Article original de Dmitry Orlov, publié le 16 juillet 2018 sur le site Club Orlov
Traduit par le blog http://versouvaton.blogspot.fr
Palmier Encoberto
À l’insu de tous, la troisième guerre mondiale fait rage depuis près de trois décennies, depuis l’effondrement du mur de Berlin. Elle a été précédé par la Guerre froide, qui a pris fin lorsque Mikhaïl Gorbatchev a capitulé face à l’Ouest, provoquant la dissolution du Pacte de Varsovie dans la confusion. En dépit de sa capitulation, l’Occident n’a jamais abandonné son plan de détruire le Pacte de Varsovie avec certaines parties de l’ex-URSS, puis de conquérir et démembrer la Russie elle-même. En l’absence de toute menace militaire à l’Est, l’OTAN, avec son jumeau parasite, l’Union européenne, s’est implacablement étendue vers l’Est, engloutissant pays après pays. Elle a maintenant conquis l’ensemble du Pacte de Varsovie, plus la Moldavie et les trois minuscules États baltes, et elle se lance maintenant vers d’autres espaces de l’ex-URSS : l’Ukraine, la Géorgie et l’Arménie. La raison pour laquelle presque personne en Occident ne se rend compte que la troisième guerre mondiale a eu lieu est que l’Occident a subi un effondrement mental aussi profond que l’effondrement physique de l’URSS. La Russie s’est remise de son effondrement ; l’Occident ne le fera probablement jamais.
Bien que l’Occident prétende lutter contre la Russie, c’est un pur fantasme. La posture défensive de la Russie est telle qu’aucune stratégie militaire contre elle n’est même planifiable. La doctrine militaire russe stipule qu’il n’y aura plus de guerres sur le sol russe : si elle est envahie, elle livrera immédiatement le combat à l’ennemi en utilisant des armes de précision à longue portée, y compris à portée intercontinentale. Elle stipule également que la Russie répondra à toute menace existentielle en utilisant des armes nucléaires si besoin est. Et donc le Pentagone, avec l’OTAN en remorque, ne rêve même plus d’attaquer la Russie. Ce rêve était vivant à un moment donné, quand les États-Unis ont cru possible d’éliminer la capacité de dissuasion nucléaire de la Russie en utilisant une première frappe nucléaire, mais depuis lors, la Russie s’est réarmée avec des armes plus avancées que les États-Unis. Le rêve est maintenant mort.
Au lieu de cela, l’effort consiste à « contrer une agression russe » qui n’existe pas. La Russie n’est simplement pas intéressée à envahir qui que ce soit ; elle a déjà toutes les terres et toutes les ressources naturelles dont elle pourrait avoir besoin. Après s’être réarmée et avoir fait ses preuves en Syrie, la Russie réduit maintenant ses dépenses de défense en faveur de programmes nationaux qui profiteront à sa population. Comparez cela aux dépenses de défense aux États-Unis et dans le reste de l’OTAN : elles établissent de nouveaux records. Clairement, l’Occident ne combat pas la Russie. Il se bat contre lui-même, et par conséquent, il va, par définition, à la fois perdre et gagner, en même temps. Avec ses dépenses militaires – de loin les plus importantes et le plus insensées du monde – les États-Unis se sont engagés dans la voie de la désagrégation financière, comme l’URSS auparavant.
Tout en prétendant combattre la Russie, l’Occident a attaqué et détruit des pays du monde entier – la plupart du temps avec beaucoup de succès, mais à quelques exceptions près. L’Afghanistan, l’Irak et la Libye sont maintenant en ruines. Ce succès est quelque peu tempéré partout où la Russie devient tangentiellement impliquée ; dans ces cas, le résultat inévitable est un état fragmenté et semi-défunt : l’Ukraine moins le Donbass et la Crimée, la Géorgie moins l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud et le prix dément de la province d’Idlib (la réserve à Gremilins désignée) moins le reste de la Syrie. Partout où les Occidentaux empiètent sur les intérêts russes, ouvertement et violemment ou par la boxe de l’ombre, la Russie impose facilement des lignes rouges que l’Occident n’ose pas affronter.
La seule sorte de guerre « chaude » entre l’Occident et la Russie (qui n’est vraiment que tiède) est dans le domaine des sanctions économiques, et la Russie en est très reconnaissante. Ces sanctions ont été très utiles pour stimuler le remplacement des importations, pour donner un élan nécessaire à la dédollarisation et pour développer des alternatives à la finance occidentale, tandis que les contre sanctions contre les exportations agricoles de l’UE ont stimulé l’agriculture russe. Depuis que les sanctions ont été imposées sur l’insistance des États-Unis, tout en nuisant largement aux pays de l’UE, elles ont contribué à désunir l’Occident. En vérité, la Russie ne pouvait pas demander un meilleur ennemi : impressionnant seulement sur le papier et toujours désireux de marquer contre son camp.
Mais toutes les bonnes choses doivent finalement prendre fin, et même la troisième guerre mondiale ne peut pas durer éternellement. Cette prise de conscience s’impose lentement, entraînant un comportement de trahison au sein du camp occidental alors que les différents États récemment conquis commencent à se retourner vers Moscou. Le président moldave, Dodon, a déclaré que son adhésion à l’UE ne mettrait pas en péril ses bonnes relations avec la Russie. La révolution colorée des manuels scolaires en Arménie a conduit le nouveau président soi-disant pro-occidental à se précipiter pour rassurer tout le monde sur le fait que l’Arménie restera un allié fidèle de la Russie, nonobstant les accords de coopération de l’UE.
Pendant ce temps, à travers l’océan Atlantique, les divers plans financiers frauduleux qui ont permis aux États-Unis, avec l’OTAN en remorque, de se noyer dans l’oubli, montrent des signes d’effondrement. Les barrières douanières appliquées aux pays avec lesquels les États-Unis accusent des déficits commerciaux obligeront la production à se tourner vers les producteurs nationaux. Mais il y a une raison pour laquelle ces produits ont été importés : les États-Unis sont un producteur relativement coûteux. Ramener la production au pays va donc entraîner de l’inflation. Et comme une grande partie de la dette américaine est indexée sur l’inflation, les paiements d’intérêts vont rapidement engloutir le budget fédéral. La seule solution est que les États-Unis commencent à augmenter encore plus rapidement leur dette, mais alors la dédollarisation va progresser à travers le monde et la demande pour la dette américaine sera en baisse.
Ce manque à gagner imminent dans les dépenses de défense peut-il être compensé ailleurs ? Eh bien non ; la France et l’Allemagne – les pays qui constituent le noyau de l’Imperium occidental – rejettent les demandes américaines d’augmentation des dépenses de défense, réalisant, malgré leur propre rhétorique, qu’il s’agit d’un gaspillage d’argent pur et simple. Il apparaît progressivement que les nouveaux systèmes d’armements défensifs et offensifs de la Russie ont rendu la plupart des armements occidentaux obsolètes et empêcheront les forces occidentales d’opérer dans les zones où ces nouvelles armes sont déployées. Par conséquent, ils sont en forte demande dans le monde entier. La Turquie, le deuxième membre de l’OTAN [par l’importance des troupes, NdT], cherche à acquérir plusieurs bataillons de systèmes de défense antiaérienne S-400, malgré les vives protestations américaines. L’Arabie saoudite, un allié américain convaincu, cherche à faire de même, ayant réalisé que les missiles Patriot de Raytheon qu’elle avait acquis sont pires qu’inutiles. En investissant plus d’argent dans les poches de Raytheon, Lockheed Martin, Boeing, BAE System ou d’autres entreprises de défense américaines, certains riches deviendront encore plus riches, mais cela ne rendra pas leurs produits plus abordables ou plus efficaces.
Pendant ce temps, l’OTAN continue d’avancer – une fuite en avant vers nulle part. L’OTAN est un mastodonte bureaucratique plus une poignée de soldats qui n’ont pas mené à bien une seule mission depuis des décennies. La bureaucratie se concentre sur la construction de l’Empire, toujours à la recherche de plus de points sur la carte à colorier, dans le but… d’ajouter à la taille de sa bureaucratie, bien sûr ! Mais il n’y a nulle part vers où l’OTAN puisse se développer une fois que les minuscules miettes du Monténégro et de la Macédoine auront été englouties. Ni l’Ukraine ni la Géorgie ne sont digestes puisque ces deux pays ne contrôlent même plus leurs propres territoires. En désespoir de cause, les bureaucrates de l’OTAN ont décidé de s’étendre… en Colombie, faisant de cette nation sud-américaine un « partenaire de l’OTAN ». Peut-être un changement de nom est-il en train de faire tomber le « N » ?
Ou peut-être est-il temps d’arrêter toute cette opération ? Mais comment ? La réponse est évidente : la troisième guerre mondiale doit se terminer par une victoire retentissante de l’Occident sur lui-même. La manière exacte de procéder est une question de propagande, mais comme en Occident la plupart des organisations médiatiques sont très peu nombreuses et largement contrôlées par la CIA, l’effort d’écriture de scénarios devrait être facile à organiser. Notez que la nouvelle réalité n’a pas besoin d’avoir quelque chose à voir avec la réalité réelle. Cela peut être une ruse transparente, comme « l’agression russe » (par laquelle la Russie est prête à envahir la Lituanie ou l’Estonie – une suggestion qui fait rire les Russes) ou l’idée que la Russie « a envahi » la Crimée ou l’Ukraine orientale. Les médias occidentaux mentent tous les jours, que ce soit sur les attaques chimiques syriennes ou sur les empoisonnements russes « hautement probables » au Novitchok en Angleterre. Les populations de l’Ouest sont déjà habituées à être trompées, ce serait donc plus ou moins la même chose.
Mais puisque l’Occident a combattu contre lui-même lors de cette troisième guerre mondiale, sa victoire sera aussi sa défaite. En effet, non seulement il est en train de perdre, mais il est également envahi – par des foules de migrants des différents pays qu’il a détruits, les ayant utilisés comme ennemis de substitution dans sa bataille fictive contre la Russie. Donnez-lui quelques décennies de plus, et à ce rythme, l’Occident ne sera plus, sa population à reproduction lente étant remplacée par les nouveaux venus beaucoup plus féconds. Les pays qui le composent se dissoudront dans une mer de migrants et ressembleront aux régions les plus peuplées du Tiers Monde. Cela rendra sans doute les Russes un peu tristes ; après tout, ils n’auraient pas pu demander un meilleur ennemi.
Dmitry Orlov
Le livre de Dmitry Orlov est l’un des ouvrages fondateur de cette nouvelle « discipline » que l’on nomme aujourd’hui : « collapsologie » c’est à-dire l’étude de l’effondrement des sociétés ou des civilisations.
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