mardi 4 juillet 2017

Serbie et Pologne : un grand revirement de la part des médias alternatifs ?

Article original de Andrew Korybko, publié le 17 Juin 2017 sur le site Oriental Review
Traduit par le blog http://versouvaton.blogspot.fr 

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Les développements récents en Serbie et en Pologne en ont incité beaucoup, dans la communauté des médias alternatifs, à repenser leur attitude à l’égard de chaque gouvernement respectif.


La surprise serbe

Les gouvernements ne représentent pas toujours le peuple, et nulle part cela n’est plus clair aujourd’hui qu’en Serbie. Le Premier ministre pro-occidental, le président Alexander Vucic, a simplement nommé une femme croate ouvertement gay et ancienne employée de l’USAID, Ana Brnabic, pour diriger le gouvernement, en attendant sa confirmation attendue par le Parlement la semaine prochaine. Cela contredit complètement l’identité conservatrice basée sur les valeurs et la multi-polarité auxquelles la majorité des Serbes adhèrent. En soi, l’appartenance ethnique, le genre et l’identité sexuelle de Brnabic sont ses affaires personnelles. Seules ses opinions politiques et sa carrière professionnelle sont directement pertinentes pour la majorité des Serbes en raison de sa position de leader proposée, mais néanmoins, le « paquet complet » intrigue beaucoup en raison de ce qu’il représente.
Ana Brnabic
Sans méconnaitre le dogme de « l’exactitude politique », le fait est que la nomination de Brnabic a choqué de nombreux Serbes en raison de sa radicalité au sens symbolique – et peut-être bientôt dans un sens substantiel. Certaines personnes craignent que l’alignement sur son identité sexuelle, sa carrière professionnelle et ses opinions politiques avec ses préférences pour l’élite dirigeante de l’UE (son genre et son origine ethnique ne sont pas un problème pour la personne moyenne) entraînera l’imposition accélérée des valeurs néolibérales « sur la Serbie », complétant ainsi la transformation post-communiste du pays en un État vassal, archétype à l’Ouest. En outre, la Serbie a été justement considérée depuis longtemps comme le centre de gravité de la région, et la nomination par Vucic de Brnabic en tant que Premier ministre envoie le message très fort qu’elle est la sorte de politicien que Bruxelles veut pour diriger le reste des Balkans.

Populisme polonais

Ce qui se passe en Serbie est tragique du point de vue des conservateurs du pays, même si il est assez intéressant de constater que les individus ayant des prédispositions à cette valeur idéologique connaissent une tendance inattendue au renouveau en Pologne, parmi tous les pays. Le Parti du droit et de la justice, connu sous l’abréviation de PiS, est parvenu au pouvoir à la fin de l’année 2015 dans un glissement de terrain parlementaire sans précédent et il a pris le plein contrôle du pays. Le nouveau gouvernement a rapidement redirigé la politique pour imiter l’agenda conservateur du Premier ministre hongrois, ce qui a suscité instantanément une crise d’identité du pays qui a eu un écho international avec l’émergence de manifestations à grande échelle pro-UE et de condamnations des forces libérales occidentales. Si on prend la défense du PiS, le nouveau gouvernement met simplement en œuvre la volonté oubliée du peuple, le même populisme socio-économique et culturel qui avait été piétiné par l’ancien Premier ministre et président du Conseil européen du Conseil de l’UE, Donald Tusk, du parti pro-Bruxelles Civil Platform (PO).

Il est très curieux que la Pologne monte au firmament comme une icône conservatrice en Europe, compte tenu de sa tutelle historique en tant que représentante militaire pro-américaine en Europe de l’Est, mais cela vaut seulement pour prouver combien soudainement les choses changent dans le monde. Au moment de sa prise de pouvoir, ce parti s’opposa fortement à l’ordre transatlantique néolibéral dirigé par Obama, mais après l’arrivée de Trump, Varsovie est plus en phase avec la longueur d’onde socioculturelle de Washington. Les gouvernements post-communistes de Pologne, et en particulier le PiS, ont toujours été fortement favorables à une implication illimitée de l’OTAN dans le pays, ce qui est certainement un point de variance avec la plupart des gens de la communauté des médias alternatifs. Néanmoins, les progrès considérables de Varsovie dans le rétablissement des valeurs religieuses traditionnelles, la promotion d’une forme légère de populisme économique et la résistance à la transformation existentielle de l’État par l’afflux incontrôlable des « armes de migration de masse » civilisationellement dissemblables tout au long de la crise des migrants ont donné lieu à des louanges de la part des mêmes cercles de médias alternatifs.

Comparer les pommes et les oranges ?

Quant à la Serbie, la situation est quelque peu différente. Des anti-impérialistes authentiques partout dans le monde louent ce pays pour avoir une fière histoire de résistance à la domination extérieure et pour avoir lutté contre toutes les forces contraires, et ils voient généralement la Serbie comme un pilier des valeurs orthodoxes malgré son gouvernement pro-occidental. Bien que le respect absolu de l’histoire et du peuple de la Serbie subsiste, son soutien au gouvernement de la nation s’est considérablement érodé au cours des dernières années, la nomination de Brnabic par Vucic étant la dernière goutte.

Bien que l’on puisse dire que la Serbie n’est pas membre de l’OTAN, comme la Pologne, et qu’elle n’est certainement pas russophobe, il ne faut pas négliger le fait que Belgrade a passé un accord controversé de statut de forces (SOFA) avec le bloc en 2016 qui permet la libre circulation des troupes et des véhicules à travers le pays, entre autres concessions unilatérales. Par conséquent, alors que la Serbie est légalement un pays neutre militairement, elle a en fait bougé pour s’associer plus étroitement avec l’OTAN.
Les Serbes protestent contre SOFA
La différence de relations avec l’OTAN entre la Pologne et la Serbie est évidente : Varsovie est beaucoup plus importante pour les stratégies militaires de Washington vis-à-vis de Moscou, car la Pologne peut menacer plus directement la sécurité nationale de la Russie, alors que Belgrade est loin d’être aussi significatif à cet égard car aucun intérêt russe direct n’est menacé par le SOFA. En outre, l’ampleur de la coopération est qualitativement différente, puisque la Pologne est la plate-forme de lancement de l’OTAN en Europe de l’Est et héberge une partie du soi-disant « bouclier de défense antimissile ». En revanche, la Serbie n’a pas de relation avec l’OTAN et elle ne peut fonctionner de manière réaliste que comme une autoroute entre la Croatie et la Hongrie vers l’Albanie et la Grèce (potentiellement même la République de Macédoine si son gouvernement issu d’un coup d’État de-facto se joint au bloc dans les années à venir). Par conséquent, si l’on compare la Pologne et la Serbie, Belgrade est infiniment plus attrayante que Varsovie si la coopération de l’OTAN est le seul critère [Étrange conclusion ??, NdT].

Néanmoins, d’autres facteurs de comparaison sont certainement en jeu parce que les principes socioculturels deviennent désormais aussi importants que la posture militaire pour de nombreuses personnes, ce qui permet de changer le statut de la Pologne et de la Serbie dans la communauté des médias alternatifs en ce qui concerne la manière dont les autres évaluent leurs gouvernements. Dans ce cas, les autorités de la Pologne sont beaucoup plus attrayantes que celles de la Serbie à la lumière de la défense des valeurs socioculturelles traditionnelles du PiS et de l’opposition non déclarée de Vucic à ces valeurs. Ni l’un ni l’autre de ces pays n’est amical envers l’arrivée de immigrants clandestins dissemblables, mais la Serbie a été contrainte de devenir un « parking » temporaire pour certains d’entre eux, alors que la Pologne a refusé catégoriquement d’en accepter un seul et est actuellement sanctionnée par Bruxelles pour cette raison. Cependant, il faut dire que les autorités polonaises n’ont aucun scrupule à faciliter de manière irresponsable la migration massive des Ukrainiens vers leur pays, ce qui, malgré la similitude civilisationnelle de ce groupe, pourrait encore constituer une menace imminente et très dangereuse à long terme.

En dehors de cela, un autre point de contraste entre les deux États est que tout le monde a pris pour acquis que le gouvernement de la Pologne sera toujours pro-occidental, c’est pourquoi le changement est venu comme une agréable surprise alors que ses nouvelles autorités se sont affrontées avec Obama et Merkel, même si elles ont beaucoup de choses en commun avec Trump aujourd’hui. De l’autre côté, c’est une déception pour beaucoup que le gouvernement de la Serbie ait cédé à l’Occident en tant que collabo en dépit de leur fière histoire nationale de résistance et que certains Serbes comprennent la nomination de Brnabic comme une humiliation auto-infligée inoubliable au plus haut degré et même une capitulation pure et simple à l’ordre mondial néolibéral (défaillant).

Par comparaison, cependant, le gouvernement de la Pologne est encore beaucoup plus pro-américain que celui de la Serbie, mais cela devient également une question de subjectivité morale lorsque l’on considère que Belgrade est beaucoup plus proche de l’UE. Du point de vue multipolaire, les deux sont indésirables, mais l’Amérique de Trump défend les valeurs conservatrices sur le plan national (mais pas nécessairement à l’étranger, comme l’indique la situation de la Macédoine), alors que l’UE oblige ses vassaux à se soumettre à sa doxa néolibérale comme pour la Serbie. Si l’on devait choisir, les positions socio-culturelles promues par la Pologne sont plus attrayantes que celles imposées à la Serbie.

Pensées finales

Dans l’ensemble, cet exercice de pré-flexion n’est pas censé, de quelque manière que ce soit, justifier ou blanchir la relation entre les pays (en particulier la Pologne) et les forces unipolaires de l’OTAN, des États-Unis et de l’UE, ni attaquer la situation personnelle de Brnabic, ni inférer en quoi que ce soit de négatif à propos de la circonscription nationale qu’elle doit représenter, mais sert seulement à démontrer la complexité croissante des relations internationales à l’heure actuelle et montrer combien il est difficile pour les observateurs de « soutenir » sans réserve un acteur ou un autre. Il n’y a pas de « gouvernement parfait » ou de « politicien parfait », et il y aura toujours des éléments qui s’opposent avec les principes de chacun, mais l’important est de différencier l’état et les citoyens et de ne jamais les juger en fonction de l’autre.

Cela dit, alors que la grande majorité des anti-impérialistes sincères de la communauté des médias alternatifs soutiendra toujours le peuple serbe et respectera le non-alignement nominal de son gouvernement dans les affaires militaires, il existe une tendance incontournable à se distancier de son gouvernement actuel à cause de l’embarras qu’il provoque et il pourra reconnaître à la place la défense des valeurs socioculturelles entreprise par la Pologne, aussi inattendu que cela puisse sembler de prime abord. Cela ne signifie pas que ces individus « appuient » le PiS dans le sens conventionnel du mot, mais seulement qu’ils respectent davantage sa position de principe contre l’immigration illégale d’individus de civilisations dissemblables et les « valeurs néolibérales » de Bruxelles, bien qu’ils condamnent bien sûr constamment la position de Varsovie comme ligne de front de l’OTAN, la russophobie à grande échelle de la société polonaise et la politique à court terme du gouvernement à l’égard des migrations ukrainiennes.

Par conséquent, il s’agit avant tout de savoir si un individu se sent conforté sur le rôle d’un pays / gouvernement donné dans l’OTAN ou sur sa position sur les valeurs socioculturelles et la crise des immigrants. Si c’est le premier cas, la Serbie et ses autorités ont justement annoncé qu’elles avaient une position beaucoup plus douce que celle de la Pologne, mais si c’est le dernier point, alors Varsovie est considérée comme en progrès, alors que Belgrade est perçue comme faisant rapidement machine arrière.

Andrew Korybko est le commentateur politique américain qui travaille actuellement pour l’agence Sputnik. Il est en troisième cycle de l’Université MGIMO et auteur de la monographie Guerres hybrides : l’approche adaptative indirecte pour un changement de régime (2015). Ce texte sera inclus dans son prochain livre sur la théorie de la guerre hybride. Le livre est disponible en PDF gratuitement et à télécharger ici.

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