mardi 20 août 2019

La prophétie moderne du dernier épisode de Game of Thrones

Article original de Gregory Hood, publié le 21 mai 2019 sur le site Unz Review
Traduit par le blog http://versouvaton.blogspot.fr

Le dernier épisode de Game of Thrones contenait un message important sur la nature de la politique moderne. C’était sûrement involontaire.

 

L’écriture du dernier épisode et de la dernière saison en général, a été atroce. Balerion la Peur Noire aurait pu voler à travers les trous béants de l’intrigue que David Beinoff et D.B. Weiss ont tissée. Les armées que nous pensions décimées étaient soudainement capables de conquérir le monde, les dragons, une fois facilement tués, étaient soudain invincibles, et les autres « royaumes » qui composent le royaume étaient totalement indifférents à ce qui se passait dans la capitale. Le scénario était pire que de la fan-fiction.



L’explication est simple : HBO s’est précipité. HBO est apparemment en train de développer de multiples épisodes dérivés, mais il aurait été beaucoup plus judicieux de donner le feu vert à une saison supplémentaire du scénario principal pour que les personnages et les intrigues puissent être développés correctement.

Le personnage de Daenerys Targaryen a été détruit aussi complètement que celui de Stannis au cours des saisons précédentes – et en beaucoup moins de temps. Elle a exterminé la population de Port-Réal depuis les airs après que la ville se soit déjà rendue. Cela n’avait aucun sens étant donné le développement de son caractère jusqu’à présent. C’était l’équivalent télévisuel d’un appât pute-à-clic, un choc pour le plaisir du choc, un retournement vide de sens.

Pourtant, ce fut amusant simplement pour la réaction que cela a provoqué. Beaucoup de journalistes furent furieux que Daenerys Targaryen, la « briseuse de chaînes » soutenu par des armées étrangères non blanches, ait été présenté comme une fanatique. Bien sûr, c’était une fanatique, qui croyait avoir été choisie par le destin. Le défaut a été dans la façon dont le scénariste a exécuté sa destinée, pas dans la façon dont cela s’est terminé.

D’un point de vue conservateur, le dernier épisode était porteur d’un message positif. L’épisode commence avec Daenerys promettant dans une langue étrangère de « libérer » le monde entier. Port-Réal fume à l’arrière-plan, rempli de cadavres brûlés d’hommes, de femmes et d’enfants. Ça rappelle Dresde.

Notamment, elle parle dans une langue étrangère à ses deux principales forces, les Immaculés et les Dothrakis – deux peuples étrangers. Comme l’ont fait remarquer les personnages des épisodes précédents, Cercei, malgré tous ses défauts, était au moins originaire de Westeros. Daenerys était un envahisseur étranger, utilisant d’autres étrangers pour conquérir le pays. C’est l’équivalent d’utiliser les Mongols pour conquérir l’Angleterre et restaurer les Stuart. Le souverain « légitime » est peut-être de retour sur le trône, mais la destruction causée est énorme. Pire encore, Jon Snow est Aegon Targaryen, l’héritier légitime du trône. Daenerys n’a pas vraiment été « choisie » du tout.

Tyrion se retrouve en prison après avoir été arrêté pour avoir démissionné de son poste de conseiller principal. Il s’entretient avec Jon Snow, ce qui l’incite finalement à un régicide. L’argument de Tyrion et Jon contre Daenerys ressemble à une critique conservatrice typique du communisme et d’autres mouvements messianiques de gauche. À plus petite échelle, il s’agit d’une critique des antifas, des guerriers de la justice sociale et d’autres qui pensent que ruiner des vies, utiliser la violence et mentir sont justifiés pour leur cause égalitaire.

Daenerys veut « briser la roue » des luttes de pouvoir en conquérant tout au nom des opprimés. « Si vous y croyiez vraiment, ne tueriez-vous pas tous ceux qui se tiennent entre vous et le paradis ? » demande Tyrion à Jon de manière rhétorique. « Don’t Immanentize The Eschaton / Ne recrée pas sur terre le paradis perdu », comme disaient les conservateurs des années 60.

Quand Jon confronte Daenerys, elle l’invite à construire le nouveau monde avec elle. Il essaie de la pousser à l’humilité, mais elle soutient que c’est au couple au pouvoir de décider de ce qui est bon pour le monde, et personne d’autre. Ce n’est qu’après ça qu’il la poignarde.

(All credit to an anon on /pol)

Notamment, Daenerys semble avoir développé les cheveux argentés de sa famille à la fin de la série au lieu des cheveux blonds qu’elle possédait autrefois. C’est vraiment une Targaryenne. Elle est « super-blanche », essentiellement hyperboréenne, libérant et dirigeant des non-blancs qui ne peuvent le faire seuls. Pas étonnant que les femmes blanches libérales avec un complexe de sauveur s’identifient à elle. Pas étonnant qu’elles étaient furieuses de la fin.

Le règlement politique qui met fin à la série est encore plus improbable. « Bran le brisé » possède des pouvoirs magiques pour voir les événements du passé, du présent et de l’avenir dans le monde entier. Il a surtout siégé au cours des dernières saisons, faisant à l’occasion des commentaires maladroits. Néanmoins, les seigneurs de Westeros le font roi, d’après un discours de Tyrion. On rit de la démocratie, mais une certaine forme de monarchie élective est créée. La sœur de Bran, Sansa, déclare que le Nord devrait être un royaume indépendant, et Bran est d’accord, cédant ainsi une grande partie de son royaume comme son premier acte. Pourquoi d’autres royaumes ne font pas aussi immédiatement sécession est laissé inexpliqué.

Évidemment, Westeros est un monde de « fantasy », où la magie, les dragons et les géants peuvent être trouvés. Pourtant, comme George R. R. Martin le répète à maintes reprises, il contient peu de magie pour une série fantastique de haut niveau, et l’accent est mis sur le réalisme politique et le cynisme des manœuvres. Le public naïf qui n’avait pas lu les livres a compris le message lorsque Ned Stark s’est fait couper la tête. Les êtres surnaturels ne travaillent dans une fiction que s’ils opèrent dans un contexte où ils sont compréhensibles. Les personnages doivent répondre de façon crédible. L’idée que des seigneurs ayant leurs propres agendas et intérêts accepteraient d’avoir un étrange estropié sans lien de sang avec la dynastie au pouvoir est absurde.

Pourtant, ce n’est que de l’écriture paresseuse et n’a pas d’importance à moins que vous ne soyez profondément engagé dans une émission de télévision. Si nous acceptons le « Roi Bran », quel est le vrai message ? C’est qu’il représente la règle du récit, c’est-à-dire la règle des médias, plutôt que la règle de la tradition, de l’héroïsme, voire de l’intelligence.

Tyrion justifie le choix de Bran en disant qu’il a la meilleure histoire. « Le garçon qui est tombé d’une haute tour et il a survécu. Il savait qu’il ne marcherait plus jamais, alors il a appris à voler », dit-il. « Il passa le Mur, lui un garçon infirme, et devint la Corneille aux Trois Yeux. » Beaucoup d’esprits éclairés peuvent observer qu’à peu près tous les autres personnages (Jon, Arya, Sansa) avaient une meilleure histoire.

Mais Tyrion en dit plus que cela. Il soutient que les histoires sont en fin de compte ce qui unit les gens plus que les armées, l’or ou les drapeaux. « Il n’y a rien au monde de plus puissant qu’une bonne histoire », dit-il. « Rien ne peut l’arrêter. Aucun ennemi ne peut le vaincre. » (Il n’a manifestement pas entendu parler du déplateformage en ligne).

Bien plus tôt dans la série, Varys a posé à Tyrion la question de ce qu’était réellement le pouvoir. Varys a dit que « le pouvoir réside là où les hommes croient qu’il réside. » Tyrion va maintenant plus loin – le pouvoir réside dans la capacité de façonner la croyance.

Si quelqu’un a ce pouvoir, c’est Bran. « Il est notre mémoire, le gardien de toutes nos histoires », dit Tyrion. « Les guerres, les mariages, les naissances, les massacres, les famines. Nos triomphes, nos défaites, notre passé. Qui de mieux pour nous conduire dans le futur ? » C’est un écho d’Orwell : « Qui contrôle le passé contrôle le futur. »

En effet, Bran montre qu’il ne connaît pas seulement les événements, il peut les façonner. Plus tôt dans la série, il a dit qu’il ne pourrait jamais être Seigneur de Winterfell, parce qu’il était maintenant la Corneille à trois yeux. Il n’était plus vraiment Bran.

Mais maintenant, il accepte la couronne. « Pourquoi crois-tu que j’ai fait tout ce chemin ? » dit-il. Bien qu’il prétende qu’il ne veut pas être roi (en fait, plus tôt dans la série, il dit qu’il ne « veut » plus vraiment rien), il annule l’objection de Ver gris à faire de Tyrion la Main du Roi. « Je suis roi », dit-il en justification. Bran montre également plus d’émotion et de personnalité après être devenu roi, mais pas beaucoup. Il n’y a pas vraiment « une » personne qui gouverne le royaume par le pouvoir de l’histoire (du récit). Cependant, il est clair qu’il y a quelque chose qui a son propre agenda.

Bran peut contrôler l’information, les secrets, l’histoire, le récit et même l’identité. Il l’a prouvé plus tôt dans la série lorsqu’il a révélé que Jon Snow n’était pas un bâtard, mais le véritable héritier du trône de fer. Cette révélation a déclenché l’effondrement de Daenerys.

Bran n’est pas le Lion de Machiavel, défini par la bravoure et la puissance. (La reine Cercei, la « Lionne » Lannister de la famille des méchants du cinéma des années 80, est littéralement anéantie). Mais Bran n’est pas vraiment un Renard non plus, défini par la ruse et les coups tordus. Il coupe à travers les plans de Littlefinger en lui disant que « le chaos est une échelle », récitant une réplique que Littlefinger a dite dans une conversation privée. Littlefinger est visiblement choqué. L’intrigue est impossible si un être magique peut entendre ce qu’il veut.

Avec le contrôle du récit et de l’information, ni force ni intelligence ne sont vraiment nécessaires. C’est aussi la mort de la politique et de la personnalité. Ce n’est probablement pas une coïncidence si Bran me rappelle Mark Zuckerberg témoignant devant le Congrès.

Les seigneurs de Westeros se moquent de la démocratie, comparant les roturiers aux chiens et aux chevaux. Pourtant, recadrer le pouvoir en termes de contrôle narratif, au lieu de lignage, de tradition ou de force militaire, critique la démocratie d’une manière différente. Bran est l’équivalent de la Big Tech à Westeros. Si vous contrôlez l’histoire, vous contrôlez aussi le choix, rendant ainsi la « démocratie » insignifiante. C’est le monde dans lequel nous vivons aujourd’hui, où des traits comme l’héroïsme, l’intelligence ou l’intégrité sont secondaires au contrôle du récit. Avons-nous plus de pouvoir sur notre système politique ou économique actuel que les chiens ou les chevaux ?

Un tel système rend également impossible tout changement réel. Cela « brise la roue » d’une manière différente. Au lieu de personnalités puissantes en quête de pouvoir, c’est une personnalité collective qui prévaut. Personne ne peut s’inspirer de Bran. Les dernières scènes de gens qui l’appellent « Votre Grâce » ont l’air absurde. Cependant, Bran peut tout savoir sur tout le monde s’il sait juste où chercher. C’est probablement mieux de lui obéir.

La série Dune aborde également cette idée et se termine sur une note différente. Un « Dieu-Empereur » aux pouvoirs prophétiques comprend qu’en sachant tout et en étant capable de tout prédire, il condamne la race à la stagnation. Son règne parfait est un tombeau pour l’humanité. Il met donc en œuvre un plan pour éventuellement détruire son propre pouvoir et disperser sa race dans toute la galaxie. Il s’assure que les gens ne seront pas unis par une histoire ou l’Histoire.

Bien sûr, il y a une exception dans les sept anciens royaumes. Sansa Stark devient « Reine du Nord ». Le Nord, à cause de ses pertes horribles dans les différentes guerres civiles de Westeros et contre le Roi de la Nuit, se sent totalement à part du reste du royaume. Dans une certaine mesure, il l’a toujours été. La plupart des gens ont une religion différente du reste du royaume. Le récit de Bran ne peut pas les intégrer. Ils ont leur propre histoire plus convaincante. Ils ont aussi un leader fort, parce que l’astucieuse Sansa, politiquement, ne veut pas être contrôlé.

Pourtant, même sa victoire est un pas loin de l’idée d’un leadership héroïque. Ned Stark, Robb Stark et Jon Snow ont tous opérés selon le code sévère du Nord, selon lequel l’homme qui prononce la sentence doit balancer l’épée. Sansa ne peut évidemment pas jouer ce rôle.

Elle n’a pas vraiment le même contrôle que son père, son frère ou son cousin. Elle peut avoir des hommes qui se battent pour elle, mais elle ne peut pas les mener comme Robb Stark l’a fait. Bien que son apparence finale fasse écho à Elizabeth I, à la différence d’Elizabeth, Sansa devra se marier et avoir un héritier, sinon il n’y a plus de Stark. La séparation de la souveraineté d’une personne individuelle a commencé même dans le Nord. Elle est un peu en retard sur les autres royaumes, mais elle est sur la même voie vers le leadership collectif.

Une autocratie est plus libre qu’une démocratie de masse sur un aspect crucial. Pour créer le changement, il suffit de remplacer le type au sommet. Cependant, lorsque ce qui vous contrôle est un système entier, vous ne pouvez pas identifier qui ou quoi est souverain. Gauche, droite, centre, tout le monde suspecte aujourd’hui que la direction élue n’est pas vraiment en charge. Tout le monde n’est pas d’accord non plus sur qui ou quoi.

Daenerys a essayé d’unir le monde, mais c’est seulement par la division que les gens peuvent être libres. Pourtant, Westeros s’achemine vers un autre type d’esclavage. La tyrannie de Daenerys aurait au moins eu le sens de la grandeur. Mais dans le dernier épisode de Game of Thrones, le dragon Drogon détruit le Trône de Fer, symbole du pouvoir et de la souveraineté clairement identifiable. Il s’envole avec Daenerys, représentant l’envol du mystère, de la magie et de la légende du monde.
Jon Snow, le véritable héritier, part en exil, condamné à ne pas avoir d’enfants  ce qui met fin à la mystique famille Targaryen. Arya cherche l’aventure aux confins du monde, car il n’y a plus rien à faire à Westeros. La dernière petite réunion du conseil consiste en des blagues cochonnes, des chamailleries sur la comptabilité et des discussions sur l’approvisionnement en eau. « L’âge des économistes« , comme aurait pu le dire Burke, est arrivé. La gloire de Westeros s’est éteinte à jamais. Il n’y a plus d’histoires à raconter, du moins aucune digne d’être entendue.

Gregory Hood

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire