lundi 30 mai 2016

Guerres hybrides : 5. Briser les Balkans (III)

Article original de Andrew Korybko, publié le 6 Mai 2016 sur le site Oriental Review
Traduit par le blog http://versouvaton.blogspot.fr




Hybrid Wars 2. Testing the Theory – Syria & Ukraine


Jusqu’à présent, cette recherche a montré la concurrence intense de la nouvelle guerre froide qui se déroule dans les Balkans entre les mondes unipolaire et multipolaire. Ce dernier travaille avec véhémence pour amener ses projets conjoints transnationaux dans la région, alors que le premier est prêt à faire tout ce qu’il faut pour les arrêter. Ce contexte situationnel prépare le terrain pour enquêter sur les vulnérabilités socio-politiques de chacun des pays des Balkans avant d’entreprendre un examen détaillé de leurs scénarios de guerre hybrides les plus probables.


Le Balkan Stream et la Route de la soie des Balkans sont envisagés pour traverser directement les Balkans centraux (le méga-projet multipolaire de la Chine étant actuellement le seul politiquement réalisable des deux), faisant de ce corridor d’États un point géostratégique central de la guerre hybride, avec une attention particulière accordée à la République de Macédoine et à la Serbie. À contrario, une très faible attention déstabilisatrice est dirigée vers les pays des Balkans de l’Est comme la Roumanie et la Bulgarie, principalement en raison de leur isolement par rapport à des facteurs régionaux perturbateurs tels que la crise des réfugiés (dont il sera longuement question dans cet article).

S’il y a une façon dont ces derniers pays pourraient jouer un rôle dans les guerres hybrides, elle n’est pas particulièrement pertinente pour les scénarios qui seront éventuellement discutés, sauf pour la pression structurelle que la Bulgarie peut exercer sur une Macédoine affaiblie (comme elle a essayé de le faire en mai 2014). Si important que soit ce facteur, il n’est toujours pas l’une des variables fondamentales de la guerre hybride en soi, et peut plutôt être considéré comme une action complémentaire afin de maximiser toute déstabilisation en cours au sein de l’État ciblé. La Roumanie pourrait remplir le rôle opposé. Elle pourrait un jour se retrouver victime d’une guerre hybride soutenue par une Hongrie hyper-nationaliste, désireuse d’attiser des troubles dans un emplacement centré autour de Szekely Land, essentiellement habité par sa diaspora ethnique. Même si c’est certainement une possibilité intéressante à explorer plus en profondeur pour les chercheurs (et il y a quelques raisons pour lesquelles cela peut éventuellement se produire), il n’y a pas de connexion directe avec la loi de la guerre hybride stipulant que :
Le grand objectif derrière chaque guerre hybride est de perturber les projets transnationaux conjoints multipolaires à travers des conflits d’identité (ethniques, religieux, régionaux, politiques, etc.) provoqués de l’extérieur au sein d’un État de transit ciblé.
Aucun projet conjoint transnational multipolaire n’est en projet en Bulgarie [À priori si, le South Stream, mais il est bloqué ?? – NdT] et / ou en Roumanie, ce qui les retire donc de l’équation primaire des guerres hybrides en ce qui concerne l’objet spécifique de cette recherche. Cela dit, cela ne justifie pas l’inclusion de la Hongrie à la place, car Budapest est le nœud le plus au nord de la Route de la soie des Balkans. De même, les pays des Balkans occidentaux, qui ne sont pas directement ciblés par les guerres hybrides par exemple, seront inévitablement affectés (et certains auront un rôle à y jouer) par une telle guerre contre les pays des Balkans centraux, étant donné le caractère indissociable des relations régionales. Par conséquent, eux aussi seront inclus dans ce chapitre, comme la Grèce, bien entendu, qui relie les deux projets multipolaires proposés dans le couloir des Balkans centraux.

Le chapitre commence par détailler les trois variables les plus régionalement perturbatrices potentiellement susceptibles d’exploser à tout moment, avant d’aborder dans le chapitre suivant ce qui décrit les trois facteurs les moins volatils (mais pas les moins importants) qui ont également une incidence négative sur les Balkans. Ensuite, un chapitre examine les vulnérabilités socio-politiques particulières de chaque pays susceptibles de déclencher des guerres hybrides ou d’être exacerbées par celles-ci. Certains scénarios prévus seront présentés ensuite, mais pas avant le dernier chapitre qui décrit le scénario le plus probable du groupe, une guerre hybride contre la Macédoine, qui sera exploré en profondeur.

Crise des réfugiés

Origines

La plus grande migration humaine que l’Europe ait connue depuis la Seconde Guerre mondiale fait partie intégrante d’une stratégie américano-turque d’affaiblir l’UE et, comme prévu, elle a également eu d’énormes conséquences pour les pays de transit des Balkans. Pour décrire sommairement ce qui a transpiré, les États-Unis et le chef de file secret de ses alliés du Moyen-Orient ont créé les conditions destructrices nécessaires pour inviter une énorme vague d’émigration en provenance de Syrie. Alors que les citoyens de ce pays se sont dispersés dans toutes les directions, la Turquie a fini par en recueillir la plus grande quantité, plus de 2 millions. La plupart des gens qui ont fui vers la Turquie étaient des sympathisants anti-gouvernementaux, des terroristes et des islamistes, chacun ayant quitté le pays dans les premiers jours du conflit, craignant le châtiment légal devant l’avance de l’armée arabe syrienne libérant les territoires et les villes occupés précédemment. Un enlisement s’est rapidement produit, cependant, et il aurait perduré si l’intervention anti-terroriste russe n’avait changé toute la dynamique du conflit sur le terrain.

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Pendant ce temps, cependant, la majorité des réfugiés de la Syrie ont toujours été des déplacés de l’intérieur. Ils sont largement composés de personnes fuyant les zones sous contrôle terroriste pour des emplacements administrés par le gouvernement, où plus de 70% de la population du pays réside en toute sécurité. En ce qui concerne les réfugiés (les sympathisants anti-gouvernementaux, les terroristes et les islamistes, pour la plupart) qui ont fui en Turquie, ils ont été détenus dans des camps pré-construits pendant des années et on leur a strictement interdit de quitter les lieux. Cette politique a été appliquée avec l’espoir que les individus de facto emprisonnés pourraient être plus facilement cajolés par les services de renseignement américains et turcs et former une grande armée anti-gouvernement pour être redéployés dans leur patrie. Cette politique n’a pas réussi et la Turquie s’est donc retrouvée avec une masse grandissantes de bouches à nourrir tout en ne recevant rien d’eux stratégiquement en retour, et confrontée au ressentiment croissant de la majorité de la population dû à leur présence. En réponse à l’échec de leur plan politico-militaire visant à l’utilisation des réfugiés contre la Syrie, les États-Unis et la Turquie ont ainsi décidé de les rediriger contre l’Europe, chacun pour ses propres fins égoïstes.

Les armes de la migration de masse

L’utilisation stratégique préconçue à grande échelle de flux de population humaine dirigée comme une arme asymétrique a été officiellement théorisée par Kelly M. Greenhill dans son livre de 2010 Les armes de la migration de masse : les déplacements forcés, la coercition et la politique étrangère, mais il est probable que sa publication n’a pas été une première pour qu’une telle stratégie néfaste soit pensée. L’importance du référencement de son travail est de prouver que le concept de l’utilisation des réfugiés comme des armes stratégiques délibérées ou involontaires et facilement niables n’est pas sans précédent, et le livre de Greenhill peut avoir joué un rôle déterminant pour convaincre les décideurs américains de bricoler avec sa théorie et de la mettre en pratique. Les théâtres des Révolutions de couleur à l’échelle du Printemps arabe et la guerre hybride ultérieure en Syrie ont donné lieu à des conditions socio-politiques parfaites pour tester une application réelle du concept, et les prochaines sous-sections vont documenter les intérêts particuliers que la Turquie et les États-Unis essayent de promouvoir au moyen de cette arme post-moderne.

Le lecteur doit garder à l’esprit que la plupart des réfugiés qui ont été lancés contre l’Europe n’étaient pas ce qu’une imagination stéréotypée en aurait pensé au premier abord. Beaucoup d’entre eux ne sont pas des gens de tous âges en guenilles et mal nourris (en dépit de la fausse perception que les médias américains d’influence ont construite dans les grandes largeurs), mais des jeunes hommes plutôt en bonne santé avec des milliers d’euros en espèces à leur disposition. Ces individus agressifs et bien nourris sont l’exemple type des personnes qui ont pris d’assaut l’Europe et on fait leur chemin de la Grèce vers l’Allemagne avec un air de défi. La plupart d’entre eux l’ont fait dans l’espoir de recevoir une généreuse compensation et / ou d’exploiter la mentalité sociale libérale progressiste de leurs nouveaux hôtes afin de mettre en place une base d’opérations pour la diffusion de l’islamisme (qui n’est pas la bienvenue dans les zones libérées par l’armée arabe syrienne laïque). Bien que de véritables réfugiés soient certainement pris dans le flux, la description précédente résume bien la situation de la majorité de ceux qui sont déjà entrés en Europe de cette manière et qui ont, de facto, favorisé la Turquie et les objectifs stratégiques des États-Unis contre le continent.

Turquie

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La motivation la plus importante d’Ankara en militarisant les réfugiés contre l’UE était de faire chanter le bloc pour faire redémarrer le processus d’admission de la Turquie, qui était au point mort, et de se faire payer grassement pour supprimer le problème socio-politique qu’elle avait intentionnellement déclenché. Ces deux objectifs principaux ont été remplis le dernier jour de novembre 2015, lorsque l’UE a déclaré un «nouveau départ» des relations bilatérales avec la Turquie, en promettant de «redynamiser» le processus d’adhésion à l’UE ainsi que 3 milliards d’euros pour faire face à la négociation de la crise des réfugiés. Près d’un million de réfugiés étaient entrés en Europe par ce point et, compte tenu des caractéristiques socio-idéologiques que la plupart d’entre eux incarnent, on peut aussi dire que la politique étrangère néo-ottomane de la Turquie y a gagné une cinquième colonne importante de soutien dans l’UE. C’est très important, étant donné que ces personnes pourraient se révéler des atouts précieux dans la poursuite de la projection probable de l’influence turque dans les Balkans comme une forme de compensation géopolitique pour l’échec des ambitions néo-ottomanes d’Ankara dans le Moyen-Orient.

États-Unis

Les objectifs des États-Unis dans la campagne des réfugiés sont beaucoup plus importants que ceux de la Turquie. Washington vise à semer les graines d’une perturbation démographique à long terme dans les principaux États membres de l’UE. L’idée est de d’affaiblir et de fragmenter selon des lignes identitaires certains pays aux compositions ethniques et / ou culturelles jusque-là quasi-homogènes (en particulier l’Allemagne, la Suède, la France dans une certaine mesure, et l’Italie à un faible degré).

C’est envisagé pour fabriquer un état de siège tendu et persistant qui pourrait rendre les conditions sur le terrain plus faciles à manipuler pour une révolution de couleur qui serait lancée si l’un des leaders de ces pays se comportait de manière trop indépendante dans ses relations avec la Russie et la Chine. Un parfait exemple de cela dans le futur pourrait être la coopération énergétique de l’Allemagne avec la Russie à travers Nord Stream II. Si les Européens de l’Est ne parvenaient pas à saboter le projet, alors les tensions intérieures découlant du conflit migratoire déborderaient de plusieurs côtés, entre les réfugiés, leurs rivaux fascistes et les citoyens ordinaires. Ces tensions pourraient être mises à profit à large échelle via une Révolution de couleur pour atteindre cet objectif, même si celle-ci est menée sous un prétexte complètement différent.

En outre, la guerre des réfugiés que les États-Unis mènent contre l’Europe a incité de nombreux États à recourir à leurs forces armées comme première ligne de défense dans la manipulation et l’organisation des masses. Ceci, à son tour, a donné à leurs forces armées un rôle plus visible dans la protection de la société. Imprégnées d’une nouvelle importance, en particulier celle de recueillir le plus d’appui de leur population, il est prévisible que les dépenses de défense de nombreux États européens vont rester au niveau actuel ou, de manière prévisible, augmenter afin de répondre à leurs nouvelles exigences de sécurité. La pertinence de cet effet avec la grande stratégie américaine est que les États-Unis font pression sur leurs homologues de l’OTAN pour qu’ils augmentent autant que possible leurs budgets de défense, preuve en est le discours d’adieu de l’ancien secrétaire à la Défense, Robert Gates, en juin 2011. La campagne des réfugiés a rempli cet objectif stratégique, puisque les dépenses militaires européennes vont probablement augmenter pour cette raison. Elles seront ensuite partiellement redirigées vers l’OTAN et subventionneront les efforts des États-Unis pour contenir la Russie.

Le contrecoup des Balkans

L’arme américaine des migrations de masse ne cible pas uniquement l’UE, mais vise aussi à semer le chaos et la discorde tout le long de la voie de transit des Balkans. La part du lion de près d’un million de réfugiés devenus cette arme qui a coulé vers l’Europe a voyagé vers sa destination par la route des Balkans centraux, en traversant la République de Macédoine et la Serbie, les deux principaux États clés pour le Balkan Stream et la Route de la soie des Balkans. Ce ne fut pas fortuit, parce qu’ils auraient pu voyager par l’Albanie ou la Bulgarie, mais les trafiquants d’êtres humains (dont beaucoup agrémentent aussi leur commerce de contrebande de drogue et d’armes et sont des actifs du renseignement américain) ont été avertis que l’accès à ces routes entraînerait leur arrestation (et pas seulement la détention de leur clientèle). Ils ont donc évité cette voie et ont concentré tous leurs efforts pour s’infiltrer en Macédoine et davantage à contre-courant.

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Le flux régulier et concentré de milliers d’êtres humains, à travers les points de contrôle frontaliers préparés à n’en traiter qu’une fraction, a rapidement submergé les autorités de tutelle et a créé des coûts financiers, sociaux et politiques inattendus pour les États de transit. La manière désordonnée dont la plupart des réfugiés sont entrés et ont traversé chacun de ces États avant que la Macédoine ne construise une clôture à sa frontière à la mi-novembre 2015, a contribué au chaos, et la tension régionale qui en a résulté était prévisible. La Hongrie, la Slovénie et la Croatie ont construit leurs propres clôtures frontalières. Cela a conduit à une recrudescence ultra-déstabilisante de réfugiés, en amont, en Macédoine et en Serbie, depuis leur porte géographique d’accès, la Grèce, qui a refusé de faire quoi que ce soit pour arrêter la flambée de ce flux humain vers le nord. L’effet de cette clôture a aiguisé le dilemme de sécurité entre les Balkans occidentaux et centraux . En effet, ils se sont sentis littéralement emmurés par ces derniers, qui leur promettaient d’avoir à gérer des camps de réfugiés dans tout le pays pour abriter les individus que l’Europe ne serait pas capable de recevoir.

Les perturbations sociales qu’un tel plan pourrait créer seraient suffisantes pour faire s’effondrer l’ensemble des Balkans centraux, car l’afflux de simplement 100 000 réfugiés non intégrables et non assimilables dans leurs sociétés, du fait de leurs différences civilisationnelles, aurait surchargé les tensions domestiques et inévitablement mené, d’une manière ou d’une autre, à une forme de déstabilisation à grande échelle. Par exemple, quelques réfugiés mécontents ont brûlé une partie de leur camp en Slovénie à la fin octobre, simplement parce qu’ils étaient mécontents de voir leur entrée en Autriche retardée. Cela laisse imaginer l’ampleur de la violence que des milliers d’entre eux pourraient libérer s’ils étaient piégés dans les Balkans centraux, et encore plus si certains d’entre eux étaient armés par des groupes terroristes comme un UCK réactivé ou une organisation similaire.

Ces réfugiés bloqués sont donc susceptibles de développer une mentalité d’assiégés et d’être incités à une violence à grande échelle par une poignée de provocateurs professionnels habiles à la psychologie des foules. Ces masses en armes pourraient alors être facilement dirigées pour participer, aux côtés des éléments nationaux, à une Révolution de couleur visant un changement de régime (soi-disant pour protester contre leurs conditions de vie), ou à une guerre non conventionnelle (une expression militante pure et simple de leur identité islamiste, peut-être en réponse à des pressions intérieures contre eux). Une autre forme que cela pourrait prendre est celle d’une lutte enragée des réfugiés bloqués pour sortir de ces pays des Balkans centraux transformés en camp pour rejoindre l’Europe centrale. Un peu à la manière dont la Légion tchécoslovaque a ravagé les restes de l’Empire russe pour atteindre le même emplacement (bien que beaucoup plus spectaculaire et sur une distance beaucoup plus longue).

En tout cas, il est impossible de prédire la forme exacte que toute déstabilisation substantielle par des réfugiés pourrait éventuellement prendre, mais ce qu’il faut comprendre à la lecture de cette section, c’est que les réfugiés pourraient facilement être transformés en bombes à retardement de type stay-behind par les États-Unis et des provocateurs régionaux. Les Balkans centraux ont besoin de les sortir de leurs pays d’une manière sûre et organisée autant que possible (à l’exception de ceux qui, bien sûr, veulent sincèrement faire partie des sociétés serbe et macédonienne et ont légalement le droit international de le faire comme de véritables réfugiés).

Grande Albanie

Les premières tentatives

Ce projet géopolitique séculaire a refusé de se mettre en sommeil depuis que les Ottomans ont pris officiellement des mesures pour l’actualiser en 1912. Dans l’intention de rester concentrée sur le sujet des guerres hybrides, cette section n’est pas une analyse historique approfondie des manipulations démographiques jusqu’à aujourd’hui, et elle traitera ce sujet comme le point de départ moderne pour la naissance de la Grande Albanie.

Les Ottomans, alors dans une phase de retraite impériale multidirectionnelle, voulaient adopter une politique classique de diviser pour mieux régner, dans une tentative désespérée de conserver leur empire des Balkans. La fusion des quatre vilayets séparés (divisions provinciales de l’époque ottomane) dans un vilayet albanais était censée faire de ce groupe ethnique le kapo régional du Sultan, en lui donnant une participation dans le Califat par intérêt pour la préservation de leur unité territoriale artificiellement agrandie. Mais si on regarde le temps historique, la guerre pour l’indépendance des Balkans a éclaté presque exactement à ce moment-là, écrasant les ambitions de la Grande Albanie et libérant toute l’Europe de la domination ottomane, sauf un petit ruban de la Thrace orientale.

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A la suite de cette guerre et de celle qui a suivi après que la Bulgarie eut trahi ses voisins et alliés, le gouvernement provisoire albanais a tenté en vain de faire valoir que ses frontières devaient correspondre à peu près à celles de l’Albanie du temps du grand Vilayet, cette structure impériale ottomane qui était censée faire avancer les intérêts de la Grande Albanie. Mais cette politique a échoué. Heureusement, cet effort a été repoussé par l’intervention diplomatique étrangère au cours de la Conférence de Londres de 1912-1913, et les frontières du pays ont été officiellement délimitées dans leurs formes actuelles. Néanmoins, les ambitions irrédentistes de Tirana n’ont jamais cédé, et les dirigeants du pays sont restés encore fanatiquement accrochés à la promotion de leur projet géopolitique.

Seconde Guerre mondiale, néo-fascisme

Le radicalisme racial qui imprégnait la mentalité albanaise à l’époque était idéologiquement compatible avec le fascisme, et les seuls opposants principaux à ce Zeitgeist étaient les guérillas communistes qui, il faut le dire, se sont battues courageusement contre leurs occupants italiens. La plus grande partie de la population, cependant, a été séduite par le nationalisme racial promu de force par Rome, qui a pris la décision stratégique de faire revivre le diviser pour mieux régner des rêves du sultan en soutenant le projet géopolitique de la Grande Albanie. Dans les deux cas, l’hégémon impérial a cherché à utiliser cette construction artificielle afin d’attiser les divisions des Balkans et d’empêcher la région de s’unir contre lui. Si on regarde les frontières modernes, cette itération du vilayet albanais a vu Tirana annexant une partie du Monténégro, de la Serbie et de la République de Macédoine, qui faisait partie du Royaume de Yougoslavie à l’époque. L’illégalité suprême et les prétextes totalement fabriqués par lesquels l’Italie fasciste a ravivé la Grande Albanie sont les raisons pour lesquelles les puissances alliées ont révoqué son imposition génocidaire après leur victoire et ont exigé un retour aux frontières de l’Albanie à leur emplacement d’avant-guerre.

Incubation communiste

Au cours du demi-siècle, entre la fin de la Seconde Guerre mondiale et la guerre de l’OTAN contre la Yougoslavie en 1999, la conspiration pour une Grande Albanie a trompeusement donné l’impression que cela n’avait été qu’un accroc. Sous Enver Hoxha, l’Albanie est devenue l’un des pays les plus isolés au monde, perdant l’URSS comme allié et finalement aussi la Chine, sans faire de percées diplomatiques occidentales pour compenser. La situation absolument lamentable du pays a contribué à un flux d’immigrés, dont beaucoup se sont installés dans ce qui était alors le district autonome du Kosovo-Metohija (1945-1963) et ensuite la province autonome du Kosovo-Metohija (1963-1974).

Avec des taux de natalité plus élevés que la population indigène, les Albanais migrateurs ont pu rapidement devenir une majorité écrasante en peu de temps. Cependant, compte tenu de l’adhésion du gouvernement aux préceptes du communisme, il a refusé de reconnaître ces changements démographiques comme un problème de sécurité nationale. Bien au contraire, en conformité avec l’idéologie communiste aveugle à toute idée de nationalité, les Albanais ont célébré le fait que le district / province était une entité majoritairement non slave en Yougoslavie (littéralement la terre des Slaves du Sud) en lui accordant une autonomie encore plus importante qu’auparavant. La Constitution yougoslave de 1974 a transformé la division administrative de la province socialiste autonome du Kosovo, un statut qu’elle a conservé jusqu’à ce que Slobodan Milosevic l’annule pour revenir à son état antérieur en 1990.
Serbian Orthodox Patriarchate in Pec (Kosovo-Metohija), burnt on March 16, 1981
Patriarcat orthodoxe Serbe à Pec (Kosovo-Metohija), brûlé par les Albanais le 16 Mars 1981
L’effet cumulatif des années communistes a permis de faire incuber l’idée de la Grande Albanie et de transmettre les conditions d’actualisation géopolitique dans la province du Kosovo à la suite de la dissolution de la Yougoslavie. L’État croupion qui en est issu était beaucoup plus vulnérable à une guerre terroriste dirigée de l’extérieur que la République fédérative socialiste de Yougoslavie des dernières décennies, relativement plus forte et beaucoup plus unifiée. Le nouveau contexte international a également été plus favorable pour mener des conflits identitaires. En toute justice, les autorités yougoslaves n’ont sans doute jamais pensé qu’un scénario réaliste pourrait se produire, où le Kosovo pourrait être volé de force à leur pays. Pensant plutôt qu’elles pourraient utiliser les Albanais, elles ont favorisé cette cinquième colonne pour exercer une influence sur leur patrie d’origine voisine. Quelle qu’ait été leur raison de départ, les calculs des autorités yougoslaves au Kosovo se sont lamentablement retournés contre elles et ont finalement facilité le rappel du démon de la Grande Albanie par la force de l’OTAN.

La renaissance de l’OTAN

La fin de la Guerre froide a entraîné un nouveau calcul géopolitique partout dans le monde, en particulier dans les Balkans avec la dissolution de la Yougoslavie, provoquée par les États-Unis. Cela a ouvert des possibilités pour la promotion de la grande stratégie américaine dans la région, fondée d’abord et avant tout sur la diminution des capacités de projection de puissance de la Serbie, le cœur des Balkans. Prenant en compte les six vulnérabilités socio-politiques (séparation ethnique, historique, religieuse, administrative, socio-économique et géographique) les plus susceptibles d’être manipulées dans le déclenchement d’une guerre hybride ou de ses composants séparés, la Révolution de couleur et la guerre non conventionnelle, les États-Unis ont choisi de cibler la province du Kosovo et d’en faire leur prochaine priorité dans la guerre contre la Serbie (elle-même un sous-élément de la guerre asymétrique contre la Russie).

Après avoir incubé et avoir été activement autorisés à se renforcer pendant des décennies, les facteurs socio-politiques les plus favorables à une guerre albanaise non conventionnelle contre la Serbie étaient déjà en place, et tout ce qui était nécessaire était un commandement externe tactiquement habile pour prendre les devants dans la gestion de l’insurrection terroriste. Les États-Unis ont allègrement rempli ce rôle, car ils étaient désireux d’établir ce qui allait se révéler l’une de leurs plus grandes bases à l’étranger, le Camp Bondsteel, crucialement situé à un carrefour géostratégique et capable de projeter sa puissance sur toute la péninsule. Ainsi a commencé la campagne terroriste pour l’éclatement de la patrie serbe historique, loin du reste de l’État serbe, avec l’espoir que cet acte d’une violence géopolitique dramatique aurait un impact psychologique sur des générations de citoyens serbes et laisserait infuser en leur sein une conception malveillante de l’auto-culpabilité qui les rendrait beaucoup plus faciles à manipuler dans le futur.

La guerre de l’OTAN contre la Yougoslavie de 1999 a été lancée avec l’appui traditionnel des terroristes albanais pratiquant le nettoyage ethnique qui, sinon, auraient été vaincus par les forces armées serbes. A ce niveau, les insurgés ont bénéficié d’un soutien clandestin considérable des États-Unis, mais même avec cela, ils n’ont pas été en mesure de faire basculer la dynamique des combats de manière décisive et de réussir dans leur campagne militaire. En réponse, les États-Unis ont commencé à promouvoir des mensonges dans les médias facilement manipulables, montrant que toutes les victoires militaires serbes contre les terroristes étaient en fait des cas de génocide sans motif. Ils ont capitalisé, grâce au travail de la presse, sur l’image négative et fausse de la Serbie et de son président Milosevic, montrée pendant la guerre civile de Bosnie, afin de rendre ces mensonges crédibles. En pratique, l’effet produit a été une vision unilatérale du conflit soigneusement élaborée, qui a été promue par les grands médias américains d’influence mondiale et a convaincu l’opinion publique internationale que les Serbes commettaient de scandaleuses violations des droits de l’homme contre des civils albanais sans défense. S’appuyant sur un pré-conditionnement d’après-guerre froide sans précédent, les États-Unis ont donc été en mesure d’exploiter cette fabrication largement diffusée afin de vendre leur première grande intervention humanitaire, dont les conséquences ont été la rupture de la province du Kosovo de la Serbie et la construction à suivre du Camp Bondsteel, ses deux buts géopolitiques envisagés.

Mouvement contre la Macédoine

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Après avoir réussi en Serbie, au moins pour le moment, le projet géopolitique de la Grande Albanie a orienté ses ambitions contre la République de Macédoine. L’une des étapes les plus significatives à prendre en compte dans ce sens a eu lieu lorsque 360 000 réfugiés albanais ont inondé le le pays pendant la guerre contre la Yougoslavie en 1999. Cela a complètement bouleversé l’équilibre démographique existant dans ce pays (66,6% de Macédoniens et 22,7% d’Albanais dans le recensement de 1994, soit 1 295 964 et 441 104 respectivement), créant temporairement une situation où les Albanais ethniques étaient anormalement plus de 40% de la population à la mi-1999.

Bien que ces chiffres tendent plus tard à se dégonfler avec un grand nombre de Serbes albanais rapatriés dans la province maintenant occupés du Kosovo (lors du recensement de 2002, le plus récent du pays, les Albanais constituaient 25,1% de la population soit 509 083 individus), ils se sont brièvement enhardis avec l’organisation sœur de l’UCK, l’Armée de libération nationale (NLA), lançant une insurrection terroriste violente en Macédoine en 2001. Tout comme c’était arrivé en Serbie, les médias occidentaux ont immédiatement commencé à dénigrer les contre-offensives libératrices du gouvernement comme une forme de génocide, et au bord de la défaite de l’ALN, les États-Unis sont intervenus pour sauver les terroristes assiégés dans Aracinvo et faire appliquer une résolution occidentale dictée aux parties au conflit, connue comme l’Accord d’Ohrid.

Ce texte est largement reconnu comme l’octroi de la plus grande quantité de droits politiques à une minorité dans le monde, et il exige essentiellement que presque aucune décision importante ne puisse être prise par le gouvernement macédonien sans l’approbation de la majorité des parlementaires ethniques albanais. Cette configuration démographique garantit la représentation proportionnelle en fonction de leur part dans la population, donc théoriquement, les législateurs doivent actuellement des comptes à seulement 12,5% de la population qui détient un pouvoir de veto sur ce que le reste de leurs homologues décident et qui, eux, représentant 87,5% de la population. Aussi disproportionné que cela puisse paraître, c’est la solution que les États-Unis ont cherché à appliquer à la République de Macédoine, en grande partie en raison de leur conviction qu’ils pouvaient réussir à utiliser la population albanaise en tant que proxy éternel pour contrôler le comportement du pays.

Il s’est avéré que les USA ont mal évalué la base albanaise de Macédoine, puisque la majorité a constaté l’échec construit dans la province voisine occupée du Kosovo et n’a pas voulu cela dans son pays, qui était stable. De nombreux Albanais ont désavoué le projet de Grande Albanie appuyé par Tirana et ont commencé à coopérer avec le gouvernement démocratiquement élu et légitime, pensant qu’ils pourraient gagner plus pour eux-mêmes en travaillant avec les autorités dans le nouveau cadre d’Ohrid qu’en luttant militairement contre elles dans la poursuite irréaliste de quelque chose de mieux. Depuis lors, deux partis albanais concurrents se sont formés dans le pays : le Parti démocratique d’Albanie (DPA), qui est dans une coalition gouvernementale avec le VMRO, beaucoup plus grand; et l’Union démocratique pour l’intégration (DUI), qui est alignée avec l’opposition SDSM, des révolutionnaires colorés qui ont essayé de renverser l’État au début de 2015.

La population albanaise en Macédoine n’est pas naturellement encline à la révolte contre l’État, ce qui est la raison pour laquelle Tirana et Washington ont redéployé l’UCK en mai 2015 pour lancer des attaques coordonnées contre le gouvernement, en appui à la révolution de couleur en cours à l’époque. S’ils avaient réussi leurs plans, le pays aurait sûrement plongé dans une guerre hybride, mais les autorités macédoniennes ont attaqué le repaire des terroristes à Kumanovo et évité ce scénario destructeur. À son crédit, le peuple albanais n’a pas pris la présence de l’UCK en Macédoine comme un signal pour des émeutes en soutien terroriste de la Grande Albanie, ce qui prouve que la grande majorité de ce groupe démographique veut sincèrement continuer à faire partie de la République de Macédoine (au grand dam des États-Unis et des plans géostratégiques de l’Albanie). Néanmoins, comme on le verra dans le dernier chapitre se concentrant sur le scénario de guerre hybride en Macédoine, on ne peut écarter que les partisans du DUI puissent être convaincus de changer d’avis et de prendre les armes contre l’État. Des efforts sérieux de Tirana et Washington sont en cours pour les faire basculer dans cette direction.

Le révisionnisme de Dayton

La guerre civile de Bosnie

Les origines du conflit le plus sanglant en ex-Yougoslavie remontent très loin dans le passé, mais le déclencheur le plus direct a été la sécession de la Bosnie-Herzégovine de la Yougoslavie après un référendum contesté tenu entre le 29 février et 1er mars 1992. Le leader musulman Alija Izetbegovic, qui était également directeur de la présidence, a déclaré l’indépendance de l’entité le 3 mars, attisant l’agitation immédiate de la communauté serbe qui était absolument opposée au changement et avait largement boycotté le vote précédent. Le soi-disant accord de Lisbonne qui a été discuté avant le référendum a pris une nouvelle dimension dans l’urgence, car il a semblé être la seule alternative à une guerre civile dans le nouvel État non reconnu. Pendant un bref moment et après d’intenses négociations, les trois côtés (musulmans, Croates et Serbes) l’ont finalement signé à des conditions modifiées. Le succès diplomatique a été soudainement gâté par Izetbegovic qui, après une rencontre avec l’ambassadeur américain en Yougoslavie Warren Zimmerman, a retiré inopinément sa signature le 28 mars et a incité la vague d’agitation qui allait bientôt dégénérer en guerre civile.

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L’idée américaine derrière l’encouragement à pousser à l’échec de l’accord de Lisbonne était de provoquer les conditions d’une guerre anti-serbe à l’intérieur du pays. Les Serbes ont habité une grande partie de la Bosnie moderne et même des parties de la Croatie depuis des siècles, et cette situation démographique était un fait internationalement reconnu et bien documenté en 1991. Les États-Unis avaient peur que les communautés serbes – qui se retrouvaient brusquement citoyennes involontaires de ces deux États nouvellement déclarés – se liguent pour rallier une réunification avec leurs frères serbes. Si elles réussissaient, cela donnerait à Belgrade une profondeur stratégique précieuse pour lui permettre de conserver son statut de leader régional. La seule façon d’empêcher cela était de nettoyer ethniquement les Serbes de ces territoires clés et de repeupler ceux-ci avec des Croates et des musulmans. Les données démographiques modifiées devraient alors perturber ce scénario et supprimer un obstacle majeur au contrôle des Balkans par les proxy des États-Unis. Afin de lancer les événements de nettoyage ethnique anti-serbe, les États-Unis avaient besoin de susciter un conflit armé, et la meilleure façon de le faire était de convaincre Izetbegovic de se retirer brusquement de l’accord de Lisbonne. En échange, il recevrait la reconnaissance américaine de l’indépendance de la Bosnie, qui bien sûr est intervenue peu de temps après, le 6 avril.

L’OTAN change le jeu

Tout comme les États-Unis s’y attendaient, le conflit qui en a résulté s’est avéré extrêmement sanglant, provoquant une déstabilisation sans précédent pour l’ensemble de ses participants. Ce qu’ils n’avaient pas anticipé, cependant, était que les Serbes garderaient la haute main et fixeraient la plupart de leurs territoires ethniquement habités en Bosnie et Croatie, respectivement appelée Republika Srpska et République serbe de Krajina. Cela a représenté un problème majeur pour les États-Unis, qui avaient encouragé un conflit armé dans le but de nettoyer ethniquement les Serbes de ces régions précises, mais ceux-ci avaient étonnamment fortifié leurs positions et bien gagné leur droit d’y rester. Cet état de choses était totalement inacceptable pour les États-Unis, car cela a également révélé que les hommes de Washington par procuration étaient mal formés et incapables de gagner la guerre par eux-mêmes. Les luttes intestines entre eux étaient désastreuses pour la cause anti-serbe globale que les États-Unis avaient envisagée, et plus les Croates et les Bosniaques se battaient entre eux, plus il est devenu évident qu’une alliance imprévue entre les Serbes et les Croates se formait pour diviser la Bosnie entre eux et invalider totalement les plans géostratégiques pour un «protectorat tampon pro-américain» entre eux.

Par conséquent, afin de déplacer toute la dynamique du conflit, les États-Unis ont mené une initiative diplomatique pour mettre fin à l’aspect croato-musulman de la guerre civile en Bosnie et rabibocher les deux côtés dans une alliance anti-serbe coordonnée sous la stricte supervision américaine. Le fruit de l’élaboration de cette stratégie a été l’accord de Washington, signé le 18 mars 1994. À partir de là, le conflit s’est réduit à deux camps opposant les Croates et les musulmans aux Serbes, comme les USA l’avaient envisagé à l’origine. Les contours remodelés du conflit bosniaque étaient avantageux pour la promotion de la grande stratégie américaine, car ils avaient maintenant une coalition de terrain semi-coordonnée qui pourrait être dirigée de façon décisive contre les communautés serbes de Bosnie et de Croatie, accomplissant ainsi le nettoyage ethnique que les États-Unis avaient initialement prévu par procuration.

L’OTAN, en ayant joué un rôle actif dans le combat depuis la fin de 1992, a largement aidé les Croates et les musulmans. La participation du bloc s’est intensifiée progressivement au fil des ans. Elle avait commencé avec l’opération Garde maritime en novembre 1992, destinée à inspecter les cargaisons maritimes, puis a évolué vers l’opération Deny Flight en avril 1993 pour faire respecter une zone d’exclusion aérienne au-dessus du pays. L’OTAN s’est engagée dans une politique de conformité sélective dans chaque cas, en adoptant des doubles normes pour faire basculer l’avantage contre les Serbes à chaque fois que c’était possible. L’accord de Washington a évoqué la possibilité pour la première fois depuis le début du conflit qu’une offensive coordonnée OTAN-Croatie-musulmans, dont l’enjeu final serait d’éliminer les Serbes. Dès ce moment, les trois côtés ont commencé à intriguer pour savoir comment y parvenir. La façon la plus simple, ont-ils pensé, serait pour l’OTAN de prendre les devants avec le bombardement des positions serbes. Des attaques sporadiques ont eu lieu tout au long de 1994.

Ce que la coalition trilatérale a finalement préparé, cependant, est l’opération Tempête de la Croatie et l’opération Deliberate Force de l’OTAN, qui ont secoué les communautés serbes à l’été 1995 et produit une catastrophe humanitaire à grande échelle, obligeant la Serbie à se rendre. Pour la mettre en perspective historique, l’alliance OTAN-Croate-musulmans a été officialisée en mars 1994. Il a fallu près d’un an et demi pour la former décemment et fournir des forces sur le terrain avant le début des deux opérations. Les conseillers américains ont été d’une importance critique et les entrepreneurs militaires privés MPRI ont aidé les Croates dans leur attaque en août. Celle-ci a finalement été lancée du 4 au 7 août 1995 et a abouti à la destruction complète de la République serbe de Krajina. Suite à l’offensive, l’OTAN a entamé l’opération Deliberate Force du 30 août au 20 septembre 1995, dans un effort pour effacer la Republika Srpska et compliquer encore la crise humanitaire déjà écrasante frappant des centaines de milliers de réfugiés serbes, qui ont inondé le territoire de la Krajina serbe. Chose intéressante, les États-Unis ont utilisé le prétexte soigneusement manipulé d’une intervention humanitaire pour répondre à l’information déformée diffusée par les médias dominants du massacre de Srebrenica afin de justifier leur intervention. Celle-ci a changé la donne, amenant la guerre civile de Bosnie à une conclusion dramatique.

Les accords de Dayton

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La guerre civile de Bosnie a finalement pris fin avec les Accords de Dayton qui ont été signé entre la Bosnie, la Croatie et la Serbie le 14 décembre 1995. Le document lui-même est assez vaste, mais ses composantes les plus notables sont les suivantes:

  • Une nouvelle Constitution bosniaque avec des systèmes présidentiel et parlementaire compliqués.
  • Une fédéralisation du pays entre la Bosnie-Herzégovine et la Republika Srpska.
  • Une élaboration des compétences et des responsabilités fédérales et étatiques.
  • L’imposition de non-citoyens dans des positions juridiques clés.
  • Et la formation non citoyenne de l’Office du Haut Représentant pour superviser l’accord.
Même les plus mal informés des observateurs politiques peuvent conclure de ce qui précède que l’Accord de Dayton a été méticuleusement conçu pour préserver artificiellement l’unité nominale de l’État bosniaque, tout en le rendant globalement ingouvernable et sous la domination des États étrangers. Aucune des parties belligérantes qui ont signé l’accord ne s’attendait probablement à ce qu’il dure aussi longtemps. Elles ne le voyaient pas comme une solution permanente, mais plutôt comme une mesure temporaire pour désamorcer les tensions et retourner à un semblant de normalité jusqu’à ce qu’une meilleure approche puisse être acceptée ultérieurement.

Ce document profondément vicié a engendré beaucoup de discorde entre tous les côtés depuis sa mise en œuvre, et il a été clair dès le départ qu’il est loin d’être une panacée politique. La seule évolution positive à laquelle il a conduit, cependant, est la grande autonomie de la Republika Srpska, qui a largement permis d’apaiser la population serbe et de préserver la paix. Bien que certains détails de l’Accord de Dayton, comme les particularités législatives et l’autorité juridique déraisonnable – compte tenu du fait que certains non-citoyens peuvent potentiellement être mis en place pour la renégociation entre les parties –, la seule clause non négociable est l’autonomie de la Republika Srpska. Mais malheureusement, l’annulation de ce principe garanti par la Constitution est exactement ce que Sarajevo semble sournoisement désireux de faire, sous le commandement de ses clients occidentaux.

Réécriture de la paix, retour de la guerre

2015 a été l’année qui a vu les tentatives les plus inflexibles pour réviser l’Accord de Dayton au détriment de la Republika Srpska. La première provocation a été la résolution unilatérale du Royaume-Uni à l’UNSC condamnant les événements de Srebrenica, dépeignant trompeusement les Serbes comme les seuls agresseurs et impliquant que leur entité fédérale a été fondée sur des motifs génocidaires. La Russie a opposé son veto à la proposition au début de juillet pour ces mêmes raisons, mais l’effort britannique a révélé que les puissances occidentales dans leur ensemble ont des intentions sérieuses pour secouer le cocotier en Bosnie et créer un faux prétexte juridique pour déposséder la Republika Srpska de sa souveraineté. Dans le même temps, Sarajevo a annoncé que le Bureau de la Cour et du procureur avaient autorité sur la Republika Srpska, ce qui est manifestement contraire à la Constitution de Bosnie, incitant le président Dodik à proclamer qu’il soumettrait la question à référendum si les Bosniaques persistaient dans cette voie.

Quelques mois plus tard, en novembre, Sarajevo a sorti une autre agression juridique contre la souveraineté de la Republika Srpska, au moment où la Cour constitutionnelle décidait que la Journée annuelle de la République de l’entité était discriminatoire et ne devait plus être célébrée. Le verdict a été divisé selon des lignes ethniques, avec les juges musulmans et internationaux passant outre le vote de la majorité des Serbes et des Croates, qui étaient opposés à l’initiative. En réponse, le président Dodik a déclaré que la Republika Srpska organiserait un référendum sur l’opportunité de reconnaître la décision de la Cour constitutionnelle. Il a exigé que les juges étrangers soient définitivement retirés du cadre juridique du pays et que la décision antérieure soit inversée, menaçant de retirer les représentants de son État des institutions fédérales si les modifications n’étaient pas introduites dans les 120 jours.

Il est évident qu’il y a une poussée coordonnée par Sarajevo pour provoquer la Republika Srpska en prenant des mesures constitutionnelles autour des garanties de souveraineté qui pourraient ensuite être perversement retournées dans une sorte d’action anti-bosniaque agressive dans le cadre d’une campagne de diffamation coordonnée. Les autorités fédérales ne font pas cela de leur propre initiative, cependant, car il est évident qu’elles y sont poussées par les puissances occidentales à qui elles sont redevables, à savoir les États-Unis. C’est la raison pour laquelle leur partenaire le plus proche au Conseil de sécurité de l’ONU, le Royaume-Uni, a essayé de pousser la Résolution Srebrenica, formulée de manière délibérément trompeuse pour créer un prétexte permettant d’abolir la souveraineté de la Republika Srpska en vertu d’un scénario à venir. L’objectif global est d’éliminer cette entité serbe diasporique comme cela a été fait avec la République serbe de Krajina en 1995, peut-être par des moyens similaires et sous un faux prétexte autour de  la Constitution. Les allégations, fabriquées de toutes pièces, que la Republika Srpska tente de réviser unilatéralement l’Accord de Dayton sont hypocrites à l’extrême, car c’est Sarajevo et la partie croato-musulmane du pays qui le fontt, pas l’entité serbe. La grande vision des États-Unis est d’utiliser la violence à venir en Republika Srpska (que ce soit au niveau fédéral ou via du terrorisme) comme un piège inversé de type Brzezinski pour aspirer la Serbie et la détruire une fois pour toutes. Car en fin de compte une victoire américaine dans la guerre contre la Serbie seraient une défaite irréversible pour la Russie dans la région.


Andrew Korybko est un commentateur politique américain qui travaille actuellement pour l’agence Sputnik. Il est en troisième cycle de l’Université MGIMO et auteur de la monographie Guerres hybrides: l’approche adaptative indirecte pour un changement de régime (2015). Ce texte sera inclus dans son prochain livre sur la théorie de la guerre hybride.

Le livre est disponible en PDF gratuitement et à télécharger ici 




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