mardi 19 septembre 2017

Fièvre des marécages

Article original de James Howard Kunstler, publié le 8 Septembre 2017 sur le site kunstler.com
Traduit par le blog http://versouvaton.blogspot.fr




Voici une preuve supplémentaire, s’il en était besoin, que Dieu est plutôt remonté contre le pays exceptionnel, numéro un du monde : l’ouragan Irma poursuit un coup direct sur Disney World. Dans les mots immortels des Talking Heads : « This ain’t no party, this ain’t no disco, this ain’t no fooling around » (Ce n’est pas une fête, ce n’est pas une discothèque, ça ne va pas rigoler).



Houston est toujours détrempée et saoulée de coups, avec une fantastique explosion de moustiques, mais ne fait même plus les gros titres. Cette semaine, les médias, avec leurs faibles équipes de journalistes, ont sillonné la Floride, demandant aux gens, ici et là, leurs sentiments. « Que va-t-il se passer… » Je pense que j’ai entendu cela environ soixante fois, et il n’y a pas de contestation sur ce qui va se passer.

Pour le moment, vendredi matin [8 septembre, NdT], il est un peu difficile de calculer l’effet d’une dévastation complète, d’un lavage et d’un rinçage de l’État de Floride vis-à-vis de la viabilité à venir de l’économie américaine. Il y aura un grand trou avec des dollars qui vont s’y perdre et cela incitera probablement les pouvoirs combinés du Trésor des États-Unis, du Congrès et de la Réserve fédérale à créer des dizaines de milliards de dollars. Pendant la nuit, l’indice DXY a plongé à un nouveau bas cette année.

Est-ce que je suis le seul observateur à me demander si Irma peut être un coup fatal pour le système bancaire ? Il faut se demander quelles implications ces événements auront pour les assurances. Les obligations urgentes déclenchées par un événement à cette échelle pourraient ne pas être réparables. Il faut bien regarder la chaîne des effets sur les contreparties qui ont soutenues les banques, les assureurs et les fonds de pension sur de simples promesses depuis des années. Les finances, privées et publiques, ont alimenté l’irréalité depuis bien avant la crise de 2008. La destruction de la Floride (et de tout ce qui se trouve sur le passage) sera aussi réelle que possible.

Vous avez sûrement entendu le vieil argument sur les catastrophes naturelles qui se révèlent être une aubaine pour l’économie parce que tant de personnes sont employées pour réparer les dégâts. Ce n’est pas vrai, bien sûr. Remplacer les choses de valeur qui ont été détruites par de nouvelles choses est juste une autre version de la vieille blague polonaise : « Si quelqu’un veut allonger sa couverture, alors il lui suffit de couper un bout en haut et de le coudre en bas ». Le capital dépensé doit provenir de quelque chose et de quelque part, et dans ce cas, cela représente vraisemblablement les dépenses d’infrastructure nécessaires pour les ponts, les routes, le système d’eau et les égouts, et caetera, dans toutes les autres régions des États-Unis qui n’ont pas été touchées par les tempêtes. Au lieu de cela, ces endroits et leurs infrastructures vont s’approcher de leur point critique sans donner de préavis.

La deuxième catastrophe météorologique majeure cette année peut ne pas être suffisante pour induire des retombées pour reconsidérer la question du changement climatique, mais cela devrait provoquer des interrogations sur le développement connu sous le nom d’étalement des banlieues, qui, même sous sa forme virginale, peut être décrit comme la plus grande mauvaise allocation de ressources dans l’histoire du monde. Sûrement, il y aura un débat sur la question de savoir si la Floride, ou au moins une partie de celle-ci, sera reconstruite ou non. La nature sauvage des centres commerciaux, des subdivisions de logements et des cloisons de copropriétés déployées le long des autoroutes à six voies apparemment infinies accumulées dans l’orgie du développement d’après-guerre est un affront à la nature humaine, sinon à une divinité, si elle existe. Il existe de meilleurs moyens de construire des villes et nous savons comment le faire. Demandez-le aux abrutis qui ont payé une centaine de dollars pour descendre Disney’s Main Street la semaine dernière.

Outre les tragédies personnelles à venir, il va y avoir la perte de nombreuses vies de travail investies dans des choses de valeur, des maisons, du sens et la vie elle-même. Beaucoup de personnes qui ont évacué retourneront sur place et ne retrouveront… rien, et peut-être que beaucoup d’entre elles ne voudront pas rester dans un endroit aussi fragile. Mais l’Amérique, où qu’ils se déplacent à la recherche d’un lieu pour se réinstaller, l’Amérique va partout être un endroit plus fragile. Une semaine ou deux après la disparition d’Irma, les mauvais démons qui tiennent ce pays comme une fièvre des marécages seront toujours là, conduisant la nouvelle folie américaine vers des rivages encore inexplorés.

James Howard Kunstler

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