jeudi 27 septembre 2018

Éloge de l’irresponsabilité, partie 1

Article original de Dmitry Orlov, publié le 20 septembre 2018 sur le site Club Orlov
Traduit par le blog http://versouvaton.blogspot.fr


 

Les voix officielles ne manquent pas pour nous exhorter à agir de manière responsable. Des efforts acharnés sont déployés pour nous faire sentir responsables des représentants gouvernementaux que nous sommes censés élire (en répondant à une question à choix multiples que nous n’avons pas le droit de poser). L’irresponsabilité financière – le surendettement à titre personnel – est vilipendée (tandis que la dette du gouvernement se prolonge vers les étoiles sans penser à un quelconque remboursement). L’éducation responsable des enfants est considérée comme une grande vertu qui nous oblige à adhérer à des normes de sécurité exagérées qui nous amènent, génération après génération, à élever des idiots congénitaux exagérément dorlotés.

Les autorités nous poussent à dénoncer les diverses infractions mineures de nos voisins – c’est-à-dire, espionner pour le compte du gouvernement – en ignorant le fait que la surabondance de lois fait en sorte que chaque personne commet en moyenne trois crimes par jour. Même les compagnies d’assurance se lancent dans ce jeu moralisateur, nous conditionnant à penser qu’agir de façon responsable réduira les primes d’assurance de notre assurance obligatoire – mais ne dites à personne que si votre risque est suffisamment faible, il vaut mieux vous assurer en utilisant vos propres économies plutôt que de les gaspiller pour gonfler les profits des compagnies d’assurance. Bref, être responsable, c’est ne pas trop penser, car à y regarder de près, « la responsabilité » se réduit à « faire ce qu’on dit et ne pas poser de questions ».



Ce qui est remarquable dans tous ces appels à la responsabilité, c’est que, dans l’ensemble, ils sont l’œuvre de personnes qui, elles-mêmes, vont de joyeusement peu clairvoyantes à parangons de l’irresponsabilité, toutes beaucoup plus soucieuses de renforcer leur propre pouvoir et autorité que de poursuivre une quelconque notion du bien commun. Que se passerait-il si l’on pouvait soutenir que ces tentatives de moralisation publique sont strictement manipulatrices et qu’elles visent à nous conduire dans un cul-de-sac où nous pouvons facilement nous faire massacrer ou escroquer ? Et si oui, qu’est-ce qui constituerait une réponse responsable à une manipulation aussi hypocrite, cynique et égoïste ?

Avant de passer à l’analyse de chacun de ces cas, il faut dire que les sentiments de responsabilité, ainsi que leurs expressions, sont fondamentaux, naturels et instinctifs. Ils ne sont même pas spécifiques à l’homme mais sont exposés par toutes sortes d’autres animaux sociaux et semi-sociaux. Il est naturel pour nous de nous sentir responsables de ceux qui nous sont les plus proches – notre famille et nos proches, nos voisins les plus proches, notre tribu. La coutume de l’hospitalité peut nous faire nous sentir responsables des invités, qu’ils soient les bienvenus ou non. L’empathie – qui peut-être entièrement volontaire et au cas par cas – peut nous obliger à assumer la responsabilité de parfaits étrangers.

D’un autre côté, il est profondément contre-nature pour nous de ressentir un sentiment de responsabilité (si ce mot doit avoir un sens) envers l’entité fictive et statistique de « l’humanité dans son ensemble » (y compris les cannibales, les violeurs d’enfants, ceux qui n’ont pas un QI mesurable et les oligarques financiers psychopathes). Les tentatives d’imprégner cette entité d’un sens artificiel de réalité puent le mensonge selon Whitehead, qui a analysé le caractère mal placé de la réification, et tout appel à cette entité en utilisant le pronom pluriel à la première personne – « Nous devons… » – est un signe certain de charlatanisme.

L’idée que le concept d’« humanité dans son ensemble » est faux, est un grand affront au libéralisme moderne, tout comme le libéralisme moderne dégoûterait sans doute grandement les Victoriens qui ont adopté le concept du « fardeau de l’homme blanc » de Kipling et ont pensé qu’« exterminer toutes les brutes » était une idée magnifique. Une pensée attribuée à Friedrich Engels (je n’ai pas pu traquer la citation exacte) est que les idées révolutionnaires naissent comme hérésies et meurent comme dogmes. Le libéralisme occidental meurt maintenant qu’il est devenu un dogme, tout comme avant lui le communisme soviétique.

Le communisme peut encore renaître sous forme d’hérésie, parce que sa souche soviétique peut être rejetée comme un cas dégénéré et parce que, comme le capitalisme est en échec pour de plus en plus de gens, le marxisme continue à offrir sa critique la plus puissante et convaincante. L’exemple négatif de la chute du communisme soviétique met les libéraux occidentaux en transe ; alors que le dogme communiste soviétique s’est effacé avec à peine un gémissement, le dogme libéral occidental se bat avec acharnement. C’est parce que les gardiens de la flamme du libéralisme occidental – au gouvernement, dans les universités et ailleurs – ont vu ce qui est arrivé à leurs homologues soviétiques (ils ont été licenciés sans pension et ont fini par s’enkyster dans les poubelles de leurs voisins mieux nantis et aux idées idéologiquement incorrectes). Cela les motive dans leur lutte pour prolonger le plus longtemps possible le règne libéral.

La fausse notion d’« humanité dans son ensemble » est un élément clé du dogme libéral parce qu’elle sous-tend tous les autres : libre circulation des personnes, des biens et des capitaux (pas de frontières nationales) ; subordination des organes politiques nationaux à des autorités transnationales non élues (pas de relations bilatérales) ; dissolution de la souveraineté nationale (tous les gouvernements soumis à un diktat transnational indiscutable). Ce sont les éléments de base ; puis il y a les détails, comme le remplacement du sexe biologique par le sexe culturel dans un effort de réingénierie de la nature humaine.

Le résultat final visé est que l’humanité tout entière, quelle qu’en soit la définition, finisse entassée sur un tapis roulant industriel. Les nations appauvries du Sud doivent fournir un flux de matières premières humaines de qualité arbitraire qui doit s’écouler vers le Nord et remplacer les populations indigènes qui disparaissent en raison de l’effondrement démographique (les humains ne se reproduisent pas bien en captivité). Ce matériel humain doit ensuite être transformé en Homo Genericus – sans connaissance de l’histoire ou de la culture autochtone, sans aucun sens de leur identité au-delà d’une « identité de genre » artificielle et d’une hypersensibilité à la couleur de la peau, et tous sont dépendants d’Internet, obéissants, déprimés et sous traitement médical adapté.

Puisque « l’humanité comme un tout » est un faux concept qui ne peut pas être, elle doit être forcée d’exister. Cet état de fait serait très propice à la conversion de la plupart des ressources naturelles restantes en richesse numérique abstraite thésaurisée par un petit groupe d’oligarques transnationaux.
Notons que le concept de tout pouvoir concentré dans une minuscule clique d’oligarques transnationaux technocratiques, avec leurs enceintes grillagées, leurs bunkers de survie en Nouvelle-Zélande et leurs jets Gulfstream prêts à les transporter en un instant, est précisément orthogonal au concept d’« humanité dans son ensemble ». Une telle contradiction interne flagrante est un signe indubitable d’un dogme moribond, tout comme le concept de « nomenklatura » – l’élite communiste largement héréditaire de la fin de la période soviétique – était orthogonal au concept d’un État « prolétarien ». L’expérience soviétique a été compromise dès que les animaux de la ferme d’Orwell ont réalisé que certains d’entre eux étaient « plus égaux » que les autres animaux.
 
Note de l'auteur

Pour ouvrir une parenthèse, la quasi-totalité d'entre eux se débrouillaient très bien à l'époque, avec des logements gratuits, l'éducation et la médecine, de longues vacances dans des stations publiques, une sécurité militaire à toute épreuve et des réalisations impressionnantes dans les sports, la culture et la science. Mais pourquoi fallait-il détruire tout le système et jeter toute la population dans le dénuement et le désespoir, alors qu'il ne s'agissait que d'abattre quelques cochons orwelliens ? Les gens se grattent encore la tête sur cette question.

Un autre signe indubitable de l’effondrement naissant du dogme libéral occidental est que le poids écrasant de la mondialisation stagne depuis un moment et est même maintenant en recul, plus de la moitié du monde s’y opposant implacablement, ayant réalisé qu’il est en contradiction avec leurs traditions nationales, leurs intérêts nationaux, leur réalité biologique et leur bon sens.

La Russie a été complètement perdue pour les libéraux. Là-bas, le libéralisme est devenu le domaine exclusif d’une petite clique pro-occidentale de clowns tristes et sinistres qui en sont réduits à cracher une haine irrationnelle et bouillonnante sur tout ce qui est russe. Ils sont maintenus à flot par les subventions occidentales et par l’avidité des Russes pour le macabre. Même les autres nations d’Europe de l’Est, autrefois considérées comme des territoires conquis, réclament leur souveraineté.

À savoir, George Soros, manipulateur impitoyable de la monnaie et extraordinaire oligarque transnational, a été interdit de séjour dans sa Hongrie natale. L’Ukraine représente le cas le plus spécial de tous, illustrant le fait que le libéralisme et le fascisme sont entièrement compatibles, voire complémentaires, avec les dirigeants ukrainiens qui idolâtrent les gens qui idolâtrent Hitler tout en idolâtrant l’Occident libéral contemporain.

De l’autre côté de l’océan, les masses désenchantées mais patriotiques se sont trouvées un champion en la personne improbable de Donald Trump, qui est occupé à détruire l’ordre mondial transnational par tous les moyens à sa disposition (tarifs, sanctions, insultes et scandales) provoquant des cris d’angoisse de la « nomenklatura » américaine condamnée (a.k.a. l’« État profond »).

Étant donnée cette situation, quelles sont exactement vos responsabilités personnelles face à tout cela ? Les préliminaires étant maintenant terminés, nous aborderons cette question la semaine prochaine.

Les cinq stades de l'effondrement

Dmitry Orlov

Le livre de Dmitry Orlov est l’un des ouvrages fondateur de cette nouvelle « discipline » que l’on nomme aujourd’hui : « collapsologie » c’est à-dire l’étude de l’effondrement des sociétés ou des civilisations.

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