Article original de Amy Myers Jaffe, publié le 7 novembre 2017 sur le site Council on Foreign Relation
Traduit par le blog http://versouvaton.blogspot.fr
La politique pétrolière saoudienne subit un changement important, mais subtil, susceptible d’avoir des implications stratégiques plus larges. Le changement intervient à la suite d’une tempête parfaite de menaces existentielles complexes à laquelle Riyad a dû faire face. Elle a forcé son gouvernement à s’adapter à de nouvelles réalités. En effet, pour le moment, l’Arabie saoudite semble avoir perdu sa flexibilité sur la politique des prix du pétrole et devra donc de plus en plus relever les défis géopolitiques sans recourir activement à sa politique d’exportation pour faire baisser le prix du pétrole. Une baisse importante des prix du pétrole serait actuellement un inconvénient pour les réformes économiques ambitieuses de l’Arabie saoudite, et menacerait le succès des réformes sociales controversées.
Ce dilemme des recettes pétrolières pourrait guider une politique étrangère saoudienne déjà musclée tout en affaiblissant l’intérêt du royaume pour les tractations politiques internes au sein de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP). La menace d’inonder le marché pétrolier avec sa capacité de production de pétrole en réserve est depuis des décennies un levier saoudien essentiel pour la discipline de production et le partage de cette charge au sein de l’OPEP. L’OPEP, avec la Russie, semble pour l’instant prête à envisager un renouvellement des réductions de production en cours sur la base des améliorations actuelles des prix du pétrole, mais la discipline de production de l’OPEP s’affaiblit globalement avec le temps. On ne sait pas comment le royaume serait contraint de réagir si la production de pétrole augmente en Irak et chez d’autres membres ayant signé cet accord, sans parler des États-Unis, commençant à grignoter des parts de marchés alors que les prix du pétrole sont attendus à la hausse au printemps prochain.
Dans le passé, l’escalade dans les conflits régionaux avec l’Iran aurait pu être alignée sur des politiques conçues pour affaiblir Téhéran en utilisant la baisse des prix du pétrole. Mais la réponse saoudienne au missile intercepté des rebelles houthis basés au Yémen visant un aéroport près de la capitale saoudienne, Riyad, a été de nature plus stratégique. Riyad a rapidement fait savoir que la réponse à laquelle elle pensait serait plus directe et militairement orientée, en annonçant que la coalition fermerait la porte à tous les accès terrestres, aériens et maritimes du Yémen. La déclaration officielle de l’agence de presse saoudienne sur le sujet a noté que “le rôle de l’Iran et sa maîtrise directe de son proxy Houthi dans cette affaire constituent un acte d’agression qui cible les pays voisins et menacent la paix et la sécurité dans la région. Par conséquent, le commandement de la coalition considère cela comme un acte flagrant d’agression militaire de la part du régime iranien et cela pourrait être considéré comme un acte de guerre contre le royaume d’Arabie saoudite“. Ironiquement, plus les réponses militaires du royaume seront appuyées, plus il est probable que des revenus pétroliers en hausse soutiendront l’économie saoudienne à la maison.
L’arrière-plan de la nouvelle position saoudienne sur les prix du pétrole commence par la situation intérieure. Dans une série d’entretiens récents fin octobre, le prince héritier Mohammed Bin Salman a clairement annoncé l’engagement de l’Arabie saoudite à lancer une offre publique initiale sur 5% du monopole pétrolier étatique saoudien, Aramco l’année prochaine et a souligné l’engagement continu de son pays à stabiliser les marchés pétroliers. Les analystes estiment que le royaume a besoin d’un prix du pétrole d’environ 60 dollars le baril pour l’introduction en bourse d’Aramco afin de récupérer des revenus acceptables de la vente de ces actions. Les événements intérieurs en Arabie saoudite, notamment l’arrestation d’au moins onze princes de haut rang, anciens et actuels ministres, et des dizaines d’hommes d’affaires, ont fait grimper les cours du pétrole lundi, augmentant ainsi la possibilité que l’OPEP puisse faire monter les prix à 70 dollars le baril. Cela permettra également de colmater n’importe quel trou dans le budget saoudien avec l’argent saisi chez ces personnes fortunées arrêtées récemment, un magot estimé entre des centaines et des milliers de milliards de dollars. Une nouvelle commission anti-corruption a été habilitée à “restituer des fonds au trésor public” et à “enregistrer des biens et des actifs au nom de l’État”.
Les informations venant du Royaume font suite à celles venant des marchés pétroliers devenus plus sensibles aux événements géopolitiques ces dernières semaines, lorsqu’un référendum sur l’indépendance kurde a temporairement perturbé les exportations de pétrole du champ pétrolier de Kirkouk. La menace d’un défaut financier vénézuélien pèse également sur les marchés. Mais les analystes et les négociants estiment également qu’une baisse des prix du pétrole serait un boulet pour les réformes économiques ambitieuses de l’Arabie saoudite, y compris l’introduction en bourse d’Aramco, laissant certains spéculateurs croire qu’ils peuvent rester “longs“ sur le marché à terme du pétrole.
Cette toile de fond vient s’ajouter au contexte américain où le président des États-Unis a clairement affirmé son engagement envers l’industrie américaine de l’énergie, ce qui incite encore une fois l’Arabie saoudite à maintenir la stabilité des prix du pétrole. Le président Donald Trump a récemment évoqué l’introduction en bourse de la compagnie saoudienne sur Twitter, affirmant qu’il était important pour les États-Unis d’introduire ces actions à la bourse de New York.
Pourtant, le problème à plus long terme du rapport prix / volume a toujours été un défi durable au fil des ans pour les stratèges pétroliers saoudiens. Typiquement, les déclarations saoudiennes selon lesquelles le royaume riche en pétrole soutiendra les prix avec ses propres réductions de production invitent les autres pays à faire des tours gratuits avec une production supplémentaire. La Russie a été un joueur libre particulièrement notable, profitant des coupes de production de l’OPEP au cours des années, par exemple comme ces promesses de coupes qui tendent à se dématérialiser au fil du temps au profit de ses propres exportations. À l’inverse, les tentatives saoudiennes d’étendre ou même de protéger ses parts de marché se font le plus souvent au détriment des prix mondiaux du pétrole. Le défunt roi saoudien Fahd a démis de ses fonctions son célèbre ministre du pétrole, Sheikh Zaki Ahmed Yamani, alors que celui-ci était confronté à un délicat dilemme similaire : atteindre un objectif de prix et de volume. Au milieu des années 1980, le ministre a été chargé par le roi de changer de cap et de mettre fin à une guerre prolongée des prix du pétrole qui avait été conçue pour regonfler les parts de marché de l’Arabie saoudite. À un certain niveau, la situation d’aujourd’hui rappelle cette période historique. L’IPO saoudienne pourrait créer des problèmes similaires puisque les investisseurs chercheront à obtenir l’assurance qu’un volume constant de ventes de pétrole leur rapportera des revenus prévisibles qui sont également liés au niveau des prix du pétrole. Cette tension s’ajoute à d’autres types de risques liés à la stabilité politique dans le royaume et à l’incertitude quant à la demande à long terme de pétrole.
La hausse des prix du pétrole entraînera un rebond de la production américaine à un moment où l’industrie irakienne et russe pourraient également se développer au détriment du Royaume saoudien. Cela pourrait en fin de compte être un problème à plus long terme pour l’Arabie saoudite, problème qui ne semble plus apparaître sur le radar géopolitique aujourd’hui.
Amy Myers Jaffe
Note du traducteur
Le CFR est toujours une bonne source d'information pour jauger de la vision des élites globalistes. Cet article est assez factuel, plutôt neutre même. On peut noter tout de même que les 5% d'Aramco sur les marchés devraient être rapidement avalés par les grandes banques d'affaires américaines pour leur permettre de reprendre pied dans le business du pétrole saoudien dont elles avaient été éjectées dans les années 1970 par la nationalisation unilatérale opérée par le roi Fayçal.
Le CFR enregistre le dépouillement de quelques milliardaires sans broncher. On peut être sûr que si Trump s’amusait à racketter les milliardaires américains de la côte Est, il y aurait quelques couinements. L'article appuie cependant là où cela fait mal, l'Arabie saoudite malgré ses achats d'armes est loin d'être capable de peser sur la région sans les USA et Israël derrière. Il y a probablement un message subliminal adressé au nouveau pouvoir saoudien :« sans nous, vos jours sont comptés. »
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