Article original de Christopher Pisarenko, publié le 25 janvier 2018 sur le site Katehon
Traduit par le blog http://versouvaton.blogspot.fr
Bien avant que John Locke ne commence à écrire ses œuvres à la fin du XVIIe siècle qui ont jeté les bases du libéralisme politique dans le monde anglo-saxon (et l’Occident), il existait déjà les opinions religieuses profondément enracinées de Martin Luther et Jean Calvin. Les œuvres de ces deux pères fondateurs du protestantisme ont beaucoup influencé la Weltanschauung spirituelle, culturelle, politique, sociale et économique des Américains, beaucoup plus que tout écrit de Locke ou de l’un des autres philosophes du contrat social des Lumières (par exemple Hobbes, Rousseau, Kant, etc). Cette vision américaine unique du monde, ou plus spécifiquement de sa culture-âme, apparue sur les côtes rocheuses de la Nouvelle Angleterre durant la première moitié du XVIIe siècle, peut en effet être qualifiée de « calviniste » car elle présente de nombreux traits calvinistes tels que l’Éthique protestante, l’individualisme acharné, une obsession pour le concept du peuple élu de Dieu, la croyance en l’exceptionnalisme, une mission mondiale universelle, etc.
Cependant, il existe un catalyseur idéologique spécifique au sein du calvinisme, qui a jeté les bases de la tradition du sionisme chrétien − une tradition qui a fleuri en Amérique du Nord pendant les 400 dernières années et qui prospère aujourd’hui comme jamais auparavant parmi les chrétiens évangéliques, les néoconservateurs et une variété d’autres groupes. Le catalyseur idéologique auquel il est fait allusion est l’interprétation de la prophétie judéo-centrique. Sans ce catalyseur idéologique fondamental fermement implanté (tel qu’il l’était dans la théologie protestante primitive), il est hautement douteux que la doctrine subséquente du sionisme chrétien soit jamais apparue − une doctrine qui a eu une énorme influence non seulement sur la religion et la politique mais aussi sur la culture et l’identité américaines.
Sans aucun doute, les plus ardents défenseurs du sionisme chrétien aux États-Unis aujourd’hui sont des chrétiens évangéliques. Ici, il est important de comprendre que les évangéliques ne sont pas seulement un groupe religieux, mais qu’ils sont un bloc politique très mobilisé qui jouit d’un énorme soutien national (surtout dans le Sud et le Midwest), et qu’ils exercent donc une grande puissance politique. Le trait caractéristique des chrétiens évangéliques n’est pas leur croyance en Jésus (qui ne les rendrait pas différents des autres groupes chrétiens nominaux) mais plutôt leur soutien inconditionnel à l’État terroriste moderne d’Israël. En effet, c’est leur fanatisme sioniste sans bornes qui a amené beaucoup à désigner les évangéliques comme des « sionistes chrétiens » − et, de l’avis de l’auteur, ces deux termes (« évangélique » et « sioniste chrétien ») sont synonymes.
Comprendre les deux faits imbriqués que (1) les sionistes chrétiens possèdent beaucoup de pouvoir aux États-Unis et (2) ils sont absolument fanatiques quand il s’agit de soutenir Israël, aide aussi à comprendre pourquoi une organisation de lobbying pro-juive comme l’AIPAC (le American Israel Public Affairs Committee) a tellement d’influence politique aux États-Unis.Mais alors se posent naturellement les questions suivantes : pourquoi y a-t-il tous ces chrétiens sionistes ? D’où viennent-ils ? Pourquoi le sionisme chrétien est-il si répandu en Amérique, etc. ? Pour répondre à ces questions, nous devons étudier à la fois les bases historiques et idéologiques de l’interprétation de la prophétie judéo-centrique, ainsi que la tradition judéo-centrique de l’herméneutique biblique en général. Nous devons donc commencer notre étude à l’endroit le plus évident : la Réforme protestante et Martin Luther.
La chose importante à savoir sur Luther en ce qui concerne l’interprétation de la prophétie judéo-centrique est son insistance absolue sur le littéralisme biblique − c’est-à-dire son insistance sur l’idée que quand on lit et interprète la Bible, elle doit être prise littéralement. Luther a inauguré cette vision manifestement protestante qui, il faut le dire, diffère fondamentalement de l’herméneutique médiévale. Par exemple, les théologiens médiévaux ont essayé d’embrasser autant d’approches que possible en interprétant des textes bibliques − ils étaient littéralement catholiques (c’est-à-dire universels) dans ce sens. Ils ont interprété la Bible métaphoriquement, allégoriquement, anagogiquement − d’autant de façons qu’il était possible afin d’extraire chaque goutte de « jus » biblique ou de signification du texte. Mais Luther est allé dans une direction très différente. Il a insisté sur le littéralisme. Ainsi, Luther a insisté pour interpréter toute l’histoire à travers une lentille biblique étroite. En d’autres termes, il a insisté sur la recherche d’événements historiques pour obtenir des confirmations et des indices sur les prophéties passées et futures.
En tant que fondateur sans équivoque (ou « premier père ») du protestantisme, Luther avait manifestement choisi comme ennemis préférentiels le Pape et toute l’Église catholique en tant qu’institution religieuse et politique. En conséquence, Luther dirigea ses attaques les plus passionnées contre le catholicisme. Néanmoins, il y avait une autre force politico-religieuse très puissante que Luther dénonçait fréquemment : l’Empire ottoman. Ainsi, dans son interprétation de la prophétie biblique, Luther considérait l’Antéchrist comme une entité démoniaque à deux têtes, c’est-à-dire un Antéchrist « turco-catholique ». Les musulmans et les catholiques étaient considérés comme les deux faces de la même pièce satanique, pour ainsi dire.
En ce qui concerne les juifs, il est bien connu que Luther est devenu notoirement anti-juif plus tard dans la vie, allant jusqu’à publier en 1543 un ouvrage intitulé Sur les juifs et leurs mensonges. Néanmoins, Luther fut le premier théologien à faire avancer la notion de conversion nationale juive − une croyance qui persiste encore chez certains sionistes chrétiens. Ceux qui souscrivent à la doctrine de la conversion nationale juive croient essentiellement que, précédant le retour du Christ, il y aura une conversion massive des juifs au christianisme, et que cette conversion précipitera réellement la seconde venue du Christ. Il faut souligner que Jean Calvin croyait aussi à l’idée d’une conversion nationale juive, en plus de toutes les autres idées avancées par Luther et tirées de son littéralisme biblique.
Bon nombre des partisans anglais de Luther et de Calvin étaient alors absolument fascinés par la perspective d’une conversion nationale juive − et c’est précisément en Angleterre que le sionisme chrétien a pris son envol en tant que force religieuse populaire. C’est à cause du plaidoyer pro-juif et de l’influence intellectuelle d’un certain nombre de sionistes chrétiens anglais qu’Oliver Cromwell fut persuadé de renverser l’interdiction séculaire des juifs d’entrer en Angleterre, interdiction qui avait été promulguée en 1290 par le roi Édouard Ier. Aussi, en 1657, les juifs ont de nouveau été autorisés (et même encouragés) à s’installer en Angleterre.
Les puritains anglais étaient, il va sans dire, très heureux de voir les juifs revenir. Ils ont interprété cet événement historique de la même manière que Luther ou Calvin − comme un signe clair de Dieu qui marquait le retour imminent du Christ. Et ainsi ils ont immédiatement commencé à essayer de convertir autant de juifs au protestantisme que possible, seulement pour trouver (à leur grande contrariété) qu’ils n’en convertissaient en fait aucun. Les puritains ont bientôt découvert que la conversion d’un seul juif était quelque chose d’extrêmement rare. De plus, ils se sont vite rendu compte que les juifs voulaient seulement rester dans leur propre communauté, maintenir leur propre culture et leurs propres traditions, mener leurs affaires et mener leur vie à bien. En d’autres termes, les juifs voulaient rester juifs. Ce fait a grandement déçu les puritains anglais parce que, de toute évidence, leurs espoirs apocalyptiques « chevauchaient » un résultat différent (pour ainsi dire) et n’étaient donc pas atteignables de manière littérale. Ainsi, leur interprétation herméneutique est passée d’un fort accent littéral à une interprétation plus allégorique du prétérisme. (La théologie prétériste soutient que les prophéties décrites dans la Bible ne sont pas vraiment des prophéties mais des ensembles d’allégories pour des événements qui se sont déjà produits).
Ainsi, les interprétations prétéristes ont commencé à apparaître parmi les puritains en Angleterre, et la philologie a commencé à être utilisée dans l’herméneutique par les principaux philosophes européens comme Hobbes, Grotius, Spinoza et d’autres. Il est important de souligner, à ce stade, qu’en raison de l’isolement relatif des colonies américaines par rapport aux événements qui se déroulaient en Angleterre, le détournement du littéralisme dans l’herméneutique ne s’est pas installé en Amérique. Au contraire, les idées entremêlées de littéralisme biblique et de sentiment pro-juif ne feront que croître et se renforcer pour devenir un élément essentiel de la religion américaine, la distinguant ainsi grandement de son homologue britannique.
Dans son fameux discours « City on a Hill » de 1630, John Winthrop (le premier gouverneur de la colonie de Massachusetts Bay) comparait ses colons puritains aux juifs de l’Ancien Testament. Winthrop a déclaré que, comme les juifs, les puritains ont été expulsés de leurs maisons en Angleterre ; comme les juifs, ils étaient persécutés ; et comme les juifs, ils avaient une alliance spéciale avec Dieu, c’est-à-dire que les puritains croyaient avoir reçu une mission spéciale de Dieu et qu’ils avaient un rôle spécial ou « exceptionnel » à jouer dans l’Histoire. Ce discours de Winthrop en 1630 − qui n’était en fait qu’une partie de son sermon, intitulé « un modèle de charité chrétienne » − constituait le début de ce qui allait émerger pour créer non seulement le sionisme chrétien mais aussi un éthos général en Amérique autour de l’idée de l’exceptionnalisme américain.
La grande figure « américaine » suivante à mentionner après le gouverneur John Winthrop est le révérend John Cotton (1585-1652). À partir de 1639, Cotton prononça un certain nombre de discours millénaristes et judéo-centriques qui prônaient aussi l’idée que les gens des colonies de la Nouvelle-Angleterre étaient un peuple spécial qui possédait une mission spéciale ordonnée par Dieu − qu’ils étaient « choisis », tout comme les israélites de l’Ancien Testament avaient été « élus ». Cette ligne de pensée a été approfondie par le travail de l’un des amis et associés proches de Cotton (qui possédait aussi un prénom plutôt étrange) : le Révérend Increase Mather (1639-1723).
En 1669, Mather a publié un livre intitulé Le mystère du salut d’Israël. Dans ce travail, Mather a insisté sur une interprétation littéraliste de la prophétie biblique et de toute la Bible en général. Homme d’une érudition considérable, Increase Mather était parfaitement conscient que les tendances anti-littéralistes (prétéristes) gagnaient du terrain en Angleterre (tendances avec lesquelles il était fortement en désaccord), et il s’engagea donc à défendre le littéralisme biblique contre toutes les autres tendances. Mather croyait fermement que si l’on n’interprétait pas littéralement la Bible − si les gens se laissaient prendre dans la métaphore et l’allégorie − alors le concept de foi religieuse finirait par perdre toute sa signification. Mather a également repris dans son travail plusieurs des mêmes thèmes de ses prédécesseurs sionistes chrétiens, allant jusqu’à Calvin et Luther. Des thèmes tels que la conversion nationale juive ouvrant la voie au retour du Christ, la destruction de l’Église catholique, le retour des juifs en Palestine et la destruction concomitante de l’islam qui accompagnerait le retour, etc.
Pendant ce temps, en Angleterre, non seulement une poussée croissante de l’anti-littéralisme prenait racine, mais il y avait aussi une indifférence croissante envers le destin global (spirituel ou autre) des colons de Nouvelle-Angleterre eux-mêmes. Par exemple, en 1634, l’érudit biblique anglais bien connu Joseph Mede (1586-1639), lorsqu’on lui demanda son opinion sur les colons de la Nouvelle-Angleterre, dit fondamentalement qu’il souhaitait bonne chance aux colons mais qu’il ne pensait pas que les colonies − et plus spécifiquement, celles d’Amérique du Nord − avaient une importance quelconque dans un sens eschatologique. Mede alla même jusqu’à dire qu’il croyait que l’Amérique était la terre sur laquelle Satan et ses armées avaient fui à un moment donné dans le passé lointain, parce que le message du Christ (qui avait été répandu dans le reste du monde connu) n’avait pas été reçu par les peuples autochtones avant l’arrivée des Européens. Donc selon la logique embarrassante et simpliste de Mede, Satan s’était retiré dans le vaste désert américain afin d’empêcher les Indiens de venir au Christ − et ceci expliquerait alors le fait que les Indiens n’avaient aucune idée de qui était le Christ ou le christianisme.
Ici, il faut comprendre qu’à cette époque de l’histoire, lorsque Mede a porté son jugement sur l’Amérique du Nord, il existait déjà une spéculation répandue parmi les colons chrétiens quant aux origines bibliques des Indiens américains − parce qu’à ce moment-là, la plupart des chrétiens croyaient que l’origine de chaque race, tribu et peuple sur la terre pouvait être trouvée dans les pages du livre de la Genèse. La « découverte » des peuples indigènes non blancs dans le Nouveau Monde a présenté aux théologiens chrétiens une grande énigme. Il ne suffisait pas de dire simplement que les peuples autochtones avaient toujours vécu en Amérique du Nord ; une explication formelle était requise. Ainsi, beaucoup ont commencé à supposer que les Indiens pouvaient avoir été les descendants des dix tribus perdues d’Israël. Cependant, les spéculations à ce sujet se sont finalement éteintes après que d’innombrables tentatives pour convertir les Indiens eurent complètement échoué. Avec le temps, la vision négative de Joseph Mede de l’Amérique du Nord et de sa population indigène a finalement trouvé une base de soutien significative en Angleterre. Certaines personnes ont commencé à croire que le Nouveau Monde était en fait la tanière de Satan et que les Indiens n’étaient rien de plus que des païens « cananéens » réincarnés, c’est-à-dire des sauvages, des pions adorateurs idolâtres de Satan.
Ce n’est qu’après la mort de Joseph Mede, un demi-siècle plus tard, que quelques colons de la Nouvelle-Angleterre commencèrent à répondre (dans les années 1690) à ce qu’il avait dit à propos de l’Amérique pendant toutes ces décennies. Le juge Samuel Sewall (1652-1730) était l’un deux en Nouvelle-Angleterre. Sewall déclara dans sa réponse qu’il n’était pas seulement en désaccord avec le point de vue de feu Joseph Mede selon lequel l’Amérique n’aurait pas sa place dans le Millénium (le règne millénaire de Christ), mais Sewall alla jusqu’à dire que l’Amérique serait l’hôte physique de la future Nouvelle Jérusalem. Être d’accord avec cette affirmation était une expression sans équivoque du patriotisme colonial, tout comme Sewall a été indiscutablement offensé par les déclarations de Mede. Un autre personnage de la Nouvelle-Angleterre, qui a lui aussi répondu, était le célèbre prédicateur colonial et polymathe Cotton Mather (1663-1728) − le fils d’Increase Mather et petit-fils de John Cotton. Dans sa réponse à Mede, Cotton Mather n’a pas montré autant de patriotisme que Sewall. Par exemple, il n’a pas osé épouser le point de vue non orthodoxe selon lequel le futur siège du Royaume du Christ sur terre serait situé en Amérique. Néanmoins, Mather a déclaré qu’il était déraisonnable de croire que, lors du retour du Christ, l’Amérique n’aurait aucun rôle à jouer dans le prochain millénium.
Globalement, dans ces réponses, on pouvait clairement détecter un nationalisme américain naissant et émergent se mêlant à une tradition puritaine plus ancienne de l’interprétation de la prophétie judéo-centrique. En effet, le patriotisme américain et le judéo-centrisme fusionnèrent pour créer une religion civique indubitable dans ce qui allait devenir les États-Unis.La personne de Cotton Mather devrait être discutée ici un peu plus loin car, en toute honnêteté, il a été une figure historique assez intéressante et peut-être sous-estimée dans sa contribution à l’élaboration de l’identité américaine. En tant qu’auteur prolifique et philosophe confirmé, Cotton Mather était intéressé et connaissait une grande variété de sujets, et l’un de ces sujets était l’islam. Il était très intéressé par la culture islamique, son histoire, l’Empire ottoman, etc. Il faut dire qu’à cette époque de l’histoire coloniale il était très populaire de lire les récits de ceux qui avaient été enlevés et retenus captifs par les diverses tribus amérindiennes. Ainsi, d’une manière similaire (en raison de sa grande connaissance des cultures musulmanes), Mather a produit un certain nombre d’histoires populaires sur les expériences des marins anglo-américains qui avaient été capturés par les infâmes pirates barbares.
Par conséquent, l’écriture de Cotton Mather a contribué de manière significative à la formation du nationalisme américain. Par exemple, il écrivait sur les diverses épreuves et dégradations subies par les captifs américains, et sur le grand besoin pour eux de persévérer et de conserver leur foi chrétienne. Ces histoires ont donc servi à confirmer et à consolider l’identité nationale américaine et à favoriser un sentiment de patriotisme croissant dans les colonies.
Au fur et à mesure que Cotton Mather vieillissait, il s’est familiarisé avec les tendances non littéralistes et l’herméneutique qui faisait son retour en Angleterre. Et il a vu que beaucoup de gens avaient été systématiquement déçus par les interprétations littéralistes de divers ministres − ce qui veut dire que beaucoup avaient fini déçus par ces ministres qui, selon leurs propres interprétations littérales du texte biblique, avaient prédit que le Millénium arriverait à telle ou telle date. Par exemple, certains pasteurs ont prédit que le millénium viendrait en 1697, d’autres ont dit qu’il viendrait en 1716, etc. Inutile de dire qu’ils ont tous été contredits. À ce moment-là, après avoir vu les « grandes déceptions » des masses religieuses à la fin du XVIIe et au début du XVIIIe siècle, Cotton Mather commença à se demander si une approche purement littérale dejl’interprétation de la prophétie biblique était correcte. Ainsi, Mather a essayé d’établir une approche hybride. Vers la fin de sa vie, cependant, il devint un pré-millénariste convaincu comme Joseph Mede, ce qui signifie que Mather ne croyait plus que les Juifs devaient être convertis comme condition préalable au retour du Christ, et que la seule chose qui empêche les événements de l’Apocalypse d’être mis en mouvement était la Volonté de Dieu. En d’autres termes, le Christ pourrait revenir à tout moment sans conditions préalables essentielles pour sa Seconde Venue.
En tout cas, au milieu du XVIIIe siècle, après plus d’un siècle d’endoctrinement judéo-centrique et de propagande basée sur la chaire, les colons anglais d’Amérique du Nord (et surtout ceux de Nouvelle-Angleterre) commencèrent à se considérer comme juifs, c’est-à-dire ils ont commencé à s’identifier fortement comme un deuxième Israël. Cette conviction est particulièrement forte dans les années qui ont précédé la guerre d’Indépendance américaine − pour former ce que l’historien Nathan Hatch appelle le millénarisme civil. Ce que Hatch entend par « millénarisme civil », c’est que l’idée de devoir civique ou patriotique et d’engagement politique a finalement coagulé avec la prophétie millénariste pour créer un système de croyance civique dans lequel l’identité politique et nationale se combine avec ses croyances religieuses. Et en effet, c’était un phénomène qui s’est produit énormément en Nouvelle-Angleterre et, par extension, dans toutes les autres colonies. Par rapport à toutes les autres colonies, la Nouvelle-Angleterre dominait en termes d’influence intellectuelle. Il est donc important que le lecteur comprenne que pratiquement toutes ces idées et ces premières œuvres « américaines » ont leur origine dans les esprits des zélateurs religieux les plus importants de la Nouvelle-Angleterre, depuis longtemps décédés.
Ainsi, alors que nous entrons dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, lorsque le gouvernement britannique a intensifié sa « tyrannie » contre les coloniaux libres et très prospères (via la loi sur le timbre, la loi sur le thé, etc.), la tradition de l’interprétation de la prophétie judéo-centrique (ainsi que la croyance ancestrale dans l’Antéchrist « turco-catholique ») était facilement combinée avec le millénarisme civil américain de manière à dépeindre le gouvernement britannique − et l’incarnation de ce gouvernement, le Roi George III − comme étant l’Antéchrist ou Satan incarné. Naturellement alors, la guerre éventuelle contre la Grande-Bretagne est apparue à beaucoup de ceux qui descendaient de la race puritaine comme une grande lutte cosmique et apocalyptique entre les forces du Bien et du Mal.
Bien sûr, beaucoup d’historiens américains traditionnels aiment souligner l’opinion dominante selon laquelle les fondateurs des États-Unis étaient de grands admirateurs et adeptes des idées de John Locke, et qu’ils croyaient tous fermement aux principes « libertariens » qui incluent la tolérance religieuse entre autres points de vue éclairés tels que la liberté d’expression ; les droits civils ; le gouvernement limité ; les droits de propriété, etc. Cependant, cette opinion dominante n’est pas du tout exacte. La vérité est que l’influence du puritanisme millénariste (alias le judéo-centrisme alias le sionisme chrétien) sur les fondements idéologiques des États-Unis est grossièrement sous-estimée et sous-représentée dans l’historiographie de l’expérience américaine. C’est une tradition qui nie fondamentalement la tolérance religieuse, nie les droits des minorités et nie la liberté d’expression. Et c’est la tradition sur laquelle les États-Unis sont véritablement fondés.
En fait, c’est le millénarisme civil, en particulier, qui a été le moteur idéologique de la « révolution » américaine (guerre d’indépendance). Puis, à l’Indépendance, l’idée millénariste civile s’est intégrée dans l’identité et la conscience nationales américaines. En d’autres termes, elle est devenue une partie de ce que signifie être « américain ». Ainsi, de plus en plus d’Américains, après l’indépendance, se sont vus comme le Nouvel Israël, le Nouveau Peuple élu, les détenteurs d’une autre alliance avec Dieu, la nation rédemptrice, le dernier bastion de la liberté sur terre, etc., etc. La « boule de neige » a commencé à dévaler la pente, pour ainsi dire. Il ne faut donc pas de grands efforts pour voir comment ce genre de système de croyances millénaristes a conduit à la religion civique moderne de l’exceptionalisme américain et à la vision manifestement fausse et hypocrite selon laquelle l’Amérique est synonyme « de liberté et de démocratie » dans le monde.
Christopher Pisarenko
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