jeudi 11 juin 2015

La grande séparation - Hervé Juvin

Hervé Juvin - La grande séparation. Pour une écologie des civilisations, aux éditions Gallimard


"Est il venu le temps de l'homme de nulle part ?". C'est ainsi que s'ouvre le livre d'Hervé Juvin. On va balayer ensemble ce livre qui donne le monde à voir tel que les médias ne veulent surtout plus qu'on l'admire, un monde d'une diversité enracinée, de peuples millénaires, de traditions qui ne prennent sens que si l'on s'arrête pour les écouter, pour les ressentir, pour finalement s'interroger sur notre propre cheminement et notre avenir.

A l'aube de crises systémiques profondes, voila un voyage pas banal pour un livre qui  m'est tombé dessus un peu par hasard sur la foi d'un interview sur ma préoccupation de ce jour-là, le transhumanisme.


Voici quelques extraits piochés ici et là qui j'espère vous donneront envie de lire ce livre.

P17 - Elle est de retour, la folle entreprise des obstinés chercheurs d'empires, celle qui a condamné les bâtisseurs de la tour de Babel, le défi d'unir ce qui est séparé, contre l'histoire et contre les hommes, contre ces millénaires de langues, de cultures et de transmissions qui ont construit la diversité des sociétés, sans cesse reprise et approfondie, sans cesse détruite et refondée.

P44 - L'autonomie énergétique comme l'
autonomie alimentaire est un élément de l'autonomie stratégique.

P46 - En ex-Yougoslavie, c'est pour servir leur propre agenda stratégique, et combattre l'ethnonationalisme européen, foyer d'un renouveau du continent eurasiatique, menace d'une Europe puissance chrétienne dont l'intérêt anglo-américain ne veut pas.

P55-56 - Le jeu politique consistant à jouer avec les minorités, à les inventer au besoin, ... pour décomposer l'identité dominante déborde la volonté de ses initiateurs: s'il faut célébrer les gays, pourquoi pas les bretons ? ... Surprise et découverte, stupeur et consternation chez ceux qui avaient entendu la mondialisation comme suppression des frontières et dissolution des nations, disparition de peuples et fin de l'histoire.

P69 - Quelle ignorance ou quel mépris affiche le sans-frontièrisme envers ses millions d'hommes et de femmes  pour qui la frontière, leur frontière, trace le domaine de leur liberté.

P89 - Les frontières nationales, réponses à la violence de la concurrence de tous contre tous.

P90 - Qui dit humanité veut tromper - Proudhon.

P123 - Tout programme totalitaire en finit avec l'histoire... La programmation de l'homme nouveau passe par la suppression de l'histoire au profit d'une histoire émotionnelle et commandée à distance -  Nous vous dirons de quoi vous souvenir.

P152 - Un amour abstrait des hommes conduit assez aisément à l'extermination des hommes réels... Locke a dit que "La terre appartient à celui qui  la travaille.", principe vite devenu " à qui en tire le meilleur rendement" ... Le Progrès est légitimé par le cadre juridique pour exproprier au nom d'un meilleur rendement du foncier.

P155 - Le droit est un instrument de la colonisation ... qui tend à légitimer la marche des affaires, la croissance des entreprise et le rendement du capital comme unique objet social des États. Qui a parlé de justice, de mœurs et de société ?

P160 - La confiscation de la démocratie par le droit, le contrat et l'obligation ...

P180 - L’État social fabrique de l'individuation comme l’État de droit fabrique de l'indifférenciation.

P188 - Quand tous sont les mêmes, l'autre n'est plus. Et pour que tous soient les mêmes, il faut que l'autre ait disparu. Nous y sommes. La grande séparation substitue l'homme nouveau à tous les hommes de leur terre, de leur histoire et de leur nation. Le droit, le commerce, le développement s'y emploient.


On comprend bien l'acharnement et la collaboration des élites et de leurs zélotes d'extrême gauche pour détruire toute tentative de mise en valeur de nos identités enracinées et porteuses de solidarités, les élites pour leur projet de NOM, la gauche sociétale pour dominer le plus large ensemble de "citoyens" interchangeables et donc déracinés.

P192 - L'ultra libéralisme s'unit si bien au socialisme mondialisé, contre la nation, le peuple et tous ceux qui ne se résignent pas à n'être qu'un rendement potentiel.

P206 - Il faut qu'aucun homme ne puisse dire "ma terre" qu'il ne l'ait achetée, il faut qu'aucune terre n'échappe au marché.

P233 - Comment faire si le développement apparaît comme une arme géopolitique incontrôlée, si la croissance même apparaît comme l'invention des riches pour faire tenir tranquilles les moins riches qu'eux.

P276 - Quand la frontière disparaît, elle est partout.

P314 - Les Malgaches. En limitant l'accumulation de richesse à la vie d'un homme, ils assurent la survie des générations à venir.

P317 - L'universalité du jugement appelle la guerre mondiale et l'extinction de la diversité; l'écologie humaine appelle la territorialité du droit et l'abstention du jugement.


Comme pour faire écho à ses extraits, voici quelques paroles de Russel Means, un indien Lakota :

Ma culture, la culture Lakota, a une longue tradition orale, donc généralement je refuse d’écrire. C’est une des manières que le monde blanc a de détruire les peuples non-européens, en imposant un système abstrait au détriment de la parole et des relations directes entre les personnes.

La tradition matérialiste européenne de désacralisation de l’Univers est très similaire au procédé mental qui permet de déshumaniser une autre personne.

Dans l’histoire européenne toutes les Révolutions n’ont servi qu’à renforcer la tendance qu’a l’Europe à exporter la destruction vers d’autres peuples.

Nous ne voulons pas de prise de pouvoir sur les institutions blanches ; nous voulons leur disparition. C’est ça la révolution.


Pour revenir à Hervé Juvin qui a peut être des ascendances indiennes et là je ne suggère pas que ce sont les Bretons qui ont découvert l'Amérique, mais peut-être avaient-ils découverts comme Celtes quelque chose de plus précieux, l'équilibre. Alors 22€50, c'est 3 places de cinéma mais un bien meilleur placement pour quelques bonnes soirées de réflexions et de questionnements sur soi-même et la compréhension du monde. Certes Hervé Juvin s'arrête parfois en chemin de ce qu'il est possible d'écrire dans notre monde policé mais il va très très loin dans la déconstruction de notre camisole morale et idéologique concernant l'Autre et par symétrie nous même.

En tout cas moi, je ne suis pas de nulle part. Je suis Breton, comme Hervé Juvin d'ailleurs, on partage aussi le même prénom. Je peux lire le travail de mes ancêtres sur chaque talus, chaque chemin, sur chaque église et celui de la nature sur les rochers balayés par les vents. Je comprends seulement maintenant pourquoi ce spectacle a toujours trouvé en moi une résonance profonde. Je suis bien d'ici et je ne souhaite rien de plus que les autres, tous les autres puissent être de chez eux. Comme le dit Rusell Means, il faut faire la Révolution, surtout celles des esprits.

Mais que va-t-on garder de notre révolution l'industrielle ? Un musée probablement à l'image de ce que le progrès se propose de faire pour le monde non développé. Si on survit à cette transition, il faudra se souvenir.

Liens :  

01/03/13 : D'une crise à l'autre : Vers un nouveau monde? - 1h12'43

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