Article original de Ugo Bardi, publié le 11 février 2018 sur le site CassandraLegacy
Traduit par le blog http://versouvaton.blogspot.fr
image de scania.com
Le concept de « peloton » implique des camions connectés électroniquement et proches les uns des autres. C’est une idée beaucoup plus innovante que celle des voitures particulières auto-pilotées et elle a le potentiel de révolutionner le transport routier en réduisant drastiquement les coûts.
Les voitures autonomes (ou « véhicules automatisés » VA) font fureur dans le débat. Dans la plupart des cas, nous avons beaucoup de battage publicitaire et peu de preuves, mais il est également vrai que de telles voitures ne sont pas impossibles. Alors, que pouvons-nous dire à propos de cette idée ?
Je dis souvent que le progrès technologique est soumis à la règle d’or qu’il génère plus de problèmes qu’il n’en résout. Ainsi, sans surprise, de la façon dont les VA sont normalement proposés aujourd’hui, ils ne résoudraient aucun problème existant important mais en apporteraient de nouveaux.
Dans la plupart des schémas autour des VA, vous êtes toujours supposé posséder une voiture, l’utiliser pour aller à votre travail, emmener votre famille en vacances. La seule différence avec les VA est que vous êtes soulagé de la corvée d’avoir à garder la main sur le volant et vos yeux sur la route. Mais une étude récente rapporte que, dans des conditions équivalentes, s’ils possèdent une voiture sans conducteur, les gens ont tendance à rouler plus de kilomètres et à laisser leurs voitures rouler sans but plutôt que de prendre la peine de trouver une place de parking. Pas exactement le moyen de réduire la congestion routière et la pollution.
Mais il existe une application différente des VA qui peut être qualifiée de véritable avancée technologique. C’est le « peloton ». (Image de The Business Times). À première vue, cela ne ressemble pas à une grande innovation. Les camions roulent les uns derrière les autres ? Cela n’existait-il pas déjà sous le nom de « convoi » ?
Mais il y a une percée ici, et elle est significative. Tout d’abord, le peloton n’a pas besoin d’une forte complication avec l’ajout d’une voiture complètement autonome. Un peloton de camions est toujours censé être contrôlé par des humains. Tout ce qui est nécessaire pour gérer le peloton, ce sont des capteurs et des actionneurs couplés à un certain contrôle informatique. Ensuite, bien sûr, vous avez besoin d’équipement de sécurité pour vous assurer qu’un camion « découplé » ne se fait pas la malle, mais cela ne devrait pas poser de problème. Le peloton est l’une de ces technologies « douces » qui n’ont besoin que de sous-systèmes existants pour fonctionner.
Ensuite, quels sont les avantages ? Un petit avantage d’un camion pelotonné concerne sa résistance aérodynamique inférieure. Mais ce sont des bricoles par rapport à l’avantage réel du régime : économiser sur le coût du personnel. Les camions en peloton font simplement ce que fait le premier camion, il n’est pas nécessaire que chaque camion ait un chauffeur. Alors, reliez deux camions ensemble et vous réduisez de moitié le nombre de conducteurs nécessaires. Connectez-en trois ou plus, et vous réduisez proportionnellement le coût en pilotes humains.
Maintenant, selon une autre étude récente de l’American Transportation Research Institute (ATRI), le coût des conducteurs représente 40% du coût total du transport par kilomètre (page 24 du rapport). Vous voyez le changement, juste en termes de réduction du nombre de conducteurs ?
Mais il y a plus. À l’heure actuelle, il n’y a aucun intérêt à ralentir les camions afin d’économiser du carburant, car le coût des conducteurs augmente proportionnellement au nombre d’heures de déplacement. Mais en peloton, il serait logique de ralentir l’ensemble du train pour réduire les coûts de carburant. Les camions plus lents génèrent également moins d’accidents et par conséquent des coûts d’assurance plus faibles. Des vitesses plus lentes permettent également d’utiliser des moteurs plus petits et des technologies plus simples. Et cela réduirait aussi le besoin d’entretien des routes et des ponts. Tous ces effets se conjugueraient pour réduire les coûts.
Donc, le peloton est une grande innovation. Mais il faut le voir à la lumière de l’évolution de toute la société. Alice Friedemann a soutenu dans son livre When Trucks Stop Running que les camions sont un élément critique du fonctionnement de la société moderne. Aurons-nous suffisamment de ressources pour faire rouler des camions à l’avenir, en peloton ou pas ?
Assurément, un effondrement total de la société engendré par l’épuisement des ressources ou l’emballement du changement climatique assurerait nécessairement que le système de transport s’effondrerait aussi. Mais le peloton pourrait rendre le camionnage beaucoup plus résilient. Si le camionnage consommait moins d’énergie, les camions pourraient être alimentés par de l’énergie électrique fournie par des batteries ou par des câbles aériens. Les pneus en caoutchouc actuels sont fabriqués à partir de pétrole, mais si les camions ralentissent, nous n’aurons plus besoin d’autant de caoutchouc comme nous le faisons aujourd’hui et le caoutchouc synthétisé à partir de sources biologiques pourrait faire l’affaire. Il en va de même pour l’asphalte des routes : des camions plus lents réduiraient la pression sur les routes et nous pourrions retourner sur des routes « macadamisées ».
Donc, la formation de pelotons est une innovation que nous ne devrions pas ignorer. Et, comme d’habitude, cela aura des impacts importants et pas forcément bons. L’abaissement substantiel du coût du transport routier le rendra plus compétitif par rapport au rail. Cela pourrait encore marginaliser le rôle déjà marginal des chemins de fer dans le transport de marchandises. Ensuite, rien n’empêche de mettre aussi des bus ou d’autres types de véhicules en peloton, réduisant ainsi les coûts de transport. Cela pourrait signifier la fin des chemins de fer, sauf pour les trains à grande vitesse avec lesquels les véhicules routiers ne peuvent pas rivaliser.
Mais l’effet le plus important du peloton va avoir une influence sur l’emploi. Rien qu’aux États-Unis, il y a plus de 3,5 millions de camionneurs. Le camionnage est l’emploi de base le plus populaire encore disponible dans la plupart des pays industrialisés. Le peloton pourrait mettre des millions de conducteurs au chômage. Comment la société va-t-elle réagir à cela ? C’est difficile à dire, mais le choc est susceptible de se faire sentir.
Comme d’habitude, nous entrons dans l’avenir animé par l’enthousiasme et l’idée que de meilleures technologies signifient automatiquement une vie meilleure. Le peloton n’est que l’une des nouvelles technologies qui pourraient nous mener dans une direction que nous n’aurions peut-être pas voulu prendre. Mais nous le ferons.
Ugo Bardi
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