lundi 28 novembre 2016

Voilà comment la révolution américaine va se dérouler

Article original de Dan Glazebrook, publié le 15 Novembre 2016 sur le site CounterPunch
Traduit par le blog http://versouvaton.blogspot.fr

© The White House
 

À la fin de 2012, Peter Turchin, un professeur à l’Université du Connecticut, a fait une déclaration surprenante. Sur la base d’une analyse des bouleversements révolutionnaires à travers l’histoire, il a constaté qu’il y avait trois conditions sociales en place, peu de temps avant toutes les épidémies majeures de violence sociale : une augmentation de la population dans l’élite; une diminution du niveau de vie des masses; et des niveaux énormes d’endettement de l’État. Le modèle statistique que son équipe a développé suggère que sur cette base, une vague majeure de bouleversement social et de violence révolutionnaire est prévue aux États-Unis en 2020. Son modèle n’avait aucun moyen de prédire qui dirigerait le pays. Mais l’élection de cette semaine donne une indication de la façon dont c’est susceptible de se dérouler.

 
Prenons la première condition, que Turchin appelle la «surproduction d’élite», définie comme «un nombre accru d’aspirants pour l’offre limitée de positions d’élite». Les États-Unis sont clairement dans cette direction depuis un certain temps, le nombre de milliardaires étant multiplié par plus de dix entre 1987 (41 milliardaires) et 2012 (425 milliardaires). Mais la classe dirigeante partagée entre, par exemple, les industriels et les financiers, a apparemment atteint le point culminant avec le duel Trump contre Clinton. Comme l’explique Turchin, l’«augmentation de la concurrence intra-élite conduit à la formation de réseaux de mécénat rivaux, rivalisant pour les récompenses de l’État». En effet, sur la base de l’analyse de milliers d’incidents de violence civile dans l’histoire du monde, Turchin a conclu que l’«indicateur le plus fiable de l’effondrement de l’État et de l’instabilité politique élevée, était la surproduction d’élite».

 
La seconde condition, la misère populaire, est aussi bien avancée. Quarante-six millions de citoyens américains vivent dans la pauvreté (définis comme recevant un revenu inférieur à ce qui est nécessaire pour couvrir leurs besoins de base), tandis que plus de 12 millions de ménages américains sont maintenant considérés comme en insécurité alimentaire. Alors que ce chiffre est en baisse constante depuis 2011 (il atteignait alors plus de 15 millions), il reste au-dessus de ses niveaux d’avant la récession (avant 2007). Les politiques de Trump sont susceptibles d’inverser fortement cette baisse. La deuxième promesse de Trump dans son «contrat avec les électeurs» est un «gel de l’embauche sur tous les emplois fédéraux», ce qui représente un nouvel assaut sur les emplois dans le secteur public. Cela s’ajoute à ce qui semble être une promesse de mettre fin au financement direct de l’éducation publique (selon ses mots, «réorienter l’argent de l’éducation vers […] les parents») et mettre fin à tout le financement fédéral des soi-disant «villes-sanctuaires», c’est-à-dire les villes qui n’ordonnent pas à l’État de harceler les immigrants ou forcent les employeurs à révéler la nationalité de leurs travailleurs. Ces villes sont parmi les plus peuplées du pays, y compris New York, Los Angeles, Dallas, Minneapolis et plus de deux douzaines d’autres.

 
De concert avec son intention avouée de réduire les impôts pour les riches, y compris la réduction de la taxe professionnelle de 35% à 15%, de briser les droits des travailleurs (sous le slogan de la déréglementation) et de supprimer le peu d’accès aux soins de santé qui a été mis à la disposition des pauvres avec l’Obamacare – sans parler de sa menace de commencer une guerre commerciale avec la Chine – la pauvreté semble prête à monter en flèche. Il n’est pas difficile de voir comment les troubles sociaux suivront.

 
Quant à la troisième condition – l’endettement du gouvernement – il est difficile de voir comment les réductions d’impôts massives que Trump a proposées peuvent conduire à autre chose.

 
Turchin écrit que «comme toutes ces tendances s’intensifient, le résultat final est la crise financière de l’État, sa faillite et la perte conséquente du contrôle militaire; des mouvements d’élite menant à des rébellions régionales et nationale; et une combinaison de soulèvements mobilisés par l’élite et les populations, qui consommeront une rupture d’avec l’autorité centrale».

 
Mais Trump se prépare aussi à cela. Sont exonérés de ses réductions de dépenses publiques, bien sûr, les budgets de la police et les budgets militaires, qu’il promet d’augmenter. Et quand il a été interrogé sur la question de la brutalité policière l’année dernière, Trump a dit qu’il voulait voir la police recevoir plus de pouvoirs. En d’autres termes, l’impunité tacite qui existe actuellement pour la violence policière semble légalisée. Et l’Histoire montre qu’il n’y a rien de tel que l’impunité de la police pour déclencher une émeute.
Pendant ce temps, comme sa politique ne parviendra pas à donner au pays le lait et le miel qu’il a promis, la diabolisation des boucs émissaires se poursuivra. Ayant déjà promis de rassembler et d’expulser deux millions d’immigrants, et d’interdire aux musulmans d’entrer aux États-Unis, il est déjà clair qui seront ces boucs émissaires. Cependant, aussi bien que vers les migrants, la colère populaire sera dirigée vers tous les libéraux à l’eau de rose qui l’auront empêché de mener sa guerre promise contre eux : qu’il s’agisse des membres du Congrès, des juges, des syndicats, des groupes de pression, etc. Une combinaison d’un pouvoir accru de l’exécutif et de l’utilisation de sa masse électorale nouvellement mobilisée sera dirigée vers la purge de ces «ennemis à l’intérieur».

 
«Mon modèle suggère que le prochain pic de violence sera pire que celui de 1970, dit Turchin, parce que les variables démographiques telles que les salaires, les niveaux de vie et un certain nombre de mesures amenant à des confrontations intra-élite sont toutes bien pires de nos jours.» Tout ce qui reste à voir est qui va gagner.
 

Dan Glazebrook est un journaliste politique et auteur de Division et ruine : La stratégie impériale de l’Ouest à l’ère de la crise


Note du traducteur

L'auteur utilise les recherches de Turchin pour montrer à quel point Trump a un horrible programme, qui va donner un poids déterminant aux facteurs révolutionnaires définis par le chercheur. La parti pris de l'auteur est tout à fait pertinent pour analyser l'avenir et il aurait été probablement encore plus pertinent, s'il avait utilisé cette grille de lecture pour passer au crible la politique d'Obama, qui n'a pas réduit le budget de l'armée ni tenté sérieusement de couper les ailes des financiers. La politique annoncée par Trump est cependant très suspecte, sur certains points comme l'endettement et nous serons amenés à nous y pencher attentivement.

L'autre point intéressant est qu'il prévoit que les gens de gauche et les libéraux seront désignés à la vindicte populaire. La triangulation d'un conflit par les élites, manipulant deux groupes de population irréconciliables et se radicalisant, se met en place. D'un côté la classe moyenne blanche qui s'accroche à son modèle de méritocratie par le travail et, de l'autre, toutes les minorités plus une part de l'aile gauche, accrochée à ses idéaux de mondialisation heureuse. Il sera difficile de réconcilier ces deux groupes, alors que tant d'huile est jetée sur le feu et que le gâteau des ressources se rétrécit.
 

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