Article original par Dmitry Orlov, publié le 14 Juin 2016 sur le site Club Orlov
Traduit par le blog http://versouvaton.blogspot.fr
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La loi de l’attraction est un aliment de base des conférenciers. La prémisse est que les pensées déterminent les résultats. Si vous pouvez visualiser un avenir meilleur, et concevoir les étapes que vous devez franchir pour l’atteindre, un avenir potentiel apparaît comme par magie dans l’existence.
En réalité, le changement exige plus que de la pensée positive. Il y a une boucle de rétroaction entre la pensée et l’action. Si nous pensons différemment, nous devons aussi agir différemment, et seulement en agissant différemment nous pouvons espérer obtenir quelque chose de nouveau. À leur tour, de nouvelles réalisations conduisent à de nouvelles expériences, ce qui peut nous amener à penser différemment encore plus, révisant notre plan, essayant de jouer encore plus différemment, et ainsi de suite.
L’un des problèmes auxquels nous sommes confrontés dans la lutte contre d’énormes problèmes, extrêmement complexes, tels que– uniquement pour en remettre une couche – le changement climatique, les inégalités économiques et le dysfonctionnement social et politique, est qu’il est difficile pour nous de concevoir une meilleure façon de faire les choses. Ne pas savoir quoi faire est assez mauvais; ne pas savoir quoi penser est encore pire!
Lorsqu’il n’y a pas de réponses faciles qui se présentent, un principe qui peut être appliqué, est que nous devons commencer par ce qui est simple et directement en face de nous. Les petites actions et les efforts réels servent un objectif supérieur, dont beaucoup parlent et ne font rien pour. C’est par de petits commencements que de plus grandes choses peuvent se développer.
Et ce qui est exactement en face de nous tous, c’est la façon dont nous traitons les autres.
Une conséquence inattendue de notre mode de vie actuel, est qu’il a faussé et perverti nos interactions interpersonnelles. Afin d’être en mesure de nous permettre de simplement habiter la planète et satisfaire nos besoins fondamentaux, nous sommes tenus de jouer toutes sortes de rôles artificiels. Plus précisément, nous sommes obligé d’interagir avec l’autre, contraint par des règles arbitraires qui nous sont imposées.
En tant qu’employés, nous sommes censés mentir facilement aux clients pour protéger les bénéfices de nos employeurs. En tant que vendeurs, nous sommes censés vendre des choses que nous ne voudrions jamais acheter. Ensuite, il y a toute une catégorie de personnes qui travaillent pour renforcer cette architecture, et sont spécifiquement payées pour ne pas tenir compte de toutes les considérations humaines et pour distribuer des punitions sans indulgence pour des circonstances personnelles graves. Les énormes hiérarchies sociales et financières récompensent le comportement psychopathique (qui est considéré comme du professionnalisme), tout en punissant l’altruisme et la compassion (qui sont considéré comme de la faiblesse ou de la corruption).
Des collègues de travail sont arbitrairement regroupés suivant les caprice des gestionnaires et passent souvent plus de temps entre eux qu’avec leurs propres familles, pris au piège dans un monde rabougri de relations superficielles qui érodent peu à peu leur humanité. Les parents n’ont souvent pas d’autre choix que de payer des étrangers pour élever leurs enfants pour eux. Ces étrangers travaillent pour un salaire plutôt que par amour pour les enfants, et quand leur contrat se termine, la liaison établie avec l’enfant s’interrompt aussi, portant atteinte à la foi de l’enfant dans l’humanité.
Lorsque les parents peuvent enfin voir leurs enfants, ils sont souvent fatigués et distraits, conditionnant leurs enfants à ne pas mieux les traiter que les étrangers qui prennent soin d’eux le reste du temps.
Grandissant avec un déficit constant de sensibilité, de sincérité, de sécurité et de chaleur, ces enfants, une fois qu’ils atteignent l’âge adulte, attendent de leurs relations qu’elles soient manipulatrices et abusives, ou réglementées par contrat. Leur humanité se réduit à un ensemble de comportements égoïstes et matérialistes. Leurs psychés déformées sont en équilibre sur la lame d’un rasoir, entre une peur morbide de l’exclusion, qui les pousse vers le mimétisme et le conformisme, et un comportement de concurrence hypertrophiée contre nature, qui détruit leur instinct de coopération spontanée.
Lorsque vous prenez un peu de recul sur tout cela, l’impression que cela donne est celle d’un trouble mental touchant l’ensemble de la société.
Mais c’est un syndrome que nous savons comment traiter, d’abord individuellement, puis en groupes. Comment cela peut-il être fait? C’est expliqué dans ce dernier extrait de 150 liens forts : Une voie vers un avenir différent.
La Règle des 150
Et maintenant, nous arrivons à la raison d’être pour le titre de ce livre. Elle concerne le nombre de Dunbar : 150, la taille approximative maximale du groupe au sein duquel les gens sont en mesure de maintenir une relation humaine stable. Le recadrage de ce contexte est le catalyseur de toute action nécessaire à la mise en place d’une nouvelle force de réconciliation, qui est au cœur de ce qu’il faut pour un vrai changement. C’est une question d’échelle : les tentatives de reconnecter les gens les uns avec les autres et à l’environnement, et de recontextualiser leur prise de décision, échoueront à chaque fois que cette limite sera dépassée.
En appliquant ce que nous enseigne le nombre de Dunbar, nous pouvons dire qu’il existe une règle de 150 qui devrait s’appliquer en tant que principe d’organisation de nos systèmes d’interaction humaine. Nous devrions chercher à nous orienter vers ce qui est naturel dans notre caractère évolutif: nous sommes une espèce sociale, nous travaillons bien dans de petites communautés, et notre force est de travailler ensemble.
Au contraire de l’accent mis sur le collectif qui découle naturellement de la règle des 150, notre culture actuelle, axée sur le profit, favorise le succès de l’individu, ce qui crée une dynamique où il y a une forte incitation pour que les gens deviennent des silos, conditionnés par la compétition, et définis par leur richesse économique individuelle. Cela crée une vibration d’auto-protection et d’insécurité, qui favorise l’isolationnisme et l’égoïsme, culminant avec le culte de l’individu que nous voyons célébré dans notre culture moderne. Cette situation a provoqué beaucoup des dégénérescences du monde moderne.
Mais il n’y a pas besoin de se lamenter de cette situation; nous pouvons la modifier. Ancrée dans notre ADN, il y a une impulsion pour quelque chose de meilleur, autour du bien-être et de l’épanouissement de la collectivité. Il y a une tendance humaine naturelle à vouloir aider les autres, pour créer un environnement stimulant pour nos familles et leur sécurité, ainsi que la sécurité de nos collectivités. En outre, au fond de la plupart d’entre nous, il y a une impulsion d’ambition pour la vertu, mais elle est souvent enfouie au plus profond, ne sommeillant que comme une faible lueur.
La hiérarchie des besoins de Maslow fournit une théorie pour la motivation humaine. Il définit cinq grandes catégories de besoins, généralement représentés comme une pyramide avec le besoin le plus fondamental en bas, qui est la nécessité de la satisfaction de nos besoins physiques en air, en nourriture, en eau, pour un abri et le sommeil, alors que le besoin le plus ambitieux de la réalisation de son potentiel, relatif à la morale, la créativité et l’acceptation, est placé au sommet.
[…]
Par ordre d’importance, ces besoins humains sont classés comme suit:
1. Les besoins physiologiques : la respiration, la nourriture, l’eau, le sexe, le sommeil, l’homéostasie, l’excrétion.
2. La sécurité : du corps, des ressources, de la morale, de la famille, de la santé, de la propriété.
3. L’amour et l’appartenance : l’amitié, la famille, l’intimité sexuelle.
4. L’estime : de soi, la confiance, la réussite, le respect des autres.
5. L’épanouissement personnel : la morale, la créativité, la spontanéité, la résolution de problèmes, le manque de préjugés, l’acceptation des faits.
L’esprit humain est complexe, avec de nombreux processus parallèles qui se passent en son sein en même temps, et donc, la satisfaction d’un niveau de besoin n’est pas nécessairement une condition préalable à la réalisation d’un autre. Mais il peut être vaguement dit que si les besoins fondamentaux sont satisfaits, il y a un plus grand potentiel pour consacrer de l’énergie et des efforts pour répondre aux autres.
L’importance de cette théorie, par rapport à la règle des 150, est que l’appartenance à une communauté stable et favorable fournit un contexte pour la réalisation des objectifs plus élevés. Un tel contexte est nécessaire pour nous, afin d’entreprendre une réforme sérieuse de notre approche à l’environnement et à l’autre.
L’une des faiblesses fondamentales du système de motivation par le profit, est qu’il entre intrinsèquement en conflit avec les efforts visant à assurer la sécurité et la sûreté inconditionnelle. Cette faiblesse se manifeste à des degrés divers; même un emploi dans une entreprise privée dans une économie de marché peut fournir une garantie de cet ordre. Mais, si on prend les États-Unis à titre d’exemple, le fait que des dizaines de millions de personnes soient médicamentées (et auto-médicamentées) pour l’anxiété et ressentent le besoin de se protéger avec des niveaux apocalyptiques d’armes, nous dit qu’ils ont un problème avec l’insécurité. Si on compare tous les progrès matériels livrés par le capitalisme, l’observation des tendances culturelles qui l’ont accompagné suggère qu’il n’y a pas eu un progrès similaire vers la paix intérieure ou l’accomplissement personnel.
Quand les gens appartiennent à un groupe lié par plus que de simples superficialités, il y a une série de mécanismes qui soutiennent leurs besoins humains. Il va sans dire que la sécurité doit finalement venir de l’intérieur pour chacun, et que des choses telles que l’estime de soi ne peuvent pas être générées seulement par des circonstances extérieures. Mais si nous comprenons l’importance de fournir un contexte stable, dans lequel les gens peuvent trouver leur rythme dans la vie, on a beaucoup plus de chances d’obtenir des résultats positifs. Les parents qui cherchent à créer un environnement favorable pour leurs enfants, par exemple, sont beaucoup plus susceptibles de réussir en ayant un revenu stable et des racines dans une communauté. Les contrats zéro heure, où un employeur ne doit pas garantir à ses employés un nombre minimal d’heures travaillées ou un salaire, ne sont pas compatibles avec cela!
La Règle des 150 signifie également que les groupes doivent être maintenus assez petits pour rester fonctionnels et efficaces. Quand les gens se connaissent et interagissent régulièrement, il y a un flux constant d’évaluations subtiles, au-delà des mots, qui aide à construire le tissu d’une culture partagée. On sait quand on est en harmonie avec la vibration du groupe ou non. Une pensée verbalisée résonne, soit en étant suspendue puis tombant à plat, soit elle revient amplifiée par le langage corporel et les commentaires subtilement introduits. Les extrémismes des tendances radicales de chaque individu sont contenues. Grâce à l’expérience partagée au fil du temps, et à la connaissance et la compréhension des autres membres du groupe, un véritable centre de gravité est créé par le groupe pour concilier leurs actions.
Lorsque les groupes fonctionnent à ce niveau, la nécessité d’un processus démocratique manifeste, avec des activités telles que les campagnes électorales et le vote, est la plupart du temps absente. Les discussions au jour le jour, les décisions consensuelles prises lors de réunions spontanées ou planifiées, et une compréhension générale que tous se dirigent dans la même direction, sont de loin des méthodes supérieures pour générer un élan vers l’avant et vers l’unité. Comme il a souvent été dit du processus de vote, ce n’est que «deux loups et un agneau qui vont décider lequel va être mangé pour le déjeuner».
Le processus de prise de décision fondé sur le consensus est généralement ce qui se produit dans une entreprise de taille moyenne bien gérée, si elle a impliqué ses employés dans une culture commune positive. Tous le monde n’est pas obligé d’être d’accord, mais parce travailler là implique un certain niveau de performance, ou une façon de faire les choses, les choses progressent généralement dans la bonne direction. Bien sûr, cela nécessite une bonne gestion et un environnement d’affaires stable.
Partir de ce microcosme d’efficacité prouvé et l’appliquer à un contexte plus large n’est pas facile. La plupart des institutions de la vie moderne exigent une grande échelle. Les gouvernements, tout en étant responsables de beaucoup des échecs de notre modèle actuel, sont nécessaires pour faciliter des choses telles que la construction et l’exploitation d’usines de traitement d’eau, d’hôpitaux, d’écoles, de routes et de systèmes de transport public. Ceux-ci exigent une grande échelle et des interactions complexes qui ne peuvent être pas exécutées par un petit groupe dans l’isolement. Le facteur d’échelle et la spécialisation sont nécessaires.
Le défi est donc de lutter contre le fléau de la grande échelle, en raison de la perte de contexte et de nuance qu’elle implique, mais de conserver la capacité de s’organiser et d’exploiter collectivement pour répondre aux plus grands besoins et problèmes.
Ceci est un défi de taille!
Ce que nous pouvons dire comme point de départ, cependant, est qu’aucun des modes opératoires actuels n’est favorable à la Règle des 150. La tendance est à la centralisation, la dépersonnalisation des processus de vie, et le contrôle par des règles. L’accord de partenariat trans-pacifique par exemple, qui est en cours de négociation au moment de la rédaction de ce document, vise à élever les droits des sociétés au-dessus du niveau de la législation nationale. Les entreprises transnationales sont dotées d’un statut quasi d’intouchable, qui empêche leur régulation dans un contexte local, ce qui pourrait autrement être utilisé pour fournir un système pour veiller à ce que leurs activités soient appropriées. Cela ne peut produire que davantage de destruction du tissu social et la profanation concomitante de l’environnement.
Si nous voulons embarquer pour un voyage vers quelque chose qui peut être considéré comme plus démocratique, dans le vrai sens, où il n’y a pas un système de nous et d’eux avec des leaders et un troupeau, où il y a un réel espoir pour de meilleurs résultats, nous devons nous demander dans toutes les situations : «Est-ce que cela correspond à la règle des 150?»
Cette question doit devenir primordiale, car les décisions doivent être prises par les personnes qui entretiennent des relations les unes avec les autres et qui sont engagées dans leur contexte local. C’est le mécanisme par lequel nous pouvons établir une nouvelle force réconciliatrice, pour supplanter le système de motivation par le profit – une fissure à travers laquelle la lumière peut entrer, pour reprendre une expression de Leonard Cohen.
Les décisions prises sur une base financière uniquement, par des organisations structurées autour de la gestion des finances, doivent être subordonnées à quelque chose qui est meilleur, plus résilient et émerge de lui même.
L’application de ce principe est double :
1. Sur le plan personnel, nous pouvons nous demander : qui sont mes 150 personnes?
2. Sur le plan organisationnel, nous pouvons restructurer nos systèmes d’interaction afin qu’ils soient basés sur des groupes de 150 personnes.
En tant qu’individus, nous pouvons tendre la main à ceux qui font partie de notre réseau d’appartenance, en cherchant à renforcer les liens à l’intérieur.
Et, en tant que citoyens, nous pouvons chercher à réformer nos institutions publiques, pour les rendre de plus en plus personnelles. Notre royaume intérieur a besoin de se développer, tandis que notre royaume extérieur a besoin de se réduire, jusqu’à ce que les deux puissent se rencontrer.
Dmitry Orlov
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