Article original de Dmitry Orlov, publié le 2 juillet 2019 sur le site Club Orlov
Traduit par le blog http://versouvaton.blogspot.fr
Le sommet du G20 qui s’est tenu la semaine dernière à Osaka a été un événement marquant : il a montré à quel point le monde avait changé. Les pièces maîtresses de la nouvelle configuration sont la Chine, la Russie et l’Inde, l’UE et le Japon étant des partenaires enthousiastes et l’intégration eurasienne étant la priorité absolue. L’ordre du jour était clairement établi par Xi Jinping et Poutine. May, Macron et Merkel – les dirigeants européens ne méritant pas vraiment ce titre – étaient clairement relégués en périphérie ; deux d’entre eux sont en train de s’en aller tandis que celui qui garde sa place (pour l’instant) ressemble de plus en plus à un toyboy. Les Européens ont perdu leur temps à marchander sur la question de savoir qui devrait diriger la Commission européenne, pour ensuite faire face à une rébellion ouverte sur leur choix dès leur retour au pays.
Et puis il y a eu Trump, qui se lâche maintenant que la farce de Robert Mueller est arrivée à son inévitable conclusion. Il courait dans tous les sens pour savoir lequel des « partenaires » de l’Amérique peut encore être jeté sous le bus avant que le toit ne s’écroule sur la Pax Americana. C’est un vœux pieux parce qu’il n’a plus de munitions. Il a déjà menacé deux fois, une fois la Corée du Nord, une fois l’Iran, mais, étant donné les catastrophes en Afghanistan, en Irak, en Syrie et en Libye, sa raison l’a poussé à garder son jouet militaire bien à l’abri.
Trump n’a pas encore complètement renoncé à la guerre commerciale, mais là encore, il rencontre des problèmes et il est contraint de faire marche arrière : Huawei a été sorti de la niche à sanctions. Trump doit maintenant sortir du jeu un autre acteur majeur – la Chine, la Russie ou l’UE – avant que l’Eurasie ne soit cimentée par des routes commerciales terrestres contrôlées par la Chine, la Russie et l’Iran au lieu de routes maritimes patrouillées par la marine américaine ; s’il échoue, les États-Unis seront hors jeu, leur puissance militaire et le dollar américain devenant tous deux hors sujet. De cette petite liste, l’UE semble être la cible la plus douce, mais même les Européens ont réussi, d’une manière ou d’une autre, à lancer un mécanisme qui leur permet de contourner les sanctions américaines contre l’Iran. Trump est définitivement dans une situation difficile. Que doit faire l’auteur de « The Art of the Deal » quand plus personne ne veut négocier d’autres accords avec les États-Unis, sachant maintenant très bien que les États-Unis trouvent toujours le moyen de revenir sur leurs obligations ?
Et puis est venu le coup de massue. Dans une interview accordée au Financial Times, Poutine a déclaré que « l’idée libérale… a finalement perdu de son utilité » parce qu’elle ne répond plus aux besoins de la majorité des peuples. Il ne parle pas de « gens », mais de « peuples » – tous différents, mais tous les peuples viables unis dans leur adhésion inébranlable au principe que la famille et la nation (du verbe latin nasci – être né) sont « über alles ». Certains pourraient percevoir des indices de fascisme dans cette suite de pensées, mais cela reviendrait à dire que puisque les fascistes sont connus pour utiliser des brosses à dents, alors les brosses à dents ipso facto sont des outils fascistes interdits et chacun doit retourner se laver les dents avec des brindilles et des bâtons. Ce que Poutine a été capable de dire au sujet de l’idée libérale qui serait morte – ce qu’aucun dirigeant occidental n’oserait dire – montre à quel point le monde a changé.
Ce n’est pas que certains dirigeants occidentaux ne le diraient pas, si seulement ils le pouvaient. « Nos partenaires occidentaux », a dit M. Poutine, « ont admis que certains éléments de l’idée libérale ne sont tout simplement pas réalistes… comme le multiculturalisme. Beaucoup d’entre eux ont admis que oui, malheureusement ça ne marche pas (on rigole …) et qu’il faut se rappeler des intérêts de la population autochtone. » Non pas que la Russie n’ait pas sa part de problèmes liés aux migrants, en raison de sa politique d’ouverture des frontières avec certaines anciennes républiques soviétiques, mais elle s’efforce de les résoudre en exigeant des compétences en russe et le respect de la culture et des traditions russes, alors que « l’idée libérale présuppose que rien n’a besoin d’être fait, que les migrants peuvent tuer, piller et violer, mais que nous devons défendre leurs droits… Quels droits ? Tu as enfreint une règle, tu es puni ! »
La crise des migrants est un parfait exemple de la façon dont le libéralisme a dépassé son utilité. Le libéralisme offre deux voies pour aller de l’avant, qui lui sont fatales. Une approche est clairement antilibérale : arrêter l’afflux de migrants par tous les moyens nécessaires ; insister pour que les migrants déjà présents dans le pays se conforment à un ensemble strict d’exigences, y compris une connaissance approfondie de la langue de la nation, une connaissance détaillée de ses lois et systèmes administratifs, une stricte obéissance à ses lois et une préférence et un respect manifestes pour les coutumes et la culture des populations autochtones – ou soient expulsés ou au moins déportés. L’autre approche est avant tout libérale : permettre à l’afflux de continuer, ne pas entraver la formation de ghettos et d’enclaves d’étrangers dans lesquels les citoyens et les fonctionnaires autochtones n’osent pas entrer, et finalement se soumettre à la charia ou à d’autres formes de dictature étrangère, garantissant ainsi la mort éventuelle de l’idée libérale avec une grande partie de la population autochtone. Ainsi, le choix est entre tuer l’idée libérale mais sauver la population indigène ou laisser mourir l’idée libérale bon gré mal gré, en emmenant la population indigène avec elle. Il n’y a aucune autre solution.
« Nous vivons tous dans un monde fondé sur les valeurs bibliques traditionnelles », a dit Poutine. « Nous n’avons pas besoin de les démontrer tous les jours … mais nous devons les avoir dans notre cœur et dans notre âme. Ainsi, les valeurs traditionnelles sont plus stables et plus importantes pour des millions de personnes que cette idée libérale qui, à mon avis, est en train de cesse d’exister. » Cela est vrai non seulement pour les croyants – qu’ils soient chrétiens, musulmans ou juifs – mais aussi pour les athées. Pour le dire en des termes qui peuvent choquer et étonner certains d’entre vous, vous n’avez pas besoin de croire en Dieu (bien que cela vous aide à éviter toute dissonance cognitive) mais si vous aspirez à une quelconque adéquation sociale dans une société traditionnelle, vous n’avez d’autre choix que de penser et agir sincèrement comme si Dieu existait, et qu’Il est le Dieu de la Bible, qu’Il soit Yahweh, Elohim, Jésus et la Sainte Trinité ou Allah (mot arabe pour « Dieu »).
Poutine a mis fin à son argumentation en mettant les pieds dans le plat toujours si gentiment et poliment. Il a dit qu’il n’avait aucune idée de tout ce qui se passe avec le « transgenrisme-trans… tout ce que vous voulez ». Combien y a-t-il de genres ? Il a perdu le compte. Il n’est pas contre le fait de laisser les membres adultes consentants de divers groupes sexuels minoritaires faire ce qu’ils veulent entre eux – « Que tout le monde soit heureux ! » – mais ils n’ont pas le droit de dicter leurs règles aux autres. Plus précisément, la loi russe rend illégale la propagande homosexuelle parmi les mineurs. Les précieux pro-LGBT d’Hollywood doivent être mécontents : leur choix est soit de censurer la propagande LGBT du scénario, soit de censurer le film fini avant sa sortie en Russie (et en Chine).
Ici, Poutine puise dans quelque chose qui est en train de vite devenir une tendance politique partout, y compris dans cet ancien bastion du libéralisme, l’Occident. C’est dans la nature des démocraties que les minorités auparavant réprimées aient tendance à réclamer de plus en plus de droits jusqu’au point où elles commencent à empiéter sur les droits de la majorité, et souvent bien au-delà, mais à un moment donné, la majorité commence à les repousser. Aujourd’hui, on peut affirmer avec une certaine certitude que, de l’avis de la majorité, le mouvement LGBT est allé trop loin. Les sondages d’opinion [aux USA, NdT] en témoignent : le soutien aux LGBT a atteint un sommet de plus de 50 %, mais a chuté d’environ 10 % par année depuis plusieurs années maintenant.
Jusqu’à quel point le mouvement LGBT est-il allé trop loin ? Dans certains pays occidentaux, des enfants d’à peine trois ans sont soumis à un « changement de sexe » qui suit une séquence d’endoctrinement, de castration chimique et de castration physique, même contre la volonté de leurs parents, qui aboutit à un individu stérile. Je vous en prie, pourquoi un parent sain d’esprit accepterait-il de faire stériliser sa progéniture, mettant ainsi fin à sa lignée ? La grande majorité de la population sur la Terre trouve de telles pratiques épouvantables, et cela commence à inclure l’épicentre de l’idée libérale désormais morte – l’Occident lui-même. Voici une première étape timide de l’écrasante réplique qui semble s’ensuivre, un « défilé de la fierté hétérosexuelle » est prévu à Boston.
Notez que l’élément en question n’est pas « genre » mais « sexe ». Le mot « genre » existe, mais le sens dans lequel les militantes et les féministes LGBT l’utilisent est un exemple de surcharge de la violence linguistique. Le seul sens dans lequel le terme est valable est le genre grammatical, qui est une caractéristique de la plupart des langues indo-européennes. Dans ces langues, tous les noms sont assignés à l’un des trois sexes – homme, femme et neutre – en anglais, identifiés par les pronoms « he », « she » et « it », tandis qu’en russe, ils sont « oná » et « onó » et, très typiquement, « he » (« on ») est le genre par défaut ou non marqué tandis que les deux autres requièrent des fins spécifiques (« -a », « -o »). Les noms et pronoms masculins et féminins peuvent désigner des objets animés ou inanimés, qui répondent soit à « Qui », soit à « Quoi », alors que les noms et pronoms neutres ne peuvent désigner que des objets inanimés, qui répondent à « Quoi ? » (sauf en poésie, comme le permet la licence poétique). D’ailleurs, cela dissipe la confusion sur les pronoms alternatifs « sexospécifiques », qu’ils soient « ze », « hir » ou « ququuuxxx » : pour fonctionner grammaticalement, ils doivent encore faire un choix entre masculin et féminin, ou ils indiquent qu’une personne est un être inanimé – un « quoi » plutôt qu’un « qui ».
L’emploi grammatical du terme « genre » est justifié ; tous les autres sont des efforts fantaisistes pour surcharger le terme d’une manière qui ne correspond pas à la réalité physique. Et la réalité est la suivante : des échantillons de tissus de n’importe quel spécimen de l’espèce humaine permettent de trouver facilement le sexe du spécimen en recherchant une paire de chromosomes XX ou XY et en lui attribuant un symbole « F » ou « H » correspondant. Dans la grande majorité des cas, le spécimen lui-même peut s’être vu attribué un sexe par inspection visuelle, tout comme un poulet, mais beaucoup plus facilement en examinant les organes génitaux. Pour la survie de l’espèce, il est crucial qu’un spécimen « F » devrait généralement être capable de donner naissance après l’accouplement avec un spécimen « H ». Il y a diverses anomalies et pathologies qui se situent en dehors de ce schéma de base, mais elles sont suffisamment rares pour être considérées « comme du bruit« [au sens d’un signal, NdT] la plupart du temps.
Les gens aux marges méritent certainement la liberté de s’engager dans n’importe quelles parties fines qui chatouille leur imagination, mais prétendre qu’ils appartiennent à un arc-en-ciel de « genres » fictifs n’aide pas du tout le reste d’entre nous. Peut-être les appelle-t-on tous des « pidors« , comme le font souvent les Russes, ce qui simplifie un peu trop les choses. (Le mot est un raccourci pour « pédéraste« qui vient des anciens Grecs, qui étaient célèbres pour la pédérastie, et qui signifie littéralement « l’amour des jeunes garçons »). D’un autre côté, avec la plupart des Russes, ce serait probablement une erreur d’essayer de leur expliquer la différence entre Q1 et Q2 dans LGBTQ1Q2 car pour eux cette question est siiii intéressante ! (La phrase en italique doit être lue avec un gémissement, un visage à la mâchoire relâchée et un roulement des yeux.)
Cela dit, vous pouvez certainement continuer à croire en un arc-en-ciel de genres, aux elfes, ou aux licornes et ceux qui sont gentils et polis souriront de vos slogans libéraux tandis que ceux qui sont grossiers et impolis vous riront au nez ou même vous bousculeront un peu dans un effort vain pour vous mettre du plomb dans la tête. Mais nous devons être gentils et polis et, comme Poutine l’a dit, « Que tout le monde soit heureux. » En retour, nous devrions probablement essayer d’éviter d’être bousculés et giflés par des gens dont la tête est pleine d’idées dépassées et confuses. Certaines de ces têtes, notamment celles des « flocons de neige« , qui semblent incapables congénitalement d’accepter tout désaccord, vont exploser d’elles-mêmes.
Plus important encore, nous devrions refuser à ces personnes tout accès à nos enfants. Ici, Poutine a lancé un appel au clairon qui devrait résonner dans le monde entier : « Laissez les enfants tranquilles ! » Son appel devrait résonner chez la grande majorité des humains, de toutes ethnies, cultures et religions, qui prennent l’exhortation divine à « être féconds et à se multiplier » au sens littéral et souhaitent que leur progéniture en fasse de même. Lorsque les conditions se détériorent, comme c’est souvent le cas, ils tomberont comme des mouches à l’automne, mais la mort sera alors un élément essentiel de la vie, et ils finiront par se régénérer et vivre pour essaimer à nouveau une fois que les conditions se seront améliorées.
Soit dit en passant, maintenant que le libéralisme est mort, ceux qui pensent que la planète est surpeuplée n’ont que le droit de parler pour eux-mêmes. C’est-à-dire qu’il se peut très bien que la Terre soit surpeuplée avec vous, mais c’est à vous seul, bien sûr, d’en décider. Si cette question vous tient suffisamment à cœur, vous devriez peut-être prendre les choses en main et débarrasser la planète de votre si bonne personne, mais permettez que le reste d’entre nous attendions de quitter ce monde d’une autre manière, plus naturelle et moins idéologiquement motivée. En attendant, le reste d’entre nous devrait pouvoir avoir autant d’enfants que les conditions locales le justifient. Poutine n’avait rien à dire sur cette question ; il est le président de la Russie, la Russie n’est pas surpeuplée, et le reste de la planète ne l’a pas élu. De même, maintenant que le libéralisme est mort, votre opinion sur la démographie de la Russie n’a plus aucune importance, à moins que vous ne soyez russe.
Il y a beaucoup plus à dire sur la mort de l’idée libérale, et ce n’est que le premier épisode – nettoyer les ponts en jetant quelques bagages inutiles par-dessus bord, si vous voulez. Bien plus importante est la question de savoir ce qui va remplacer l’idée libérale maintenant qu’elle est morte. Le capitalisme de marché libre est mort lui aussi (il suffit de regarder toutes les manigances financières, les sanctions et les barrières douanières !) et les conservateurs et libertariens du marché libre occidental devraient noter qu’idéologiquement, ils sont toujours des libéraux et que leur idéologie est morte maintenant, elle aussi.
Mais qu’y a-t-il pour remplacer le libéralisme ? Il semble que le choix soit entre le marxisme-léninisme artificiellement ressuscité (avec Léon Trotsky qui rôde, menaçant et Pol Pot assis comme un Bouddha sur un tas de cadavres en décomposition) et le stalinisme moderne, high-tech et brillant (avec des caractéristiques chinoises distinctes). Les garçons et les filles intelligents, lorsqu’on leur propose un faux choix en leur demandant « Voulez-vous une pomme ou une banane », répondent généralement « Non ! » J’aimerais faire la même chose. Mais alors quels autres choix reste-t-il ?
Dmitry Orlov
Le livre de Dmitry Orlov est l’un des ouvrages fondateur de cette nouvelle « discipline » que l’on nomme aujourd’hui : « collapsologie » c’est à-dire l’étude de l’effondrement des sociétés ou des civilisations.
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