Article original de Ugo Bardi, publié le 29 Mai 2017 sur le site CassandraLegacy
Traduit par le blog http://versouvaton.blogspot.fr
Déjà à cette époque, l’Allemagne envisageait d’adopter le modèle américain de «1 voiture dans chaque garage».
Mais posséder une automobile semble devenir de plus en plus obsolète.
Tôt ou tard, les gens devront abandonner leurs voitures, fermant un
cycle particulier et inhabituel dans l’histoire de l’humanité. C’est le
billet le plus subversif que j’aie jamais publié, je pense.
Dans une publication précédente, j’ai discuté du rapport RethinkX
de James Arbib et Tony Seba, sur l’avenir du transport. Le rapport
traite d’une révolution technologique, qui aboutirait à un nouveau
concept : « Transport en tant que service » (TaaS), qui
permettra aux gens de se déplacer principalement en utilisant des
voitures sans conducteur et accessibles au public. Beaucoup ont pris le
rapport (et mes commentaires à ce sujet) comme un autre technofix visant
à garder les choses telles qu’elles sont ; business as usual. En effet, le rapport a développé le concept «TaaS», en termes de croissance économique. Rien d’autre n’est acceptable dans le débat public, aujourd’hui.
Ainsi, il semble que peu de gens se rendent compte de la sorte de
vache sacrée que Arbib et Seba envisagent d’abattre et servir
en hamburgers bien cuits. Ce n’est rien de moins que la voiture privée,
l’élément central du mode de vie américain (oui, exactement ce dont
George Bush parlait : « ce n’est pas négociable »). Cette idée est aussi loin que possible du business as usual,
l’une des idées les plus perturbatrices et les plus révolutionnaires
que j’ai rencontrées ces derniers temps. Donc, je pense que je peux
approfondir ce sujet et expliquer pourquoi c’est aussi perturbateur et
révolutionnaire.
Commençons par le début: tout a commencé en 1908 avec la Ford T (graphique de The Daily Signal)
La croissance de la propriété d’automobiles a été le résultat d’une
décision politique que la plupart des gouvernements occidentaux ont
prise à un moment donné (même Adolf Hitler l’a fait,
au moins en partie). Il n’était pas nécessaire de la prendre; par
exemple, le gouvernement soviétique a toujours découragé la propriété de
la voiture privée. Mais les gouvernements, bien qu’ils ne soient pas
des organismes bienveillants, sont composés de personnes et les gens
peuvent reconnaître une bonne affaire lorsqu’ils la voient. Plus de
voitures signifiait plus d’autoroutes, plus de ponts, plus de centres
commerciaux, plus de développement de logements et plus de possibilités
de construire des choses. Cela a coûté beaucoup d’argent. Ainsi, le
développement explosif de la motorisation privée s’est produit parce que
cela pouvait se produire.
Mais ces derniers temps, la tendance s’est inversée. Le nombre de voitures par personne et par ménage diminue. Ces données par Sivak (2015) semblent être les plus récentes disponibles.
Et ce n’est pas seulement le nombre de voitures qui descend, mais le
nombre de kilomètres parcourus par personne ou par voiture est aussi en
baisse. La tendance est la même dans de nombreux pays occidentaux : nous
avons passé une sorte de « pic automobile».
Alors, que se passe-t-il? Un facteur est que les voitures deviennent plus chères (graphique de The Atlantic):
C’est principalement parce que les voitures deviennent plus lourdes
et plus compliquées. Aujourd’hui, une Coccinelle Volkswagen classique
coûterait très peu, peut-être moins qu’au moment de la grande croissance
de la motorisation des années 1950. Mais aucune compagnie d’assurance
ne voudrait l’assurer, et aucun gouvernement ne lui fournirait une
plaque d’immatriculation : trop bruyant, dangereux et polluant.
Mais le coût croissant de la propriété est probablement un facteur
mineur, par rapport aux changements plus profonds qui se déroulent.
L’inégalité sociale croissante conduit une fraction toujours plus grande
de personnes à devenir pauvres ou très pauvres. Voir ci-dessous le
comportement du Coefficient de Gini, une mesure de l’inégalité dans la société.
Les voitures sont donc plus chères et plus de gens sont pauvres. Pas
étonnant que la propriété en nombre de voitures diminue : une fraction
progressivement plus élevée de la population ne peut plus se permettre
d’acheter de voitures.
Nous ne devrions pas être surpris : pendant la plus grande partie de
l’histoire de l’humanité, la plupart des gens marchaient. Seuls
quelques-uns pouvaient se permettre des chevaux ou des porteurs. Une
voiture dans chaque garage a été un phénomène très particulier, qui ne
pouvait durer longtemps et qui ne sera probablement jamais répété à
l’avenir. Mais la fin du cycle peut ne pas être indolore pour beaucoup.
Si vous vivez ou avez vécu dans une zone de banlieue occidentale, vous
savez quel est le problème.
Vous voilà, à quelques kilomètres de tout ce qui n’est pas une autre
maison individuelle. A des kilomètres de votre lieu de travail, du
supermarché le plus proche, de la gare la plus proche. Pas de voiture
signifie pas de travail, pas d’épicerie, pas d’endroit où aller.
Bon gré mal gré, la plupart des familles vivant dans les banlieues
occidentales possèdent encore au moins une voiture. Elles le doivent,
même si cela implique une pression de plus en plus lourde sur leur
budget. Mais, au fur et à mesure que les tendances actuelles se
poursuivront, il arrivera un moment où la possession d’une voiture
deviendra un fardeau trop lourd pour transporter une fraction non
négligeable de la population des banlieues. Alors, que va-t-il se
passer? Eh bien, il existe plusieurs façons possibles pour les gens d’y
faire face : le vélo, le covoiturage, utiliser des ânes, déménager hors
de la ville pour vivre dans une cabane faite de conteneurs en carton mis
au rebut ou, tout simplement, devenir un zombie et mourir.
Il est peu probable (pour le dire vite) que les villes instaureront
des services de bus conventionnels, pour les citoyens qui se
retrouveraient bloqués dans des banlieues prison : ce serait
terriblement coûteux. Donc, comme cela se produit dans ces cas,
l’innovation technologique est censée venir à la rescousse. Et elle va
le faire avec le concept de «TaaS»
(Transport en tant que service). Il s’agit essentiellement d’un service
de location de voitures de haute technologie, où vous utilisez un
véhicule uniquement lorsque vous en avez besoin, grâce aux merveilles
technologiques des satellites de positionnement global, à la conduite
automatisée et à l’énergie électrique.
Il n’est pas évident que TaaS
sera moins cher que la propriété d’une voiture en dollars par
kilomètre. Mais, avec TaaS, vous n’avez pas les coûts fixes liés à la
possession d’une voiture : vous pouvez économiser de l’argent en
réduisant vos déplacements au strict minimum. Ainsi, vous pouvez
utiliser TaaS pour atteindre votre lieu de travail (si vous avez encore
un emploi) et pour atteindre un supermarché pour échanger vos tickets
alimentaires. Le reste du temps, vous resterez à la maison et regarderez
la télévision ou utiliserez les médias sociaux. De quoi d’autre
avez-vous besoin?
Arbib et Seba ont correctement décrit dans leur rapport
comment ce phénomène ne sera pas progressif : il va être explosif. À
mesure que la propriété de la voiture diminuera, le coût des voitures
augmentera, simplement en raison de la diminution des économies
d’échelle. Ajoutez à cela les bénéfices décroissants de l’industrie
pétrolière et tout cela va imploser rapidement, générant un exemple type
« cas d’école » pour la « falaise de Sénèque« .
À la fin du cycle, les gens (ceux qui survivront à l’épreuve)
pourraient abandonner la banlieue et se déplacer vers une tour
d’appartements qui peut être desservie par les transports publics à des
coûts raisonnables. À ce stade, le paysage américain pourrait beaucoup
ressembler à celui de l’ancienne Union soviétique.
Finalement, TaaS est un exemple du concept de l’« Internet des choses »
qui est tellement à la mode de nos jours. Cela signifie que vous ne
posséderez plus les choses, voitures ou quoi que ce soit ; vous les
louerez. Ainsi, votre réfrigérateur, votre téléviseur, même votre
grille-pain, ne seront pas votre propriété, mais celle des sociétés qui
les loueront. C’est une bonne idée, car vous pourrez avoir les derniers
modèles et vous ne devrez pas vous soucier de leur maintenance. Au
moins, aussi longtemps que vous ne manquerez pas de crédit, parce que,
si cela arrive, votre grille-pain refusera de griller votre pain.
Tout cela ressemble à… Eh bien, vous savez à quoi cela ressemble.
Avez-vous déjà imaginé que le communisme viendrait un jour aux
États-Unis, apporté par des entreprises et au nom du progrès
technologique? L’American way of life s’avère finalement négociable.
Ugo Bardi
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