jeudi 19 septembre 2019

Bolt-on, Bolt-off !

Article original de Dmitry Orlov, publié le 14 septembre 2019 sur le site Club Orlov
Traduit par le blog http://versouvaton.blogspot.fr

 

Beaucoup de gens ont eu beaucoup de choses à dire au sujet du renvoi par Trump de son odieux et belliciste conseiller en matière de sécurité nationale John Bolton, mais aucun d’entre eux n’a dit ce qui semblait évident. C’est donc à mon tour, une fois de plus, d’entrer dans la brèche et de mettre tout le monde au parfum sur la logique de la folie de Trump, car elle existe réellement. Elle est simple, solide comme le roc et surtout efficace. De plus, cela fonctionnera à chaque fois, et personne ne peut rien faire pour l’arrêter.



Trump a été élu président. Il s’agit d’une position d’autorité considérable, mais il doit quand même fonctionner dans le cadre d’un système washingtonien en grande partie corrompu et illusoire. Les agents de longue date dans le marais de Washington ont l’habitude de  s’appliquer leurs propres lois pour eux-mêmes et de promouvoir fidèlement les intérêts de leur propre caste qui sont : s’accrocher au pouvoir ; et piller le trésor. Ils ont aussi l’habitude de générer leur propre réalité avec leur image du monde et de leurs propres capacités qui est en fort désaccord avec ce qui se passe réellement. Ce sont les gens avec qui Trump est forcé de travailler.

Malgré ce handicap massif, les objectifs de Trump sont de tenir ses promesses de campagne : réduire les impôts des riches, empêcher les migrants d’entrer, retirer les troupes des engagements étrangers non rentables, démanteler l’inutile OTAN, améliorer les relations avec la Russie, etc. Sa méthode pour atteindre ces objectifs est la négociation. Cela revient à proposer des articles à vendre : par exemple, si le marais le laisse construire le mur avec le Mexique, il nommera John Bolton. Sinon, il nommera quelqu’un de plus modéré, qui fera souffrir les bestioles du marais et leur coûtera de l’argent. Je ne prétends pas que c’est exactement l’accord qui a été conclu ; ce n’est qu’un exemple. Mais je vous assure que des accords ont été conclus, c’est pourquoi le score de Trump dans le respect de ses promesses électorales n’est pas nul. En fait, comparé à tous ses prédécesseurs, à l’exception peut-être de Reagan, il est en haut du classement.

Alors, que faire si, à la suite d’un compromis valable, vous vous retrouvez avec un bozo délirant et belliciste comme Bolton dans votre cabinet ? Virez-le, bien sûr, mais un autre bozo viendra à sa place et rien ne changera. L’objectif est donc de renvoyer le bozo pour une bonne raison : donner au bozo beaucoup d’espace pour courir après sa folie et détruire complètement une certaine direction de la politique étrangère.

Au-delà de ce point, cette orientation particulière de la politique étrangère sera exclue parce que les autres acteurs de la politique étrangère la considéreront comme un bâton merdeux. L’échec est garanti, parce que le bozo en question est délirant – il opère avec un ensemble d’hypothèses sur l’état du monde qui est en désaccord avec la réalité – et donc les politiques qu’il poursuit ont ce que les informaticiens appellent un problème de garbage-in/garbage-out.

Une fois l’échec de la politique étrangère survenu, les Washingtoniens seront empêchés de s’ingérer dans les affaires du monde dans cette direction particulière, ce qui permettra à Trump de se concentrer sur les problèmes intérieurs, qui sont légions. Par exemple, il y a neuf fois plus d’Américains que de Russes qui meurent de malnutrition et de famine (compte tenu de la taille de la population) : environ 150 par an en Russie, 3 500 aux États-Unis et 15 000 autres où la famine n’est pas la principale cause de décès mais un facteur contributif.

On pourrait dire qu’un pays où 18 000 à 20 000 personnes meurent de faim chaque année ne peut se permettre le luxe de se mêler des affaires du monde… Mais revenons à notre histoire : laissez-moi décortiquer certaines des concoctions et des illusions des Washingtoniens, juste pour vous donner un aperçu de ce que pensent ces clowns.

Ils ont fait valoir que la Russie est « une station-service déguisée en pays » parce que 60 % de ses exportations sont constituées de pétrole brut et de gaz naturel. Dans leur hâte de tirer des conclusions hâtives, ils ignorent le fait que les exportations ne représentent que 10 % de l’économie russe parce que la Russie est presque entièrement autosuffisante, ou que la Russie n’a même pas besoin d’exporter du pétrole ou du gaz pour maintenir une balance commerciale positive.

C’est ainsi qu’ils ont pensé qu’ils pouvaient « changer le régime » en Russie en imposant des sanctions. En réponse, la Russie s’est débarrassée de toute la dette libellée en dollars et de tous les bons du Trésor américain, a poursuivi une politique de remplacement des importations et jouit maintenant de la meilleure situation financière de tous les grands pays, avec une dette nette nulle, et elle n’a presque aucune dépendance vis-à-vis des États-Unis. Trump n’est certainement pas un intellectuel, mais il est certainement plus intelligent qu’Obama, qui prétendait que l’économie russe était « en lambeaux ».

Ils ont également généré la ruse des armes de destruction massive de Saddam Hussein, l’idée que l’Afghanistan était complice du 11 septembre 2001, l’histoire que le président syrien a attaqué son propre peuple avec des armes chimiques (à plusieurs reprises et sans raison), l’histoire que Poutine a empoisonné un ancien espion en faisant enduire des agents de gaz toxiques sur sa poignée de porte après son départ, et beaucoup d’autres. Je pourrais continuer ainsi encore longtemps.

Le fait est que les bozos ont généré leur propre réalité, pour leur propre consommation politique interne, et qu’ils s’attendaient à tort à ce que le monde se comporte en accord avec elle. Et, à maintes reprises, le monde a refusé de se comporter conformément à leur fiction et leur a infligé une défaite. Puis ils ont déclaré que cette défaite était une victoire et ils sont passés à autre chose. Personne n’a jamais été viré pour ça. Mais ensuite Trump est arrivé, et chaque fois que quelqu’un fait une grosse bêtise sous son nez, cette personne entend la phrase caractéristique de Trump : « Tu es viré ! » Quelle bouffée d’air frais ça doit être !

La liste des ratés de la politique étrangère pendant le court mandat de Bolton est longue comme un jour sans pain, et Bolton a probablement beaucoup à voir avec chacun d’entre eux : les négociations ruinées avec la Corée du Nord, le blocage des améliorations dans les relations avec la Russie, les relations empoisonnées avec la Turquie, alliée clé de l’OTAN, la défaite humiliante dans la « guerre des pétroliers » contre l’Iran et les négociations contre les Taliban concernant le retrait américain d’Afghanistan, pour ne citer que quelques cas.

Mais le couronnement pour Bolton a été l’impasse vraiment ridicule sur le Venezuela. Bolton pensait qu’il était possible d’y installer un nouveau président – un actif américain spécialement entraîné du nom de Juan Guaidó – simplement en le déclarant président du Venezuela. Une fois en place, Guaidó confierait le contrôle des ressources pétrolières vénézuéliennes, techniquement difficiles à extraire mais abondantes, aux compagnies pétrolières américaines, à exploiter gratuitement, et tout se passerait bien.

Il s’est alors avéré que Guaidó n’est qu’un type pratiquement inconnu vivant dans un appartement d’un quartier chic de Caracas, sans adeptes et sans aucune chance de provoquer une révolte ou de gagner une élection. Après l’échec de plusieurs provocations ridicules, il s’est avéré que les États-Unis sont à court de munitions pour le Venezuela. C’est un échec si spectaculaire qu’après le départ de Bolton, personne d’autre n’osera s’approcher de ce qui s’appelle la « politique vénézuélienne ». Mission accomplie.

Selon la rumeur, Charles Kupperman, un aspirant du Dr Folamour, tient la corde pour devenir le prochain conseiller à la sécurité nationale de Trump. Il  a déclaré que la guerre nucléaire pouvait être gagnée à condition que le nombre de victimes civiles se maintienne autour de 20 millions. Il ne fait aucun doute que les créatures des marais de Washington seraient ravies de sa nomination et accorderaient à Trump de précieuses concessions en retour, ce qui lui permettrait de tenir encore quelques promesses électorales. Il ne fait aucun doute que Kupperman s’emparerait du sujet nucléaire et s’en servirait pour s’écraser la tête la première contre un mur composé de certaines réalités qu’il est constitutionnellement incapable d’accepter.

Comme le fait que les stocks d’armes nucléaires américaines sont malheureusement dépassés et peu fiables ; que leur modernisation coûterait plus de 1 000 milliards de dollars, et que cela prendrait une décennie, et ne pourrait probablement pas se faire sans des matériaux d’origine russe et des composants fabriqués en Chine ; que les stocks américains de plutonium ont dépassé leur date limite de consommation et sont dopés par toutes sortes de produits de désintégration nucléaire indésirables ; et que le complexe militaro-industriel américain semble avoir oublié comment fabriquer des bombes nucléaires, ce qui explique pourquoi les efforts actuels de modernisation de certaines d’entre elles sont bloqués par manque de savoir-faire.

Enfin, les armes nucléaires modernes de la Russie feraient bien plus de 20 millions de victimes aux États-Unis, plus proche de 327 millions, ce qui doit représenter une victoire ! Il sera intéressant de voir comment tout cela se déroule, mais il se pourrait bien qu’une fois que Kupperman (ou quelqu’un comme lui) en aura fini avec sa folie et entendra les mots magiques « vous êtes viré », personne d’autre ne sera trop impatient de faire quoi que ce soit sur la stratégie nucléaire américaine (sauf peut-être chercher une solution pour sauver la face en négociant avec la Russie).

Quant à la stratégie de Trump, j’espère en avoir expliqué la logique. De rien.

Les cinq stades de l'effondrement 

Dmitry Orlov

Le livre de Dmitry Orlov est l’un des ouvrages fondateurs de cette nouvelle « discipline » que l’on nomme aujourd’hui : « collapsologie » c’est à-dire l’étude de l’effondrement des sociétés ou des civilisations.

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