’influence asymétrique de chacun des puissants projets dans le reste du continent. Autrement dit, les Balkans sont la porte dérobée de l’Europe, et c’est pour cette raison que les États-Unis sont si désireux de les bloquer et d’empêcher la Russie et la Chine d’y prendre pied de façon tangible, même s’ils doivent recourir à la politique de la terre brûlée par des guerres hybrides pour y parvenir.
Andrew Korybko est un commentateur politique américain qui travaille actuellement pour l’agence Sputnik. Il est en troisième cycle de l’Université MGIMO et auteur de la monographie Guerres hybrides: l’approche adaptative indirecte pour un changement de régime (2015). Ce texte sera inclus dans son prochain livre sur la théorie de la guerre hybride.
Le livre est disponible en PDF gratuitement et à télécharger ici
Tres hatingtonienne, mais ce sont les scenarios peu realisable
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