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Leçons de l’histoire romaine
Plus j’étudie l’histoire de l’Empire romain, plus je vois les similitudes avec notre monde. Bien sûr, l’histoire ne se répète pas toujours, mais il est impressionnant de constater qu’avec le début de l’effondrement de l’Empire d’Occident, les élites romaines ont abandonné le peuple pour se construire des forteresses dans des lieux sûrs. Quelque chose de semblable peut commencer à se produire à notre époque et nos élites peuvent décider de chercher des havres sûrs tout en nous laissant nous noyer, mourir de faim ou brûler.
Rutilius Namatianus est aujourd’hui connu pour son texte De Reditu Suo (Sur son retour). C’est un long poème où il nous raconte son voyage le long de la côte italienne vers 416 après J.-C., au cours des dernières décennies de l’Empire romain d’Occident. Nous y lisons un rapport effrayant sur l’effondrement en cours : villes abandonnées, terrains vagues, routes en ruines, etc.
Mais qui était Rutilius Namatianus, et que faisait-il ? Un patricien, un homme puissant, un homme riche, mais aussi un menteur et un traître. Il s’enfuyait de Rome, emmenant probablement avec lui de l’or, des esclaves et des troupes avec l’idée de se construire un fief dans le sud de la France, où il avait quelques possessions. Ce faisant, il abandonnait le peuple de Rome, le laissant se défendre par lui-même. Le peuple qu’il avait le devoir de défendre en tant que praefectus urbi, préfet de Rome, délégué de l’Empereur lui-même.
Namatianus ne faisait rien de pire que d’autres Romains riches et puissants. L’empereur Honorius lui-même s’était enfui de Rome, s’installant à Ravenne, protégé par les marais entourant la ville et avec des navires prêts à l’emmener en sécurité à Byzance si les choses devaient vraiment mal tourner. Lorsque Rome fut assiégée et prise par les Wisigoths, en 410 après J.-C., Honorius ne fit rien, préférant s’occuper de son poulet (une légende, mais avec des éléments de vérité).
Si vous lisez les chroniques du début du Ve siècle après J.-C., vous avez l’impression d’un chaos total, avec des armées barbares qui sillonnent l’Europe et peu de nobles et de commandants romains qui essaient de défendre l’Empire. La plupart d’entre eux semblaient manœuvrer pour trouver un endroit sûr où ils pourraient trouver la sécurité pour eux-mêmes. Nous ne savons pas quel fut le destin final de Rutilius Namatianus mais, puisqu’il a eu le temps de finir son poème, on peut imaginer qu’il a pu construire lui-même un château dans le sud de la France et que ses descendants sont peut-être devenus des seigneurs féodaux. Mais tout le monde ne s’en est pas sorti. Par exemple, Paulinus de Pella, un autre Romain riche, contemporain de Namatianus, a désespérément essayé de s’accrocher à ses possessions en Europe, se considérant finalement heureux d’avoir pu survivre jusqu’à un âge avancé.
Nous voyons ici un schéma : quand les riches Romains ont vu que les choses devenaient vraiment incontrôlables, ils se sont précipités pour se sauver eux-mêmes tout en niant que les choses allaient aussi mal qu’elles avaient l’air de l’être. Nous pouvons le voir clairement dans le poème de Namatianus : il ne laisse jamais entendre que Rome était condamnée. Tout au plus, dit-il, c’était un revers temporaire et bientôt Rome sera de nouveau grande [Make Rome Great Again ?, NdT].
Bien sûr, l’histoire n’a pas besoin de se répéter, même si nous savons qu’elle rime souvent. Mais les similitudes des dernières décennies de l’Empire romain d’Occident avec notre époque commencent à être inquiétantes. La plupart de nos élites ne s’enfuient pas encore, mais certaines d’entre elles semblent y penser (voir cet article de Kurt Cobb). Et certains commencent à construire des bunkers de luxe sophistiqués où se réfugier.
Ce qui est le plus impressionnant, c’est le changement d’attitude : tant que des problèmes tels que le changement climatique étaient considérés comme n’ayant besoin que de changements cosmétiques, ils étaient discutés et les gouvernements s’engageaient à faire quelque chose pour les résoudre. Maintenant que les problèmes commencent à être perçus comme impossibles à traiter, ils sont ignorés. Le changement est particulièrement impressionnant pour les régions où la menace climatique est la plus proche dans le temps. Les élites des Maldives et des îles Kiribati (Le fait que les îles coralliennes soient « vivantes » leur donne une certaine capacité à faire face à l’élévation du niveau de la mer causée par le réchauffement climatique. Mais il y a des limites à la vitesse à laquelle le corail peut croître et au niveau auquel les îles peuvent faire face) ont réagi en niant le danger, tout en vendant ce qu’elles avaient et en se préparant à partir pour des terrains plus élevés.
Il faut être prudent : il n’y a pas de conspiration aujourd’hui (tout comme à l’époque romaine) de personnes se réunissant dans une pièce secrète pour décider du sort de l’humanité. Il y a plutôt une convergence d’intérêts. Les gens qui sont suffisamment riches pour s’acheter un bunker de survie peuvent décider de le faire et, à ce moment-là, il est dans leur intérêt de minimiser les menaces.
C’est une attitude très différente de celle des gens de la classe moyenne. Nous (je suppose que la plupart des lecteurs de ce blog sont des gens de la classe moyenne) n’avons pas le genre d’influence financière nécessaire pour nous planifier un avenir de seigneurs féodaux parmi les ruines d’une civilisation effondrée. C’est pourquoi certains d’entre nous tiennent des blogs catastrophistes, par exemple Cassandra’s Legacy. Les blogs peuvent difficilement nous sauver de l’effondrement mais, au moins, ils sont des moyens de communication efficaces et c’est peut-être ce dont nous avons besoin pour planifier l’avenir.
Alors, en revenant à l’histoire romaine, qu’est-il arrivé aux Romains qui ne pouvaient pas s’enfuir et atteindre leurs châteaux ? Nous savons qu’ils n’ont pas tous survécu, mais certains l’ont fait. Tandis que les institutions et l’État s’effondrent, des communautés résilientes commencent à apparaître, souvent sous la forme de monastères ou de communautés séculières créées autour de « superviseurs » (évêques).
Pouvons-nous penser à quelque chose comme ça pour notre avenir ? Oui, c’est une idée qui se développe sous plusieurs formes, les villes en transition, par exemple. Jusqu’à présent, ce n’est qu’une idée embryonnaire, mais elles peuvent devenir quelque chose d’important avec de nouvelles idées sur la façon dont les humains peuvent se relier à l’écosystème. Les Romains, après tout, ont développé une nouvelle religion pour les aider à faire face à l’effondrement de leur société. Et, comme je l’ai dit, l’histoire ne se répète jamais exactement, mais elle rime.
Quelques détails supplémentaires sur l’expérience de la Rome antique avec l’effondrement. Tout d’abord, quelle est l’origine de l’effondrement du Ve siècle ? Nous devons retourner à « l’apogée de l’Empire » quand les Romains ont atteint les limites de leur expansion. C’est en 9 après J.-C. que trois légions romaines furent massacrées par les Allemands dans les bois de Teutoburg. Leur commandant, Publius Quinctilius Varus, s’est suicidé.
Comment se fait-il que les Romains, pas des imbéciles en matière militaire, ont envoyé trois de leurs légions marcher joyeusement dans une forêt épaisse où un grand nombre de guerriers allemands attendaient pour les couper en morceaux ? La seule explication possible est que Varus a été trahi : quelqu’un voulait voir sa tête rouler, et c’est ce qui s’est passé. Il est remarquable de voir la rapidité et l’efficacité avec laquelle Octavianus, empereur à l’époque, a exploité la défaite pour son gain politique personnel. Il répandit la rumeur qu’il était si attristé par la nouvelle qu’il marchait dans son palais la nuit, marmonnant, espérant peut-être être entendu par les dieux, « Varus, Varus, Varus, rends-moi mes légions ! ». S’il y a jamais eu un mème viral, c’en était un, toujours avec nous plus de 2 000 ans plus tard !
Peut-être qu’Octavianus avait poignardé Varus dans le dos, ou peut-être qu’il a simplement exploité l’incompétence de Varus en tant que commandant militaire. Quoi qu’il en soit, la catastrophe de Teutoburg a eu le même effet que nos attaques du 11 septembre sur la société romaine. Cela a profondément effrayé les Romains. Cela a scellé le rôle des empereurs en tant que protecteurs du peuple. Finalement, la politique est surtout un racket : les gens paient pour être « protégés ». Contre qui ? Typiquement, s’il n’y a pas d’ennemi prêt à l’emploi, il faut le fabriquer exprès. Pour les Romains de l’Antiquité, la menace barbare (nous les appellerions aujourd’hui « migrants ») était largement exagérée. Les problèmes de l’Empire étaient essentiellement internes et auraient nécessité de profondes réformes. Au lieu de cela, les Empereurs – et les Romains eux-mêmes – ont refusé de l’admettre et se sont concentrés sur les seules mesures militaires. C’était une bonne affaire de garder les troupes et de construire des murs défensifs. Encore une fois, les similitudes avec notre époque sont évidentes.
Les choses avançaient lentement à l’époque romaine, de sorte que la stratégie consistant à concentrer tous les efforts sur le système militaire semblait payer, du moins pour quelques siècles. Si vous lisez les souvenirs de l’empereur Marc Aurèle, vous avez l’impression d’une personne qui croyait sincèrement que son devoir était de défendre l’Empire. Il ne comprenait pas que les dépenses militaires excessives ruinaient l’Empire ; la plupart des empires de l’histoire se sont détruits exactement de cette façon. Des similitudes avec notre époque ? Euh…
Les choses ont commencé à mal tourner après l’effondrement de Marc Aurèle et de l’Empire au cours du IIIe siècle de notre ère. Il a réussi à se ressouder de nouveau sous une forme qui rappelait davantage un zombie que l’Empire glorieux des premiers temps. Mais les pulsations ont vraiment débordées à la fin du 4ème siècle, lorsque les élites romaines ont commencé à s’enfuir pour sauver leur vie. Beaucoup d’entre elles ont réussi, tandis que les pauvres ont été laissés derrière, ou pire. Entre 400 et 800 ap. J.-C., la population de Rome a chuté de plus de 90 %, principalement en raison de la famine et des fléaux associés.
Ugo Bardi
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