dimanche 20 mars 2016

Qu’est-ce que la Syrie moderne peut apprendre des Ottomans ?

Article original de Toba Hellerstein, publié le 8 Mars 2016 sur le site Stratfor
Traduit par le blog http://versouvaton.blogspot.frhttps://www.stratfor.com/sites/default/files/styles/stratfor_large__s_/public/main/images/syriaottoman030416.jpg?itok=P1TdYypz

Jamal Pacha, le gouverneur ottoman de Syrie, traverse Damas le 17 juillet 1917. Sous domination Ottomane, la Syrie a existé comme une collection de provinces de cultures diverses (Hulton Archive/Getty Images)
 
Le bourbier qu’est la Syrie contemporaine est infiniment complexe, comme il l’était quand il est apparu sur les ruines de l’Empire ottoman. Son mélange de cultures et d’ethnies a coexisté paisiblement sous les sultans, mais les puissances européennes qui ont hérité de la terre après la Première Guerre mondiale ne connaissaient pas la gestion unique du pluralisme par la Syrie et étaient même indifférentes à sa protection.



Des décennies de régime autocratique ont suivi. Aujourd’hui, les factions belligérantes qui peuplent le champ de bataille syrien sont un signe du détricotage de la cohésion de la société syrienne, mais les leçons de l’Empire ottoman restent. À l’avenir, ces leçons peuvent être le meilleur espoir de transformer un État en échec, en une nation à la fois unifiée et diversifiée.

Après des siècles de domination ottomane, la Syrie a émergé de la Première Guerre mondiale sous une forme entièrement nouvelle. Sous les Ottomans, la région connue aujourd’hui comme la Syrie n’était pas une entité unique, mais plutôt une collection de wilayas, ou provinces, qui parfois incluaient les zones connues de nos jours comme le Liban et Israël. Sa population n’était pas non plus homogène. Les wilayas de la Syrie ottomane comprenaient chacune un ensemble d’ethnies, d’identifications culturelles et de structures économiques.

Après 400 ans de domination ottomane, certaines particularités du système politique se sont ancrées. Dans la période moderne de la Syrie d’avant la guerre civile, les villes ont été divisées en quartiers culturellement distincts: celui où vous trouviez les Arméniens, un autre peuplé par les Assyriens. Je me souviens en particulier des marchés kurdes, où les marchands venaient vêtus de leurs couleurs vives pour vendre des fruits et légumes de la campagne.

En fait, la manière dont la Syrie était régie renforçait l’autonomie de ces communautés ethniques et religieuses distinctes. Les Ottomans appliquaient une politique du pluralisme, destiné à apaiser les différentes nations et réprimer la montée des mouvements nationalistes, par laquelle les juifs, les chrétiens et les musulmans étaient tous habilités à faire valoir leurs propres identités et n’avaient donc pas besoin de rivaliser pour le pouvoir. Chaque communauté religieuse, connue sous le nom de millet, avait un représentant à Istanbul et était autorisée à organiser ses propres affaires, y compris l’éducation de ses habitants, les services et les organismes de bienfaisance sociaux et même certaines des normes juridiques avec lesquelles ils vivaient.

Le mil contrôlait tous les conflits internes tels que le mariage, le divorce, l’héritage, la distribution et la collecte des impôts. Le résidu de ce système spécifique communautaire est resté dans la Syrie moderne; par exemple, tout le monde savait que vous deviez aller au quartier arménien pour obtenir votre argent.

Après la Première Guerre mondiale, cependant, les puissances européennes se sont partagées le terrain anciennement gouverné par l’Empire ottoman vaincu. Pour avoir gain de cause, les Européens s’étaient infiltrés progressivement au Moyen-Orient pendant des années, en profitant des allégements fiscaux et de la sécurité assurée par des contrats de capitulation entre leurs gouvernements et les Ottomans. Mais après la guerre, les puissances européennes ont négocié des lignes de séparation claires définissant leurs sphères d’influence dans la région. Le résultat, l’accord secret, nommé du nom des diplomates britannique et français qui l’ont négocié, Mark Sykes et François-Georges Picot, a été signé au printemps 1916. Les frontières tracées au sein de cet accord Sykes-Picot n’ont pas respecté l’histoire de la région ou les préoccupations politiques des groupes en son sein. Au lieu de cela, l’accord a porté sur la division du Moyen-Orient entre les Britanniques et les Français. En fait, la façon dont cet accord a découpé le Moyen-Orient était lié à un certain nombre de conflits post-Première Guerre mondiale. La France était déterminée à rester une puissance au Moyen-Orient, et à travers le mandat français, elle avait le contrôle ultime du sud de la Turquie, du nord de l’Irak, de la Syrie et du Liban. La population de ce qui avait été la Grande Syrie a été artificiellement divisée et parfois déplacée.


Sous le mandat français, la vie en Syrie a changé de façon spectaculaire. L’autonomie dont les groupes avaient joui sous les Ottomans a grandement diminué lorsque les Français ont centralisé le gouvernement et ont restreint l’activité politique et celle des journaux. En outre, la France a poursuivi une politique de division pour mieux régner en vertu de laquelle certains groupes minoritaires ont apprécié des privilèges retrouvés pendant que d’autres ont vu leurs libertés disparaitre. Les Français ont favorisé des minorités, en particulier les chrétiens maronites, pour se protéger eux-mêmes de la majorité sunnite. Même si la Syrie a revendiqué l’indépendance en 1944, le nouveau gouvernement a adopté le penchant autocratique des fonctionnaires français qu’il avait remplacé, et les nouveaux dirigeants ont marginalisé des minorités telles que les chiites, les Kurdes, les Assyriens, les Druzes et les Arméniens. L’envahissant service de renseignement syrien, le Mukhabarat [Service secret Syrien, NdT], est devenu un fait important de la vie du peuple, pour qui l’indépendance du pays a apporté peu de soulagement.

Réalités modernes

Aujourd’hui, cinq ans après le début de la guerre civile en Syrie, certains des mêmes défis historiques persistent dans la région. La Syrie reste une arène dans laquelle les puissances mondiales bataillent pour l’influence et un ensemble de communautés religieuses et ethniques en ont fait leur maison.

Avant la guerre, le patrimoine culturel varié des Syriens était une source de grande fierté nationale. Aujourd’hui, cette diversité est devenue une source de violence. Lorsque la structure politique de la Syrie se transformera à la fin de la guerre, ces groupes se disputeront le pouvoir au sein du nouveau système, qui, comme l’ancien régime colonial français, pourrait bien être caractérisé par la centralisation et l’oppression. Mais il y a une autre option. Le nouveau gouvernement syrien pourrait plutôt prendre ses repères à partir de ses dirigeants d’avant la Première Guerre mondiale, l’autonomisation des diverses communautés à travers l’autonomie et peut-être même la partition.







Toba avec des troupes des Nations Unies en Syrie
 Même le président Bachar al-Assad incarne une partie du respect ottoman pour les groupes minoritaires. Sous le règne d’al-Assad, la division arbitraire des groupes ethniques et religieux en États modernes a été équilibrée par sa considération pour les besoins de ces communautés. Je l’ai vu de première main à Damas, où je me suis liée d’amitié avec certains casques bleus des Nations Unies qui escortaient les étudiants druzes de Syrie vers Israël, aller et retour, chaque été, seulement pour qu’ils puissent rendre visite à leurs familles à travers la frontière. La petite communauté juive qui est restée en Syrie a également été autorisée à visiter sa famille en Israël.

À l’avenir, une nouvelle Syrie doit embrasser le même pragmatisme. Ses dirigeants devront tenir compte des groupes ethniques et religieux variés dont la présence est antérieure à la lente montée d’un État moderne et dont la prétention à la terre se base sur un patrimoine culturel au-delà du droit légal. Les frontières tracées par l’accord Sykes-Picot il y a un siècle, pourraient bien avoir perdu leur utilité – si jamais elles ont été utiles – et il faudrait les repenser à la lumière des réalités sociales et politiques plus profondes. Cela pourrait être le début d’une résolution durable et efficace de la guerre en Syrie.

Toba Hellerstein

Note du traducteur

On vous propose ce texte pour la qualité de sa propagande. Qui n'a pas envie de paix, de respect des minorités, de bisous partout ? Ce texte vaut pour ce qu'il ne dit pas. La coalition occidentale + Turquie + États du Golfe a toujours un objectif géostratégique à atteindre, surtout maintenant que les perspectives de faire partir Bachar el-Assad et de prendre la Syrie d'un coup d'un seul s'amenuisent: la partition de la Syrie.

Le nerf de cette guerre reste assez largement lié au passage d'un gazoduc pour alimenter l'Europe en gaz aux dépens de la Russie. La Turquie, l'Arabie Saoudite et Israël ont aussi leur propre agenda de partitionnement de la région afin d'asseoir leur puissance pour le contrôle de la région. On assiste donc à un changement stratégique pour faire accepter ce plan de partition aux opinions publiques (enfin, en Occident). Est ce que le retrait russe annoncé ce jour (14 mars) est une pièce de ce jeu ?

Il va être intéressant de surveiller quelles pressions diplomatiques ou financières seront exercées sur Damas et ses alliés et comment cette coalition blanchira État Islamique pour obtenir son Sunnistan. La biographie sur stratfor de cette jeune femme vaut aussi le détour avec notamment science-po et l'ambassade israélienne à Paris.Tout un programme.



1 commentaire:

  1. excellente pioche dans la série "très bonne propagande".
    Seul regret, que la note du traducteur ne soit pas au dessus du texte.

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