vendredi 7 août 2020

Comment voter pour Satan

Article original de Dmitry Orlov, publié le 2 août 2020 sur le site Club Orlov
Traduit par le blog http://versouvaton.blogspot.fr

Il est venu à mon attention qu’un nombre important de personnes sont en train de s’énerver au sujet de la prochaine élection présidentielle aux États-Unis.

SATAN : peut-être le moindre mal … finalement


Bien qu’il soit peut-être difficile de voir ce qui pourrait être si excitant dans ce qui promet d’être un pseudo-concours inhabituellement frauduleux entre deux vieux bouffons étrangement incohérents, de grandes masses de gens sont occupées à se crier dessus et à y porter beaucoup d’attention comme si ce concours avait réellement de l’importance. Cette cacophonie politique, digne d’un asile psychiatrique du genre de Bedlam, crée un risque majeur pour la santé mentale d’une grande partie de la population, qui est déjà stressée par l’effondrement économique en cours et les efforts acharnés pour cacher cet effondrement sous couvert de coronavirus. C’est pourquoi, afin de vous épargner l’angoisse de l’obsession d’un vote totalement dénué de sens, je veux vous offrir une perspective différente qui, je l’espère, vous mettra à l’aise et vous permettra d’orienter vos efforts vers quelque chose de plus agréable ou utile, et idéalement les deux.


Je comprends que je suis sur un terrain dangereux ici, mais je l’ai déjà foulé. J’ai perdu un certain nombre d’amis lorsque Trump a été élu car, au lieu de l’indignation vertueuse attendue, j’ai indiqué que Trump était le mieux placé pour servir de figure de proue à un pays qui est en train de s’effondrer. J’avais auparavant – de manière tout à fait facétieuse – soutenu la candidature de Trump en tant qu’emblême ridicule et impuissant d’une ancienne superpuissance en voie d’effondrement. Dans l’intervalle, Trump s’est comporté exactement comme je l’avais prévu. Lisez ma pseudo-approbation et riez ou pleurez, mais vous serez forcé de reconnaître que j’avais raison. Bien que Trump n’ait pas suivi mon conseil en choisissant Kim Kardashian comme colistière, il n’est pas trop tard. Maintenant que Kanye, mentalement instable, n’est plus dans le coup, Trump peut même divorcer de la séduisante Melania et épouser Kim, plus flamboyante   – comme je l’ai déjà conseillé – ce qui en ferait la toute première vice-présidente et première dame !

L’empereur Caligula a un jour épousé son cheval Incitatus et a essayé de le faire nommer au Sénat romain, il existe donc un précédent pour ce genre de choses dans les annales des empires décadents. Cela rendrait l’émission de télé-réalité de la Maison Blanche encore plus amusante à regarder – pendant que Washington brûle.

Je suis sûr que certaines personnes rechigneront à faire un choix aussi désinvolte sur quelque chose qu’elles considèrent comme une question très sérieuse. Noam Chomsky, le linguiste du MIT, prolifique auteur et conférencier de gauche, devrait certainement être l’un d’entre eux. En 2016, il a dit : « Si vous avez la moindre notion de morale, vous voulez à écarter le pire. » Et il a récemment doublé la mise : « Ne pas voter pour Biden [le moindre mal] lors de cette élection dans un État en ballotage équivaut à voter pour Trump [le pire] ». Il a même formulé une idéologie générale du « Voter pour le moindre mal » (VMM) avec de nombreux principes subtils. Mais Chomsky ne semble pas être un expert de la nature du mal : lorsqu’on l’a interrogé à ce sujet dans une interview, il a parlé de la variabilité de la nature humaine et de ses ramifications politiques. Il semble que pour Chomsky, le « mal » n’est qu’un concept abstrait désignant quelque chose de très mauvais.

Chomsky est juif et le judaïsme n’a pas une notion développée de la démonologie. C’est peut-être cet angle mort conditionné par la culture dans sa vision du monde qui lui a permis d’envisager sérieusement la notion de VMM. Pour lui, choisir un moindre mal est simplement une question de choix de stratégie politique appropriée – par cela, il entend une tactique appropriée, puisqu’une stratégie appropriée conduirait à l’élimination totale du mal plutôt qu’à une approbation sans enthousiasme d’un moindre mal. Contrairement au judaïsme de Chomsky, le christianisme et l’islam cultivent tous deux une conscience nuancée de Satan/Shaitan, le Malin, et des « mignons«  qu’il commande. Il est donc plus logique pour moi de considérer le mal manifeste de la démocratie américaine d’un point de vue démonologique. Vu sous cet angle, choisir un moindre mal, c’est choisir malgré tout le mal. L’idée qu’il est possible de choisir le bon type de mal par l’exercice de la « compréhension morale » de Chomsky ressemble donc à une forme monstrueuse de sophisme, car peu importe pour lequel des « mignons » de Satan vous votez, vous consentez toujours à être dirigé par Satan.

Ce qui suit est un guide de la politique américaine du point de vue de la démonologie et une prescription pour éviter la possession démoniaque.

L’objectif de Satan est toujours d’égarer, de séduire et d’envoûter. Étant donné que différentes stratégies de séduction et d’envoûtement sont efficaces pour différents publics, il peut théoriquement y avoir un démon distinct et approprié pour satisfaire tous les goûts, du très libéral au très conservateur. Mais l’effet polarisant de la politique nationale a propulsé au premier plan seulement trois démons. Pour les besoins de cette discussion, je leur donnerai les noms suivants, intuitivement évidents : le Démon rouge, le Démon bleu et le Démon vert.

La stratégie de séduction est commune aux trois démons : ils séduisent en donnant de faux espoirs. Chaque démon tente de nous persuader que nous pourrions aller dans sa version particulière de l’Enfer – qu’il prétend mensongèrement être un Paradis – à condition que nous le soutenions tout en contrecarrant les deux autres. Si nous ne parvenons pas à le faire, nous serons poussés vers l’une des deux autres versions de l’enfer, qu’ils décrivent évidemment comme plutôt infernale. Ce qui rend leur acte de séduction irrésistible, c’est que les trois versions de l’enfer ne sont pas du tout imaginaires, mais qu’elles coexistent en réalité dans un temps et un espace non démoniaques et se combinent pour produire le paysage infernal de l’Amérique contemporaine.

Le Démon rouge vit sur le faux espoir qu’il est possible que l’Amérique retrouve sa grandeur en tant que puissance industrielle largement autonome, autosuffisante pour tout ce dont elle a besoin, un pays avec une classe moyenne importante et prospère où un travailleur de l’automobile pourrait nourrir et habiller toute sa famille et se payer une maison et deux voitures, le tout sur un seul salaire. Le fait est que l’industrie manufacturière américaine s’est déplacée en Chine et ailleurs pour une excellente raison : fabriquer des choses en Amérique n’est plus rentable. Les États-Unis ne forment plus suffisamment de scientifiques et d’ingénieurs, ils ne disposent plus de l’infrastructure industrielle nécessaire et leurs structures de réglementation et de gouvernance rendent l’activité industrielle prohibitive.

La forte dépendance de Trump à l’égard du Démon rouge l’a conduit dans un cul-de-sac d’où il est forcé de faire de vaines déclarations de grandeur économique basées sur les performances d’un marché boursier qui s’est entièrement détaché de l’économie réelle et qui est maintenu en effervescence par une implacable impression de monnaie. À un moment donné, il deviendra évident qu’au lieu de devenir une puissance industrielle, les États-Unis sont sur le point de devenir un pays pauvre, au niveau international, qui ne cultivera que du maïs et du soja génétiquement modifiés que de moins en moins de pays voudront importer.

Le Démon bleu se nourrit du faux espoir que l’Amérique pourra continuer à vivre bien au-dessus de ses moyens en imprimant simplement de l’argent et en émettant des dettes qu’elle n’a pas l’intention de rembourser un jour. L’utilisation du dollar américain comme monnaie de réserve mondiale a permis aux États-Unis de recevoir des biens et des investissements de l’étranger en échange de simples morceaux de papier. Le Démon bleu met en scène ce pillage flagrant du reste de la planète en termes de réalisation d’objectifs de justice sociale, en cachant le fait qu’il ne fait que redistribuer des biens volés.

Le fait que la Chine ait réduit de 20 % sa dépendance au dollar américain dans le commerce international au cours de la dernière année, une monnaie qui représente à peine plus de la moitié de l’ensemble de son commerce international, indique que le statut de monnaie de réserve du dollar américain ne durera plus longtemps. À ce rythme de remplacement, dans deux ans seulement, la dépendance de la Chine vis-à-vis du dollar américain sera réduite à seulement 10 %, et étant donné que la Chine est le principal partenaire commercial d’une majorité de nations, le rôle du dollar américain dans le commerce international sera réduit à rien.

Le chant de sirène du Démon bleu, « emprunter et dépenser », ne parviendra pas à séduire ses victimes. Dans l’état actuel des choses, le gouvernement fédéral américain dépense la moitié de ses recettes fiscales en trop et, comme son assiette fiscale se détériore toujours, tandis que sa capacité d’emprunt international s’évapore, il ne sera pas en mesure de faire face à ses obligations financières actuelles, sans parler du financement de nouveaux projets.

Le Démon rouge et le Démon bleu se nourrissent de nostalgie – le désir soit de raviver une grandeur passée, soit de perpétuer un statu quo de plus en plus intenable. Cela explique leur choix de candidats : Trump et Biden sont tous deux des vieux qui, comme tous les vieux, ont tendance à vivre dans le passé, ignorer le présent et craindre l’avenir. Ces deux démons s’amusent à donner de faux espoirs aux personnes âgées en parlant du statu quo, ou du statu quo ante.

Le Démon vert, en revanche, s’efforce de corrompre l’esprit des jeunes en leur donnant de faux espoirs quant à un avenir qui n’a aucune chance de se concrétiser. Alors que les deux autres démons fétichisent des choses qui ont fonctionné dans le passé – l’industrialisme américain et les tours de passe-passe financiers – mais qui, hélas, ne fonctionneront plus jamais, le Démon vert fétichise des choses qui n’ont jamais fonctionné et ne fonctionneront jamais : des choses comme la Théorie monétaire moderne et le Green New Deal.

La théorie monétaire moderne – qui n’est ni moderne, ni monétaire, ni même une théorie – est adoptée par un certain type d’économiste qui croit que tout n’est qu’une question d’argent qui n’existe que parce qu’on peut l’imprimer, à volonté. S’il est vrai qu’une certaine quantité d’argent peut être prêtée de manière productive compte tenu des capacités industrielles inutilisées et de la demande non satisfaite des consommateurs, en général, le développement économique n’est pas déterminé par la disponibilité de l’argent mais par une interaction complexe entre les ressources, la technologie, la disponibilité de la main-d’œuvre et la demande des consommateurs.

Le Green New Deal – qui n’est pas vert parce que les technologies dont il dépend dépendent à leur tour de la disponibilité des combustibles fossiles, et qui n’est pas nouveau parce qu’il a déjà échoué partout où il a été essayé – est adopté par les partisans d’un changement climatique catastrophique qui, à leur tour, croient qu’il peut être évité en installant des éoliennes et des panneaux solaires. Divers acteurs ont des intérêts différents dans ce projet ; par exemple, les Chinois n’y participent que pour l’argent, puisqu’ils fabriquent une grande partie du matériel qui serait nécessaire.

Mais l’idée de remplacer la production d’électricité à partir de combustibles fossiles et d’énergie nucléaire, par l’éolien et le solaire est sans fondement, car ces sources d’électricité sont intermittentes et la quantité d’énergie qu’elles rendent disponible est sans rapport avec la demande, alors que l’offre et la demande d’électricité doivent être parfaitement équilibrées pour que le réseau électrique reste opérationnel. Le caractère irrégulier de ces sources d’énergie pourrait être atténué si la capacité de stockage était suffisante, mais cette capacité n’existe pas, même sur le papier.

En fin de compte, peu importe lequel des trois démons vous choisissez pour être possédé, car toutes leurs promesses sont illusoires. Mais étant donné que votre seul et unique choix est de voter pour l’un de leurs adeptes – et donc que tout vote est un vote pour Satan – quel serait le meilleur choix ? Si vous choisissez de ne pas voter, vous démontrez votre refus d’être dirigé par l’un des mignons de Satan, mais vous ne rendez pas cette perspective moins inévitable. Et si vous choisissez de voter, vous confirmez activement votre désir d’être gouverné par l’un des mignons de Satan, ce qui semble encore pire.

Mais il existe une troisième option, qui consiste à se moquer de Satan, ainsi que de tous ses serviteurs, en votant au hasard, en tirant à pile ou face comme je l’ai décrit dans cet article que j’ai publié il y a quatre ans jour pour jour. Vous serez toujours dirigé par Satan – jusqu’à ce que les États-Unis s’effondrent politiquement, ce qui arrivera en temps voulu – mais en attendant, vous ne serez pas séduit ou possédé par l’un de ses serviteurs, et si un nombre suffisant de personnes votent au hasard, il sera beaucoup plus difficile pour les serviteurs de Satan d’utiliser une stratégie de division et de conquête afin de maintenir leur emprise sur l’esprit de la population, ce qui semble déjà être une grande victoire.

Pour vous mettre dans un état d’esprit vous permettant de réaliser votre plan de vote au hasard, il est utile de répéter le mantra suivant :

Les États-Unis ne sont pas une démocratie et peu importe qui est président

Répétez-le cent fois, ou mille fois, autant de fois qu’il le faut pour que le message soit bien compris. Cette affirmation, je vous l’assure, est une affirmation de fait, démontrée par une analyse statistique, comme je l’ai expliqué dans cet article il y a plus de six ans. Elle est basée sur une constatation qui a été contestée, mais jamais réfutée, au cours des années qui se sont écoulées depuis : le résultat parle pour elle.

Aparté

À ce stade, certains commentateurs ont tendance à ramper hors du bois et à déclarer que les États-Unis ne sont pas une démocratie mais une république. Mais c'est une distinction sans différence, comme le montrent des républiques démocratiques exemplaires telles que la République démocratique du Congo et la République populaire démocratique de Corée (Nord). Si vous contestez cette affirmation, alors quelle sorte de patriote congolais ou nord-coréen êtes-vous ? Et si vous n'êtes ni congolais ni nord-coréen, alors de quel droit les jugez-vous ?

J’espère vous avoir dit tout ce que vous devez savoir pour éviter la possession démoniaque en attendant, patiemment ou impatiemment, l’effondrement politique des États-Unis. Le reste dépend de vous, et le mieux que je puisse faire est de vous souhaiter toute la chance du monde.

Les cinq stades de l'effondrement

Dmitry Orlov

Le livre de Dmitry Orlov est l’un des ouvrages fondateurs de cette nouvelle « discipline » que l’on nomme aujourd’hui : « collapsologie » c’est à-dire l’étude de l’effondrement des sociétés ou des civilisations.

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