Article original de Robert W. Merry, publié le 31 octobre 2017 sur le site Washington Times
Traduit par le blog http://versouvaton.blogspot.fr
En cette ère d’instabilité, les États-Unis doivent protéger leur propre sphère d’influence
La plaie de l’Espagne est la Catalogne, où nombreux sont ceux qui veulent se séparer du royaume espagnol. Madrid ne veut pas que cela se produise, c’est pourquoi le Sénat espagnol a autorisé le gouvernement à prendre le contrôle direct de la région rebelle du nord-est, qui jouit depuis des décennies d’une autonomie considérable dans le système espagnol. Cette action intervient après que le Parlement catalan, à majorité séparatiste, a approuvé une résolution visant à « créer une république catalane en tant qu’État indépendant ».
Ainsi, l’Espagne est entrée dans ce que le New York Times appelle la « plus grande crise constitutionnelle depuis qu’elle a embrassé la démocratie en 1978 ». Cela représente près de quatre décennies de stabilité démocratique relative pour un pays qui a traversé une horrible guerre civile dans les années 1930 puis a subi près de 40 ans de dictature. Et maintenant, encore une fois, les perspectives d’effusion de sang sont réelles.
L’émergence de cette nouvelle crise après tant de bonnes années soulève une question : pourquoi maintenant ? La réponse : ces événements ne sont qu’une partie d’une détérioration globale du statu quo. Le monde n’a pas connu ce genre de déclin progressif des structures établies depuis le chaos de 1914-1945. À cette époque, qui suivait près d’un siècle de relative stabilité mondiale, le monde semblait avoir perdu la raison – jusqu’à ce qu’un nouvel ordre mondial soit établi déjà pendant la Seconde Guerre mondiale et juste après la guerre, avec l’Amérique en son centre.
Mais maintenant cet ordre mondial semble lui-même se désagréger.
Considérez les forces et les sentiments acides qui tourmentent le globe en ce moment – les animosités sectaires ; les sensibilités nationalistes ; les passions des identités ethniques ; les rivalités géopolitiques ; les urgences des migrations ; la colère contre le globalisme. De toute évidence, le statu quo est attaqué de tous les côtés.
Cela suggère qu’il y a une raison pour laquelle l’ère de l’après-guerre froide n’a pas d’autre nom que celui indiquant qu’elle est venue après la guerre froide. Elle n’a pas de nom propre car elle n’a pas d’identité. Ce n’est que la période d’un chaos croissant qui a suivi une ère de stabilité et nous conduira, on ne peut que l’espérer, vers une autre période de calme. En attendant, nous devrions nous préparer à une instabilité croissante et à des difficultés dans les affaires mondiales.
Certains des développements les plus puissants de cette ère de changement sont la montée en puissance de la Chine et sa volonté apparente de remettre en question l’hégémonie américaine en Asie depuis 70 ans ; les tensions croissantes entre l’Occident et la Russie au sujet de qui contrôlera les terres faisant traditionnellement partie de la sphère d’influence russe ; la fébrilité progressive et l’acrimonie du Moyen-Orient, déchaînées en partie par l’incursion américaine dans la région et propulsées maintenant par des passions sectaires et des intérêts géopolitiques ; la confrontation imminente entre les États-Unis et l’Iran ; la transformation de la Turquie d’une nation s’intégrant à l’Occident et exaltant le pluralisme en une dictature de plus en plus islamiste ; l’émergence d’une menace nucléaire en Corée du Nord ; la montée du nationalisme occidental ; et l’explosion de l’immigration qui menace la stabilité culturelle et sociétale européenne et américaine.
Ce qui est frappant dans nombre de ces développements est la mesure avec laquelle ils ont généré d’énormes questions non résolues qui devront bien se dénouer dans le futur. Par conséquent, il n’y a aucune raison de croire que l’ère de l’après-guerre froide – une époque pleine de changements et de conflits – prendra fin de sitôt.
Il convient également de noter à quel point les Américains, et en particulier les dirigeants américains, s’accrochent à un statu quo mondial en progressive érosion. Le récent discours du Sénateur de l’Arizona John McCain devant le National Constitution Center à Philadelphie en est un bon exemple. Il a dit que « l’Amérique était indispensable à la paix, à la stabilité internationale et au progrès de l’humanité ». Il a dit que « nous sommes une terre faite d’idéaux » et nous devons être « leurs champions à l’étranger ». Il a dit que nous avons « un devoir de rester le dernier meilleur espoir sur la terre ».
Cela implique que l’Amérique représente des principes universels de gouvernance et de rectitude nationale qui doivent être répandus dans le monde entier. Mais c’est ce concept même qui a contribué au chaos du Moyen-Orient lorsque George W. Bush a conduit l’Amérique dans la région pour mettre fin à la « tyrannie dans notre monde ». Les tensions se sont fortement accrues en Ukraine quand l’administration de Barack Obama a soutenu un coup d’État contre le président élu de cette nation et a menacé les intérêts géopolitiques historiques de la Russie.
Non, l’Amérique a besoin d’une nouvelle pensée plus en phase avec les profonds changements qui se produisent dans le monde et les nouvelles réalités qui s’abattent sur nous. L’hégémonie mondiale américaine ne fonctionnera plus. L’exceptionnalisme américain est une vanité nationale ridiculisée par les événements. Nos idéaux sont bons pour nous et valent la peine de se battre pour eux, mais ils ne sont pas universels et ne devraient pas être imposés à d’autres peuples dans d’autres pays. La pièce à conviction de ce fondement de réalisme géopolitique est le Moyen-Orient, qui suit sa propre voie sans tenir compte des vœux américains et de la puissance américaine – sans parler des idéaux américains du genre de ceux prônés par le sénateur McCain.
Si l’Amérique doit jouer un rôle majeur dans le déplacement du monde vers plus de stabilité et de paix, elle doit abandonner ses ambitions hégémoniques au nom de l’universalisme américain. Elle doit plutôt accepter les sphères d’influence régionales tout en protégeant sa propre sphère d’influence dans les Amériques, les Caraïbes, le golfe du Mexique et ses eaux environnantes. Elle doit maintenir ses liens étroits avec l’Europe, sa source culturelle. Elle doit opter pour une politique étrangère basée sur l’impératif de promouvoir un équilibre global du pouvoir.
Une telle approche peut-elle favoriser une nouvelle ère de stabilité mondiale ? Peut-être, peut-être pas. Mais l’approche du statu quo du sénateur McCain ne fera qu’ajouter au chaos mondial.
Robert W. Merry, journaliste de longue date à Washington, D.C. et éditeur, est rédacteur en chef de The American Conservative. Son dernier livre, « Président McKinley : architecte du siècle américain », sera en vente le 7 novembre.
Note du Saker Francophone
On vous laisse lire l'analyse de ce texte par dedefensa.org, d'où il est tiré, pour servir d'exemple à leur analyse de la Grande Crise de l’Effondrement du Système. À noter que la traduction littérale d'effritement peut aussi être avantageusement traduite par mitage.
Une falaise peut s'effriter car elle est visiblement fragile, érodée par la mer. Un meuble en bois massif sera lui mité de l'intérieur, semblant toujours aussi solide de l'extérieur jusqu'à ce qu'une secousse révèle son état véritable, un gros tas de poussière ne demandant qu'à tomber d'un coup.
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