Article original de Dan Glazebrook, publié le 15 Novembre 2016 sur le site CounterPunch
Traduit par le blog http://versouvaton.blogspot.fr
À la fin de 2012, Peter Turchin,
un professeur à l’Université du Connecticut, a fait une déclaration
surprenante. Sur la base d’une analyse des bouleversements
révolutionnaires à travers l’histoire, il a constaté qu’il y avait trois
conditions sociales en place, peu de temps avant toutes les épidémies
majeures de violence sociale : une augmentation de la population dans
l’élite; une diminution du niveau de vie des masses; et des niveaux
énormes d’endettement de l’État. Le modèle statistique que son équipe a
développé suggère que sur cette base, une vague majeure de
bouleversement social et de violence révolutionnaire est prévue aux
États-Unis en 2020. Son modèle n’avait aucun moyen de prédire qui
dirigerait le pays. Mais l’élection de cette semaine donne une
indication de la façon dont c’est susceptible de se dérouler.
Prenons la première condition, que Turchin appelle la «surproduction d’élite», définie comme «un nombre accru d’aspirants pour l’offre limitée de positions d’élite».
Les États-Unis sont clairement dans cette direction depuis un certain
temps, le nombre de milliardaires étant multiplié par plus de dix entre
1987 (41 milliardaires) et 2012 (425 milliardaires). Mais la classe
dirigeante partagée entre, par exemple, les industriels et les
financiers, a apparemment atteint le point culminant avec le duel Trump
contre Clinton. Comme l’explique Turchin, l’«augmentation de la
concurrence intra-élite conduit à la formation de réseaux de mécénat
rivaux, rivalisant pour les récompenses de l’État». En effet, sur la base de l’analyse de milliers d’incidents de violence civile dans l’histoire du monde, Turchin a conclu que l’«indicateur le plus fiable de l’effondrement de l’État et de l’instabilité politique élevée, était la surproduction d’élite».
La seconde condition, la misère populaire, est aussi bien avancée.
Quarante-six millions de citoyens américains vivent dans la pauvreté
(définis comme recevant un revenu inférieur à ce qui est nécessaire pour
couvrir leurs besoins de base), tandis que plus de 12 millions de
ménages américains sont maintenant considérés comme en insécurité
alimentaire. Alors que ce chiffre est en baisse constante depuis 2011
(il atteignait alors plus de 15 millions), il reste au-dessus de ses
niveaux d’avant la récession (avant 2007). Les politiques de Trump sont
susceptibles d’inverser fortement cette baisse. La deuxième promesse de
Trump dans son «contrat avec les électeurs» est un «gel de l’embauche sur tous les emplois fédéraux»,
ce qui représente un nouvel assaut sur les emplois dans le secteur
public. Cela s’ajoute à ce qui semble être une promesse de mettre fin au
financement direct de l’éducation publique (selon ses mots, «réorienter l’argent de l’éducation vers […] les parents») et mettre fin à tout le financement fédéral des soi-disant «villes-sanctuaires»,
c’est-à-dire les villes qui n’ordonnent pas à l’État de harceler les
immigrants ou forcent les employeurs à révéler la nationalité de leurs
travailleurs. Ces villes sont parmi les plus peuplées du pays, y compris
New York, Los Angeles, Dallas, Minneapolis et plus de deux douzaines
d’autres.
De concert avec son intention avouée de réduire les impôts pour les
riches, y compris la réduction de la taxe professionnelle de 35% à 15%,
de briser les droits des travailleurs (sous le slogan de la
déréglementation) et de supprimer le peu d’accès aux soins de santé qui a
été mis à la disposition des pauvres avec l’Obamacare – sans parler de
sa menace de commencer une guerre commerciale avec la Chine – la
pauvreté semble prête à monter en flèche. Il n’est pas difficile de voir
comment les troubles sociaux suivront.
Quant à la troisième condition – l’endettement du gouvernement – il
est difficile de voir comment les réductions d’impôts massives que Trump
a proposées peuvent conduire à autre chose.
Turchin écrit que «comme toutes ces tendances
s’intensifient, le résultat final est la crise financière de l’État, sa
faillite et la perte conséquente du contrôle militaire; des mouvements
d’élite menant à des rébellions régionales et nationale; et une
combinaison de soulèvements mobilisés par l’élite et les populations,
qui consommeront une rupture d’avec l’autorité centrale».
Mais Trump se prépare aussi à cela. Sont exonérés de ses réductions
de dépenses publiques, bien sûr, les budgets de la police et les budgets
militaires, qu’il promet d’augmenter. Et quand il a été interrogé sur
la question de la brutalité policière l’année dernière, Trump a dit
qu’il voulait voir la police recevoir plus de pouvoirs. En d’autres
termes, l’impunité tacite qui existe actuellement pour la violence
policière semble légalisée. Et l’Histoire montre qu’il n’y a rien de tel
que l’impunité de la police pour déclencher une émeute.
Pendant ce temps, comme sa politique ne parviendra pas à donner au
pays le lait et le miel qu’il a promis, la diabolisation des boucs
émissaires se poursuivra. Ayant déjà promis de rassembler et d’expulser
deux millions d’immigrants, et d’interdire aux musulmans d’entrer aux
États-Unis, il est déjà clair qui seront ces boucs émissaires.
Cependant, aussi bien que vers les migrants, la colère populaire sera
dirigée vers tous les libéraux à l’eau de rose qui l’auront empêché de
mener sa guerre promise contre eux : qu’il s’agisse des membres du
Congrès, des juges, des syndicats, des groupes de pression, etc. Une
combinaison d’un pouvoir accru de l’exécutif et de l’utilisation de sa
masse électorale nouvellement mobilisée sera dirigée vers la purge de
ces «ennemis à l’intérieur».
«Mon modèle suggère que le prochain pic de violence sera pire que celui de 1970, dit Turchin, parce
que les variables démographiques telles que les salaires, les niveaux
de vie et un certain nombre de mesures amenant à des confrontations
intra-élite sont toutes bien pires de nos jours.» Tout ce qui reste à voir est qui va gagner.
Dan Glazebrook est un journaliste politique et auteur de Division et ruine : La stratégie impériale de l’Ouest à l’ère de la crise
Note du traducteur
L'auteur utilise les recherches de Turchin pour montrer à quel point Trump a un horrible programme, qui va donner un poids déterminant aux facteurs révolutionnaires définis par le chercheur. La parti pris de l'auteur est tout à fait pertinent pour analyser l'avenir et il aurait été probablement encore plus pertinent, s'il avait utilisé cette grille de lecture pour passer au crible la politique d'Obama, qui n'a pas réduit le budget de l'armée ni tenté sérieusement de couper les ailes des financiers. La politique annoncée par Trump est cependant très suspecte, sur certains points comme l'endettement et nous serons amenés à nous y pencher attentivement.
L'autre point intéressant est qu'il prévoit que les gens de gauche et les libéraux seront désignés à la vindicte populaire. La triangulation d'un conflit par les élites, manipulant deux groupes de population irréconciliables et se radicalisant, se met en place. D'un côté la classe moyenne blanche qui s'accroche à son modèle de méritocratie par le travail et, de l'autre, toutes les minorités plus une part de l'aile gauche, accrochée à ses idéaux de mondialisation heureuse. Il sera difficile de réconcilier ces deux groupes, alors que tant d'huile est jetée sur le feu et que le gâteau des ressources se rétrécit.
Il dit vrai.
RépondreSupprimerUn remake de Saint-Martin GN.