lundi 27 juin 2016

Guerres hybrides : 5. Briser les Balkans (VI)

Article original de Andrew Korybko, publié le 10 Juin 2016 sur le site Oriental Review
Traduit par le blog http://versouvaton.blogspot.fr


 http://orientalreview.org/wp-content/themes/freshnews/thumb.php?src=/wp-content/uploads/2016/03/HWlogo.jpg&h=100&w=100&zc=1&q=80

Le dernier chapitre relatif à l’applicabilité de la loi de la guerre hybride aux Balkans se conclut avec la République de Macédoine, le pays qui risque sans doute le plus d’être déchiré par les manœuvres des États-Unis. Ce pays satisfait à la quasi-totalité des vulnérabilités socio-politiques identifiées par la théorie comme propices à la guerre hybride, et elle est sur le point d’organiser une élection historique en avril 2016 [1], qui pourrait être manipulée comme un prétexte pour établir un scénario destructeur.



 
Note du Traducteur : Les élections législatives macédoniennes de 2016, d’abord prévues le 24 avril, sont d’abord reportées au 5 juin 2016, puis sine die à la suite de l’appel au boycott de l’opposition et de la demande de report de l’Union européenne. Cette élection est commentée plus bas dans le texte
 
Dans le même temps, cependant, la Macédoine a déjà fait la preuve qu’elle est incroyablement résistante à se défendre, contre un scénario presque identique en mai 2015 au cours duquel elle a défié ce que de nombreux observateurs étrangers avaient supposé être le fait accompli d’un changement de régime.

Le monde a été témoin du désormais seul cas où une tentative de Révolution de couleur sérieuse a été pacifiquement repoussée par la population, ce qui prouve que le patriotisme est un moyen de défense précieux contre la première phase de la guerre hybride. En complément à cela, les forces de sécurité ont démantelé au même moment une bande terroriste albanaise qui avait l’intention de provoquer une guerre non conventionnelle en parallèle avec les Révolutionnaires de couleur, annihilant heureusement cette variable déstabilisante avant qu’elle n’ait une chance de tuer des civils. Ensemble, l’interaction positive et la confiance entre le peuple et l’État ont montré un modèle nouveau et efficace pour lutter contre les guerres hybrides, et les leçons que cela a enseigné au monde ne doivent pas être oubliées. Cela dit, la Macédoine d’avril 2016 a subi un an de pré-conditionnement social et structurel intensif pour la préparer à un prochain scénario de guerre hybride. Ce qui signifie que la menace est tout aussi aiguë, sinon plus, au cours des prochaines élections qu’elle ne l’était en mai 2015.

De plus près

La République de Macédoine est ciblée par la guerre hybride en raison de sa position géostratégique idéale le long des routes empruntées par le Balkan Stream et la Route de la soie des Balkans, mais le pays est socio-politiquement plus vulnérable que tout autre pays de transit, ce qui en fait une cible irrésistible pour les USA.

Géostratégie

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Si on se rappelle de la route des deux méga-projets multipolaires, leur point de confluence est la République de Macédoine, pas la Grèce, car ils ne commencent à fonctionner en parallèle l’un avec l’autre qu’à partir du franchissement de la frontière. Cela signifie que la Macédoine est le goulot crucial qui relie les deux projets avec l’arrière-pays des Balkans. La Grèce est bien sûr importante en tant que point d’accès en général, mais le Balkan Stream et la Route de la soie des Balkans proviennent de directions différentes, de sorte que le checkpoint le plus efficace où la pression pourrait être appliquée pour les saper tous les deux en même temps est en Macédoine. Si un haut degré de déstabilisation devait éclater dans le pays ou si un gouvernement pro-américain devait arriver au pouvoir, il est peu probable qu’aucun des deux projets ait beaucoup d’avenir, accomplissant ainsi l’objectif principal des États-Unis et expliquant l’importance géopolitique de premier ordre de la Macédoine dans la configuration stratégique des Balkans.

Socio-politique

Les vulnérabilités socio-politiques facilitent les plans géostratégiques perturbateurs des États-Unis pour les méga-projets multipolaires des Balkans à l’intérieur de la République de Macédoine, les rendant très sensibles à la manipulation depuis l’extérieur. Voici un bref aperçu de la façon dont ils se déclinent conformément aux six caractéristiques les plus étroitement associées à la loi de la guerre hybride.
Origine ethnique
Le dernier recensement de 2002 établit que la population est à 64,2% macédonienne et à 25,2% albanaise. C’est important non seulement en termes de potentiel de conflit ethnique provoqué de l’extérieur, mais aussi à cause de la façon dont cela se rapporte au gouvernement du pays par les préceptes des accords d’Ohrid. La représentation parlementaire proportionnelle a été fixée dans le droit à la suite de ce document, ce qui signifie que si un prochain recensement révélait une augmentation vertigineuse du nombre de citoyens albanais, cela aurait des conséquences directes sur la composition du gouvernement. Cela pourrait aussi potentiellement exacerber les tensions en soi, surtout s’il y avait des raisons de soupçonner que les nouveaux chiffres de la population albanaise ont été forgés d’une manière illicite (par exemple, une opposition au gouvernement exagérant le nombre comme une forme de remerciement à leurs partisans albanais à la guerre hybride et comme un moyen de légitimer la fédéralisation pré-planifiée du pays).
Religion
Cette autre source potentielle de division de la société recouvre parfaitement la composition ethnique du pays. Presque tous les Macédoniens de souche sont des chrétiens orthodoxes alors qu’à peu près tous les Albanais sont musulmans. En dépit de la laïcité traditionnelle de ces derniers, l’islamisation croissante des communautés musulmanes partout dans le monde (en particulier dans les Balkans dans le cadre d’un pré-conditionnement de la société aux vues néo-ottomanes de la Turquie) est une cause de préoccupation qui pourrait provoquer des conflits d’identité dans des pays historiquement chrétiens comme la Macédoine. L’autre problème est bien sûr ISIS : la Macédoine a arrêté 9 personnes pour des liens avec le groupe terroriste qui a attaqué en août (ils étaient toujours à la recherche de 27 autres qui ont évité la capture à l’époque), montrant qu’il existe une possibilité très inquiétante que l’organisation ait déjà mis en place un réseau plus profond dans le pays. Voyant que la plupart des musulmans de Macédoine sont albanais, il y a une très forte chance que cela signifie qu’ISIS a des membres cooptés dans ce groupe démographique et pourrait donc essayer de mettre en place les prémisses d’un Califat au cri de ralliement de la Grande Albanie afin de maximiser doublement ces deux idéologies destructrices. Effroyablement, la Macédoine est également incluse dans le plan quinquennal d’ISIS pour la création d’un Califat dans le monde entier, elle est donc déjà une cible désignée.
Histoire
La République de Macédoine a une richesse historique qui remonte à des millénaires, mais qui se connecte de façon concise avec le présent. Il faut prêter l’oreille aux jours sombres de la Seconde Guerre mondiale, quand l’Albanie et la Bulgarie fasciste se sont associées pour annexer le territoire entre elles. Il est vrai qu’il n’y avait pas d’entité administrative reconnue internationalement appelée Macédoine à l’époque (elle faisait partie de la Banovine du Vardar dans le Royaume de Yougoslavie). Cela ne signifie pas qu’il n’existait pas d’identité ethnique macédonienne, qui avait effectivement été divisée entre la Serbie, la Bulgarie et la Grèce après les guerres des Balkans avant la Première Guerre mondiale.
The Balkans during WWII
Les Balkans durant la Seconde Guerre mondiale
La raison pour laquelle la Seconde Guerre mondiale est considérée comme le point de départ de cette étude est que l’Albanie et la Bulgarie sont une fois de plus en train de faire mûrir leurs idéologies expansionnistes. Même si elles risquent de ne pas chercher à occuper physiquement la Macédoine comme elles l’ont fait pendant la Seconde Guerre mondiale, cela ne signifie pas qu’elles ont abandonné leurs ambitions hégémoniques envers elle. La Grèce est également une cause d’irritation en raison de la question du nom historique. En effet, Athènes refuse de bouger sur ce point, bien que cela se révèle être une bénédiction déguisée, avec le recul, car cela a empêché les gouvernements pro-occidentaux antérieurs de la Macédoine de se précipiter vers l’UE et l’OTAN. L’importance des voisins louchant vers la Macédoine sera discuté dans la section suivante de cet article qui se consacre entièrement à eux. Mais à ce stade, il est surtout important de reconnaître qu’aucun de ces trois gouvernements précités n’a l’intérêt supérieur de la Macédoine à l’esprit, et qu’ils n’hésiteront pas à le miner pour leurs propres intérêts si l’occasion se présentait.
Limites administratives
La République de Macédoine est divisée en 80 municipalités réparties sur 8 régions statistiques. Les trois plus importantes par rapport à cette étude sont les régions de Skopje, de Polog et du sud-ouest, car elles englobent la grande majorité de la population albanaise du pays. En outre, la région de Polog est la seule à avoir de fait une majorité albanaise. Pris ensemble, ce groupe démographique est fortement concentré dans un arc qui longe une bonne partie de la frontière occidentale de la Macédoine. Cette configuration démographique ne correspond pas au reste des frontières régionales du pays, de sorte qu’en cas de provocation (comme l’opposition insinue qu’elle aimerait le faire si elle prend le pouvoir), elles devraient être redessinées afin de donner un sens encore plus fort à la représentation et au séparatisme de la population albanaise. Bien sûr, cela ne serait qu’un prétexte pour formaliser une division inutile, comme la fédéralisation de Bosnie conçue pour maintenir le pays dans un état de tension constant et entraver à jamais son efficacité administrative.
Disparités socio-économique
Cette vulnérabilité socio-politique est un peu plus difficile à évaluer avec précision, car même si on peut spéculer que les Albanais de souche ont un niveau de vie relativement plus faible que les Macédoniens de souche, c’est encore beaucoup mieux que l’expérience de l’Albanie ou de la province serbe occupée du Kosovo. En outre, il n’y a aucune preuve concrète prouvant que la différence de conditions de vie est assez grande pour justifier une déconnexion significative entre les deux groupes ethniques. En outre, lorsque l’on parle en termes généraux, la Macédoine est l’une des réussites économiques de l’Europe au cours des dernières années, avec son économie en croissance régulière malgré la crise qui a paralysé le reste du continent. Cela signifie que les disparités socio-économiques relatives entre Albanais et Macédoniens restent  moins prononcées qu’entre d’autres données démographiques partout en Europe, vu la façon dont les deux ont bénéficié de la croissance récente du pays alors que leurs homologues ont simplement souffert de la crise. Par conséquent, sur toutes les vulnérabilités socio-politiques présentes dans la République de Macédoine, celle-ci est la plus faible et la moins importante du groupe, bien que la perception manipulée d’une fracture pourrait être un instrument pratique pour les États-Unis pour utiliser l’agitation des Albanais contre les Macédoniens de souche.
Géographie physique
Cette dernière caractéristique facilitatrice de la guerre hybride joue certainement en faveur des États-Unis. Il a déjà été établi que les Albanais de souche constituent un quart de la population de Macédoine et sont fortement concentrés dans les régions frontalières occidentales de l’État. Par chance, ce sont aussi les parties les plus accidentées et montagneuses du pays, évidemment idéales pour une guérilla et d’autres types d’agressions non conventionnelles. Dans le cas où une masse critique d’Albanais pourrait être induite en erreur dans une organisation contre le gouvernement et prendrait les armes après une révolution de couleur ayant échoué, le risque est extrêmement élevé qu’ils puissent tactiquement réussir et être capables de prolonger leur insurrection pour une période indéterminée. Ce scénario devient encore plus prononcé quand on pense que l’Albanie pourrait facilement exploiter ces caractéristiques géographiques afin de siphonner des armes et des combattants à travers la frontière pour maintenir l’insurrection terroriste contre l’État.

Des voisins bien louches

Il a été précédemment indiqué que trois des quatre voisins de la Macédoine ont des intentions négatives à l’égard de son statut d’État indépendant. À ce point, il est nécessaire d’en dire plus long sur eux et de les inscrire dans le contexte de la théorie de la guerre hybride. Le lecteur doit garder à l’esprit que seuls les gouvernements nationaux sont désignés comme ayant des arrière-pensées profondes à l’égard de la Macédoine, et que les citoyens ne partagent pas tous les vues implicites de leurs gouvernements.

Albanie

Modern map of the Albanian territorial claims
Carte moderne des revendications territoriales albanaises
Après avoir atteint ce dernier chapitre et lu les élaborations antérieures sur la Grande Albanie, il devrait déjà être facile de comprendre pourquoi Tirana s’échine à déstabiliser son voisin. Pour ajouter un peu plus à cette connaissance initiale, l’Albanie aimerait idéalement créer un Balkan Benelux pour solidifier institutionnellement le spectre complet des fondations hégémoniques de la Grande Albanie, comme étape préalable ou à la place d’une occupation comme au Kosovo débouchant sur le partage de la Macédoine. Tirana n’est pas intéressée par la totalité du territoire du pays car ses ambitions se limitent stratégiquement aux parties peuplées d’Albanais de la Macédoine (la plupart du temps se chevauchant avec l’imposition de la Grande Albanie de l’époque fasciste), mais elle aspirerait évidemment à rassembler le contrôle des ressources économiques macédoniennes administrées ethniquement là aussi. La façon la plus rapide de s’approprier ces entreprises en spoliant leurs propriétaires existants et légitimes serait soit de fédéraliser le pays et de réécrire la législation qui changerait les codes juridiques et fiscaux de chaque nouvelle région administrative pour soutenir ces extrémités, soit de lancer une campagne de nettoyage ethnique comme au Kosovo contre les habitants autochtones et occuper ensuite leurs usines de force. La première option est la plus pacifique des deux et a la plus grande chance de laisser ces entreprises fonctionnellement intactes, tandis que la seconde ferait presque sûrement émerger un État failli du style du Kosovo, dans les régions habitées par les Albanais à l’ouest de la Macédoine.

Bulgarie

Le voisin le plus proche, culturellement et historiquement, de la Macédoine, ne s’est jamais tout à fait réconcilié avec l’indépendance du pays et son identité nationale distincte. Les nationalistes bulgares croient qu’il n’existe pas d’appartenance ethnique macédonienne, de culture ou de langue, et qu’il s’agit tout simplement d’une forme de sous-niveau de la Grande Bulgarie. Cette attitude n’est pas officiellement affichée, mais elle est tacitement utilisée, chaque fois que la Bulgarie tente de se comporter avec condescendance comme un grand frère en Macédoine, notamment en essayant de la guider vers l’UE et l’OTAN. L’institutionnalisme partagé que la Bulgarie espère conclure avec la Macédoine, n’est qu’une façade tactique pour améliorer sa capacité à contrôler les affaires de son voisin, une forme de néo-impérialisme occidental dirigé avec Sofia, agissant comme le bon gars qui manipule en coulisse.
Cette façon d’imposer son influence, n’est pas la même que l’occupation militaire qui a eu lieu au cours de la Seconde Guerre mondiale. Elle est une manière plutôt plus subtile, mais non moins efficace, de faire en sorte que la Macédoine reste sous la domination de la Bulgarie. Le plus frappant, c’est que lorsque la Macédoine était à son point culminant de vulnérabilité au cours des dernières années, quand elle subissait une tentative de révolution de couleur en mai 2014 [2015 ?, NdT], la Bulgarie a déplacé de manière provocante son armée à la frontière afin de se prémunir contre les terroristes inexistants, mais en réalité pour appliquer une pression anti-gouvernementale d’intimidation contre les autorités. Comme pour le cliché, «les actions parlent plus que les mots», et bien que la Grande Bulgarie ne soit pas formellement adoptée par Sofia ou ses principaux représentants, ses manifestations physiques et les actions symboliques disent le contraire. Étant donné le comportement de la Bulgarie au cours des 24 dernières années de l’indépendance macédonienne, il est très probable qu’elle va continuer ses actions tactiques hégémoniques et chercher malicieusement à exploiter toute nouvelle déstabilisation subie par son voisin, afin de parvenir à cette fin.

Grèce

Le conflit de nom entre la Grèce et la Macédoine est l’obstacle le plus sérieux aux relations bilatérales, et cette seule question a des nuances historiques et identitaires très profondes pour les deux parties. Sans entrer dans les détails de la brouille entourant cette prise de bec, il est généralement admis que la République de Macédoine veut simplement confirmer son identité nationale, alors que la Grèce ne reculera devant rien dans sa quête pour intimider l’identité de son voisin historiquement établie, en acceptant un nom de compromis qui réfute son existence comme nation et même son existence tout court. Cette question est d’une telle importance obsessionnelle en Grèce, qu’Athènes a refusé à plusieurs reprises de permettre à la Macédoine d’entrer dans l’UE et l’OTAN, au moment où son gouvernement pro-occidental le désirait sincèrement, créant ainsi ironiquement la situation dans laquelle le pays est maintenant, l’un des derniers lieux indépendants du continent.
En appliquant le conflit autour du nom aux relations politiques contemporaines entre les deux voisins et sa pertinence pour les guerres hybrides, il est indéniable à ce stade, que les autorités grecques ont délibérément facilité le transport de centaines de milliers de réfugiés à la frontière macédonienne. Elles ne les ont pas  envoyés en direction de l’Albanie ou de la Bulgarie, mais précisément vers la République de Macédoine, ce qui suggère que certaines autorités grecques peuvent avoir eu l’intention malveillante de subvertir la stabilité de leur voisin, en raison du conflit autour de son nom. Ce n’est peut être pas une politique officielle, mais les autorités grecques locales, lors du débat pour savoir où envoyer les réfugiés, ont la plupart du temps toutes décidé que la République de Macédoine devrait payer, comme moyen de rétorsion pour ne pas avoir fait de compromis sur leur identité.

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De plus, tous les Grecs étaient au courant de l’instabilité due à la Révolution de couleur qui a menacé le gouvernement macédonien en mai 2015. Donc de leur point de vue, envoyer une autre source de désordre à leurs frontières pouvait aider à faire émerger les conditions d’une opposition amicale envers les Grecs (Zaev a laissé entendre qu’il accepterait un nom de compromis s’il prenait le pouvoir). On dit qu’il y a eu depuis lors, une campagne concertée dans les médias internationaux par les organisations affiliées à Soros, essayant de salir le gouvernement au pouvoir pour sa mauvaise gestion de la crise des réfugiés. Il n’y avait probablement pas de coordination entre les actions contraires à l’éthique et irresponsables des autorités grecques locales, d’envoyer une masse écrasante de réfugiés vers la République de Macédoine et les groupes liés à Soros, mais ce dernier y a probablement vu instantanément une occasion de capitaliser sur le temps perdu pour faire avancer son agenda.

Aussi enfantin que ce raisonnement puisse paraître à la plupart des lecteurs – que la Grèce puisse saper son voisin avec des centaines de milliers de réfugiés, tout simplement à cause d’un conflit de nom – est en fait assez logique, du point de vue grec, en raison de l’importance d’un problème devenu un élément important de l’identité nationale. La Grèce n’aurait probablement jamais été directement impliquée dans une guerre hybride éclatant en République de Macédoine, mais il y a déjà eu assez de pré-conditionnement structurel perturbateur pour infliger des dégâts dans ce pays avec ce qui s’est passé. Si on approfondit encore cette compréhension, on peut aussi faire valoir que l’afflux incontrôlable de réfugiés que la Grèce a facilité (rappelez-vous, elle ne les a pas dirigés vers l’Albanie ou la Bulgarie), a permis à contribuer à une situation intérieure plus instable en Macédoine. Un nombre inconnu de terroristes stay-behind peuvent s’être glissés par ce chemin (en dehors de toute connaissance des autorités grecques, bien sûr) et pourraient être activés lorsque le signal de la guerre hybride sera éventuellement donné, au moment des élections anticipées d’avril 2016.

Éviter l’effondrement

Les États-Unis veulent pousser la Macédoine sur la voie de l’auto-destruction organisée de l’extérieur, de façon à la faire coïncider avec les élections anticipées d’avril 2016, mais cela ne veut pas dire que les plans de Washington sont inévitables. Il est très possible que la Macédoine sache une fois de plus repousser l’assaut asymétrique prévu contre elle, mais à condition qu’elle reconnaisse la vraie nature de la menace qui pèse sur elle cette fois-ci, et s’engage dans des préparations appropriées pour neutraliser ce scénario.

Stratégie des États-Unis

Le terrain de la guerre hybride des États-Unis contre la Macédoine est composé de trois étapes qui évoluent rapidement et qui sont conçues pour jeter le pays dans le chaos, peu après leur mise en œuvre.
Provocations de dernière Minute
L’opposition a déjà réalisé une série de provocations politiques contre le gouvernement, mais il est probable qu’elle économise ses meilleures cartouches pour les sortir peu avant le 5 juin, date de début de l’élection. Il est impossible de savoir avec précision ce que cela pourrait entraîner, mais une estimation raisonnable est que cela tournerait autour de quelque chose lié aux agences de renseignement occidentales manipulant des écoutes électroniques. Un autre scénario possible, serait que les membres de l’opposition à l’intérieur du gouvernement de transition (qui doit être formé dans les 100 jours précédant le vote) pourraient se livrer à une provocation de l’intérieur, pour produire un scandale de dernière minute impliquant trompeusement le gouvernement pour le forcer à une brutale campagne de dommages contrôlés difficile à mener, un ou deux jours avant l’élection proprement dite. Une combinaison des deux possibilités (une provocation dedans, aggravée par une fuite autour d’écoutes électroniques connexe) est également envisageable.

Il y a aussi le risque qu’une provocation terroriste éclate à la dernière minute, et cela impliquerait plus que probablement une cellule UCK, comme à Kumanovo, en réalisant avec succès une ou plusieurs attaques. Le but visé par ce genre de provocation, serait d’irriter la communauté albanaise pour qu’elle soit induite en erreur par les dirigeants communautaires alliés des Occidentaux. Elle pourrait ainsi boycotter massivement l’élection et / ou marcher contre le gouvernement le jour de l’élection, ou alors déstabiliser sérieusement le vote et remettre en question la légitimité du scrutin, s’il se révèle qu’une grande partie de la communauté albanaise (estimée à au moins 25% de la population mais obtenant une proportion égale des sièges parlementaires par l’accord d’Ohrid) a délibérément choisi de s’abstenir.

Cela provoquerait un tollé en Occident, qui appuierait totalement les protestataires Albanais et demanderait l’invalidation du vote et / ou la démission du parti VMRO au pouvoir. Faute de répondre à ces exigences, cela donnerait un prétexte aux États-Unis pour intensifier leur tentative de changement de régime contre la Macédoine.
Déstabilisation post-électorale
La déstabilisation post-électorale de Macédoine peut prendre deux voies, en fonction bien sûr des tarifs de l’opposition. Si elle ne fait pas aussi bien qu’attendu (ce que les sondages indiquent très probablement), elle redescendra protester dans les rues (peut-être après le recrutement de certains partisans parmi les réfugiés) et tentera de suivre exactement le même chemin que celui suivi en mai 2015. La différence essentielle, cependant, est qu’elle va tout faire pour duper la plupart des Albanais et les inciter à s’engager avec elle, après avoir appris que le blâme pour l’absence de ce groupe démographique critique est en grande partie dû à leurs protestations antérieures qui ont fait long feu et ont perdu le soutien des médias internationaux. Le défi est que les Albanais ne veulent pas perturber l’harmonie ethnique qui leur a déjà procuré tant d’avantages depuis que l’accord d’Ohrid a été mis en œuvre, et qu’ils ont déjà prouvé leur loyauté à une Macédoine unifiée en résistant à la tentation de s’organiser contre le gouvernement la dernière fois. En raison de la nécessité stratégique de les faire participer à la tentative de Révolution de couleur post-élection de l’opposition (la principale leçon apprise de l’édition de mai 2015), il est fort probable que diverses provocations sous faux drapeau seront tentées au même moment pour les imputer au gouvernement.

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L’autre branche prévisible du scénario qui pourrait se développer après les élections, serait que l’opposition trouve un moyen de truquer les sondages et de gagner, ce qui aurait immédiatement pour effet d’inciter à un mouvement de contre-Révolution de couleur par les partisans pro-gouvernementaux du pays et les citoyens patriotes. Cette fois, cependant, ils ne se présenteraient pas comme des acteurs du statu quo essayant de maintenir la stabilité, mais comme de mauvais perdants dégoûtés par la démocratie et essayant d’intimider les vainqueurs en annulant le vote. Il va sans dire que ce contexte modifié (il n’y avait pas d’élection en cours en mai 2015 pendant la Révolution de couleur) ferait toute la différence concernant la façon dont l’Occident répondrait, permettant aux États-Unis et à l’UE de dépeindre de façon prévisible les patriotes macédoniens comme des insurgés violents (peut-être même comme des terroristes) et de ne jamais reconnaître les succès politiques que les insurgés pourraient obtenir en faisant reculer le coup d’État réalisé avec la Révolution de couleur. Même s’ils devaient récupérer soudainement leurs pertes institutionnelles et trouver un moyen d’invalider le scrutin frauduleux, le pays serait placé sous des sanctions occidentales intenses, jusqu’à ce que l’opposition soit en mesure de contrôler de nouveau le gouvernement, par le vote ou par les balles.
Commençons la guerre hybride
Le cours des événements de la guerre hybride dépend évidemment de ce qui se passe dans le sillage immédiat des élections. Chaque cas de violence de rue entre les patriotes et l’opposition pourrait enflammer les tensions dans le pays et pousser l’un ou l’autre côté (en fonction de qui a remporté l’élection et de quel côté proteste contre l’autre) à prendre les armes contre le gouvernement. On peut rapidement transformer une révolution de couleur qui aurait échoué en une guerre non conventionnelle. En outre, un foyer de conflit physique entre les Macédoniens de souche (que ce soient des patriotes ou l’opposition) et les Albanais de souche pourrait aussi pousser le pays plus près de l’abîme. Dans le cas d’un conflit armé, la façon la plus réaliste dont chaque côté pourrait sortir par le haut, serait d’obtenir le soutien de la communauté ethnique albanaise. Il est également probable que ce groupe démographique pourrait lui-même être partagé, selon qui il soutient. Dans une telle situation, les chances stratégiques seraient en équilibre, et il serait extrêmement difficile de dire qui, des patriotes ou de l’opposition, gagnerait.

Si le pays entre dans un scénario d’effondrement en chute libre, la convoitise irrédentiste de la Grand Albanie et de la Grande Bulgarie va commencer à frapper à la porte, Tirana soutenant les terroristes albanais et Sofia à l’affût d’un geste pour envahir les territoires majoritairement macédoniens ethniquement. Pour ce dernier scénario, la Bulgarie pourrait le faire sous le couvert d’un appel à l’aide (que ce soit par un gouvernement d’opposition ou comme une brusque agression contre les autorités légitimes) ou pour protéger ses frontières du terrorisme (la même raison pour laquelle elle a commencé à déployer des troupes en mai 2015). Il y a en fait un risque réel d’un véritable terrorisme albanais et / ou de réfugiés affiliés, éclatant en même temps au milieu de la crise dont on vient de parler. La Bulgarie pourrait alors effectivement avoir un argument assez convaincant à avancer si elle décide d’aller dans cette voie. Cependant, il est peu probable qu’un foyer de terrorisme se développe à proximité de ses frontières, de sorte que se serait vraisemblablement un abus de situation pour avancer à l’intérieur de la Macédoine et faire progresser ses propres objectifs, tout comme la Turquie et les puissances occidentales le font en Syrie aujourd’hui.

L’objectif final de ces voisins à la fois ombrageux et irrédentistes est de diviser la Macédoine entre eux, en utilisant la crise fabriquée par les Américains dans le pays comme prétexte. Le soutien de l’Albanie à ses terroristes ethniquement affiliés, est fondé sur le principe selon lequel ils vont accélérer la création de la Grande Albanie, soit sous la forme d’une fédéralisation de la partie albanaise quasi-indépendante de Macédoine en une entité artificielle et occupée comme le Kosovo, soit par l’annexion pure et simple comme pendant les années fascistes. En cas de succès de l’une ou l’autre de ces méthodes, la Macédoine sous sa forme actuelle cessera d’exister. Le pays sera fortement affaibli, permettant à la Bulgarie de fondre sur elle en application directe ou indirecte de ses intentions hégémoniques. La Bulgarie pourrait même travailler en tandem avec l’Albanie pour provoquer la partition de la Macédoine, avec l’argument que les parties albanaises peuplées indépendantes ou indépendantes de facto du pays, auraient créé un déséquilibre interne qui ne pourrait être corrigé que par des relations plus étroites de l’État croupion avec la Bulgarie, apparemment sur la base de sa sécurité. Si on en vient à cela, la Macédoine deviendra un partenaire junior de la Bulgarie, et les rêves de certains à Sofia pour recréer la Grande Bulgarie seront beaucoup plus proches de la réalité qu’ils ne l’ont jamais été depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.

La défense de la Macédoine

Malgré le chaos méticuleusement planifié que les États-Unis envisagent de provoquer en République de Macédoine, le pessimisme ne finira pas forcément par l’emporter. Le plus grand avantage défensif que la Macédoine a pour elle, est son patriotisme de renommée mondiale, qui a écrasé la première tentative de Révolution de couleur. Dans la préparation de sa répétition, il est impératif que les autorités macédoniennes et les éléments patriotes de la société civile continuent de mettre l’accent sur la trahison qui se trame contre leur pays. Il est important de rappeler au citoyen moyen le soutien extérieur à l’opposition et le fait que leur pays n’est qu’un pion dans l’offensive géopolitique plus vaste d’une nouvelle guerre froide par procuration que les États-Unis envisagent de mener contre les méga-projets multipolaires de la Russie et de la Chine. Si les gens ordinaires comprennent l’énormité de ce qui est en jeu et le poids que les États-Unis pourraient y investir pour atteindre leurs objectifs, ils seraient moins sensibles à toutes les provocations de dernière minute que l’opposition pourrait projeter. En outre, insister sur la réussite du bilan économique du gouvernement et la croissance de l’infrastructure visible depuis 2006, serait un moyen efficace et facilement utilisable de rappeler aux électeurs ce qui pourrait être perdu si l’opposition gagnait ou commençait une guerre hybride pour prendre le pouvoir.

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Ce qui est indéniable, cependant, c’est que le gouvernement et ses collègues patriotes ont besoin de faire appel à la minorité albanaise afin de maintenir la stabilité à long terme. Cela signifie que leurs manifestations de soutien doivent être inclusives et non entièrement axées sur les Macédoniens de souche. Cela permettrait de se dégager d’un message négatif et de ne pas directement faire le jeu de la guerre de l’information de l’opposition, qui prétend à tort que le gouvernement ne se soucie pas de leurs intérêts. Certaines méthodes véhiculées par le récit artificiel des affiliés de Soros pourraient être efficacement contrées, si la communication comprend la promotion de la réussite que les Albanais ont connue depuis les accord d’Ohrid. En soulignant que les Albano-Macédoniens ont un niveau de vie plus élevé que si ils vivaient partout ailleurs dans la région (à savoir l’Albanie et la province occupée de Serbie du Kosovo), et en leur rappelant que le Parti démocratique d’Albanie est un partenaire de la coalition avec le gouvernement VMRO au pouvoir.

En termes de défenses structurelles, le gouvernement macédonien doit absolument trouver un moyen de contrôler l’afflux de réfugiés dans le pays, et  prendre des mesures résolues pour défendre les parties exposées de la frontière et guider les individus dans des installations structurées. Ensuite, les autorités devraient suivre ou éventuellement accompagner les réfugiés, puisqu’ils transitent par la Macédoine, et idéalement atteindre un accord coordonné avec la Serbie et d’autres pays en aval des Balkans. Cela afin d’accélérer le passage de ces personnes en provenance des Balkans et de les transporter rapidement en Europe centrale, du Nord et occidentale. Bien sûr, les réfugiés légitimes qui désirent sincèrement s’intégrer et s’assimiler à la culture macédonienne devraient être autorisés à rester, selon l’engagement éthique du pays à la charte des Nations Unies. Mais tous ceux qui ne remplissent pas ces critères constituent une menace pour la sécurité du pays et devraient être vivement redirigés vers l’une ou l’autre direction. Dans le même ordre d’idée, il sera nécessaire pour l’armée de rester en état d’alerte tout au long de cette période, car elle devra réagir rapidement à tout foyer de terrorisme albanais et / ou réfugiés affiliés, avant, pendant et immédiatement après le résultat des élections. Le professionnalisme des services de sécurité est donc le complément structurel nécessaire au soutien social apporté par la population patriotique. Si ces deux éléments de sécurité démocratique continuent d’interagir de façon transparente à l’avenir, il y a une très forte probabilité que la République de Macédoine vainque une fois de plus ces plans de guerre hybride concoctés par les États-Unis et préserve l’avenir de la multipolarité dans les Balkans.

Andrew Korybko est un commentateur politique américain qui travaille actuellement pour l’agence Sputnik. Il est en troisième cycle de l’Université MGIMO et auteur de la monographie Guerres hybrides: l’approche adaptative indirecte pour un changement de régime (2015). Ce texte sera inclus dans son prochain livre sur la théorie de la guerre hybride.

Le livre est disponible en PDF gratuitement et à télécharger ici 

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