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Matrice de l’infrastructure en Tanzanie
La Tanzanie occupe une place importante dans le paradigme global du projet One Belt One Road de la Chine car elle est l’hôte de quatre grands projets d’infrastructures de connectivité en cours de construction par Pékin. On pense également que le pays possède d’énormes gisements de gaz naturel et de pétrole au large, dont certains se trouvent dans les eaux de Zanzibar ou tout près et qui ont poussé les autorités de l’archipel à s’impliquer davantage pour avoir plus d’autonomie et leur permettre d’étendre leur juridiction. Ce dernier point est très litigieux et sera discuté plus en profondeur à la fin de la recherche, de sorte que pour l’instant l’étude se concentrera uniquement sur les projets d’infrastructure continentaux dans le pays et leur pertinence régionale pour son projet de Route de la Soie en Afrique en de l’Est.
Avant de commencer cette partie de l’analyse, le lecteur doit se familiariser avec la carte personnalisée que l’auteur a dessiné pour visualiser chacun de ces projets:
(Toutes les routes sont approximatives et pas exactes)
- Point Vert : Port de Tanga
- Ligne verte : Oléoduc Ouganda – Tanzanie
- Point Rouge : Port de Bagamoyo
- Ligne rouge : Corridor central
- Point Bleu : Dar es Salaam
- Ligne bleue : TAZARA
- Point noir : Mtwara
- Ligne noire : Couloir de développement de Mtwara
- Ligne Orange : oléoduc Mtwara – Dar es Salaam
- Cadre blanc : Zanzibar
Quant à Dar es-Salaam, des hommes d’affaires chinois de la province de Jiangsu (lieu du terminal portuaire de la Route de la Soie d’Eurasie de Lianyungang) se sont engagés à investir 5 milliards de dollars dans la région au cours des cinq prochaines années. L’ancienne capitale tanzanienne est également le terminus du chemin de fer TAZARA construit par la Chine entre l’État littoral et son voisin zambien sans littoral, riche en cuivre, dans les années 1970. En ce qui concerne le corridor de développement de Mtwara, la Chine construit déjà une ligne de chemin de fer entre cette ville portuaire de l’océan Indien et son homologue du lac Malawi / Nyasa, Mbamba Bay dans le cadre de la concession de 9 milliards de dollars accordée au corridor central. Pékin veut avoir accès aux 3 milliards de dollars de placements de minerai de fer et de charbon qu’elle a réalisé, et cet itinéraire aidera également la Russie à extraire de l’uranium de sa mine sur la rivière Mkuju.
En ce qui concerne le projet final à étudier, l’oléoduc Mtwara – Dar es-Salaam était une initiative de 1,23 milliard de dollars financée et construite par la Chine. À l’avenir, il y a la possibilité pour la Chine de participer à l’éventuelle usine de GNL de 30 milliards de dollars à Lindi, une petite ville très proche de Mtwara. Compte tenu des investissements actuels de la Chine dans l’infrastructure du pays et dans les entreprises liées à l’énergie, il est fort probable que Pékin participera à ce plan à quelque titre que ce soit. Dans ce cas, la Chine pourrait étendre son empreinte stratégique dans le sud de la Tanzanie pour compléter ses intérêts liés au GNL dans le nord du Mozambique. En conséquence, cet investissement possible pourrait être considéré comme une excroissance du corridor de développement Mtwara et non comme une nouvelle initiative distincte de celui-ci. Ainsi, la recherche va maintenant examiner plus de nuances stratégiques derrière les quatre projets susmentionnés.
Le pipeline ougandais-tanzanien et le port de Tanga
La Chine n’a pas de contrôle direct sur le pipeline et le port, mais elle y a néanmoins un intérêt en raison de la nécessité d’accéder à ses investissements pétroliers en Ouganda. L’auteur a écrit plus tôt comment il a publié une analyse pour Katehon sur ce sujet, touchant aux implications plus larges de la rivalité ougandaise-kenyane, pour en examiner brièvement les aspects les plus pertinents, alors que ce pipeline n’a jamais été censé passer par la Tanzanie comme premier choix. La décision surprise d’abandonner les conceptions originales du LAPSSET a été un choc majeur pour le Kenya, qui a perdu ainsi des sommes incalculables de revenus de transport et qui maintenant n’a plus un partenaire fiable pour l’aider à financer le projet de pipeline de ses propres dépôts du nord-ouest.Nairobi avait espéré que le géant pétrolier français Total, l’un des investisseurs pétroliers ougandais et la compagnie qui construira le pipeline désigné de Kampala auraient choisi le Kenya et partagé ainsi le fardeau financier de ce coûteux projet. Sans leur participation ou celle d’un autre investisseur majeur, il est impossible pour le gouvernement kenyan de payer le pipeline lui-même. Il y a toujours une chance que Total permette à ses gisements sud-soudanais de passer par la route LAPSSET originale au Kenya, mais là encore, on a déjà dit que l’entreprise préférerait que toutes ses ressources soient exportées via le même pipeline qui, dans ce cas serait celui ougandais-tanzanien se terminant au port de Tanga. Peu importe que le Sud-Soudan ait signé pour cette initiative ou non, le fait est que Tanga devrait devenir un terminal énergétique très important d’Afrique de l’Est dans un proche avenir, et il est prévu que l’investissement chinois croîtra en conséquence avec lui.
Le Corridor central et le Port de Bagamoyo
Ce projet ferroviaire massif envisage de relier les hauts plateaux africains à l’océan Indien via le centre de la Tanzanie, reliant le port à bâtir de Bagamoyo au Rwanda, au Burundi, et vraisemblablement à l’est de la RDC. L’ampleur de cette initiative est énorme, et ce n’est pas pour rien que les observateurs ont couronné celui-ci comme l’un des plus grands projets portuaires en Afrique de l’Est, en concurrence avec l’autre port chinois de Lamu au Kenya. Les deux sont censés être en mesure de gérer 20 millions de conteneurs par an, ce qui, pour les mettre en perspective, donne des capacités d’expédition 25 fois plus grandes que celles de Dar es Salaam à l’heure actuelle (voir le lien précité). Les attentes de tout le monde sont très élevées pour une bonne raison, puisque le couloir central traversera la bande d’espace très peuplée reliant Dar es-Salaam à la capitale Dodoma positionnée au centre du pays et à la ville de Mwanza, qui aboutit au lac Victoria. Elle atteindra également de manière prospective les deux pays appauvris du Rwanda et du Burundi, mais qui ont tous deux un potentiel combiné de 20 millions de personnes, soit un peu moins de la moitié de celui de la Tanzanie. Cela donne lieu à beaucoup d’optimisme pour qu’un grand trafic commercial transite entre ces nœuds clés.Ce n’est pas la raison pour laquelle le port de Bagamoyo est construit pour accueillir plus de 20 millions de conteneurs par an. Les Chinois et les Tanzaniens attendent évidemment que le Corridor central finisse par les relier aux régions orientales riches en ressources de la RDC, ce qui fournirait alors aux deux parties un lien direct avec ces produits et rendrait ces pays, ainsi que leurs projets d’infrastructure, des routes commerciales indispensables pour le marché mondial. La RDC a également beaucoup de main d’œuvre disponible et de potentiel commercial, mais c’est principalement l’extraction des ressources qui intéresse le plus les investisseurs et qui pourrait les convaincre de financer le projet au-delà des frontières de la CAE et dans les pays d’Afrique centrale. En outre, en raison de la concurrence Ouganda-Kenya et le coup de « mauvais sang » provoqué par le rejet de Kampala du Corridor LAPSSET pour ses exportations de pétrole, on ne peut pas totalement écarter que l’Ouganda pourrait soit réfuter le projet de chemin de fer standard du Kenya et le remplacer par le Corridor central ou diversifier judicieusement ses axes de dépendance à l’exportation du secteur réel et compléter le projet de Nairobi par celui de Dodoma. Cela donnerait en fait au Corridor central le potentiel de relier tous les pays de la CAE, à l’exception du Kenya, ce qui justifie largement les projections de 20 millions de conteneurs par an qui ont été discutées.
TAZARA
Le projet d’infrastructure de l’autorité ferroviaire Tanzanie-Zambie (TAZARA) va probablement entrer dans l’histoire comme le premier projet d’infrastructure d’outre-mer significatif de la Chine. Il a été construit dans les années 1970 dans le but d’approfondir les liens fraternels entre les trois parties et donner à la Chine l’accès aux gisements de cuivre enviables de la Zambie. Le gouvernement socialiste-révolutionnaire de Lusaka était déjà idéologiquement prédisposé envers la Chine et préférait vendre ses ressources à l’État maoïste plutôt qu’au bloc capitaliste. Mis à part ces facteurs intangibles intéressants, la Zambie enclavée avait également un motif géostratégique clair pour s’assurer un accès fiable à la mer et dès lors au marché mondial. Ces facteurs se sont combinés de manière à rendre le projet TAZARA gagnant-gagnant pour toutes les parties impliquées. Malheureusement, le projet s’est finalement largement délabré et cette infrastructure n’était plus l’ancrage stable qu’elle avait pu être autrefois, c’est pourquoi la Chine est retournée sur place et a rénové ses investissements vieux de plusieurs décennies. Mais elle a pris le contrôle total du projet en échange.L’intention de la Chine de contrôler le TAZARA est qu’il forme l’épine dorsale cruciale de sa Route Transafricaine du Sud (STAR), un plan pour relier la côte de l’océan Indien à l’Atlantique via les territoires du centre-sud du continent. Dans la pratique, STAR comporte deux itinéraires, qui se chevauchent sur une grande partie de son itinéraire. Le premier connecte le TAZARA au centre de la Zambie et ensuite poursuit vers le chemin de fer angolais jusqu’à Benguela.
Ce projet serait facilité par le futur chemin de fer du Nord-Ouest que Lusaka veut construire, tandis que le second repart du centre de la Zambie et se connecte à l’ex-région de Kinshasa en RDC avant de rejoindre le même trajet vers Benguela. Dans les deux cas, l’objectif est clair. La Chine veut un système de transport unimodal (ferroviaire) reliant les deux côtes du continent. Son équivalent, la Route transafricaine du Nord (NTAR), est une vision multimodale beaucoup plus complexe du point de vue logistique dans laquelle le chemin de fer à voie standard du Kenya (ou éventuellement le Corridor central) passe par l’Ouganda puis fait route vers le nord-est de la RDC, à Kisangani avant de poursuivre en aval vers la capitale Kinshasa, puis finit sur rail, soit de cette ville au port atlantique de Matadi, soit de sa capitale sœur du Brazzaville à Pointe Noire sur l’océan.
Corridor de développement Mtwara
Souvent négligé par rapport à ses homologues ayant des contreparties géostratégiques plus évidentes, le corridor de développement Mtwara est encore un projet très ambitieux en lui même. Bien que la base structurelle de sa composante ferroviaire était évidemment de relier la Chine à ses investissements miniers sur le côté oriental du lac Malawi / Nyasa, elle a également servi à Pékin à mettre un pied dans la région riche en ressources de Mtwara, qui abrite commodément la zone encore plus riche en énergie du bassin du Rovuma du nord du Mozambique. Cela explique les motivations énergétiques du projet, mais d’autres intérêts sont également desservis par ce chemin de fer. Parce qu’il se termine sur le lac Malawi / Nyasa, il donne accès par ferry au pays sans littoral et désespérément pauvre du Malawi. Bien que cet État ne soit économiquement nullement impressionnant, il a un secteur agricole fort qui pourrait intéresser les investisseurs étrangers. Avec un terminal ferroviaire construit par la Chine sur la baie de Mbamba et une connexion par ferry à travers le lac vers le Malawi, ce pays sans littoral pourrait ainsi acquérir une route d’exportation diversifiée pour diminuer sa dépendance envers les ports de Beira et de Nacala au Mozambique. Cela pourrait également contribuer à amener le développement sur ces terres oubliées, ce qui pourrait aider à maintenir la stabilité intérieure. En raison de son emplacement géostratégique à la jonction entre ses voisins zambiens, tanzaniens et mozambicains beaucoup plus importants, tout conflit civil au Malawi, avec les armes de migration de masse qui en résulteraient, pourraient déstabiliser toute la région et mener à une chaîne de conséquences imprévues menaçant finalement les investissements de la Chine dans ces pays.Enfin le corridor de développement de Mtwara et le chemin de fer construit par la Chine correspondent à la souveraineté de Dodoma sur le littoral du lac Malawi / Nyasa et pourraient lui donner un élan asymétrique dans la défense de ses revendications maritimes. Perdue dans la plupart des rapports autour du marché de l’énergie en raison de sa taille relativement mineure, la plupart des observateurs ne savent pas que cette étendue d’eau est potentiellement riche en ressources pétrolières et gazières, raison pour laquelle le Malawi et la Tanzanie se disputent sa souveraineté. Le conflit remonte à l’époque coloniale où l’Allemagne et le Royaume-Uni ont délimité les frontières de la Tanzanie et du Malawi, respectivement, et Lilongwe a acquis le contrôle sur toute la partie nord-est du lac jusqu’à la rive. Cependant, Dodoma a depuis repoussé ces revendications et dit que la frontière devrait se trouver au milieu du lac, devenant ainsi pour les deux côtés un enjeu au travers des ressources naturelles sous-marines. Comme on pouvait s’y attendre, le Malawi ne veut rien lâcher sur ce qu’il estime être sa souveraineté légale sur le territoire. Cela a produit de mauvaises relations entre les deux voisins. On ne sait pas jusqu’à quel point les deux parties pourraient aller pour appuyer leurs revendications, mais il semble clair que la Tanzanie cherchera à capitaliser sur l’augmentation prévue de l’activité portuaire qui va évidemment accompagner l’achèvement du Corridor Mtwara afin d’affirmer plus sûrement sa souveraineté sur le lac et augmenter les chances que ses revendications puissent être validées.
Anarchie continentale
Juste avant de passer à la dernière partie de l’étude et de s’attaquer au scénario de guerre hybride le plus probable à Zanzibar, il est nécessaire de dire quelques mots sur les perspectives de conflit identitaire sur les terres tanzaniennes. Depuis une dizaine d’années le système, qui a conservé l’harmonie ethnique, a évolué progressivement au cours des 25 dernières années avec la « libéralisation » économique. Alors que les gens sont toujours respectueux du travail acharné accompli par leurs prédécesseurs pour forger un patriotisme uni et inclusif, le fait est que beaucoup de Tanzaniens sont trop jeunes pour se souvenir – et encore moins pour apprécier – de tout ce que les générations précédentes ont fait pour eux. Cela signifie que la Tanzanie est plus sensible que jamais face à la démagogie locale et aux campagnes de désunion soutenues par les ONG en mettant l’accent sur la sensibilisation ethnique par rapport au patriotisme civique, ce qui pourrait déclencher une séquence débilitante de déstabilisation si certains événements situationnels sont déclenchés.Les recherches du dernier chapitre sur le Rwanda et le Burundi ont abouti à une discussion sur la vulnérabilité de la Tanzanie aux armes de migration de masse qui pourrait résulter d’une crise des réfugiés des Grands Lacs 2.0, qui pourrait à son tour catalyser une intense période de guerre tribale hobbesienne dans le pays. Dans la situation actuelle, la Tanzanie est largement à l’abri de cette situation en raison de son fort sentiment d’une identité nationale unifiée et inclusive, mais elle pourrait être désarmée de son bouclier socio-idéologique dans le cas où une poussée de violence était précédée par l’action d’une ONG à visée ethnique qui éroderait cette unité susmentionnée et accentuerait la susceptibilité des citoyens au fratricide. Une opération de fusillades menée par des hommes armés en même temps qu’un assaut informatif pourrait réussir à disperser des armes de contrebande entre les mains de la population, en leur donnant les moyens de réagir aux soupçons et à la haine inoculés chez certains d’entre eux par endoctrinement.
En raison de la représentation proportionnellement minuscule, moins de 4%, que forme les 120 groupes ethniques du pays sauf deux, la Tanzanie est hypersensible au nettoyage ethnique et au génocide dans le cas d’un événement désastreux où certains de ces groupes s’entretueraient et que les anciens tenant de l’identité nationale unifiée se désagrègeraient de manière abrupte. Il est prévisible que cela pourrait inciter la « communauté internationale » à émettre des appels à une « intervention humanitaire », tout comme ils l’ont fait en réponse aux crises somalienne, centrafricaine et sud-soudanaise, bien que dans ce cas avec beaucoup plus d’urgence en raison de la pléthore de petits groupes séparés qui pourraient finir par s’entretuer et mettre rapidement en danger l’intégralité du groupe identitaire victime. Le déclencheur de cette chaîne calamiteuse d’événements pourrait être le débordement via des armes de migration de masse à partir d’une explosion violente et incontrôlable au Burundi ou d’un effondrement du Malawi, ou il pourrait être engendré par un éclatement aléatoire de violence suite à l’agression d’un segment de la population et le pré-conditionnement centré sur l’identité.
Zugwang à Zanzibar
L’étude sur la Tanzanie est enfin sur le point de s’attaquer au sujet litigieux de Zanzibar, l’archipel semi-autonome situé au large de la côte nord-est de la république unie et la scène la plus probable de guerre hybride. Partie intégrante de la Tanzanie unie, la chaîne insulaire est la zone la plus vulnérable de tout le pays à des tentatives de déstabilisation influencées de l’extérieur. On soutiendra que les événements se développent progressivement le long d’une trajectoire très négative faite de divisions, et que cela pourrait n’être qu’une question de temps avant que des violences électorales sporadiques n’évoluent en un conflit plus étendu et durable. Si cela se produisait et que Zanzibar continue à glisser vers le chaos, les autorités tanzaniennes seraient placées dans un cas de Zugzwang – une situation liée aux échecs « dans laquelle un joueur est forcé de faire un mouvement indésirable ou désavantageux » – qui provoquerait des préjudices sans précédents à l’unité du pays et pourrait même finalement conduire à sa fragmentation en incitant le scénario mentionné précédemment d’Anarchie continentale.Notions de base
Le territoire semi-autonome de Zanzibar comprend en fait deux îles – la principale, Unguja (communément appelée Zanzibar), et la deuxième, Pemba. Cette partie du pays a un développement social et historique complètement séparé du continent. Pour commencer, Zanzibar est presque 100% musulmane et avait été l’un des avant-postes pour la traite des esclaves, l’un des plus connus au monde depuis des siècles. L’entremêlement démographique qui s’est produit pendant cette période a créé une identité unique de « Shirazi », auto-définis comme des Noirs qui auraient été d’ascendance perse. De nos jours, eux et les Africains composent la grande majorité de la population de près d’un million de personnes qui habitent les îles de Zanzibar, mais il y avait plus d’Arabes et d’Asiatiques du Sud avant la Révolution de 1964.
Zanzibar a été libéré de son ancien statut de protectorat britannique en décembre 1963 à côté de sa colonie continentale du Tanganyika, et les deux ont été officiellement des pays indépendants séparés. Un mois plus tard, en janvier 1964, le parti afro-shirazi a organisé une révolution sanglante contre le Sultan et son gouvernement dirigé par les Arabes. Dans le chaos résultant, un nombre contesté allant de plusieurs centaines à 20 000 Arabes et Asiatiques du Sud ont été abattus. Un document déclassifié de la CIA révèle que les États-Unis ont fortement soupçonné que la révolution était d’une manière ou d’une autre liée à un complot communiste de la Guerre froide, craignant qu’elle n’annonce la propagation de cette idéologie dans le reste de la région si elle n’était pas contenue. Ces appréhensions se sont vite dissipées lorsque Zanzibar a rejoint le Tanganyika quelques mois plus tard en avril pour former la République unie de Tanzanie. Dans le cadre de l’accord de fusion, l’archipel devait jouir d’une autonomie locale substantielle, bien que toutes les affaires extérieures fussent considérées comme relevant du gouvernement d’union et donc de Dar es-Salaam (plus tard Dodoma).
Violence suppurante
En dépit de sa séparation identitaire avec ses homologues du continent, Zanzibar est restée tout aussi paisible que le reste du pays pendant la période de la Guerre froide, bien que cela ait changé avec l’introduction du « libéralisme » et de la démocratie multipartite. Le principal groupe d’opposition du pays, le Civic United Front (CUF), a tendance à avoir plus de soutien à Zanzibar qu’ailleurs en Tanzanie, et il crie à l’injustice régulièrement chaque fois qu’il perd les élections. Non seulement cela, mais ses défaites entraînent habituellement une flambée de violence à Zanzibar, les élections de 1995, 2000, 2005 et 2015 en étant des exemples. Seule l’élection de 2010 s’est déroulée sans heurts, ce qui est principalement attribuable à un accord de partage du pouvoir qui avait été adopté à l’avance. Le CUF avait boycotté le parlement régional depuis 2005, mais cet accord a instauré un « gouvernement d’unité nationale » adopté par un référendum avant les élections, qui faisait assez de concession pour que l’opposition change de position et décide de rejoindre le processus politique.Cette brève « lune de miel » ne dura que jusqu’à la période électorale suivante en 2015, lorsque les autorités du pays ont annulé les résultats du vote d’octobre en raison de la fraude généralisée. Le candidat du CUF, Seif Sharif Hamad, n’a pas non plus aidé en se déclarant gagnant avant même l’annonce du dénombrement officiel. Le gouvernement a vu cela comme une provocation flagrante visant à inciter à la violence politique entre les partis concurrents et répétant le cycle de déstabilisation qui avait généralement accompagné les élections de Zanzibar. En cherchant à remédier à ce problème, les autorités ont annoncé qu’une reprise des votes aurait lieu en mars 2016, bien que la CUF ait décidé de le boycotter et ait déclaré qu’il ne reconnaîtrait pas les résultats.
Peu de temps après l’annonce du nouveau vote, deux mystérieuses bombes faites maison ont explosé dans la capitale de Zanzibar. Personne n’a été blessé. Une semaine avant que la réélection n’ait lieu, une autre bombe a détruit la maison du chef de la police de Zanzibar, bien que la cible ait échappé à toute blessure. Les deux attaques indiquent une escalade du militantisme anti-gouvernemental et semblent indiquer que les préparatifs initiaux pour une insurrection urbaine ont été posés. Lorsque la date du vote a finalement été adoptée, la Commission électorale de Zanzibari a officiellement annoncé que le président de la région, Ali Mohamed Shein, du parti présidentiel Chama Cha Mapinduzi (CCM), a été réélu avec 91% des voix et 68% de participation. De façon révélatrice, personne ne s’est préoccupé du boycott du CUF ou non, car il n’y avait aucun moyen que même leur pleine participation ait pu changer les résultats.
Les États-Unis et leurs alliés occidentaux ne l’ont pas vu de cette façon, cependant, et ils ont décrié les élections comme un simulacre. Les États-Unis ont même franchi un pas de plus et ont gelé les quelques 500 millions de dollars d’aide au développement qu’ils avaient déjà accordés à la Tanzanie. Le leader de l’opposition, Hamad, a suivi les signaux de ses patrons américains et a ordonné à ses partisans de lancer une campagne de « résistance passive« , qui a coïncidé avec une foule de crimes liés à des actifs privés dans l’île de Pemba, menant à l’arrestation de militant du CUF. C’est dans cette période de juin que Hamad s’est également rendu aux États-Unis et a averti que si le gouvernement de son pays ne le reconnaissait pas comme le président de Zanzibar, « le radicalisme religieux trouverait un terreau propice ».
Les fonctionnaires tanzaniens n’ont pas interprété cela comme un avertissement, mais plutôt comme une menace par anticipation annonçant des violences imminentes si le gouvernement ne se pliait pas à ses demandes, et ils ont donc annoncé à la fin du mois de juillet qu’ils arrêteraient ce leader pour incitation à la haine contre le gouvernement. En tant qu’observateur, la situation politique à Zanzibar devient de plus en plus précaire, avec des signes évidents que les composantes de la guerre hybride – une révolution de couleur et une guerre non conventionnelle – se forment juste au-dessous de la surface. Si un conflit asymétrique éclatait dans la chaîne des îles, il ne s’agirait pas seulement d’amener une « opposition démocratique » au pouvoir, mais d’atteindre des objectifs géopolitiques concrets qui, en fin de compte, permettraient de favoriser les avantages unipolaires des États-Unis dans la région.
Géopolitique et pétrole
La raison pour laquelle l’« opposition » veut prendre le pouvoir à Zanzibar concerne la prise de contrôle des gisements de pétrole dans les eaux environnantes. Alors que la majeure partie du potentiel de gaz naturel de la Tanzanie se situe au sud près de Mtwara, ses possibilités pétrolières en mer se trouvent dans le nord près de Zanzibar. Même avec le parti CCM en place responsable de l’archipel semi-autonome, les dirigeants régionaux de l’île ont été en conflit avec leurs homologues du gouvernement central du continent sur la répartition des recettes à venir de ces projets. Zanzibar dit qu’il devrait avoir le droit de recevoir directement de l’argent de ces initiatives, alors que Dodoma dit que de telles affaires sont du domaine du gouvernement d’union et doivent être négociées à travers celui-ci. La question n’est pas seulement théorique, étant donné que de vastes blocs d’exploration ont déjà été attribués dans les eaux situées à l’est de Zanzibar.Il existe même un accord antérieur qui a été signé en 2010 entre la Tanzanie et une compagnie énergétique canadienne pour l’extraction du pétrole à proximité du rivage de l’île, les représentants du CCM à Zanzibar se prêtent à des négociations politiques et à des compromis pour résoudre ce problème, bien que le CUF ne soit pas aussi patient ou pragmatique, favorisant plutôt les amendements constitutionnels pour plus de pouvoir ou de sécessionnisme.
Les deux positions du CUF sont inquiétantes pour l’ensemble de la Tanzanie. Si en principe il n’y a rien de mal à un transfert pacifique de pouvoir vers Zanzibar (et cela pourrait même être quelque chose que le parti CCM local pourrait défendre), le danger est que le CUF pourrait agiter un extrémisme radical pour prendre le pouvoir, allant peut-être jusqu’à exiger l’indépendance de fait et sa propre armée, tout en s’attendant toujours à des subventions et des paiements de recettes fiscales du gouvernement central. Dans la pratique, la fin la plus probable pour de telles demandes serait un fédéralisme identitaire, qui pourrait être très perturbateur pour l’unité continentale. Une autorité quasi indépendante à Zanzibar pourrait servir d’exemple pour d’autres groupes identitaire enhardis et désireux d’obtenir une part plus importante des recettes tirées des ressources naturelles du pays et dévolues aux dépenses globales du pays. Si le pré-conditionnement des ONG (socialisation politique) est suffisamment efficace à ce moment-là, cela pourrait alors amener la population à proximité de Mtwara et d’autres régions riches en ressources à exiger un accord similaire avec Dodoma. Si le gouvernement central se plie aux menaces militantes des Zanzibaris, ces groupes agités pourraient aussi chercher à imiter ce modèle et à adresser des ultimatums similaires aux autorités, espérant aussi les faire plier et donner à l’opposition régionale une plus grand part du produit des recettes à venir pour le gaz naturel dans Mtwari ou peut-être même les ressources minérales près du lac Malawi / Nyasa.
Outre la réaction en chaîne du fédéralisme identitaire si une campagne militarisée réussissait à Zanzibar, cela pourrait produire dans tout le reste du pays des perturbations à grande échelle dans la chaîne des îles qui pourraient également devenir fortement négatives pour les ports de Tanga, Bagamoyo et Dar es Salaam. Les investisseurs risqueraient d’être effrayé si la piraterie, les bombes et / ou les attentats terroristes devenaient monnaie courante dans ce secteur, en se rappelant qu’Unguja (Zanzibar) et Pemba sont à proximité immédiate de ces installations. Ces îles bénéficieront probablement de beaucoup d’attention à l’avenir, car ces trois ports voisins s’intégreront au réseau One Belt One Road, mais tout cela pourrait être revu s’il y avait une véritable peur de violences qui dissuaderait les marins de les visiter. En fait, compte tenu de la nature du profil démographique et de l’histoire de la Tanzanie, il existe un risque très réel que le conflit identitaire à Zanzibar puisse franchir rapidement le détroit et infecter le littoral continental. La forte concentration de musulmans dans ces deux régions, ainsi que l’héritage commun de la côte swahili, pourraient être exploités par des intérêts extérieurs et des « organismes de bienfaisance islamiques » pour favoriser un sens aigu de séparatisme identitaire et accroitre la viabilité de toute campagne insurrectionnelle. Les attentats à la bombe d’al-Qaïda en 1998 contre les ambassades des États-Unis à Nairobi et à Dar es-Salaam prouve que les terroristes salafistes ont déjà des intérêts bien compris dans la région et que des cellules extrémistes pourraient venir du territoire dysfonctionnel des Comores, allié des saoudiens.
Une division civilisationnelle dans la « République unie«
Le pire scénario à Zanzibar serait que la crise dans le pays prenne des dimensions civilisationnelles, c’est-à-dire que le pays bascule dans l’islamisme. Cela aurait pour effet de renforcer la séparation identitaire entre les chrétiens et les musulmans et de faciliter ainsi le travail des extrémistes pour proposer délibérément une mauvaise interprétation de la réaction militaire attendue de Dodoma, en la présentant comme étant une « agression chrétienne contre les musulmans ». En plus de cristalliser la discorde identitaire entre les chrétiens continentaux et les musulmans, cela pourrait également transformer Zanzibar en un aimant pour les combattants étrangers et en faire l’épicentre régional d’une plus grande campagne de djihad.Comme on l’a expliqué ci-dessus, la particularité démographique de la Tanzanie d’avoir un littoral continental fortement musulman peut inviter les séparatistes de la côte swahili à revendiquer un territoire au milieu de ce tumulte prospectif, en surfant sur les ondes de la rhétorique populiste sur la « redistribution » des ports Tanga-Bagamoyo-Dar es-Salaam et des ressources naturelles. Ils pourraient procéder ainsi afin de s’attirer les bonnes grâces des habitants. La capitale commerciale du pays, Dar es-Salaam, pourrait même être pressée de se déclarer rétroactivement autonome ou fédérée au cours de toute dégradation massive de l’autorité dans tout le pays, comme dans un contexte où des mouvements fédéralistes-séparatistes concurrents pourraient éclater entre différentes identités tribales (par exemple celles autour de Mtwara et du lac Malawi / région de Nyasa).
Tout cela, rappelons-le, serait dramatiquement exacerbé ou peut-être même provoqué en premier lieu par l’afflux d’armes de migration de masse du Burundi voisin ou du Malawi. Dans une telle atmosphère d’anarchie, les investissements de la Chine sur la nouvelle route de la soie en Tanzanie seraient probablement annulés ou détruits, ce qui permettrait au grand objectif stratégique des États-Unis d’entraver la pénétration de son rival chinois dans la région du Heartland africain. Néanmoins, ce ne serait pas sans dommages collatéraux relatifs pour l’allié indien des États-Unis, qui est impatient de « profiter d’un retour sur investissement » sur les projets chinois pour approfondir sa propre influence dans la partie sud-ouest de son océan éponyme.
Andrew Korybko est le commentateur politique américain qui travaille actuellement pour l’agence Sputnik. Il est en troisième cycle de l’Université MGIMO et auteur de la monographie Guerres hybrides: l’approche adaptative indirecte pour un changement de régime (2015). Ce texte sera inclus dans son prochain livre sur la théorie de la guerre hybride. Le livre est disponible en PDF gratuitement et à télécharger ici.
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