Article original de Ugo Bardi, publié le 3 Mai 2017 sur le site CassandraLegacy
Traduit par le blog http://versouvaton.blogspot.fr
C’est un monstre de verre et de béton qui a été annoncé il y a presque 15 ans,
mais qui n’a jamais été terminé et ne le sera probablement jamais. On
peut l’imaginer comme une métaphore du déclin de l’Occident : s’il n’y a
pas plus de ressources pour produire ou distribuer des biens,
l’économie entière s’arrête.
Dans un post précédent,
Miguel Martinez a examiné la retraite de Moscou de l’armée de Napoléon
comme une métaphore pour le déclin de la gauche en occident. Martinez
note que la gauche a normalement mis l’accent sur la redistribution des
biens produits par l’économie, mais qu’aujourd’hui, la crise des
ressources rend impossible la production de biens en quantité suffisante
pour les redistribuer, comme lorsque les soldats de l’armée de Napoléon
n’ont rien eu à piller à Moscou après avoir conquis la ville.
En
réalité, le sort de la Droite n’est pas différent de celui de la
Gauche. Traditionnellement, la Droite a mis l’accent sur la production
plutôt que sur la redistribution. Mais ce sont deux faces de la même
pièce : l’épuisement progressif des ressources et la perturbation
croissante des écosystèmes rendent impossible la production de biens aux
mêmes coûts que ce qui était encore possible il y a quelques décennies.
La tentative de Donald Trump de redémarrer la production de charbon aux
États-Unis est semblable à la situation critique des soldats de
Napoléon qui marchent dans la neige pendant leur retraite de Moscou. Les
seuls choix à leur disposition étaient soit de piller les villes qu’ils
n’avaient pas la capacité de conquérir ou de redistribuer le butin
qu’ils n’avaient pas pu piller. Droite ou Gauche, cela ne les a mené
nulle part.
Je pense que ces concepts peuvent être illustrés par l’histoire d’un bâtiment dans la ville où je vis, Fiesole, sur une colline près de Florence, en Italie. En 2003, le maire a annoncé le projet de construction d’un grand auditorium qu’il qualifiait de « nécessité absolue pour la ville ».
Il y a eu un débat où de nombreux résidents locaux (y compris moi-même)
ont noté que la ville avait peut-être besoin d’un auditorium, mais que
la proposition était trop grande.
Comme vous pouvez l’imaginer, nos protestations ont été submergées
par des hurlements de dédain. Nous avons été accusés d’attitude « négative » et
ils ont déclaré que le nouvel auditorium offrirait des emplois aux
habitants de Fiesole, de l’argent pour les propriétaires de magasins, et
transformerait Fiesole en un centre culturel internationalement
reconnu. En tout cas, cela impliquerait une croissance économique.
Comment pourrait-on être contre cela ?
Ainsi, l’auditorium a été construit. Il a même été agrandi avec
l’avancement de la construction jusqu’à ce qu’il soit capable
d’accueillir 312 personnes.
Le seul problème : il n’a jamais été terminé. Aujourd’hui, seule la
paroi extérieure existe et le toit (et ils disent que le toit fuit). La
raison en est que la ville a manqué d’argent, mais je pense que les
constructeurs eux-mêmes, à un moment donné, ont examiné ce qu’ils
faisaient et ils se sont étranglés de colère. Je peux les imaginer se
demander : « Qu’est-ce que nous faisons ici, bordel ? Cette chose est beaucoup trop grosse. » Je peux imaginer le même moment de stupéfaction pour les soldats et les commandants de l’armée de Napoléon devant Moscou. « Qu’est-ce que nous faisons ici, bordel ? On se les gèle. »
Tout comme la Russie était trop grande à conquérir pour Napoléon,
l’auditorium de Fiesole est trop grand pour la taille de la ville.
Imaginez construire le Metropolitan Opera House de New York à Mount
Carroll, Illinois, et vous avez une idée du projet. Fiesole n’a pas
suffisamment de chambres d’hôtel pour accueillir ce genre d’événement
qui nécessiterait une salle de 300 places. Amener des gens d’autres
endroits n’est pas une solution, non plus : il y a un parking totalement
insuffisant à proximité ; l’utilisation de bus serait lente et coûteuse
et, de toute façon, les autobus de grande taille ne pourraient pas
négocier les virages serrés des routes autour de l’auditorium. Compte
tenu de ces conditions, qui aura jamais besoin de cet auditorium quand
il y en a littéralement des dizaines de plus pratiques à Florence juste à
côté ? Si l’auditorium de Fiesole devait être terminé, que pourrait-on
faire de lui ? Peut-être que nous pourrions le peindre en blanc pour que
les gens viennent le regarder comme l’éléphant du zoo de la ville.
Cette histoire ne ressemble-t-elle pas à l’invasion de la Russie par
Napoléon ? Oui, Napoléon a été pris dans un de ses propres rêves
éveillés où il devait continuer à se battre et à gagner de plus en plus
de batailles afin d’avoir plus de matières à redistribuer. Finalement,
sa bulle de rêve devait éclater. Le système économique occidental a été
pris dans le même genre de bulle, bien que non basé sur des actions
militaires (quoique pas tout à fait en fait). C’est donc une bulle de
construction et de redistribution qui éclate en ce moment.
Donc, aujourd’hui, en marchant devant le béton et le verre géant dans
un coin de la petite ville de Fiesole, on est presque submergé par une
pensée : comment les gens ont-ils pu faire une erreur aussi absurde ?
Certes, il y avait de l’argent, mais, pour ce que je peux dire, cela a
été surtout fait de bonne foi par des gens qui croyaient vraiment que la
ville avait besoin d’une telle chose et, si ça vous intéresse, le maire
qui a commencé tout cela était un ancien membre du parti communiste.
Mais ce n’était pas le problème : la Droite aurait pu faire exactement
la même chose. C’était comme pour les soldats de Napoléon qui ont pris
la route de Moscou, convaincus qu’ils allaient vers la gloire et la
richesse. En regardant les erreurs du passé, nous pouvons toujours
apprendre une chose : que nous n’apprenons jamais des erreurs du passé.
La preuve que les gens n’ont rien appris du passé vient des projets
d’un nouvel aéroport à Florence. Un nouveau projet surdimensionné qui
vise à augmenter le nombre de touristes venant à Florence, tout cela au
nom de la Croissance. Apparemment, neuf millions de touristes
par année ne sont pas suffisants pour Florence. Pensons-nous que leur
nombre va continuer à croître pour toujours ?
Ugo Bardi
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