Article original de James Howard Kunstler, publié le 3 Février 2017 sur le site kunstler.com
Traduit par le blog http://versouvaton.blogspot.fr
Je suppose que vous avez déjà remarqué que le centre n’était
plus ce qu’il était. Au lieu d’être une plateforme sécurisée pour des
idées politiques comme la tradition, la précédence, la rationalité et
les normes culturelles, vous voyez un gouffre d’émotions ardentes entre
les camps de la soi-disant gauche et de la soi-disant droite.
Je dis cela, parce que le camp de Gauche et la Droite de Trump ont
échappé aux corrals des catégories qu’ils occupaient autrefois. Et ils
ont peut-être laissé leurs partis de référence officiels échouer et
aussi mourir. Il est sot de dire si c’est une bonne ou une mauvaise
chose ; c’est comme cela, pour le moment. Ce sont deux moitiés d’un
système politique brisé et elles sont si éloignées, qu’il est également
difficile de voir comment elles pourraient jamais revenir ensemble à un
consensus, sur la façon dont une société pourrait fonctionner avec
succès.
Sans avoir de consensus − au moins un certain chevauchement
substantiel entre cercles de perspective −, il n’est pas surprenant que
l’Amérique ne puisse pas construire une vue cohérente de ce qu’il se
passe, ou faire un plan pour y remédier. Le point central, c’est la
chute des économies techno-industrielles basées sur les combustibles
fossiles, et le principal symptôme en est la chute des niveaux de vie,
avec des perspectives d’affaiblissement du bonheur futur et de la
sécurité.
Comme je l’ai déjà dit, notre situation économique est fondamentalement intenable, en raison de la baisse de l’EROEI de l’approvisionnement crucial en pétrole (regardez Steve St. Angelo). Au point culminant de la production pétrolière des années 1920, le ratio était d’environ 100-1. À l’heure du « miracle »
du pétrole de schiste, on est content avec environ 5-1. Tous types de
pétrole confondus, on est de nos jours sous les 30-1. En dessous de ce
chiffre, vous devez faire une croix sur certaines activités de notre
économie complexe (ou elles deviennent juste trop chères à
soutenir − des choses comme les emplois à haute rémunération, les soins
médicaux, le tourisme, l’université, les déplacements, chauffer une
maison de 250 m2…). Curieusement, la façon dont cela fonctionne, en
fait, c’est que l’Amérique va tout simplement devoir mettre de côté
toute sa classe moyenne et toutes ses habitudes de luxe. Du moins, c’est
comme ça que cela va se passer. Naturellement, cela va produire
beaucoup de mauvais sentiments.
Il est peu probable que le président Trump soit en mesure de résoudre
ce problème essentiel, à moins qu’il ne puisse piloter toute l’économie
politique dans un chemin droit vers le néo-médiévalisme − ce que
j’appelle le monde fait à la main. L’appel de Trump pour la restauration
d’une économie industrielle comme en 1962 est une perspective peu
réaliste. Au lieu de cela, il sera assujetti aux dommages collatéraux
causés par l’effort malhonnête de ses prédécesseurs récents, empruntant
sur l’avenir pour payer notre mode de vie actuel − c’est-à-dire
accumulant de la dette. Cette lourde dette, jamais vue auparavant dans
l’Histoire, et la fraude comptable qui l’a permise, ont contribué à
produire toutes sortes de distorsions, de perversités et de fragilités
dans notre système monétaire (les finances et les banques) qui peuvent
facilement glisser vers l’effondrement si un élément crucial se casse la
figure ici ou là, et c’est exactement ce que je pense qu’il va se
passer sous Trump. Ce ne sera pas de sa faute, mais il sera blâmé pour
cela. Et quand cela se produira, il ne sera pas capable de porter son
attention à autre chose qu’à cela.
En attendant, la société montre tous les symptômes de cette maladie
économique, à travers les fissures politiques et culturelles de notre
époque. La droite politique a manqué à son rôle de conservatisme prudent
des valeurs, des ressources et des usages pratiques ; la gauche
politique s’est réfugiée dans la fantaisie sentimentale, en utilisant
des stratagèmes sémantiques de séminaires des lycées pour prétendre que
la réalité est ce qu’ils veulent qu’elle soit.
Inconfortable avec les
vieilles tensions de la sexualité ? Prétendez que vous pouvez vous
retirer de la dynamique de la biologie en vous déclarant « non binaire »,
un terme avec un goût agréable de science. Les tensions ont-elles
disparu ? Pas vraiment. Vous n’avez fait que les aggraver, par exemple
si on regarde les taux de suicide de ces « non binaires ». Les
perversités du triomphalisme transsexuel sont directement liées aux
mensonges du triomphalisme trans-monétariste de la Réserve fédérale et
toutes les parties sont soumises à la matrice de racket qui a remplacé
le simple commerce des biens, de l’argent et des idées dans cette
société, et surtout les idées fondées sur la réalité.
Les sociétés peuvent ne pas être exactement des organismes doués
d’intentions, mais elles évoluent dans une direction particulière, parce
qu’elles sont des phénomènes émergents. Autrement dit, elles
s’auto-organisent selon les circonstances et les forces auxquelles elles
sont soumises à un moment et à un endroit de l’Histoire. La décadence
est précisément la désintégration des frontières sociales et
culturelles, processus qui s’accélère manifestement maintenant. Les deux
côtés du spectre politique agissent sur cette dynamique, avec le vide
aspirant la vitalité du centre de chaque côté. La gauche est devenue une
sorte de religion païenne de victimes sacrées et de la victimisation,
la collecte des blessures sacrées et des martyrs. Son secret obscur,
cependant, est que ces choses sacrées ne sont que des chiens de paille
et des hommes d’osier. Le véritable motif animant la gauche de nos jours
est simplement le plaisir de la coercition, de l’exercice du pouvoir
pour punir leurs adversaires et les voir souffrir.
La droite autour de Trump jouit également des contorsions et des
souffrances de ses adversaires, dans le style d’une punaise écrasée, en
s’engageant dans la bataille chimérique pour revenir en 1962 à tout
prix. La gauche et la droite ne montrent pas qu’un peu de sadisme dans
leurs méthodes. À l’arrière-plan de ces histrions, la grande machine à
gémir de la modernité se précipite vers l’effondrement ─ pas la fin du
monde comme beaucoup d’imbéciles l’imaginent, mais la fin d’une phase de
l’Histoire, quand des choses qui fonctionnaient autrefois se
détraquent. À un certain point, nous devrons essayer d’autres façons
d’être ensemble sur cette planète, et alors pour un moment les choses se
rassembleront de nouveau.
James Howard Kunstler
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