Article original de Dmitry Orlov, publié le 2 avril 2019 sur le site Club Orlov
Traduit par le blog http://versouvaton.blogspot.fr
C’est certainement ce que ce pays semble faire, et le rythme
s’accélère. Le fait d’avoir passé les trois dernières semaines dans un
endroit discret, loin d’Internet, m’a permis d’observer l’augmentation
de la montée des eaux dans les cales. Il y avait du wifi à l’aéroport et
j’ai téléchargé trois semaines d’articles que j’ai lus pendant le long
vol vers la civilisation. Ce que j’ai lu a été un peu choquant, surtout
après trois semaines de surf, d’oiseaux de mer, de crabes en ballade et
de gens heureux et amicaux qui ne pouvaient pas moins se soucier des
États-Unis.
Depuis quelque temps, les gens me disent que je devrais regarder le film Idiocratie
parce qu’il montre ce que les États-Unis sont en train de devenir. Eh
bien, je ne suis pas sûr qu’un film sur l’idiotie puisse éviter de
devenir idiot, alors je vais passer mon tour, mais il y a une
augmentation certaine du niveau de stupidité affiché par ceux qui font
partie de l’establishment américain. Cela ne devrait pas être une
surprise ; après tout, pourquoi quelqu’un qui possède de la sagesse et
de l’intégrité voudrait-il avoir quelque chose à voir avec cela à ce
moment-là ? Des sommets de stupidité – si stupides que ça fait mal de
les regarder – sont tout autour de nous en ce moment. Permettez-moi d’en
souligner quelques-uns parmi les plus importants.
Pendant que j’étais occupé à regarder scintiller mes orteils dans les
eaux azures, l’enquêteur spécial Robert Mueller a finalement publié son
rapport. Il n’a laissé aucune stupide pierre non retournée, mais n’a
pas réussi à accomplir sa tâche assignée, qui était de prouver que Trump
avait organisé une collusion avec la Russie. Dans son rapport, il
affirme que bien qu’il n’ait trouvé aucune preuve de collusion ou
d’obstruction à la justice, son rapport n’exonère pas Trump. Notez ces
deux points d’extrême stupidité. Premier point : s’il n’y avait pas de
collusion, il n’y avait pas de crime, et il n’y avait pas de cours de la
justice à entraver. Deuxième point : si, comme Mueller l’admet, aucun
crime n’a été commis, il n’y a rien dont on doit disculper Trump.
Les démocrates, qui espéraient destituer Trump sur la base du rapport
Mueller, devraient peut-être garder espoir dans le fait que Mueller
s’est avéré si incompétent, au point de ne pas comprendre les bases de
sa profession, que peut-être y a-t-il eu collusion après tout, mais que
Mueller était trop stupide pour en trouver la preuve. Ou peut-être que
les démocrates devraient s’effondrer dans un paroxysme de désespoir,
parce que Mueller était leur meilleure et dernière chance et maintenant
ils ressemblent à des idiots pour avoir cru en lui.
Ensuite, dans le défilé des stupidités, nous avons le procureur
général William Barr, qui, dans son résumé du rapport de Mueller, a
accepté sans critique les allégations selon lesquelles la Russie s’est
ingérée dans l’élection présidentielle de 2016. Qu’est-ce que c’était
que cette ingérence ?
Il y avait une ferme de trolls à Saint-Pétersbourg gérée par
quelqu’un qui aurait cuisiné une fois pour Poutine. Les trolls mettaient
des annonces comme appâts sur les médias sociaux. Leur champ d’action
était minuscule et la plupart de leurs activités ont eu lieu après
l’élection, ce qui rend ridicule l’affirmation selon laquelle ils ont
manipulé l’élection. Les efforts de Mueller pour les poursuivre se sont
arrêtés nets lorsque leurs avocats se sont présentés devant le tribunal
et ont exigé de voir les preuves. Mueller ne pouvait pas laisser cela se
produire parce que cela aurait fait mourir de rire toute la salle
d’audience.
Il y avait aussi l’allégation selon laquelle des pirates russes
auraient piraté un serveur de messagerie de la DNC, volé une série de
courriels montrant un effort pour truquer les primaires contre Bernie
Sanders, et les auraient divulgués à Wikileaks. Mais il y a des preuves
que ces courriels n’ont pas été piratés, mais qu’ils ont été copiés sur
une clé USB par une personne ayant un accès physique au serveur.
Barr est-il trop stupide pour se rendre compte de la bêtise de ses affirmations selon lesquelles « les Russes » –
quelle qu’en soit la signification – avaient manipulé les élections
américaines ? Oui, cela semble être le cas. Avec des fonctionnaires
aussi stupides, à quel point était-il stupide pour les démocrates de
passer deux ans à nourrir leur rêve de se débarrasser de Trump avec leur
aide ?
Ainsi, Trump est là pour rester. C’est ici que cette litanie de
stupidité s’arrête ? Non, bien sûr que non, car ici nous entrons
simplement dans le cercle suivant de la stupidité. Trump rêve de « Rendre sa grandeur à l’Amérique », mais son rêve est-il stupide ? Voyons les résultats.
Son idée était de renégocier les accords commerciaux en faveur des
États-Unis et de rapatrier le secteur manufacturier qui avait été
délocalisé dans des pays à bas salaires, de réduire le déficit
commercial et de créer beaucoup de bons emplois. Cela semble être un bon
plan, mais prenons un peu de recul et voyons quel est le vrai problème.
Le vrai problème, c’est qu’il y a un déséquilibre massif aux
États-Unis entre ce que les Américains produisent et ce qu’ils
consomment : ils consomment beaucoup plus qu’ils ne peuvent se le
permettre.
Une solution serait de réduire la consommation, mais elle représente
70 % de l’économie, et la réduire ferait éclater la bulle d’endettement
déjà disproportionnée et plongerait l’économie américaine dans une plus
profonde dépression. Ça n’a pas l’air génial du tout.
Une autre solution serait de dévaluer le dollar par le biais
d’émissions de dollars non contrôlées. Cela rendrait les exportations
américaines compétitives par rapport à celles des pays à bas salaires.
Mais cela saperait le dollar américain en tant que monnaie de réserve,
pousserait les détenteurs de la dette américaine dans le monde entier à
se précipiter vers la sortie [vente de leurs réserves monétaires en dollars, NdT]
et provoquerait un choc hyper-inflationniste qui plongerait à nouveau
l’économie américaine dans une dépression plus profonde. Cela ne semble
pas génial non plus, mais c’était le plan proposé par Steve Bannon,
l’ancien conseiller de Trump. Steve est peut-être un peu limité
intellectuellement.
Une autre solution, encore, proposée par William Dudley de la Réserve
fédérale, était d’utiliser des méthodes fiscales pour stimuler une
renaissance de la production aux États-Unis, et c’est celle qui a plu à
Trump et qui a permis aux entreprises de rapatrier leurs bénéfices de
l’étranger sans être imposées. Est-ce que ça a marché ? Bien sûr que non
! Au lieu d’investir dans la production, les sociétés ont utilisé cet
argent pour racheter leurs propres actions, ce qui a permis à leurs
principaux actionnaires de vendre leurs actions de façon rentable aux
frais de l’État. Voici Alice Walton, propriétaire à 10 % de Walmart, qui
a liquidé pour plus de 700 millions de dollars de ses actions au cours
du seul mois de mars.
Nous pouvons être sûrs qu’Alice Walton n’investira pas ces 700 millions
dans la vente au détail. Était-ce stupide de la part de Dudley et Trump
de penser que ce plan marcherait ? Apparemment, oui.
C’est donc ici que se situe actuellement le plan visant à « Rendre sa grandeur à l’Amérique ».
L’économie s’effondre. La Réserve fédérale ne peut pas la sortir du
gouffre en abaissant les taux d’intérêt parce qu’ils sont déjà trop bas.
Il y a un carnage massif dans le secteur du commerce de détail et de
nombreuses entreprises américaines sont sur le point de faire faillite.
L’ancienne grand entreprise « General Electric » a été expulsée du Down Jones et est en train de vendre ses joyaux de la couronne aux Russes. Que reste-t-il à faire ?
Voici encore le cas de Janet Yellen, l’ancienne présidente de la
Réserve fédérale, avec un plan vraiment stupéfiant de stupidité. Elle
propose que la Réserve fédérale intervienne et commence à racheter
directement la dette des entreprises en utilisant de la monnaie
nouvellement imprimée. Notez comment le plan de Yellen combine
magnifiquement la stupidité du plan de Bannon (tirer le tapis sous le
dollar américain) avec la stupidité du plan de Dudley (donner aux
sociétés une autre chance de racheter leurs propres actions afin que
leurs actionnaires majeurs puissent continuer à se renflouer et faire
des profits aux frais de l’État). Voici un tableau qui montre à quel
point cela se passe bien, même sans la brillante suggestion de Yellen.
Ce manque d’idées non stupides nous laisse avec Trump se balançant dans
sa cellule capitonnée en émettant des tweets stupides tels que les
suivants : « Très important que l’OPEP augmente le flux de
pétrole. Les marchés mondiaux sont fragiles, le prix du pétrole devient
trop élevé. Merci ! ». Pendant ce temps, il a interdit les
importations américaines de pétrole lourd en provenance du Venezuela
(nécessaire pour produire du diesel), tandis que les exportations
américaines de pétrole léger (issues de la fracturation hydraulique) se
heurtent à des problèmes en raison de leur faible qualité, que les
investissements dans la fracturation ont chuté violemment et que les
entreprises énergétiques qui se consacrent à cette activité, dont la
plupart n’ont jamais gagné d’argent, signalent une pénurie de nouveaux
endroits productifs pour forer du pétrole. Il est stupide de penser que
tweeter réglera tous ces problèmes.
En résumé, ce navire rempli d’idiots prend l’eau et toutes les
propositions formulées jusqu’à présent sont stupides et équivalent à une
tentative de renflouement à l’aide d’un tamis. C’est vraiment écœurant à
regarder ! Cela me donne envie de retourner sur cette plage et d’y
vivre avec du lait de coco, des poissons fraîchement pêchés et des
fruits tropicaux, et de ne plus jamais me connecter à l’internet.
Mais je vais faire avec et continuer comme avant. Les mardis seront
toujours des jours gratuits, tandis que les jeudis, j’offrirai à mes
fidèles partisans de nouvelles visions grandioses. À suivre :
l’ethnosphère humaine, en tant qu’aspect évolutif de la biosphère – un
sujet que j’ai étudié en profondeur, allongé sur la plage. Elle détient
la clé pour comprendre le cycle de vie des nations, dont certaines sont
pleines d’énergie et de dynamisme, tandis que d’autres ont largement
dépassé leur apogée et sont dirigées par des gens manifestement
stupides.
Dmitry Orlov
Le livre de Dmitry Orlov
est l’un des ouvrages fondateur de cette nouvelle « discipline » que
l’on nomme aujourd’hui : « collapsologie » c’est à-dire l’étude de
l’effondrement des sociétés ou des civilisations.
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