Article original de Ugo Bardi, publié le 2 Mai 2016 sur le site Cassandra Legacy
Traduit par le blog http://versouvaton.blogspot.fr
L’ouragan nommé Donald Trump a pris tout le monde par surprise en allant contre toutes les règles établies de la politique. Jusqu’à présent, les candidats essayaient toujours d’éviter de prendre des positions extrêmes ; viser le centre du spectre politique a toujours été considéré comme le moyen de gagner, et cela a bien fonctionné. Mais
Trump a pris exactement la stratégie inverse, visant toujours à des
positions qui, il y a peu de temps auraient été vues comme extrêmes et
même indicibles. Mais il rencontre le succès. Comment est-ce possible ?
Pour tout ce qui existe, il doit y avoir des raisons, et cette règle universelle doit être valable aussi pour Donald Trump. Et, en effet, la montée de Trump devrait être considérée non seulement comme ayant des raisons d’exister, mais même comme inévitable. Je vais essayer d’expliquer pourquoi.
En 1929, Harold Hotelling a développé un modèle de concurrence spatiale parmi les entreprises qui, aujourd’hui, est encore assez bien connu et a pris son nom. L’idée est parfois illustrée par celle du meilleur emplacement pour la vente de crème glacée sur une plage. En
supposant que les clients sont répartis uniformément le long d’une
plage linéaire, il se trouve que la meilleure position pour chacun
d’entre eux est de se regrouper exactement au centre. Quelque chose de semblable se passe en politique : on l’appelle le modèle Hotelling-Downs. Il dit que, dans une compétition politique, la position la plus avantageuse est au centre. C’est une stratégie politique bien connue et traditionnelle ; ceux qui sont au centre remportent les élections.
Donc est-ce que Donald Trump réfute le modèle Hotelling-Downs avec sa stratégie fondée sur la prise de positions extrêmes ? Non, mais tous les modèles ne fonctionnent que dans les limites des hypothèses qui les ont produites. Si les hypothèses changent, les modèles changent aussi. Le
modèle Hotelling-Downs, comme il est communément décrit, fonctionne sur
l’hypothèse que les préférences des électeurs ont tendance à se
regrouper dans le milieu du spectre des opinions politiques, quelque
chose comme l’image d’une courbe de Gauss.
Imaginez que l’axe horizontal décrit les préférences des électeurs au sujet, par exemple, de la guerre et de la paix. Aux
deux extrêmes du diagramme, il y a les bellicistes absolus et les
pacifistes absolus. Au centre, il y a une majorité qui prend une
position intermédiaire; préférant la paix, mais sans exclure la guerre.
Telle était la situation jusqu’ici sur la plupart des questions. Mais les données récentes indiquent une transformation en cours remarquable, quelque chose comme ceci :
Vous voyez comment les préférences des électeurs américains se séparent en deux moitiés. Les libéraux et les conservateurs sont de plus en plus différents, une scission qui pourrait augmenter à l’avenir.
Dans un article précédent,
j’ai interprété cette tendance comme le résultat de la paupérisation
croissante de la société, un phénomène qui augmente la concurrence pour
les ressources restantes. La
polarisation accrue provient du fait que certaines catégories ou
classes sociales ont tendance à trouver plus facile d’accumuler des
ressources en les volant à ceux qui en ont, plutôt que de les créer à
partir des ressources naturelles (par exemple les banques contre les
citoyens ou les élites par rapport aux classes moyennes). Si cette interprétation est correcte, la polarisation politique est partie pour nous accompagner pendant une longue période.
Le problème est que la polarisation a des conséquences politiques profondes. Si la société est divisée en deux moitiés idéologiquement incompatibles alors le mécanisme des primaires approfondit la scission encore plus. Le modèle Hotelling-Downs tient toujours, mais séparément pour chaque moitié. À
ce stade, dans le but de gagner des voix, le candidat doit faire au
mieux en visant l’un des deux pics, soit à gauche soit à droite ; une position qui, dans la pratique, est obligatoire avec les primaires, où les électeurs sont aussi répartis en deux moitiés.
En
effet, Donald Trump a joué au roi de la colline sur la bosse
républicaine tout en poussant la plupart des autres candidats dans le
désert républicain du centre. Les
seuls rivaux républicains qui ont survécu à l’assaut de Trump sont ceux
qui, comme Ted Cruz, sont en concurrence avec lui pour le même pic de
droite. Quelque chose de semblable a généré le succès relatif de Bernie Sanders sur le côté opposé du spectre politique ; même si cela ne peut le conduire à la nomination. Donc, Donald Trump était vraiment un phénomène inévitable.
Et maintenant ? Il semble plus que probable que Trump va obtenir l’investiture républicaine au moyen de ses tactiques réussies de polarisation. Mais,
afin de gagner la présidence, Trump devra abandonner sa colline sûre
mais limitée à droite et essayer de conquérir le centre. Mais peut-il vraiment faire cela après une campagne d’investiture aussi agressive et avec tant de discorde ? Trump a des compétences en communication presque surnaturelles, mais cela peut être trop difficile, même pour lui. Le
problème est que le Président des États-Unis est censé être le
président de tous, pas seulement de ceux qui ont voté pour lui. Mais,
nous avons déjà vu une fissure dangereuse dans cet arrangement avec le
président Obama, quand un nombre considérable de personnes semblait
incapable d’accepter l’idée d’avoir un président noir. En tant que président, Donald Trump serait susceptible de générer des réactions similaires d’une autre partie du public. Cela pourrait produire une scission dans la société que, par euphémisme, nous pourrions définir comme un peu difficile à gérer.
Mais,
encore une fois, Trump n’est pas la cause de quoi que ce soit, il n’est
que le résultat inévitable de la compétition intestine croissante dans
une société de plus en plus pauvre. Il peut échouer dans sa candidature à la présidence, mais les facteurs sociaux et politiques qui l’ont créé resteront. Et
ces facteurs pourraient facilement conduire à quelque chose de bien
pire que Trump si la situation économique se détériore davantage, comme
elle le fera probablement.
Alors, où va l’institution que nous appelons la démocratie ? C’est
difficile à dire, mais, pour que la démocratie existe, il doit exister
certaines conditions, notamment une répartition raisonnablement
équitable de la richesse dans la société. Et c’est quelque chose que nous perdons rapidement. Du fait que nous glissons sur la falaise de Sénèque, la démocratie pourrait rapidement être perdue.
Ugo Bardi
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