lundi 15 mai 2017

Fédéralisme identitaire : de l’unité à la scission

Article original de Andrew Korybko, publié le 29 février 2016 sur le site niiglob.ru
Traduit par les blogs http://versouvaton.blogspot.fr et Entelekheia

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Partie 1 – De « E Pluribus Unum » à « E Unum Pluribus »

Les États-Unis se considèrent comme ayant une identité inclusive capable d’unifier ses nombreuses parties disparates en un tout singulier. Sa devise officieuse, « E Pluribus Unum », proclame fièrement « un à partir de beaucoup », signifiant en outre que cet idéal fonctionne comme une pierre angulaire de l’idéologie américaine. Cela constitue un cas très particulier de double pensée idéologique car les États-Unis insistent pour exporter leur modèle « démocratique » à l’étranger. Ils utilisent hypocritement une approche de choix sélectif calculé selon laquelle les pays devraient conserver la composante identitaire domestique «E Pluribus Unum» de son système mais devraient intégrer l’innovation géostratégique « E Unum Pluribus ». 

 



La dernière phrase se traduit par «d’un, faire plusieurs», et c’est le contraire de la façon dont les États-Unis gèrent leurs affaires à l’intérieur. Au lieu d’une autorité gouvernementale forte et centralisée (unitaire du fédéral) qui unit l’État, la méthode «E Unum Pluribus» distend les différences internes à l’extrême et favorise la « solution de compromis » du fédéralisme identitaire, souvent après une guerre civile fabriquée par l’Occident. Dans la pratique, cela ressemble beaucoup à la Bosnie, et cela conduit à un ensemble fédéral tout aussi dysfonctionnel et fracturé. Dans les pays à fort potentiel géostratégique, les États-Unis appuient sélectivement l’establishment d’États fédéralisés largement indépendants et peu connectés, dans l’intérêt de les affaiblir perpétuellement, attendant que ce modèle puisse même déclencher un effet domino «venant de la base » (soutenue de l’extérieur) dans certains espaces régionaux.

La première partie de la recherche commence par expliquer la nature du fédéralisme identitaire et sa relation avec la guerre hybride, en détaillant ce que l’on entend par «E Unum Pluribus» et en donnant un aperçu de ses interrelations nuancées. La deuxième partie traite d’une poignée d’études de cas pertinentes, y compris les deux cas où la dernière version du fédéralisme identitaire est appliquée et les quatre États les plus importants au niveau géostratégique où les États-Unis l’appliquent actuellement. Enfin, la partie III explique pourquoi les États-Unis sont si fortement opposés au fédéralisme identitaire en Espagne et en Ukraine, avant de conclure avec une prévision de son application pratique dans le noyau unipolaire nord-américain et la menace à laquelle cela confronte l’establishment américain existant.

Améliorer la guerre hybride

Le concept de fédéralisme identitaire est la clé des conceptions de la politique étrangère des États-Unis dans l’ordre mondial postérieur à 1991, qui prend encore plus d’importance à l’ère de la Nouvelle Guerre froide. Les États-Unis sont actuellement engagés dans la planification et la réalisation d’une variété de guerres hybrides à travers le monde, mais la conception de l’auteur de cette stratégie est très différente de ce que les médias traditionnels croient qu’elle est. Son livre de 2015 sur le sujet décrit la guerre hybride comme étant le continuum progressif de Révolutions de Couleur et de déstabilisations avec des guerres non conventionnelles pour provoquer des changements de régime. Par la suite, il se se concentre sur les applications mondiales de cette approche. La Loi de la guerre hybride, le titre prospectif de la recherche susmentionnée, développe le sens de guerre hybride en expliquant :
Le grand objectif derrière chaque guerre hybride est de perturber les projets transnationaux multipolaires d’infrastructures de raccordement par des conflits identitaires provoqués extérieurement (ethniques, religieux, régionaux, politiques, etc.) dans un État de transit ciblé.
Les troubles planifiés sont organisés, provoqués et guidés par l’utilisation des six facteurs sociopolitiques de séparation identitaire au sein de l’État, la future victime :
  • Ethnicité
  • Religion
  • Histoire
  • Disparité socio-économique
  • Frontières administratives
  • Géographie
L’objectif n’est pas nécessairement toujours de renverser le gouvernement, mais de créer suffisamment de perturbations majeures pour que le projet d’infrastructure connexe multipolaire ciblé ne soit plus viable, que cela se termine par la suspension ou l’annulation pure et simple d’un contrat prospectif ou le démantèlement d’un ancien actif. Le plus souvent, le changement de régime est le moyen le plus simple d’atteindre cet objectif. C’est la raison pour laquelle le scénario le plus facile à fabriquer – une révolution de couleur – est généralement le premier déployé. Parfois, il se heurte à des difficultés et ne parvient pas à son objectif stratégique, c’est pourquoi la tendance récente a été d’opérer, si cette première tentative échoue, une transition vicieuse vers une guerre non conventionnelle plus efficace mais moins facile à organiser.

La place du fédéralisme identitaire dans la guerre hybride est double : 1) elle offre une vision attrayante autour de laquelle des groupes anti-gouvernementaux à l’identité distincte pourraient graviter en formant un front tactique pour coordonner leur action de changement de régime; et 2) elle fonctionne comme une « solution de compromis » juste en deçà du changement de régime, par laquelle le gouvernement « sauve la face » en conservant le pouvoir après avoir négocié avec le mouvement anti-gouvernemental un retrait partiel, mais qui sacrifie le contrôle administratif du territoire géostratégique que convoitait la puissance étrangère derrière l’agression. Dans ce sens, le fédéralisme identitaire est le complément parfait à la guerre hybride, car il peut être utilisé non seulement comme un outil de recrutement unificateur pour créer une escalade vers un conflit de changement de régime, mais ironiquement aussi comme un mécanisme de désescalade pour sortir d’une impasse tout en conservant les gains géostratégiques de la puissance perturbatrice.

La fine nuance entre le fédéralisme identitaire et le fédéralisme conventionnel

Si un État est forcé de mettre en œuvre le fédéralisme identitaire, le pays jusqu’alors unitaire ou conventionnellement fédéré devient administrativement divisé selon un ou plusieurs des facteurs sociopolitiques de séparation précédemment cités, les chevauchements et incidences entre eux conduisant à une entité exponentiellement plus faible. La Belgique et la Bosnie sont des exemples de fédérations identitaire créées à partir de circonstances historiques complètement distinctes, et qui diffèrent aussi intérieurement de leurs homologues plus conventionnels et présentant plus de cohésion, comme les États-Unis, l’Allemagne et la Russie. Dans les deux cas, cependant, ces deux pays ne sont divisés qu’au niveau fédéral en deux régions distinctes, ce qui atténue relativement le risque d’un conflit hobbesien du diviser pour régner entre les deux parties, mais n’empêche nullement un conflit entre les parties concurrentes. Les États-Unis, l’Allemagne et la Russie sont divisés en de nombreuses autres unités, mais les différences identitaires entre elles ne sont pas aussi prononcées que dans les fédérations identitaires citées ci-dessus. Elles ont aussi le potentiel pour que leurs différences jusqu’ici légères, s’élargissent de façon spectaculaire suite à une agitation identitaire distinctive.

Les préceptes du fédéralisme identitaire auxquels ce travail fait référence sont plus immédiatement applicables à la compréhension pointue des modèles multilatéraux qui ont été mis en application au Soudan du Sud et au Népal, et qui sont actuellement poursuivis dans d’autres endroits, par lesquels le pays se divise en un kaléidoscope d’entités fédérées distinctes par leur identité. C’est différent de la situation en Russie qui ne dispose que de quelques unités autonomes, et elle est également différente de la plupart des États fédérés homogènes par leur identité qui caractérisent les États-Unis et l’Allemagne. Les fédérations conventionnelles décentralisent sélectivement divers droits et responsabilités à leurs éléments constitutifs en l’absence d’action de décentralisation, tandis que les fédérations identitaires délèguent leurs décentralisations. Néanmoins, la plupart des idées contenues dans les recherches ultérieures sont également pertinentes pour les fédérations conventionnelles, les fédérations identitaires comme la Belgique et la Bosnie et d’autres semblables, parce que leurs structures politiques actuelles les rendent vulnérables à la poursuite d’une voie similaire de manière naturelle ou fabriquée. En outre, les États unitaires tels que la Syrie, la République de Macédoine et le Myanmar courent le risque de voir des projets de fédéralisme identitaire soutenus depuis l’étranger pour des raisons géostratégiques qui ont été élaborées plus tôt, élargissant ainsi la fonctionnalité pertinente de la recherche et la rendant applicable au monde entier.

Fractures fédérales

Après avoir dégrossi les qualificatifs nécessaires, il est maintenant temps de procéder à l’explication de la nature du fédéralisme identitaire. La mise en œuvre de ce cadre interne fracture l’État en quasi-États quasi-indépendants qui rendent toute la structure fédérale elle même globalement pseudo-indépendante, chaque partie ayant potentiellement plus de souveraineté de facto dans l’administration de son fief que les autorités centrales n’en ont sur l’ensemble du territoire dont elles sont responsables. Un État préalablement unifié est donc déchiré en un damier de débris territoriaux où toutes les pièces fédérales (et pas seulement celles qui sont singulièrement unitaires ou conventionnellement fédérales comme auparavant) sont théoriquement un enjeu pour toutes les grandes puissances, afin de remplacer des relations bilatérales d’État à État par des interactions directes avec des États ou des quasi-États. Ce nouveau modèle d’engagement n’équivaut à rien d’autre que l’acceptation implicite internationale de livrer ces identités fédéralisées aux « seigneurs de la guerre », qui ne restent unies que de nom uniquement à cause des conditions internes et / ou externes qui leur sont imposées.

Dans la complexité identitaire à multiples facettes qui caractérise la plupart des États non occidentaux, l’adaptation de ce modèle aboutirait vraisemblablement à ce que la majorité des fiefs fédérés ne puissent pas se soutenir de façon réaliste s’ils réussissaient à obtenir une indépendance totale. C’est dû au fait que la ou les puissances perturbatrices sont probablement intéressées principalement par une zone géostratégique et / ou géo-économique spécifique de l’État ciblé qui livre l’accès aux voies de transit envisagées ou à la richesse de la main-d’œuvre et / ou aux ressources naturelles. En conséquence, ces espaces enviés à l’intérieur de l’État unitaire visé pourraient théoriquement se prévoir au sens économique en capitalisant sur leurs avantages privilégiés, alors que les autres composantes fédérales moins importantes seraient soit plus étroitement liées à l’autorité centrale et / ou deviendraient dépendantes du parrain étranger au point d’avoir les mains liées et / ou seraient séparées de cette partie étrangère. Une autre raison pour laquelle la fidélité de chaque entité fédérale est si fortement recherchée, c’est parce qu’elles ont une chance d’influencer les affaires de tout le pays via leur position dans la législature nationale. Les unités fédérées ont généralement une représentation au sein du gouvernement central qui manque chez leurs homologues autonomes dans d’autres constructions administratives, donnant ainsi à leurs patrons étrangers un point d’appui dans les affaires pan-fédératives et ouvrant ainsi la perspective d’étendre leur influence au-delà de leur procuration actuelle, vers d’autres fiefs rivaux.

Le continuum de la souveraineté

La fracturation fédérale qui résulte de cet arrangement produit des dynamiques internes et externes uniques pour l’autorité centrale et les différents États fédéraux, surtout lorsqu’on les mesure en termes de continuum de souveraineté. Pour aller plus loin, ce concept maintient que tous les États ont une composition unitaire, autonome ou fédéraliste avant de connaître le sécessionnisme, et qu’il existe en eux une progression intérieure généralement unidirectionnelle qui se déplace suivant le continuum suivant :

d’unitaire vers autonome puis vers fédéral et enfin vers sécessionniste

Ce processus peut ne pas se produire naturellement et, dans la plupart des cas, il nécessite l’intervention d’un État externe interférant avec divers instruments tels que les ONG afin de provoquer et / ou de guider des éléments nationaux choisis pour certains scénarios. Il est possible, avec ou sans manipulation étrangère, qu’un État unitaire fasse l’expérience du sécessionnisme d’un territoire auquel on n’a accordé ni autonomie ni statut fédéral, tout comme il est possible pour l’État unitaire de se fédérer sans connaître d’abord des autonomies internes. Le fédéralisme identitaire s’inscrit dans ce modèle comme la manifestation la plus extrême du fédéralisme et représente la situation précédant de peu l’éclatement d’une crise sécessionniste pure qui risquerait de mettre en danger la nature même de l’État, au sens existentiel, et de le placer à un pas seulement de la dissolution formelle.

Il est possible pour un État de revenir en arrière le long de ce continuum, mais non seulement c’est exceptionnellement rare, mais il court souvent un grand risque de déclencher une crise, immédiatement après ou dans le futur. Le modèle est que l’autorité centrale publie généralement une annonce unilatérale, imposée par la menace ou l’utilisation de ressources militaires supérieures, mais la mémoire historique de la séparation administrative peut ensuite être utilisée comme motif pour déclencher une guerre hybride, comme ce fut le cas à la fois en Érythrée et dans la province du Kosovo après que l’Éthiopie et la Yougoslavie (Serbie) eurent chacune abrogé les privilèges desdits territoires. En règle générale, une fois que l’État avance le long d’un continuum vers la souveraineté, il n’y a pas de moyen pacifique de revenir en arrière. C’est pourquoi la plupart des gouvernements se battent becs et ongles pour faire tout ce qui est en leur pouvoir pour empêcher que cela ne se produise et même parfois recourent à l’effusion de sang comme dans le cas récent de l’Ukraine (dont il sera question dans la partie 3).

En ce qui concerne les relations internes du fédéralisme identitaire, la plupart des fiefs fédéraux géostratégiques et géo-économiques créés par le ou les gouvernements interférant fonctionnent comme des États sécessionnistes non déclarés qui seraient quasiment indépendants de l’autorité centrale sauf au sens juridique. En ce qui concerne les autres unités fédérales dont la conception a été soit non planifiée, soit d’une moindre importance pour les architectes externes du projet de fédération identitaire, elles peuvent soit émuler leurs homologues géo-stratégiques et géo-économiques en étant sous la tutelle du gouvernement interférant, de ses alliés et/ou de ses rivaux pour quelque raison que ce soit, ou ressembler à des États autonomes en raison de leur dépendance disproportionnée par rapport au centre fédéral.

En ce qui concerne le gouvernement fédéral, il sera inévitablement sous le parrainage d’un ou de deux acteurs qui lui accordent des subventions, des dons, de l’aide étrangère et une aide générale pour s’inspirer du pouvoir pan-fédératif légalement reconnu, indépendamment de la faiblesse de son influence sur certaines ou sur toutes ses unités constituantes. Ces acteurs en soutien sont motivés par leurs intérêts, voulant soit prendre pied dans l’État fragmenté qu’ils n’avaient pas pu saisir auparavant dans la course contre leurs rivaux pour les restes, soit pour aider le gouvernement national de jure pour réaffirmer son contrôle sur la plupart ou sur le reste des fiefs fédérés afin de restaurer le modèle national et international de fédéralisme pré-identitaire qui prévalait auparavant.

Le paradoxe normatif

Le fédéralisme identitaire et le sécessionnisme en eux-mêmes ne sont pas nécessairement des événements négatifs ou déstabilisants, mais ils le deviennent quand ils sont exploités comme des armes stratégiques par une puissance étrangère (qui est dans la plupart des cas les États-Unis). Le test décisif pour décider si une proposition de fédéralisme identitaire ou de sécessionnisme est « bonne » ou « mauvaise » repose sur les circonstances historiques dans laquelle elle a été faite et si l’un ou l’autre des intervenants a reçu une aide extérieure avant ou au moment de l’apparition de la crise. En particulier, il s’agit de savoir si le groupe fédéraliste identitaire ou sécessionniste agissait au nom d’un autre État ou si les autorités réactionnaires ont reçu un appui de l’étranger pour réprimer un mouvement légitimement populaire. Tout ceci ne concerne que les conditions initiales au moment du conflit ou avant, étant donné que le dilemme de sécurité qui en résulte et la géopolitique de la Nouvelle Guerre froide entraîneront la participation d’autres acteurs étrangers après le franchissement de la ligne rouge initiale par un intervenant interférant de manière agressive.
Considérant tout ce qui a été décrit jusqu’à présent, le paradoxe normatif est le suivant :
Lorsqu’un acteur externe soutient un mouvement fédéraliste identitaire ou sécessionniste, la plupart des gouvernements centraux font face à la condition préalable d’obtenir un soutien normatif pour justifier leurs actions unificatrices militantes et réactives. De même, lorsqu’un acteur externe soutient les actions unifiées militantes en réaction à un gouvernement central, la plupart des mouvements fédéralistes identitaires ou sécessionnistes rencontrent la condition préalable d’obtenir un soutien normatif pour justifier leur cause politique.
Il convient de souligner une fois de plus que le paradoxe normatif dépend entièrement des conditions initiales du conflit, notamment en ce qui concerne le rôle de l’acteur étranger qui le supporte. Son implication déstabilisatrice dans les affaires intérieures d’un État souverain peut rapidement déclencher une réaction en chaîne de contre-réponses de ses rivaux géopolitiques, une escalade de ce qui aurait dû rester une question interne, pour déboucher sur une crise internationale. On peut voir des exemples significatifs de cela des deux côtés du paradoxe, qu’il s’agisse d’un soutien normatif aux fédéralistes identitaires et / ou aux sécessionnistes ou aux gouvernements centraux qui s’attaquent à de tels mouvements.

En ce qui concerne le premier, les États-Unis ont fourni un soutien militaire abondant à Tbilissi avant l’invasion de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud par Saakachvili, ce qui a invalidé tout appui normatif auquel le gouvernement géorgien aurait pu prétendre dans le conflit, et on l’a accordé aux nations victimes attaquées. De même, les États-Unis ont orchestré le terrorisme urbain de l’EuroMaidan et le coup d’État qui en a résulté à Kiev, après avoir incité les autorités hyper-nationalistes à purger ethniquement le pays des Russes. Cela a poussé les citoyens de la Crimée à organiser un référendum et à se réunifier avec la Russie, et cela a également conduit le peuple du Donbass à se révolter contre le gouvernement central imposé par l’Occident. Dans les deux cas, les fédéralistes identitaire ou les sécessionnistes ont obtenu une légitimité normative complète, alors que Kiev n’en avait absolument aucune parce que son soutien par les États-Unis était la seule raison initiale du conflit.

De l’autre côté du paradoxe, les États-Unis ont appuyé le changement de régime et des éléments séparatistes ethno-régionaux et / ou fédéralistes identitaires en Syrie, au Pakistan et au Myanmar – si je prends quelques exemples qui me viennent immédiatement à l’esprit – et dans chacun de ces cas les grandes puissances qui ont répondu ont été totalement en droit de le faire pour aider leurs partenaires à agir et à raffermir l’unité de leur pays en réaction. L’assistance multi-sectorielle de la Russie et de l’Iran au gouvernement démocratiquement élu et légitime de Syrie repose sur le fait qu’il lutte contre une tentative de changement de régime organisée par les Américains, initialement déguisée en « soulèvement démocratique » avant de révéler sa véritable nature terroriste. Le soutien de la Chine au Pakistan et au Myanmar est semblable, sauf que chacun d’entre eux a réagi plus aux forces séparatistes et de fédéralisme identitaire qu’à des acteurs de changement de régime, même si la ligne entre les deux peut souvent être floue. Le fait que le pays en question ait été ciblé par une forme quelconque d’agression asymétrique des États-Unis, ce qui en fait un État victime, légitime entièrement ses efforts de réaction et les mesures de soutien que ses alliés choisissent de prendre en compte.

Fédéralisation progressive

L’émergence du fédéralisme identitaire dans n’importe quel état en particulier est le résultat de tensions identitaires exacerbées en son sein, souvent à la suite d’un continuum progressif d’escalades qui reflète le modèle de la guerre hybride. Pour que le fédéralisme identitaire ait même une chance d’être mis en œuvre, il faut qu’il y ait des facteurs sur le terrain objectivement reconnaissables qui le justifient au moins superficiellement parmi les six indicateurs susmentionnés d’origine ethnique, religieuse, historique, socioéconomique, administrative ainsi que géographique. L’un ou l’autre de ces facteurs ou une combinaison de ceux-ci est incorporé dans la première phase du fédéralisme identitaire, par laquelle une campagne d’information est lancée pour sensibiliser sur le caractère distinctif spécifique de l’identité choisie par rapport à son ensemble composite national. Cette étape et celles qui suivent peuvent être provoquée soit de façon organique, soit par le soutien d’un patron étranger. Dans ce dernier cas, quel que soit le point de planification au niveau duquel l’acteur externe décide d’intervenir pro-activement (c’est-à-dire le déclenchement physique de la déstabilisation), cette étape invalide la cause et en fait un instrument de substitution d’influence politique qui provoque généralement une réponse justifiée par ses rivaux.

La campagne d’information qui précède les hostilités n’a pas nécessairement à agiter le fédéralisme identitaire tout de suite, mais simplement pour une plus grande reconnaissance nationale et internationale de la spécificité séparatiste du groupe d’intérêt. Cela peut être réalisé par des militants individuels, des « ONG » (que ce soit des groupes légitimes ou des groupes manipulés en sous-mains par des agences de renseignement étrangères) et / ou des médias alternatifs et conventionnels, généralement en accord avec le modèle hiérarchique de la révolution de couleur que l’auteur a illustré dans une analyse antérieure. L’objectif à ce stade est de pré-conditionner socialement le public ciblé à accepter que le groupe démographique en cause ait droit à un ensemble de normes politico-administratives différent du reste du pays, dont les spécificités varient selon le cas individuel, comme il est prévu (et adapté) par le plan de mise en œuvre.

L’exemple de la Belgique est peut-être la seule exception (et cela uniquement à cause de pressions extérieures sur elle) où le fédéralisme identitaire (en particulier sa composante multilatérale comme au Sud-Soudan) a été généralement institué après une période de conflit politique et physique renforcé. Le programme avance progressivement vers une autre phase de révolutions de couleur comme les guerres non conventionnelles. C’est là que le paradigme de la guerre hybride se révèle être le modèle le plus précis capable de décrire ces processus, puisque le modèle d’escalade susmentionné est complètement synchronisé avec ses préceptes. De plus, il a été précisé que le fédéralisme identitaire peut être proposé stratégiquement comme la « solution de compromis » à n’importe quelle phase de conflit (information-politique, révolution de couleur et guerre non conventionnelle), et c’est de cette manière qu’il peut être appliqué comme une technique pour « sauver la face » pour le compte du gouvernement assiégé. Cela confirme que le fédéralisme identitaire et le changement de régime sont les deux faces d’une même monnaie d’ingérence externe, l’une ou l’autre pouvant être mise en œuvre progressivement, ce qui est jugé en tout point plus commode sur le plan tactique, démontrant ainsi la souplesse d’adaptation qui différencie cette « solution de compromis » de toute autre.

Importance géostratégique

En fonction de la région dans laquelle elle est mise en œuvre, et surtout du fait qu’il est le résultat d’une ingérence étrangère dans les affaires d’un État donné, le fédéralisme identitaire peut représenter la dernière forme de guerre de cinquième génération ou, avec d’autres mots, des acteurs et des processus autrefois non militants (par exemple les protestations de type révolution de couleur et les « armes de migration de masse« ). Sous certaines conditions, il peut devenir un type de virus structurel qui infecte d’autres États avec une composition interne similaire, tout comme le « printemps des nations » conçu par les États-Unis a déclenché une réaction en chaîne de changement de régime en Europe de l’Est, et le « printemps arabe », révolutions de couleur au sens large, a provoqué quelque chose de semblable au Moyen-Orient. La décentralisation militante d’États précédemment unifiés et cohérents (unitaires, autonomes ou déjà fédérés) forge des entités postmodernes qui cessent de fonctionner comme des unités singulièrement intégrées qui pourraient laisser prévoir la formation d’un « trou noir » de gouvernance résultant en tout ou partie d’une politique se transformant en un terrain fertile pour des processus chaotiques qui balaieraient la région.

Dans de nombreuses régions du monde, principalement autours des États post-coloniaux marqués par une riche diversité de différences identitaires prononcées à plusieurs variables, l’introduction du fédéralisme identitaire est l’un des événements les plus perturbateurs au niveau régional qui peut se produire dans le contexte de la Nouvelle Guerre froide. Comme on l’a expliqué précédemment, il est généralement précédé d’une guerre hybride, elle-même extrêmement déstabilisante, mais la « solution de compromis » post-conflit du fédéralisme identitaire crée un effet institutionnel fort qui peut avoir un impact négatif sur les États environnants identiques. Pour établir un parallèle historique, le fédéralisme identitaire dans certains États géostratégiques a le même potentiel d’effet domino dans la Nouvelle Guerre froide que l’émergence d’un gouvernement pro-américain ou pro-soviétique dans une région clé pendant l’ancienne Guerre froide. Les deux blocs avaient la possibilité de catalyser une réaction en chaîne à l’échelle régionale dans les pays proches. Sur le plan stratégique, cela pourrait être favorable ou défavorable à la promotion de la politique étrangère américaine, conduisant ainsi à la création de deux catégories de scénarios de fédéralisme identitaire : ceux que les États-Unis encouragent et ceux cauxquels ils sont catégoriquement opposés.

Partie 2 – Projets et perspectives

Le fédéralisme identitaire peut être exploité comme une arme géostratégique de la guerre de cinquième génération, et il existe une variété d’applications dans lesquelles il peut favoriser la politique étrangère américaine. Les sections suivantes décrivent en détail les deux projets de fédéralisme identitaire qui sont formellement en cours et les quatre autres dans lesquels les USA espèrent qu’un jour cette politique sera mise en œuvre.

Projets en cours

Sud-Soudan
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Il existe actuellement deux projets de fédéralisme identitaire officiellement approuvés par leurs gouvernements respectifs et quatre autres auxquels les États-Unis s’emploient activement. Les deux cas pratiques de fédéralisme identitaire multilatéral sont à ce jour le Sud-Soudan et le Népal, qui sont exceptionnellement riches en identités ethno-régionales, sortent d’une guerre hybride vicieuse et se situent à des jointures géostratégiques cruciales. Le virus structurel qui a été déchaîné dans les deux régions devrait être conditionné pour être exporté contre leurs voisins. Le fédéralisme identitaire du Sud Soudan symbolise la « solution de compromis » autour de laquelle la pléthore de rebelles aux identités ethno-régionales différentes du Soudan et de l’Éthiopie pourrait s’unir.

Non seulement cette vision partagée de l’après-conflit pourrait les aider temporairement à mettre de côté leurs divergences dans la mise en place d’un front armé plus coordonné et plus efficace, mais la déstabilisation inhérente que le fédéralisme identitaire apportera au territoire du Sud Soudan pourrait créer des conditions avantageuses dans lesquelles ces rebelles pourraient trouver des refuges, des bases de formation, des recrues et des armes qui aident à renforcer leurs capacités anti-gouvernementales.

Le Soudan et l’Éthiopie sont des cibles importantes pour la stratégie de guerre hybride des États-Unis parce que ces deux éléments sont des composantes essentielles de la politique d’influence de la Chine en Afrique. Le Soudan est un État de transit nécessaire pour le pétrole sud-soudanais et a été un allié de la Chine au cours des deux dernières décennies (ce qui a permis à Pékin de jouer un rôle pivot au Moyen-Orient et en Afrique du Nord et de l’Est), alors que l’Éthiopie est l’un des partenaires stratégiques les plus proches de la Chine sur le continent, et le chemin de fer de Djibouti-Addis-Abeba achevé et financé par Pékin se transformera en une « Route de la Soie de la Corne de l’Afrique ». La déstabilisation de ces deux pays est clairement dans l’intérêt des États-Unis, car ils cherchent à saper le potentiel mondial de la Chine dans cette nouvelle guerre froide.
Népal
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Les conceptions stratégiques régionales liées au fédéralisme identitaire du Népal sont légèrement différentes de celles du Sud-Soudan. Bien que les États-Unis espèrent évidemment qu’un tel système soit mis en œuvre en Chine, ils savent qu’il est extrêmement improbable que cela se produise, sans parler d’un « effet de démonstration » sur un pays aussi petit et facilement « bouclé » que le Népal. La vraie cible dans ce cas est en fait l’Inde, qui a une relation beaucoup plus étroite avec le Népal par le biais d’une longue histoire de liens civilisationnels, politiques et économiques.

Près de 300 millions de personnes vivent dans les états indiens de l’Uttar Pradesh et du Bihar qui sont directement collés au sud du Népal, et la frontière poreuse entre eux ainsi que les multiples liens transnationaux qui lient chacune de ces entités et les peuples ensemble créent une situation presque parfaite pour certains types de déstabilisations du Népal qui pourraient se propager plus facilement en Inde. L’objectif est que ces deux États importants se joignent aux « Sept Sœurs » du Nord-Est en agissant en faveur d’une révision majeure du système politique indien, que ce soit à travers la création d’États basés sur une identité pour chaque type de population (comme cela se passe progressivement dans le nord-est depuis l’indépendance) ou une poussée pure et simple pour le fédéralisme identitaire.

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Jusqu’à ce point, de tels objectifs ne sont poursuivis que par des séparatistes du Nord-Est (qu’ils soient indépendantistes ou intéressés par leur propre territoire unifié), mais si ce sentiment idéologique peut briser le « couloir de confinement » du Siliguri et « infecter » l’État le plus grand, le plus divers et le plus important au niveau national, l’Uttar Pradesh et Bihar, cela pourrait rapidement conduire à une crise nationale. C’est dans ce contexte particulier que le Népal est utile pour catalyser un tel sentiment à l’ouest du Corridor de Siliguri pour tenter de le populariser dans l’identité des divers États de l’Inde « géographiquement dominants », comme les zones où les nationalistes sikhs envisagent de former le « Khalistan » par exemple. Si cette tendance s’accélère, elle risque de défaire l’unité politique nationale que l’Inde a jusqu’ici si laborieusement cherché à soutenir, et New Delhi pourrait se trouver contrainte de dépasser ses tactiques ponctuelles de décentralisation (par exemple, la création de nouveaux États) et avancer vers une décentralisation en différentes unités autonomes et / ou fédératives identifiées ethno-régionalement.

D’un point de vue américain, la pression interne qui pèserait sur l’Inde pourrait lui permettre d’accéder plus facilement aux diktats stratégiques des États-Unis vis-à-vis de la Nouvelle Guerre froide et de « contenir la Chine ». Il est particulièrement révélateur que de nombreuses ONG occidentales soient actives au Népal et poussent pour précisément un processus de type fédération identitaire qui pourrait un jour se déverser sur la frontière, comme l’ont révélé les études récentes du chercheur Arun Shrivastava.

En reliant les pièces et en identifiant la main américaine derrière la décentralisation fédéraliste identitaire du Népal, il est raisonnable de conclure que Washington pourrait chercher à tirer parti de son influence sur les événements là-bas en échange d’un accord stratégique avec New Delhi reconnaissant la menace existentielle sur le plan administratif qui pourrait bientôt émaner de son voisin nordique influencé par les Américains. Alors que certains au ministère des Affaires étrangères ont peut-être pensé auparavant qu’ils pourraient exploiter le séparatisme Terai et le fédéralisme identitaire au Népal à leur propre avantage, ils vont probablement se rendre compte qu’ils ont involontairement ouvert la boîte de Pandore du chaos que les États-unis avaient planté là pour eux, ce qui pourrait alors les rendre beaucoup plus sensibles au type de chantage géopolitique que Washington vise.

Complots à venir

Myanmar
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La stratégie que les États-Unis poursuivent au Myanmar est très étroitement liée à celle au Népal, bien que le scénario de l’Asie du Sud-Est soit encore très en retard sur celui formalisé dans l’Himalaya. Le Myanmar a subi la plus longue guerre civile au monde, même si les hostilités ont en grande partie cessé au cours des deux dernières années, en particulier après que les militaires ont signé un accord national de cessez-le-feu avec plus de la moitié des principaux groupes ethniques régionaux. Le gouvernement pro-occidental de Suu Kyi qui vient de remporter les dernières élections par un raz de marée a laissé entendre qu’il veut chercher une « solution fédérale » au conflit et pourrait probablement proposer le fédéralisme identitaire en conséquence.

Les États-Unis ont un intérêt stratégique à voir les divisions de cette guerre civile du pays s’officialiser par la création de mini-États quasi-indépendants, ce qui leur permettrait ainsi qu’à leurs alliés, de faire du saute-mouton directement chez les Kachin et les Shan, dans le cadre des efforts pour « contenir la Chine » tout le long de sa zone frontalière sud. La province de Yunan, riche d’une identité, est également mûre pour un potentiel de guerre hybride le long d’une ligne similaire (quoique modifiée de façon situationnelle) comme le sont le Tibet et le Xinjiang, et pourrait un jour devenir un troisième front pour l’ingérence occidentale dans les affaires souveraines de la Chine (sans compter le subterfuge politique en cours à Hong Kong). Le potentiel de ce scénario augmenterait drastiquement si les États-Unis et leurs alliés étaient en mesure de mettre en place des centres de projection d’influence dans les prochaines unités fédérées selon leur identité le long de la frontière entre le Myanmar et la Chine (Kachin et Shan).

Correspondant aux similitudes stratégiques régionales entre le fédéralisme identitaire du Népal et ce qui semble être son imposition imminente au Myanmar, les deux cas sont alignés contre les intérêts de l’Inde. Alors que le modèle népalais vise les États indiens de l’Uttar Pradesh et du Bihar, le Myanmar pourrait créer un précédent séduisant susceptible d’encourager les divers rebelles du Nord-Est indien à se rassembler pour lutter pour quelque chose de similaire dans leur région d’origine. Le Front de libération unie de l’Asie du Sud-Est (UNLFW) rassemble déjà 15 groupes distincts sous sa bannière, mais il n’a pas encore formulé une vision politique globale de ce qu’il espère atteindre après la défaite des autorités centrales. Cela pourrait changer si le Myanmar adapte un fédéralisme identitaire et que le UNLFW le choisit comme son cri de ralliement pour le Nord-Est.

Un autre facteur possible est que la zone autogérée de Naga dans la région de Sagiang pourrait recevoir encore plus d’autonomie dans le cadre du fédéralisme identitaire, ce qui pourrait la transformer en base arrière que le FNUAP utiliserait pour former ses cadres et planifier des attaques sur le sol indien. Ce scénario pourrait obstruer l’autoroute de l’ASEAN en Inde (formellement la « Route trilatérale ») qu’elle cherche à construire à travers le Myanmar et la Thaïlande, mettant ainsi sa politique d’action à l’Est sous le chantage géopolitique potentiel des États-Unis. À son tour, Washington, en utilisant l’effet de levier qu’il a sur le gouvernement de Suu Kyi au Myanmar etsles contacts de renseignements avec les différents groupes rebelles du pays, pourrait appliquer cette double piste d’influence étatique et non étatique pour faire pression sur New Delhi pour rejoindre la «Coalition pour le confinement de la Chine» qu’il construit dans la région.

Si l’Inde avance de pair avec cette construction géostratégique, cela intensifiera les tensions avec la Chine et mènera à l’effritement des BRICS et de l’OCS, tout en provoquant une intensification de la guerre froide asiatique entre New Delhi et Pékin pour compléter celle qui existe déjà entre Pékin et Tokyo. Sans aucun doute, ce sont des scénarios que les États-Unis espèrent réaliser dans un futur proche, quelle que soit la façon dont cela se déroule. Mais la guerre hybride et le fédéralisme identitaire qui en résulteraient dans la périphérie de l’Inde avec le Népal et le Myanmar, pourraient indirectement fonctionner comme les moyens les plus efficaces pour favoriser ces grands objectifs stratégiques.
La République de Macédoine
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Ce minuscule pays des Balkans est le point d’arrêt vital par lequel le Balkan Stream et la Route de la Soie des Balkans doivent passer, ce qui explique pourquoi il a déjà été ciblé par une guerre hybride l’année dernière et pourrait très bien faire face à une seconde série de perturbations lors des prochaines élections anticipées qui sont provisoirement prévues pour avril. L’auteur a écrit abondamment sur ce dernier scénario dans une récente interview dans les médias macédoniens, mais il se résume fondamentalement aux États-Unis qui organiseraient désespérément une mise en scène pour une autre tentative de révolution de couleur dans un dernier effort pour sauver leur proxy « d’opposition » dans le pays. Si cela échouait, il y a un potentiel réel que le mouvement de changement de régime se transforme rapidement en une guerre non conventionnelle par l’implication de terroristes albanais, comme c’était censé se produire la dernière fois avant qu’ils ne soient arrêtés préventivement par les services de sécurité de l’État.

La « Grande Albanie » est une menace pour Skopje, car environ un quart de la population est albanaise et réside à proximité de la frontière internationale, ce qui signifie que ses membres sont théoriquement sensibles à un appel au Kosovo – comme un appel au séparatisme ethno-religieux terroriste. De plus, il est évident que l’opération de changement de régime serait coordonnée à partir de Tirana et du Camp Bondsteel des États-Unis, qui pourraient fournir de nombreux mercenaires pour alimenter leur insurrection planifiée. S’ils réussissent à induire les Albanais locaux à se joindre à eux, et surtout s’ils coordonnent leurs actions aux côtés des agitateurs des révolutions de couleur, la Macédoine pourrait immédiatement être précipitée dans une mauvaise guerre hybride.

Dans les conditions susmentionnées, Skopje devra vaincre de façon décisive les terroristes au début de leur campagne afin de les empêcher de creuser dans la frontière montagneuse avec l’Albanie et la Province serbe du Kosovo, occupée par l’OTAN, ce qui leur donnerait alors un accès direct et continu aux réseaux matériels et physiques de soutien de leurs clients. C’est ici que l’aspect révolution de couleur du scénario de la guerre hybride pourrait contribuer à faire courir les forces de sécurité et à les distraire de ce qui serait autrement un objectif unifié pour cibler les terroristes. La nature totalement distincte des objectifs tactiques qui devraient être poursuivis simultanément dans des environnements de situation aussi fluides pourrait rendre difficile la restauration de l’ordre, offrant ainsi un avantage à l’un ou l’autre des acteurs de la guerre hybride. Il est plus que probable que le gouvernement pourrait plus facilement contenir et / ou traiter le scénario de révolution de couleur que celui d’une guerre non conventionnelle, ce qui signifie que si une impasse stratégique finit par s’installer, ce serait probablement entre le gouvernement central et la périphérie occidentale pour les raisons qui viennent d’être décrites.

Néanmoins, quel que soit l’acteur de la guerre hybride qui réussit à bloquer la situation ou à gagner purement et simplement, le résultat final du fédéralisme identitaire sera toujours le même. Les États-Unis n’appuieront pas un irrédentisme albanais formel sur la Macédoine, mais ils ne semblent pas non plus avoir l’intention de reconnaître unilatéralement les parties albanaises comme un pays indépendant. Si les USA faisaient l’une ou l’autre de ces deux choses, ils ne seraient plus en mesure de tirer parti de leur influence hégémonique sur la partie orientale du pays par laquelle les projets pan-régionaux de la Russie et de la Chine devraient passer. Le fédéralisme identitaire, cependant, permettrait à ce qui serait alors la partie quasi indépendante de la Macédoine, peuplée d’Albanais, de conserver une influence négociée sur le reste du pays. Les Macédoniens ethniques pourraient accepter à contrecœur de le faire dans le cadre d’une « solution de compromis » qui place Skopje sous leur zone fédérative ou la redéfinit comme une zone d’administration conjointe avec les Albanais. Si le gouvernement central conservait le contrôle de la capitale pendant les hostilités précédentes, alors ce scénario serait attrayant pour conserver nominalement l’unité nationale; Cependant, si les combattants albanais réussissaient à s’emparer d’une partie ou de la totalité de la ville, alors ce dernier scénario pourrait être la meilleure affaire qu’ils puissent espérer.

Concernant le mouvement de révolution de couleur, le leader de « l’opposition » Zoran Zaev et ses alliés politiques ont déjà dit qu’ils envisageraient des moyens par lesquels les dispositions de l’Accord d’Ohrid pourraient être radicalement améliorées au-delà de leur interprétation voulue de fédéralisme identitaire. En arrière-plan, la législation en question a mis fin à la violence de l’insurrection albanaise soutenue par les États-Unis qui a fait rage dans certaines parties de la Macédoine en 2001, ce qui était une conséquence régionale prévisible de la guerre de l’OTAN de 1999 contre la Yougoslavie. L’accord exigeait que la minorité albanaise soit représentée proportionnellement au Parlement et que les lois traitant des affaires politiques, financières et identitaires locales partout dans le pays ne puissent être adoptées sans que la majorité de leurs politiciens l’appuient. En conséquence, cela a essentiellement conféré à 12,5% de la législature (la moitié du nombre des représentants de la minorité ethnique albanaise telle qu’elle est appliquée par l’Accord d’Ohrid) des privilèges de veto de fait sur le reste du gouvernement sur ces questions. La motivation personnelle de Zaev en flirtant publiquement avec le sujet fédéraliste, autrement qu’en suivant les instructions de ses patrons, est qu’il espère que cela encouragera des éléments albanais extrêmes (à la fois au pays et à l’étranger) à soutenir ses plans de révolution de couleur via une guerre non conventionnelle synchronisée. La compréhension implicite est qu’il les « récompenserait » ensuite pour leur « service » en leur accordant unilatéralement un État indépendant de facto, ce qui satisferait également la vision stratégique des États-Unis décrite plus haut.
Syrie / Irak
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L’un des autres projets prévus de fédéralisme identitaire que les États-Unis envisagent se situe à la frontière entre la Syrie et l’Irak, la zone actuellement occupée par Daech. L’auteur et son collègue ont rédigé un rapport approfondi à la mi-octobre détaillant les intérêts géostratégiques que les États-Unis ont à voir un sous-État transnational de type « Sunnistan » se situer au centre de la région. Pour résumer de manière concise, si une entité quasi indépendante avec une identité partagée devait être formée dans l’Est de la Syrie et l’Ouest de l’Irak, elle pourrait permettre la facilitation du rêve unipolaire longtemps attendu d’étendre un gazoduc qatari vers la Turquie et l’UE. Non seulement cela, mais le fédéralisme identitaire qui devrait être en place dans chacun des deux États ciblés mènerait également à la création d’entités souveraines similaires sur tout le reste de leur territoire, par exemple, une unité fédérative transnationale kurde et une autre chiite dans le sud de l’Irak.

Les forces centripètes qui se déchaîneraient à travers ce processus auront également un impact sur la Turquie et l’Arabie saoudite, permettant peut-être l’éventuel accomplissement du scénario des « frontières de sang«  de Ralph Peters. Bien qu’il puisse sembler étrange à ce stade de prévoir que les États-Unis travaillent activement à la déstabilisation et au démembrement éventuel de deux de leurs alliés les plus proches (que ce soit officiellement ou par l’intermédiaire du fédéralisme identitaire), la nature géopolitique changeante du Moyen-Orient et le relatif déclin de leur influence vis-à-vis de l’intervention antiterroriste de la Russie pourrait conduire certains stratèges américains à éventuellement trouver le scénario des frontières de sang tout à fait attrayant. Ces alliés pourraient « raisonnablement » penser que le plus grand jeu de pouvoir de Washington serait de participer à des tactiques géopolitiques de type « terre brûlée » qui feraient de la région un damier d’États qui pourraient stratégiquement être mis en concurrence entre les diverses puissances, sachant qu’il est peu probable que les États-Unis puissent à nouveau exercer une hégémonie totale sur la plupart de ses unités territoriales et souhaitent donc priver ses rivaux (Russie, Chine et Iran) de pouvoir remplir ce rôle.
Nigeria
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Le pays le plus peuplé d’Afrique et sa plus grande économie est également l’un de ses principaux exportateurs d’énergie. Il vend actuellement de grandes quantités de pétrole mais a également la possibilité attirante d’utiliser son contrôle sur les plus grandes réserves de gaz naturel du continent pour devenir un acteur encore plus crucial sur le marché mondial du GNL qu’il ne l’est déjà. Le Nigeria est actuellement divisé en termes d’allégeance géopolitique entre les États-Unis et la Chine, ce qui en fait le grand trophée sur le champ de bataille africain de la Nouvelle Guerre froide. Les États-Unis tentent d’acquérir une influence prédominante sur les affaires d’Abuja, mais à défaut, ils n’auront aucun scrupule à pratiquer une politique de « terre brûlée » comme au Moyen-Orient pour briser le pays en une constellation déconnectée d’États fédérés (ou indépendants). Un tel scénario est le seul moyen sûr d’atténuer les avantages que la Chine reçoit de son partenariat stratégique avec le pays. Le Nigeria nouvellement reconstitué (si même il reste comme un État officiellement unifié à ce point) serait dans une position beaucoup plus faible qu’auparavant et ses terminaux d’exportation d’énergie pourraient tomber dans le désordre et en désuétude tout comme la Libye l’est actuellement surtout si un conflit hobbesien éclatait entre ses entités disparates.

Depuis l’indépendance, le Nigeria a progressivement décentralisé sa fédération conventionnelle en une pléthore d’États basés sur leur identité, et il semble maintenant être sur le point d’une déconcentration totale vers le fédéralisme identitaire. L’insurrection terroriste de Boko Haram dans le nord a été extrêmement préjudiciable à l’unité nationale et a déstabilisé les provinces environnantes dans la région. Pire encore, il a suscité une peur des musulmans et des gens dans le nord en général parmi les chrétiens qui résident en grande partie dans le sud du pays.

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Le Mouvement pour l’émancipation du delta du Niger (MEND), qui y a vu le jour et qui a l’intention de relancer le séparatisme du Biafra, pourrait dangereusement renvoyer le pays vers la guerre civile et le plonger au centre d’un scénario de type « choc des civilisations » entre chrétiens et musulmans. Les menaces simultanées posées par Boko Haram et le MEND sont de très mauvaises augures pour l’avenir du Nigeria et pourraient créer les conditions d’une « solution de compromis » de type fédéralisme identitaire au cas où des hostilités commenceraient entre ces deux groupes radicalement distincts. Cela est d’autant plus vrai qu’ils mèneraient éventuellement à une guerre civile multiforme où Boko Haram, le MEND et le gouvernement fédéral se battraient les uns contre les autres.

Le résultat final de l’intense conflit interne au Nigeria en ferait un partenaire beaucoup moins fiable et unifié pour la Chine, entravant ainsi ses progrès en matière d’infrastructure et d’énergie dans l’État le plus peuplé du continent et la plaçant devant un désavantage relatif par rapport aux États-Unis. Washington est moins dépendant du Nigeria par rapport à Pékin, donc sa déstabilisation n’aurait pas d’impact négatif sur sa grande stratégie, sans parler de sa vision pour l’Afrique. En fait, l’éclatement du fédéralisme identitaire au Nigeria ou une sécession complète d’une de ses zones géographiques déterminantes (le nord musulman ou le sud chrétien, dans ce cas) pourrait être un objectif stratégique à long terme que les États-Unis voudraient voir se produire, puisque ce processus autodestructeur pourrait se propager à travers le reste du continent et s’adapter aux particularités de la situation intérieure de chaque état.

La Chine a besoin plus que jamais de l’unité africaine, car elle cherche à capitaliser sur le potentiel macroéconomique de ses partenaires multilatéraux en fournissant une destination pour le type d’investissement à l’étranger dont la Grande Puissance a si désespérément besoin pour maintenir ses taux de croissance et tangentiellement sa stabilité domestique. Les États fédérés par leur identité dont les niveaux d’autorité centralisés varient d’une unité ethno-régionale à l’autre sont des partenaires peu fiables pour les grands projets transnationaux d’infrastructure connexe que Pékin a envisagé pour le continent (en particulier en Afrique de l’Est), de sorte que leur embrasement subvertirait les objectifs de la Chine et affaiblirait avec le temps toute sa position mondiale. Ce serait évidemment un avantage pour les États-Unis, surtout s’ils sont capables d’intégrer leur influence dans ou à proximité d’un État critique de transit fédéré par son identité à travers lequel l’un des projets de la Chine pourrait encore passer, ce qui donnerait à Washington un potentiel de chantage géopolitique sur Pékin.

Partie 3 – Multipolarité vs unipolarité

A rebours des bénéfices géopolitiques espérés par les USA à travers le développement du fédéralisme identitaire dans certains État, il y a aussi quelques zones du monde dans lesquelles sa manifestation, qu’elle soit voulue ou accidentelle, pourrait représenter une défaite majeure de sa grande stratégie. Ces zones sont les État-clés européens que sont l’Espagne et l’Ukraine, et le bastion unipolaire des USA.

Retour de bâton anti-unipolaire

L’une des pierres angulaires de la politique américaine envers l’Eurasie consiste à exercer un contrôle hégémonique sur l’Europe occupée par l’OTAN, à encourager le développement de l’intégration institutionnelle de l’UE tout en la retenant dans l’orbite de son client d’outre-Atlantique via les composantes complémentaire de la triade : l’OTAN et le TTIP. En même temps, Washington veut maintenir Bruxelles dans une position de subordination et de faiblesse, pour qu’elle ne puisse jamais exprimer son instinct géopolitique naturel, qui irait vers le pragmatisme d’une coopération rapprochée avec les cœurs de la connectivité trans-eurasienne représentés par la Russie et la Chine. Grâce à leur capacité d’adaptation à des circonstances variées (particulièrement dans le contexte actuel), les USA ont élaboré un plan de secours consistant à canoniser un projet mené par la Pologne et appelé « Intermarum », destiné à établir un « cordon sanitaire » anti-russe des côtes arctiques de la Scandinavie jusqu’aux rives de l’est de la Méditerranée en Turquie.

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L’objectif de cette entité serait de prévenir un rapprochement possible de l’Europe de l’Ouest avec la Russie, tout en conservant l’unité formelle institutionnelle (EU/OTAN) du mandataire euro-atlantique construite par les USA au cours de ces 60 dernières années. Si le progrès dans l’intégration néo-coloniale menée au cours de cette période est menacé d’une quelconque façon, alors l’intégralité du processus d’hégémonie serait beaucoup plus difficile à coordonner et risquerait d’imploser.

C’est à travers ce contexte stratégique que nous sommes le mieux à même de comprendre les effets débilitants généraux que le fédéralisme identitaire en Espagne et/ou en Ukraine apporterait à tout le projet euro-atlantique. Une structure fédérale informelle dans ces États périphériques affaiblirait l’influence supra-nationale de l’OTAN et de l’UE sur chacun des deux (avec l’Ukraine comme membre officieux de chacune des deux institutions). De plus, cela établirait aussi un précédent que d’autres pays à positionnement identitaire similaire pourraient invoquer, par exemple les Écossais du Royaume-Uni, les Corses en France, les Italiens du Nord en Italie, les Bavarois en Allemagne, les Silésiens en Pologne et/ou les Hongrois en Roumanie. C’est l’une des raisons pour lesquelles Bruxelles et Washington sont aussi opposés à l’indépendance de la Catalogne, mais ils sont également tout aussi opposés à une solution fédéraliste identitaire au Royaume-Uni, pour exactement les mêmes raisons. Avec l’Ukraine, la situation est très similaire, même si elle s’inscrit davantage dans un climat de Guerre froide. Les USA veulent maximiser leur influence sur une Ukraine « unifiée », et refusent de « céder » le moindre pouce de terrain à la Russie en dehors du Donbass, dans la perspective d’un État fédéral identitaire. Toutefois, étant donnée la complexité  du fédéralisme identitaire, il serait impossible aux USA de contrôler à 100% toutes les parties de la fédération créées dans ce cadre, particulièrement autour d’Odessa. Ils n’ont donc aucune envie de l’appliquer, alors qu’ils contrôlent déjà la majorité du territoire du pays dans le cadre actuel.

Pour revenir à la fédéralisation identitaire de l’Espagne, elle pourrait affaiblir le pays au point de le rendre institutionnellement incapable de se défendre ou de défendre l’Europe contre une vague migratoire future qui pourrait émaner de l’Algérie post-Bouteflika, particulièrement dans le cas où une crise de succession déclencherait une guerre civile qui comporterait une présence de Daech. L’afflux de migrants issus d’une civilisation différente pourrait précisément donner le signal du processus de fédéralisation identitaire, ce qui dans ce cas impliquerait une interconnexion de destins géopolitiques entre la péninsule ibérique et ses voisins nord-africains. Alors que les USA gardent cyniquement l’Europe de l’Ouest dans un état permanent de tensions proches de la révolution de couleur pour l’empêcher de coopérer avec la Russie et la Chine (ce qui a été détaillé par l’auteur dans une interview précédente sur le sujet), il semble très improbable, à cette étape, qu’ils déploieraient une autre « arme de migration de masse » dans ce but, parce qu’elle serait évidemment incontrôlable, (tout particulièrement si elle était activée parallèlement à celle qui cible le corridor des Balkans), et qu’elle mènerait probablement à l’effondrement des institutions de l’UE et à leur refonte existentielle totale. Tant que l’utilité stratégique de l’UE peut encore être préservée par les USA (elle est fermement sous leur contrôle et loin d’être précaire), ils ne risqueront pas une tactique de la « terre brûlée » en la détruisant, ce qui nuirait au passage au projet Intermarum. Malgré tout, c’est exactement ce qui pourrait se passer si un conflit organique éclatait en Algérie ou si les USA y perdaient le contrôle du schéma de la guerre hybride.

Prévisions en Amérique du Nord

Double Standards
Le mantra officieux “E Pluribus Unum” des USA, ou ce qui pourrait autrement être compris comme une unité identitaire, est sélectivement appliquée dans des zones où il a une utilité stratégique (l’Espagne, l’Ukraine), alors que tous les autres endroits ont le potentiel de devenir des victimes de la politique de division pour régner “E Unum Pluribus”, dont la recherche a déterminé qu’elle prendra plus régulièrement la forme du fédéralisme identitaire dans les années à venir. La promotion de Washington du “E Unum Pluribus” contraste fortement avec la façon dont il administre ses affaires internes, démontrant un double standard frappant, à savoir le fait que l’exportation militante de son « modèle » démocratique omet généralement sa composante de base. Cette ruse calculée tient à des considérations stratégiques évidentes, et illustre le fait que les USA ont une bonne compréhension des conséquences déstabilisatrices du fédéralisme identitaire. Parce qu’ils se composent aux-mêmes d’une pluralité de groupes identitaires, les USA savent probablement mieux que tout autre pays les menaces que le fédéralisme identitaire « motivé par la démocratie » peut poser à l’unité et à la cohésion d’États diversement peuplés, ce qui explique pourquoi il impose un État « sécuritaire national » (policier) à ses citoyens et cible aussi agressivement les militants qui cherchent à réformer les pouvoirs du gouvernement fédéral, s’ils prennent suffisamment d’importance pour constituer un danger.
Le sujet ‘interdit’
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Des recherches supplémentaires dans les perspectives applicables de fédéralisme identitaire aux USA, ainsi que chez leurs proches voisins du Canada et du Mexique, seraient certainement bienvenues, bien que leurs conclusions en seraient indubitablement « politiquement incorrectes » à cause de l’observation nécessaire des variables du séparatisme identitaire telles que les races, les religions, les régions, etc, impliquées par de telles recherches. Alors que de nombreuses études ont été menées sur les différences identitaires dans ces États, aucune d’entre elles n’a été (publiquement) croisée avec leur impact sur le potentiel de réformes des politiques intérieures des pays respectifs, et tous ceux qui s’y risqueraient pourraient voir leur travail catalogué comme « séditieux » et, en conséquence, comme « une menace à la sécurité nationale ». Pour ces raisons, l’étude devrait être conduite par des experts étrangers, de façon à leur épargner les répercussions politiques qui résulteraient de leur travail s’ils étaient basés en Amérique du Nord. Mais cela ne fait que confirmer l’intérêt stratégique majeur de ce type de projet, s’il venait à exister.
L’effet boomerang
Tout comme les révolutions de couleur, les guerres non conventionnelles et les guerres hybrides, le fédéralisme identitaire est encore une autre arme stratégique qui pourrait éventuellement se retourner contre son créateur américain, qu’il soit encouragé à l’intérieur de ses frontières à travers l’un des quelconques moyens précédemment mentionnés, ou qu’il soit indirectement promu à travers la valeur de démonstration et d’exemple que son application au Canada et/ou à Mexico amènerait. La menace que les élites traditionnelles américaines ressentent de la part du fédéralisme identitaire et de sa promotion via les technologies politiques des révolutions de couleur, les guerres non conventionnelles et les guerres hybrides expliquent pourquoi elles ont construit avec autant d’acharnement un État de « sécurité nationale » (policier) depuis la fin de l’ancienne Guerre froide. Les élites fédérales ne redoutent pas nécessairement l’utilisation de ces techniques par des puissances étrangères pour déstabiliser le pays (ils prédisent avec justesse que la population américaine résisterait à ces menées au nom de principes patriotiques) ; elles ont en revanche peur que leurs propres citoyens, fanatisés par l’idéologie « démocratique » de l’État, et inconscients de ses buts cyniques de contrôle des masses, prennent un jour assez d’audace pour passer à l’acte.
La talon d’Achille de l’unipolarité
Objectivement, un mouvement populaire vers le fédéralisme identitaire et le ‘E Unum Pluribus’ pourrait constituer le talon d’Achille de la position hégémonique des USA sur le monde. Un assaut coordonné dans ce sens, tout particulièrement s’il intègre des informations publiques, et d’origine américaine, sur les révolutions de couleur, les guerres non conventionnelles et les guerres hybrides, pourrait éventuellement renverser dans une bonne mesure la stabilité interne des USA prise pour argent comptant par des élites, qu’il aboutisse ou qu’il en reste à une simple tentative. Nous avons déjà expliqué comment le succès du fédéralisme identitaire pourrait aboutir à ce résultat, mais sa promotion active le pourrait également en déclenchant une répression policière contre la population. Plus le mouvement serait numériquement important, plus il serait public, plus il serait physiquement regroupé, plus il risquerait de comporter des dommages collatéraux, que ce soit à travers des blessures ou pire dans le camp des militants ou des forces de police ou d’État (police locale, garde nationale, et/ou agents fédéraux).
Occupy Wall Street, Black Lives Matter et les milices
La possibilité de rencontres imprévisibles menant à une réaction en chaîne d’événements chaotiques qui échapperaient au contrôle du gouvernement existe toujours, d’où la prudence de ce dernier dans ses réponses à ses multiples troubles intérieurs, que ce soient Occupy Wall Street, les émeutes de Black Lives Matter ou les confrontations du Nevada et de l’Oregon, entre autres. Le dernier recours consiste toujours en une répression militaire brutale comme celle de Waco en 1993, mais c’est exactement le type de scénario que le gouvernement cherche à éviter autant que possible, tout particulièrement s’il est relayé par les médias et sur les réseaux sociaux. Les autorités fédérales ne veulent pas que le public général sache quoi que ce soit sur la violence des répressions de dissidents, et au cas où ce serait inévitable, elles veulent pouvoir en contrôler le récit et dépeindre leurs opposants comme des « radicaux, violents, extrémistes » pour justifier leurs actions.
Le dénominateur commun du fédéralisme identitaire
Encore une fois, il convient de souligner que les élites dirigeantes des USA feront tout le nécessaire pour étouffer le fédéralisme identitaire, même dans ce qu’ils soupçonnent être ses prototypes de manifestations de conscience de classe (Occupy Wall Street), d’intérêts raciaux (Black Lives Matter), et de droits des États (le Nevada et l’Oregon). Le point commun entre ces cas apparemment disparates est qu’ils ont tous démontré leur capacité à transformer la spécificité de leur séparatisme identitaire en cause politique, ce qui, du point de vue de l’élite dirigeante paranoïaque, pourrait un jour tourner à la coalition à travers un grand front commun destiné à réformer l’administration interne du pays et à accorder plus de souveraineté à leurs groupes respectifs (ce qui est du fédéralisme identitaire, qu’on l’appelle par ce nom ou pas). Il n’y a pas de plus grande menace contre les élites gouvernantes existantes que ce fourre-tout de formations identitaires, qui sont aujourd’hui maintenues dans des divisions artificielles à travers une multitude de stratégies médiatiques et de maladresses tactiques, si elles s’unissaient dans une coalition de tendances variées. Si elles se réunissaient sous une bannière commune, elles pourraient mener à bien des manifestations de masse coordonnées pour militer pacifiquement en faveur d’un changement démocratique sans précédent (comme par exemple circonvenir le Congrès via un référendum ou une série de référendums) qui permettrait de réformer en profondeur la façon dont les USA sont dirigés, et ce scénario effraie les élites américaines.

Conclusion

Le fédéralisme identitaire est une innovation politico-stratégique de pointe qui commence seulement à être déployée à travers le monde. Superficiellement, il représente la « solution de compromis » idéale au règlement de conflits entre plusieurs partis, parce qu’il accorde un haut degré de souveraineté à chaque unité prospective tout en retenant nominalement l’unité de l’État. Il permet aussi de sauver la face à des leaders en difficulté à cause de dilemmes posés par des situations de guerres hybrides, parce qu’il leur offre la possibilité de rester en poste, pourvu qu’ils délèguent certains pouvoirs aux nouvelles unités fédéralisées selon des critères identitaires. Vu sous cet angle, le fédéralisme identitaire peut aussi être employé comme arme stratégique, et c’est la façon dont son usage est envisagé dans des champs de bataille choisis en Afrique, dans les Balkans, au Moyen-Orient, dans le Sud et le Sud-Est de l’Asie. Paradoxalement, le fédéralisme identitaire pourrait être la seule chance pragmatique de préserver une unité au moins théorique en Espagne et en Ukraine, bien que dans ces deux cas, les USA s’y opposent formellement, par peur que cela déclenche une réaction en chaîne qui pourrait finir par mettre en danger la domination hégémonique de Washington sur l’Europe.

Les doubles standards hypocrites de Washington par rapport au « E Pluribus Unum » à l’intérieur de  la sphère unipolaire et « E Unum Pluribus » à l’extérieur sont expliqués par sa grande vision stratégique : il cherche à unifier les territoires qu’il contrôle et à diviser les autres. A travers une série de biais et de connivences, les USA cherchent ensuite à « unifier » l’identité fracturée qu’ils ont créée dans des États fédéralisés, en les réunissant sous son parapluie hégémonique. Ceci se réalise à travers plusieurs mécanismes intermédiaires, ramenant ainsi tout le concept stratégique du “E Unum Pluribus” à une conception dévoyée du “E Pluribus Unum”. Le problème du fédéralisme identitaire utilisé comme arme, malgré tout, est que cela peut se retourner contre les USA eux-mêmes, notamment dans l’éventualité où des groupes identitaires politiquement motivés dans le pays s’uniraient et optimiseraient leurs tactiques en appliquant quelques-uns des préceptes appris dans les publications accessibles à tous sur les révolutions de couleurs, la guerre non-conventionnelle, et les guerres hybrides (qui peuvent également se retourner contre les USA dans les pays étrangers où ils les déploient). Tout compte fait, alors que le fédéralisme identitaire représente la dernière arme asymétrique issue de l’arsenal guerrier de cinquième génération des USA, il pourrait sans le vouloir être celui qui se retournera finalement contre eux, et qui annulera toutes les avancées unipolaires des USA depuis la fin de l’ancienne Guerre froide.

Andrew Korybko est le commentateur politique américain qui travaille actuellement pour l’agence Sputnik. Il est en troisième cycle de l’Université MGIMO et auteur de la monographie Guerres hybrides: l’approche adaptative indirecte pour un changement de régime (2015). Ce texte sera inclus dans son prochain livre sur la théorie de la guerre hybride. Le livre est disponible en PDF gratuitement et à télécharger ici.

Liens


Retour sur Maïdan - La guerre hybride de l’OTAN

Lucien Cerise, auteur d’un livre sur le sujet, parle ici aussi de la guerre de cinquième génération, de guerre hybride, mais dans un cadre beaucoup plus large qu’Andrew Korybko.

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