Article original de Dmitry Orlov, publié le 29 mai 2019 sur le site Club Orlov
Traduit par le blog http://versouvaton.blogspot.fr
La politique étrangère américaine a toujours eu pour but de
détruire tout ce qui n’était pas jugé suffisamment américain et de le
remplacer par quelque chose de plus acceptable, surtout si cela
permettait aux richesses d’affluer aux États-Unis depuis sa périphérie.
Des compromis étaient réservés à l’URSS, mais même là, les Américains
essayaient constamment de tricher. Pour tous les autres, il n’y avait
que la soumission, habituellement déguisée avec tact, sous des abords
positifs, une place à la grande table qui offrait de meilleures chances
pour la paix, la prospérité et le développement économique et social.
Bien sûr, il était assez simple de percer ce voile de politesse
hypocrite et de souligner que les États-Unis, vivant bien au-dessus de
leurs moyens, n’ont réussi à survivre qu’en pillant le reste du monde,
mais quiconque osait le faire, était ostracisé, sanctionné, changé de
régime, envahi et détruit – quoiqu’il en coûte.
L’establishment américain s’est fâché contre quiconque a osé s’y
opposer idéologiquement, mais il a réservé ses formes les plus extrêmes
de malice à ceux qui ont osé commettre le péché capital de tenter de
vendre du pétrole contre autre chose que des dollars américains. L’Irak a
été détruit pour cette même raison, puis la Libye. Avec la Syrie, le
géant s’est enlisé et embourbé ; avec l’Iran, il est peu probable qu’il
puisse même jamais commencer.
Même les politiciens européens les moins courageux sont maintenant
forcés d’admettre que les politiques américaines sont conçues pour
enrichir certains intérêts américains aux dépens de leurs électeurs ;
ils comprennent maintenant qu’un déni supplémentaire leur causerait
encore plus de tort dans les urnes. Le plus insultant pour l’ego
américain, c’est que les tentatives américaines pour soumettre la Russie
et la Chine sont accueillies par des haussements d’épaules, des
moqueries et des yeux écarquillés. Et maintenant, quiconque le veut,
peut critiquer ouvertement les États-Unis et comploter dans leur dos.
Comme les temps ont changé ! Les politiciens et les fonctionnaires
américains ont abandonné toutes les tentatives de maintien du décorum et
du déguisement de leurs manières rapaces et avides. Au lieu de menaces
voilées, ils déploient maintenant de gros mensonges basés sur de fausses
menaces. Se concentrant sur la fabrication et la diffusion de faux, ils
ont tenté de les utiliser pour forcer l’obéissance. Il y a les fausses
menaces – russes, chinoises, iraniennes, nord-coréennes, cubaines – qui
sont utilisées pour appeler à la discipline au sein de l’OTAN et au
respect des sanctions unilatérales américaines.
Il y a aussi les faux événements (ou faux drapeaux) – un Boeing abattu au dessus de l’Ukraine par des « rebelles pro-russes »
; l’empoisonnement des Skripal ; les fausses attaques chimiques en
Syrie imputées au gouvernement ; les pétroliers endommagés aux EAU
imputés à l’Iran. Ces faux servent de prétexte pour tout saboter : les
accords de sécurité et de commerce internationaux, les systèmes visant à
assurer le respect de ces accords et le commerce mondial.
Avant, les Américains faisaient de leur mieux pour détruire tout ce
qui n’était pas à eux, puis s’employaient à le remplacer par quelque
chose qui était à eux ; mais maintenant, ils n’ont plus rien à offrir en
remplacement de ce qu’ils détruisent. La seule chose que les États-Unis
peuvent offrir à la Chine, c’est la victoire chinoise dans la guerre
commerciale. La Chine n’a pas besoin des États-Unis, et le gouvernement
chinois, mais aussi des entreprises privées et des particuliers, le
martèlent en Chine.
Premièrement, il y a un déluge de contre-sanctions. En particulier,
l’arrêt des exportations des terres rares mettra fin à la fabrication de
produits électroniques et, partant de là, à l’ensemble du secteur
américain de la haute technologie. Il y a aussi des bonus pour ceux qui
achètent des produits Huawei et des punitions pour ceux qui achètent
quelque chose d’américain, jusqu’à manger chez McDonald’s. Les iPhones
ont été pratiquement interdits – non pas par le gouvernement, mais par
la pression des pairs. Faire un voyage aux États-Unis est maintenant un
délit pouvant mener à un licenciement. Il y a maintenant de bonnes
chances pour que les Chinois, pris dans ce soulèvement patriotique,
soient prêts à faire n’importe quel sacrifice au nom d’une victoire
totale dans leur guerre commerciale avec les États-Unis.
Mais les Américains ont-ils encore le pouvoir de détruire ? Lorsque
Saddam Hussein a décidé de commencer à vendre du pétrole en euros, la
CIA a organisé une provocation qui l’a amené à envahir le Koweït pour
punir ce pays d’un supposé vol de pétrole irakien. Cela a permis aux
États-Unis d’organiser un gigantesque corps expéditionnaire avec des
divisions provenant d’un grand nombre de pays, dont la Syrie, l’Égypte
et la quasi-totalité de l’OTAN. Après avoir laissé Saddam Hussein dix
ans en place, une coalition un peu plus petite s’est occupée du coup de
grâce, détruisant l’Irak dans le processus. Les victimes de l’invasion
et de l’occupation américaines furent beaucoup plus nombreuses que les
victimes de Saddam Hussein. Plus tard, la même chose a été faite à
Mouammar Kadhafi, pour des raisons similaires, et la Libye risque de
rester en ruines. Là-bas, une sorte de coalition mineure a été formée.
Mais maintenant, les États-Unis estiment qu’il est urgent d’éliminer
l’Iran, faute de quoi il sera trop tard. Il est temps de former une
nouvelle coalition et Mike Pompeo a commencé à courir autour de
l’Eurasie. Tout d’abord, il a offensé les Allemands en annulant à
l’improviste sa visite d’État avec Angela Merkel et sans donner de
raison. Au lieu de cela, il s’est envolé pour Bagdad – un endroit
parfait pour lancer une attaque contre l’Iran, sauf que la réponse
irakienne était un message de solidarité avec l’Iran, une volonté de
médiation dans le conflit américano-iranien et l’examen d’une
interdiction des troupes américaines sur le sol irakien.
Mike s’est donc rendu à Sotchi, où il a rencontré le ministre russe
des Affaires étrangères Sergei Lavrov et, brièvement, Poutine. Très
probablement, Poutine lui a dit où il peut se fourrer ses plans de
guerre, et Mike a donc annulé son voyage prévu à Moscou, pour éviter de
laisser Sergei Lavrov s’essuyer ses pieds sur lui à nouveau. C’est ainsi
que Mike s’est envolé pour l’Europe, où il a obtenu un rapide « non »
sur l’Iran de la part de Federica Mogherini, responsable de la
politique étrangère de l’UE, et un refus catégorique des ministres
français, allemand et britannique des affaires étrangères de le
rencontrer au sujet de l’Iran. Mike est donc retourné à Washington. On
ne peut rien dire en regardant sa grosse face souriante, mais je suis
sûr qu’il pleurait à l’intérieur.
Les actions américaines dans le monde peuvent maintenant être
regroupées en deux listes. La première liste est celle de ce que les
États-Unis ont réussi ou pourraient encore réussir à démolir. La
deuxième liste est celle de ce que les États-Unis veulent ou ont essayé
de détruire sans y parvenir. Il n’y a pas de troisième liste de ce que
les États-Unis ont réussi à détruire et à réparer. Le défi pour le monde
entier est de déplacer autant d’items de la première liste vers la
deuxième liste. Il existe de nombreuses façons de procéder qui ont une
chance de fonctionner et d’autres qui n’en ont pas : négocier avec les
Américains. Parce qu’ils mentent, trichent et ne valent pas la peine
qu’on leur parle.
Dmitry Orlov
Le livre de Dmitry Orlov
est l’un des ouvrages fondateur de cette nouvelle « discipline » que
l’on nomme aujourd’hui : « collapsologie » c’est à-dire l’étude de
l’effondrement des sociétés ou des civilisations.
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