Article original de Jacopo Simonetta, publié le 21 Avril 2016 sur le site CassandraLegacy
Traduit par le blog http://versouvaton.blogspot.fr
Dans un post précédent, j’ai spéculé qu’un système thermodynamique, comme notre économie industrielle, est complètement dépendant de son «environnement». Comme il se développe et intègre ce «dehors», il est obligé de stocker une entropie
élevée à l’intérieur de lui-même. La diffusion de l’épidémie d’émeutes
dans le cœur même du système mondial, est peut-être un indicateur de
cette situation. Ici, je vais essayer de parler d’un autre aspect du
même sujet: le fait qu’apparemment, nous sommes incapables de faire quoi
que ce soit pour éviter l’effondrement global, en dépit de notre
profonde connaissance des lois naturelles et nos moyens techniques
incroyablement puissants.
Quarante ans après la publication des Limites à la croissance, nous découvrons que nous n’avons fait que suivre la trajectoire du scénario de base du livre, business as usual [BAU, NdT],
et avec un degré de précision inquiétant. En fait, dans les intentions
des auteurs, le scénario BAU n’était pas une prévision, mais seulement
un scénario parmi d’autres, utile pour analyser la façon dont le système
fonctionne et les changements. Mais le monde réel lui-même a transformé
ce scénario parmi d’autres en une prophétie authentique (source de l’image)
Comment cela a-t-il été possible?
Il se pourrait que nous n’ayons rien fait pour changer notre
politique et notre l’économie, mais c’est difficile à croire. Au cours
des 40 dernières années, nous avons vu un certain nombre de changements
majeurs et tous étaient totalement imprévisibles au début des années
1970. Par exemple, l’effondrement partiel de l’Union soviétique, la
montée de la Chine comme deuxième puissance planétaire, la
mondialisation et la financiarisation de l’économie, Internet, l’euro et
ainsi de suite. Les Meadows et leur équipe ne pouvaient pas avoir
intégré tout cela dans leur modèle, tout simplement parce qu’ils ne
pouvaient pas imaginer quelque chose comme ça. Nous sommes donc obligés
de penser que de tels événements, caractéristiques de notre époque,
n’ont été que des accidents marginaux dans l’évolution du système
socio-économique mondial.
Pour parvenir à une meilleure compréhension de cette question, je pense qu’il est préférable de commencer par examiner World3 lui-même. Dans un article,
il y a quelques années, Ugo Bardi a montré que, derrière sa complexité,
World3 a une architecture thermodynamique très basique. C’est un
système qui accumule et stocke des informations, avec une rétroaction
positive sur le flux interne. Plus le système est grand, plus il est
capable d’extraire une faible entropie des puits et de jeter l’entropie dans les sources.
En d’autres termes, le scénario BAU décrit plus ou moins l’activité
des bactéries à l’intérieur d’une boîte de Pétri. Tout d’abord, elles
commencent à exploiter les meilleures ressources (par exemple le sucre),
ce qui leur permet de se développer. Comme elles croissent, elles ont
besoin de plus de ressources et elles commencent à digérer tout ce qui
se présente et, en même temps, elles évoluent aussi vite que possible
afin d’exploiter avec efficacité des ressources de plus en plus rares et
pauvres. Cela jusqu’à ce que, à la fin, elles aient tout digéré et
meurent.
Maintenant, la question est : comment est-il possible qu’avec
toute notre intelligence, la science et la technologie, nous agissions
comme de la moisissure dans une boîte de Pétri? Et que dire de notre
liberté de choix ?
En ce qui concerne la première question, je suggère qu’en 1970, au
niveau mondial, le système socio-économique avait déjà dépassé la
capacité de charge de la Terre. Mon idée est qu’un système peut avoir un
certain degré de liberté, qui diminue de façon exponentielle quand il
atteint ses limites. Cela signifie que, loin des limites, les systèmes
peuvent changer leur trajectoire et que plus on est loin des limites,
plus grands sont les choix possibles. Mais lorsque les impacts du
système atteignent des limites, les changements physiques simples et
brutaux deviennent la seule évolution possible et rien ne peut changer
cela.
Par exemple, un garçon peut choisir son travail. Bien sûr, il y a
toujours des limites sévères en fonction de sa situation géographique,
de sa situation économique et sociale, de sa culture et ainsi de suite.
Mais les degrés de liberté sont de toute façon plus nombreux que zéro.
Par exemple, il peut choisir d’être un soldat, un chauffeur de taxi, ou
un employé. Mais, si un homme de 50 ans perd son emploi, la seule chose
qu’il peut faire est de couper son pain en tranches aussi minces que
possible. S’il était un employé, il n’aura jamais une licence de taxi ou
il ne sera jamais enrôlé comme mercenaire en Libye.
Je suppose que mon hypothèse est compatible avec la physique et aussi
avec les données historiques. Beaucoup, sinon toutes les civilisations
qui se sont éteintes, ont disparu à cause des invasions étrangères ou
lors d’un effondrement dans une trajectoire typique de la falaise de Sénèque.
De nombreux historiens ont étudié ce phénomène étonnant: Vico, Toynbee,
Spengler, Tainter, pour ne citer que les savants les plus éminents.
Chacun d’eux a proposé un ensemble différent de causes pour les
effondrements des civilisations, et tous les aspects importants ont été
analysés. Peut-être que l’effet des structures dissipatives dynamiques
est la physique sous-jacente de cet événement historiquement récurrent.
Pour moi, cette hypothèse est aussi cohérente avec la sagesse
antique. La mythologie et les récits épiques sont pleins d’exemples dans
lesquels le héros a la possibilité de changer un destin défavorable,
mais seulement alors qu’il (ou elle) est loin de le réaliser. Pour citer
un exemple, Hector a eu trois fois l’occasion de mettre fin à la guerre
de Troie, mais à chaque fois il a refusé de le faire, parce qu’il était
en train de gagner et voulait la victoire totale. Il était sûr que la
destruction de la flotte achéenne signifierait la fin des hostilités,
mais nous savons que l’histoire s’est passé différemment. Il a
finalement compris son erreur de calcul, mais à ce moment là, il était
trop tard: Achille se tenait en face de lui.
Peut-être, à un niveau socio-économique, avons-nous une situation
similaire : aussi longtemps que nous sommes en croissance, nous pouvons
choisir de mettre fin à la croissance. Mais une fois que le dépassement
arrive, nous ne pouvons que suivre la voie thermodynamique intrinsèque
générée par le système. Habituellement, cela signifie une croissance
supplémentaire entraînée par l’inertie du système, suivie d’un
effondrement plus ou moins violent. Et c’est peut-être notre destin
inévitable.
Jacopo Simonetta
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