Traduit par le blog http://versouvaton.blogspot.fr
Pendant de nombreuses années, j’ai maintenu beaucoup trop d’abonnements à des magazines, plus de périodiques que je ne pouvais en lire ou même parcourir, si bien que la plupart des semaines, ils allaient directement au stockage, avec à peine plus qu’un coup d’œil sur la couverture. Mais de temps en temps, je parcourais l’un d’entre eux, curieux de savoir ce que j’avais l’habitude de manquer.
Ainsi, à l’été 2010, j’ai feuilleté un numéro de Chronicles, l’organe phare à faible tirage du mouvement paléo-conservateur marginalisé, et j’ai rapidement commencé à lire une critique d’un livre au titre fade. Mais l’article m’a tellement étonné qu’il a immédiatement justifié les nombreuses années de paiements d’abonnement que j’avais envoyés à ce magazine.
Le critique était Andrei Navrozov, un émigré soviétique résidant depuis longtemps en Grande-Bretagne, et il commençait en citant un passage d’une précédente revue de 1990, publiée presque exactement vingt ans auparavant :
Souvorov commente chaque livre ; chaque article ; chaque film ; chaque directive de l’OTA ; chaque hypothèse de Downing Street ; chaque commis du Pentagone ; chaque universitaire ; chaque communiste et anticommuniste ; chaque intellectuel néoconservateur ; chaque chanson ; poème ; roman et pièce musicale soviétique jamais entendu ; écrit ; fait ; chanté ; publié, produit ou né pendant les 50 dernières années. Pour cette raison, Icebreaker est l’œuvre la plus originale de l’histoire que j’ai eu le privilège de lire.
Il avait lui-même écrit cette critique de livre antérieure, qui a été publiée dans le prestigieux Times Literary Supplement à la suite de la publication originale en anglais de Icebreaker, et sa description n’a pas été exagérée. Les travaux visaient à renverser l’histoire établie de la Seconde guerre mondiale.
L’auteur de Icebreaker, qui écrivait sous le nom de plume Viktor Souvorov, était un vétéran du renseignement militaire soviétique qui avait fait défection à l’Ouest en 1978 et publié par la suite un certain nombre de livres très appréciés sur l’armée et les services secrets soviétiques. Mais ici, il avance une thèse beaucoup plus radicale.
L’« hypothèse Souvorov » affirme qu’au cours de l’été 1941, Staline était sur le point d’organiser une invasion et une conquête massives de l’Europe, tandis que l’attaque soudaine d’Hitler le 22 juin de la même année était destinée à prévenir ce coup imminent. En outre, l’auteur a également fait valoir que l’attaque prévue par Staline ne constituait que le dernier acte d’une stratégie géopolitique de beaucoup plus longue haleine qu’il avait élaborée depuis au moins le début des années 1930.
Après la Révolution bolchévique, le nouveau régime soviétique avait été considéré avec beaucoup de suspicion et d’hostilité par d’autres pays européens, dont la plupart considéraient aussi leurs propres partis communistes comme une cinquième colonne. Ainsi, pour réaliser le rêve de Lénine et porter la révolution en Allemagne et dans le reste de l’Europe, Staline avait besoin de diviser les Européens et de briser leur ligne commune de résistance. Il considérait la montée d’Hitler comme un « brise-glace » potentiel, [IceBreaker, NdT], une occasion de déclencher une autre guerre européenne sanglante et d’épuiser toutes les parties, tandis que l’Union soviétique resterait à l’écart et se servirait de ses forces, attendant le bon moment, pour envahir et conquérir le continent tout entier.
À cette fin, Staline avait ordonné au puissant parti communiste allemand de prendre des mesures politiques pour s’assurer qu’Hitler arrive au pouvoir, puis avait attiré le dictateur allemand à signer le pacte Molotov-Ribbentrop pour diviser la Pologne. Cela a conduit la Grande-Bretagne et la France à déclarer la guerre à l’Allemagne, tout en éliminant l’État tampon polonais, plaçant ainsi les armées soviétiques directement à la frontière allemande. Et dès qu’il eut signé cet accord de paix à long terme avec Hitler, il abandonna tous ses préparatifs défensifs et se lança dans un énorme renforcement militaire des forces purement offensives qu’il comptait utiliser pour la conquête européenne. Ainsi, selon Souvorov, Staline est le « principal coupable » du déclenchement de la Seconde guerre mondiale en Europe, et l’édition anglaise actualisée de son livre porte exactement ce titre.
À ma grande surprise, j’ai découvert que les théories spectaculaires de Souvorov avaient acquis une énorme importance mondiale depuis 1990 et qu’elles avaient été largement discutées presque partout sauf en Amérique et dans les autres pays anglophones. Comme Navrozov l’a expliqué :
L’édition anglaise du livre s’est vendue à 800 exemplaires.
Quelques mois plus tard, une édition allemande du livre, sous le titre « Der Eisbrecher : Hitler in Stalins Kaulkul », a été publiée en Allemagne par une petite maison d’édition, Klett-Cotta, avec des critiques timides et prudentes. Il s’est vendu à 8 000 exemplaires. En 1992, le manuscrit de Souvorov a été livré à un éditeur franc-tireur à Moscou, et le livre a enfin vu le jour dans sa version originale russe, se vendant rapidement à 100 000 exemplaires pour son premier tirage. Dans les années qui ont suivi, plus de cinq millions d’exemplaires ont été vendus, faisant de Souvorov l’historien militaire le plus lu de l’histoire.
Pourtant, au cours des 20 années qui se sont écoulées entre le lancement d’Icebreaker en Angleterre et la présente publication de « The Chief Culprit« , aucun éditeur britannique, américain, canadien ou australien n’a jugé bon d’exploiter un intérêt potentiellement mondial pour cet Icebreaker à la dérive – ou aborder Souvorov même du bout des doigts – malgré le fait que les exemplaires à 20$ de l’édition Hamish Hamilton, presque impossibles à obtenir, épuisés depuis longtemps, ont été transférés sur Internet et valent près de 500 dollars.
Depuis 1990, les travaux de Souvorov ont été traduits dans au moins 18 langues et une tempête internationale de controverses scientifiques s’est déchaînée autour de l’hypothèse de Souvorov en Russie, en Allemagne, en Israël et ailleurs. De nombreux autres auteurs ont publié des livres à l’appui de cette théorie ou, plus souvent, se sont heurtés à une forte opposition, et même des conférences universitaires internationales ont été organisées pour en débattre. Mais nos propres médias de langue anglaise ont presque entièrement mis sur liste noire et ignoré ce débat international en cours, à tel point que le nom de l’historien militaire le plus lu qui ait jamais existé m’était resté totalement inconnu.
Enfin, en 2008, la prestigieuse Naval Academy Press d’Annapolis a décidé de briser cet embargo intellectuel de 18 ans et a publié une édition anglaise actualisée de l’œuvre de Souvorov. Mais une fois de plus, nos médias ont presque entièrement détourné leur regard, et une seule critique a paru dans une obscure publication idéologique, sur laquelle je suis tombée par hasard. Cela démontre de façon concluante que pendant la majeure partie du XXe siècle, un front uni d’éditeurs et d’organes de presse de langue anglaise pouvait facilement maintenir le boycott d’un sujet important, de sorte que presque personne en Amérique ou dans le reste de l’Anglosphère n’en entende jamais parler. Ce n’est qu’avec l’essor récent d’Internet que cette situation décourageante a commencé à changer.
Il n’est guère facile de déterminer les véritables motivations de Staline et la base de sa politique étrangère dans les années 1930, et ses déclarations et ses actions sont sujettes à de multiples interprétations. Par conséquent, la théorie selon laquelle le dictateur a passé toutes ces années à préparer habilement le déclenchement de la Seconde guerre mondiale me semble assez spéculative. Mais l’autre affirmation centrale de l’hypothèse de Souvorov, selon laquelle les Soviétiques étaient eux-mêmes sur le point d’attaquer lorsque les Allemands ont frappé, est une question extrêmement factuelle, qui peut être évaluée sur la base de preuves solides. Je trouve l’affaire très convaincante, du moins si les faits et les détails que Souvorov cite à l’appui ne sont pas totalement faux, ce qui semble peu probable avec la Naval Academy Press comme éditeur.
Le front de l’Est a été le théâtre décisif de la Seconde guerre mondiale, impliquant des forces militaires beaucoup plus importantes que celles déployées à l’Ouest ou dans le Pacifique, et le récit classique souligne toujours l’ineptie et la faiblesse des Soviétiques. Le 22 juin 1941, Hitler lança l’opération Barbarossa, une attaque surprise soudaine et massive contre l’URSS, qui prit l’Armée rouge complètement par surprise. Staline a été régulièrement ridiculisé pour son manque total de préparation, Hitler étant souvent décrit comme le seul homme en qui le dictateur paranoïaque ait jamais eu pleinement confiance. Bien que les forces soviétiques en défense étaient d’une taille énorme, elles étaient mal dirigées, leur corps d’officiers n’étant toujours pas remis des purges paralysantes de la fin des années 1930, et leur équipement obsolète et leurs mauvaises tactiques n’étaient absolument pas à la hauteur des divisions de panzer modernes de la Wehrmacht allemande, jusqu’alors invaincues. Les Russes ont d’abord subi des pertes gigantesques, et seuls l’arrivée de l’hiver et les vastes espaces de leur territoire les ont sauvés d’une défaite rapide. Après cela, la guerre a basculé pendant quatre autres années, jusqu’à ce qu’un nombre supérieur de soldats et des tactiques améliorées amènent finalement les Soviétiques dans les rues d’un Berlin détruit en 1945.
Telle est la compréhension traditionnelle de la lutte titanesque russo-allemande que l’on retrouve sans cesse dans tous les journaux, livres, documentaires télévisés et films qui nous entourent. Mais même un examen superficiel de la situation initiale a toujours révélé d’étranges anomalies.
Il y a de nombreuses années, alors que j’étais au collège, je suis devenu un passionné des jeux de guerre avec un vif intérêt pour l’histoire militaire, et le front oriental de la Seconde guerre mondiale était certainement un sujet très populaire. Mais à chaque reconstruction de l’opération Barbarossa, on a toujours noté que les Allemands devaient une grande partie de leur grand succès initial au déploiement très étrange des énormes forces soviétiques, qui étaient toutes rassemblées le long de la frontière en formations vulnérables presque comme si elles préparaient une attaque, et certains auteurs ont laissé entendre que cela aurait pu être le cas. Mais le volume de preuves recueillies par Souvorov va bien au-delà de ce genre de spéculation oiseuse, et il dresse un tableau historique radicalement différent de ce que nos comptes standard ont toujours laissé entendre.
Tout d’abord, bien qu’il y ait eu une croyance répandue dans la supériorité de la technologie militaire de l’Allemagne, de ses chars et de ses avions, c’est presque entièrement de la mythologie. En fait, les chars soviétiques étaient de loin supérieurs en armement principal, en blindage et en maniabilité à leurs homologues allemands, à tel point que l’écrasante majorité des panzers étaient presque obsolètes en comparaison. Et la supériorité soviétique en nombre était encore plus extrême, Staline déployant plusieurs fois plus de chars que le total combiné de ceux détenus par l’Allemagne et toutes les autres nations du monde : 27 000 contre seulement 4 000 dans les forces d’Hitler. Même en temps de paix, une seule usine soviétique à Kharkov produisait tous les six mois plus de chars d’assaut que ce que le Troisième Reich avait construit avant 1940. Les Soviétiques avaient une supériorité similaire, quoique un peu moins extrême, dans leurs bombardiers d’attaque au sol. Le caractère totalement fermé de l’URSS signifiait que de vastes forces militaires restaient entièrement cachées aux observateurs extérieurs.
Rien n’indique non plus que la qualité des officiers soviétiques ou de la doctrine militaire n’ait pas été à la hauteur. En effet, nous oublions souvent que le premier exemple réussi d’une « guerre éclair » de l’histoire dans la guerre moderne fut la défaite écrasante d’août 1939 infligée par Staline à la 6e Armée japonaise en Mongolie extérieure, en s’appuyant sur une attaque surprise massive de tanks, bombardiers et infanterie mobile. Et Staline avait apparemment une si haute opinion d’un grand nombre de ses meilleurs stratèges militaires en 1941 que, malgré ses énormes pertes initiales, nombre d’entre eux sont restés aux commandes et ont finalement été promus aux plus hauts rangs de l’establishment militaire soviétique à la fin de la guerre.
Certes, de nombreux aspects de la machine militaire soviétique étaient primitifs, mais c’était exactement la même chose pour leurs opposants nazis. Le détail peut-être le plus surprenant au sujet de la technologie de la Wehrmacht en 1941 était que son système de transport était encore presque entièrement pré-moderne, reposant sur des chariots et des charrettes tirés par 750 000 chevaux pour maintenir le flux vital de munitions et de troupes fraîches à ses armées en marche.
Pendant ce temps, les principales catégories de systèmes d’armes soviétiques semblent presque impossibles à expliquer, sauf en tant qu’éléments importants des plans offensifs de Staline. Bien que la majorité des forces blindées soviétiques étaient des chars moyens comme les T-28 et T-34, généralement de loin supérieurs à leurs homologues allemands, l’URSS avait aussi été pionnière dans le développement de plusieurs lignes de chars hautement spécialisés, dont la plupart n’avaient aucun équivalent ailleurs dans le monde.
- Les Soviétiques avaient produit une remarquable gamme de chars BT légers, capables d’escamoter facilement leurs chenilles et de continuer sur roues, atteignant une vitesse maximale de 100 km/h, deux ou trois fois plus rapide que tout autre véhicule blindé comparable, et idéalement adaptés à une exploitation en territoire ennemi en profondeur. Cependant, une telle machine avec des roues n’était efficace que sur les autoroutes en dur, dont le territoire soviétique était dépourvu, et donc idéale pour voyager sur le vaste réseau d’autoroutes de l’Allemagne. En 1941, Staline a déployé près de 6 500 de ces chars d’assaut, soit plus que le reste des chars du monde réunis.
- Pendant des siècles, les conquérants continentaux de Napoléon à Hitler avaient été bloqués par la barrière de la Manche, mais Staline était beaucoup mieux préparé. Bien que la vaste URSS de Staline ait été entièrement une puissance terrestre, il a été le pionnier de la seule série au monde de chars légers entièrement amphibies, capables de traverser avec succès de grandes rivières, des lacs, et même ce détroit notoirement large que Guillaume le Conquérant a traversé la dernière fois avec succès en 1066. En 1941, les Soviétiques ont déployé 4 000 de ces chars amphibies, soit beaucoup plus que les 3 350 chars allemands de tous types utilisés dans leur attaque. Mais étant inutiles pour la défense du territoire, ils ont tous été abandonnés ou détruits sur ordre.
- Les Soviétiques ont également déployé des milliers de chars lourds, destinés à engager et à vaincre les blindés ennemis, alors que les Allemands n’en avaient pas du tout. En combat direct, un KV-1 ou KV-2 soviétique pourrait facilement détruire quatre ou cinq des meilleurs chars allemands, tout en restant presque invulnérable aux obus ennemis. Souvorov raconte l’exemple d’un KV ayant subi 43 coups directs avant d’être finalement frappé d’incapacité, entouré par les carcasses des dix chars allemands qu’il avait d’abord réussi à détruire.
- Au cours des premières années de la Seconde guerre mondiale, les Allemands utilisèrent efficacement des parachutistes et des forces aéromobiles pour s’emparer de cibles ennemies clés loin derrière les lignes de front pendant une offensive majeure, ce qui fut un élément important de leur victoire contre la France en 1940 et la Grèce en 1941. De telles unités sont nécessairement légèrement armées et n’avaient aucune chance contre l’infanterie régulière dans une bataille défensive ; leur seul rôle est donc offensif. L’Allemagne est entrée en guerre avec 4 000 parachutistes, une force beaucoup plus importante que tout ce qu’on trouve en Grande-Bretagne, en France, en Amérique, en Italie ou au Japon. Cependant, les Soviétiques avaient au moins 1 000 000 de parachutistes entraînés, et Souvorov pense que le vrai total était en fait plus proche de 2 000 000.
- Parfois, les décisions de production des principaux systèmes d’armes fournissent de fortes indications sur la stratégie plus large qui sous-tend leur développement. L’avion militaire le plus produit dans l’histoire était l’IL-2, un puissant bombardier d’attaque au sol soviétique lourdement blindé, conçu à l’origine comme un système à deux hommes, avec un mitrailleur arrière capable de défendre efficacement l’avion contre les chasseurs ennemis durant ses missions. Cependant, Staline a personnellement ordonné que la conception soit modifiée pour éliminer le deuxième homme et l’armement défensif, ce qui a rendu le bombardier extrêmement vulnérable aux avions ennemis lorsque la guerre a éclaté. Staline et ses planificateurs de guerre avaient apparemment misé sur une suprématie aérienne quasi totale pendant toute la durée d’un conflit, hypothèse plausible seulement si la luftwaffe allemande était détruite au sol par une attaque surprise dès le premier jour.
- Il existe de nombreuses preuves que dans les semaines précédant l’attaque surprise allemande, Staline avait ordonné la libération de plusieurs centaines de milliers de prisonniers du Goulag, qui avaient reçu des armes de base et étaient organisés en divisions et corps dirigés par le NKVD, constituant une partie substantielle du deuxième échelon stratégique situé à des centaines de kilomètres de la frontière allemande. Ces unités étaient peut-être destinées à servir de troupes d’occupation, permettant aux forces de première ligne beaucoup plus puissantes de poursuivre et de finaliser les conquêtes de la France, de l’Italie, des Balkans et de l’Espagne. Sinon, je ne peux trouver aucune autre explication plausible à l’action de Staline.
- L’invasion et l’occupation prévues d’un grand pays dont la population parle une autre langue exigent une préparation logistique considérable. Par exemple, avant leur attaque, les Allemands, notoirement méthodiques, imprimèrent et distribuèrent à leurs troupes un grand nombre de livres de phrases de base germano-russes, permettant une communication efficace avec les villageois et les citadins slaves locaux. Ironiquement, à peu près à la même époque, l’URSS semble avoir produit des dictionnaires russo-allemands très similaires, permettant aux troupes soviétiques conquérantes de se faire facilement comprendre des civils allemands. Plusieurs millions de ces recueils de phrases avaient été distribués aux forces soviétiques à la frontière allemande au cours des premiers mois de 1941.
Tous les exemples ci-dessus de systèmes d’armes soviétiques ou de décisions stratégiques semblent très difficiles à expliquer dans le cadre du discours défensif conventionnel, mais sont parfaitement logiques si l’orientation de Staline à partir de 1939 avait toujours été offensive, et s’il avait décidé que l’été 1941 était le moment de frapper et d’élargir son Union soviétique à tous les États européens, comme le voulait initialement Lénine. Et Souvorov fournit des dizaines d’exemples supplémentaires, construisant brique par brique un cas très convaincant pour cette théorie.
Le livre n’est pas trop long, comptant peut-être 150 000 mots, et 20 $ plus quelques clics de souris sur Amazon vous fourniront une copie à lire et à juger par vous-même. Mais pour ceux qui désirent un simple résumé, la conférence en 2009 de Souvorov au Forum Eurasie de l’Académie navale d’Annapolis est commodément disponible sur YouTube [Lien indisponible, un autre lien est proposé, NdT], bien que légèrement entravée par son faible anglais :
Et aussi ses conférences C-SPAN Book TV au Woodrow Wilson Center :
Les théories controversées, même si elles sont soutenues par des preuves apparemment solides, peuvent difficilement être évaluées correctement tant qu’elles n’ont pas été mises en balance avec les contre-arguments de leurs détracteurs les plus sévères, et cela devrait certainement être le cas avec l’hypothèse de Souvorov. Mais bien que les trois dernières décennies aient vu le développement d’une importante littérature secondaire, en grande partie très critique, presque tout ce débat international s’est déroulé en russe, en allemand ou en hébreu, des langues que je ne lis pas.
Il y a quelques exceptions. Il y a plusieurs années, je suis tombé sur un débat sur le sujet sur un site Web, et un grand critique a affirmé que les théories de Souvorov avaient été totalement démystifiées par l’historien militaire américain David M. Glantz dans Stumbling Colossus, publié en 1998. Mais quand j’ai commandé et lu le livre, j’ai été très déçu. Bien qu’il prétendait réfuter Souvorov, l’auteur semblait ignorer presque tous ses arguments centraux et se contentait de résumer de façon plutôt ennuyeuse et pédante le récit standard que j’avais vu des centaines de fois auparavant, avec quelques excès rhétoriques dénonçant la vilenie unique du régime Nazi. Ironiquement, Glantz souligne que, bien que l’analyse de Souvorov sur la lutte militaire titanesque russo-allemande ait reçu une grande attention et un soutien considérable parmi les chercheurs russes et allemands, elle a été généralement ignorée dans le monde anglo-américain, et il semble presque insinuer qu’elle peut probablement être ignorée pour cette raison. Cette attitude reflétait peut-être l’arrogance culturelle de nombreuses élites intellectuelles américaines pendant la désastreuse période Eltsine de la Russie à la fin des années 1990.
Un livre de bien meilleure qualité, généralement favorable au cadre de Souvorov, est Stalin’s War of Annihilation, de l’historien militaire allemand Joachim Hoffmann, primé, commandé à l’origine par les forces armées allemandes et publié en 1995 avec une édition révisée en anglais publiée en 2001. L’introduction de l’auteur relate les menaces répétées de poursuites judiciaires qu’il a reçues de la part d’élus et les autres obstacles juridiques auxquels il a dû faire face, alors qu’ailleurs il s’adresse directement aux autorités gouvernementales invisibles comme s’il savait qu’elles étaient en train de lire par-dessus son épaule. Lorsque le fait de s’écarter trop loin des limites de l’histoire admise comporte le risque sérieux que l’ensemble du tirage d’un livre soit brûlé et que l’auteur soit emprisonné, le lecteur doit nécessairement faire preuve de prudence lorsqu’il évalue le texte, car des sections importantes ont été biaisées ou supprimées par précaution dans l’intérêt de sa conservation. Il devient difficile d’évaluer les débats savants sur des questions historiques lorsque l’une des parties fait face à une incarcération car ses arguments sont trop audacieux.
Pouvons-nous dire si Souvorov a raison ? Puisque nos gardiens de l’information du monde anglophone ont passé les trois dernières décennies à fermer les yeux et à prétendre que l’hypothèse de Souvorov n’existe pas, l’absence quasi totale d’examens ou de critiques substantiels m’empêche largement d’arriver à une conclusion définitive. Mais sur la base des preuves disponibles, je crois qu’il est beaucoup plus probable qu’improbable que les théories de Souvorov soient au moins substantiellement correctes. Et si c’est le cas, notre compréhension actuelle de la Seconde guerre mondiale – l’événement formateur central de notre monde moderne – en serait entièrement transformée.
Souvorov note que les traités ou pactes portent traditionnellement le nom de la ville dans laquelle ils ont été signés – le Pacte de Varsovie, le Pacte de Bagdad, l’Accord de Munich – et donc le « Pacte Molotov-Ribbentrop » signé le 23 août 1939 par lequel Hitler et Staline ont convenu de la division de la Pologne devrait plutôt être appelé le « Pacte de Moscou ». Grâce à cet accord, Staline a obtenu la moitié de la Pologne, les États baltes et divers autres avantages, dont une frontière directe avec l’Allemagne. Pendant ce temps, Hitler a été puni par des déclarations de guerre de la France et de la Grande-Bretagne, puis par une condamnation mondiale en tant qu’agresseur militaire. Bien que l’Allemagne et la Russie soviétique aient toutes deux envahi la Pologne, la Russie a réussi à éviter d’être entraînée dans une guerre avec les anciens alliés de la Pologne. Ainsi, le principal bénéficiaire du Pacte de Moscou a clairement été Moscou.
Étant donné les longues années de guerre de tranchées sur le front occidental pendant la Première guerre mondiale, presque tous les observateurs extérieurs s’attendaient à ce que le nouveau cycle du conflit suive un schéma statique très similaire, épuisant progressivement toutes les parties, et le monde a été choqué lorsque les tactiques novatrices de l’Allemagne lui ont permis d’obtenir une défaite éclair des armées alliées en France pendant 1940. Mais à ce moment-là, Hitler considérait la guerre comme essentiellement terminée et était convaincu que les conditions de paix extrêmement généreuses qu’il offrait immédiatement aux Britanniques aboutiraient bientôt à un règlement définitif. En conséquence, il a ramené l’Allemagne à une économie de temps de paix, préférant le beurre aux armes à feu afin de maintenir sa grande popularité nationale.
Staline, cependant, n’était pas soumis à de telles contraintes politiques, et à partir du moment où il avait signé son accord de paix à long terme avec Hitler en 1939 et divisé la Pologne, il a augmenté son économie de guerre totale à un cran encore plus haut. S’engageant dans une montée en puissance militaire sans précédent, il a concentré presque entièrement sa production sur des systèmes d’armes purement offensifs, tout en arrêtant même la production de ces armements mieux adaptés à la défense et en démantelant ses lignes défensives de fortifications. En 1941, son cycle de production était terminé et il avait des plans en conséquence.
Ainsi, tout comme dans notre récit traditionnel, nous voyons qu’au cours des semaines et des mois qui ont précédé l’opération Barbarossa, la force militaire offensive la plus puissante de l’histoire du monde s’est discrètement rassemblée en secret le long de la frontière germano-russe, préparant l’ordre qui allait déclencher leur attaque surprise. L’armée de l’air non préparée de l’ennemi devait être détruite au sol dans les premiers jours de la bataille, et d’énormes colonnes de chars d’assaut allaient commencer à pénétrer profondément, entourant et piégeant les forces opposées, remportant une victoire éclair classique, et assurant l’occupation rapide de vastes territoires. Mais les forces préparant cette guerre de conquête sans précédent étaient celles de Staline, et sa force militaire aurait sûrement saisi toute l’Europe, probablement bientôt suivie par le reste de la masse continentale eurasienne.
Puis, presque au dernier moment, Hitler s’est soudain rendu compte du piège stratégique dans lequel il était tombé, et a ordonné à ses troupes sous-équipées et en infériorité numérique de lancer une attaque surprise désespérée contre les Soviétiques, les rattrapant par hasard au moment même où leurs propres préparations finales pour une attaque surprise les avaient rendus plus vulnérables, et arrachant ainsi une victoire initiale majeure des mâchoires d’une défaite certaine. D’énormes stocks de munitions et d’armes soviétiques avaient été placés près de la frontière pour approvisionner l’armée d’invasion de l’Allemagne, et ils tombèrent rapidement entre les mains des Allemands, apportant un complément important à leurs propres ressources terriblement insuffisantes.
Les ressources énormes et pleinement militarisées de l’État soviétique, complétées par les contributions de la Grande-Bretagne et de l’Amérique, ont fini par renverser la vapeur et par mener à une victoire soviétique, mais Staline s’est retrouvé avec seulement la moitié de l’Europe plutôt que sa totalité. Souvorov soutient que la faiblesse fatale du système soviétique était son incapacité totale à concurrencer les États non soviétiques dans la production de biens civils en temps de paix, et parce que ces États avaient encore survécu après la guerre, l’Union soviétique était vouée à l’effondrement final.
Navrozov, le chroniqueur des Chronicles, est un slave russe et donc peu favorable au dictateur allemand. Mais il termine sa critique par une déclaration remarquable :
Par conséquent, si l’un d’entre nous est libre d’écrire, de publier et de lire ceci aujourd’hui, il s’ensuit que dans une partie non négligeable, notre gratitude pour cela doit aller à Hitler. Et si quelqu’un veut m’arrêter pour avoir dit ce que je viens de dire, je ne fais aucun secret de l’endroit où je vis.Ron Unz
Note du traducteur
On suit Ron Unz dans sa série American Pravda et on vous en proposera à terme l'intégralité. Ces textes sont pour le moins audacieux. Il est toujours difficile de tirer des conclusions à partir de quelques faits et de suppositions autour des intentions cachées de tel ou tel dirigeants surtout après des décennies de propagande. On vous laisse libre de vous faire votre propre opinion. Nous ne sommes sans doute pas à la veille de voir les historiens libres de leurs analyses, notamment sur cette période de l'histoire.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire