Article original de Andrew Korybko, publié le 9 juin 2018 sur le site Oriental Review
Traduit par le blog http://versouvaton.blogspot.fr
La visite de Lavrov au Rwanda a été un succès étonnant car il a discuté de futurs accords militaires (y compris sur les systèmes de défense aérienne), de perspectives autour de l’énergie nucléaire et de coopération économique avec son homologue, mais il y a plus. Il faut mentionner un contexte crucial sur ce qui a réuni en premier lieu cette paire improbable de pays. La Russie soutient la République centrafricaine à proximité avec des armes et des conseillers militaires depuis la fin de l’année dernière alors que ce pays lutte pour libérer les 80% de son territoire déchiré par la guerre mais riche en minerais et toujours sous le contrôle de diverses milices. Il est probable qu’à ce titre, les représentants russes aient été en contact avec quelques-uns des quelque 1 000 soldats rwandais qui forment un élément fort de la force de maintien de la paix des Nations Unies, qui compte plus de 14 000 hommes.
Le minuscule Rwanda boxe bien au-dessus de sa catégorie en terme de poids quand il s’agit des affaires militaires, comme il l’a prouvé lors des deux guerres du Congo, dont la première l’a vu conquérir son gigantesque pays voisin, presque 100 fois plus grand que lui. Le Congo est de nouveau au bord de la guerre et il est possible que l’effondrement lent de ces deux dernières années se transforme rapidement en un véritable effondrement, ramenant potentiellement le Rwanda dans un autre conflit congolais. Kigali organise déjà des raids occasionnels dans l’est du Congo afin de traquer les chefs de milices hutues qui, selon lui, sont des « terroristes » et ont été impliqués dans le génocide de 1994. Il contrôle aussi toujours les milices tutsies dans la région comme un moyen indirect de contrecarrer les premiers et maintenir une influence via le commerce des minerais dans lequel ces milices hutues sont censées être impliquées.
La Russie reconnaît la réalité. Le Rwanda est une superpuissance militaire en Afrique centrale et il jouera certainement un rôle décisif dans toute prochaine guerre au Congo, ce qui pourrait aussi expliquer pourquoi Lavrov était si désireux de visiter le pays et découvrir de quoi le Président Kagamé a discuté avec Macron à la fin du mois dernier, lors d’une réunion à huis clos à Paris. Les médias ont suggéré que la crise du Congo se développait. La Russie envisage son grand rôle stratégique du XXIe siècle comme étant la force suprême d’équilibrage en Afro-Eurasie, et dans ce contexte il convient de mentionner que Moscou et Kinshasa ont récemment relancé leur accord militaire de 1999 pour que la Russie fournisse un entraînement militaire au Congo ainsi que de l’équipement. Il est donc logique que Moscou ait intérêt à renforcer ses liens avec Kinshasa et Kigali afin de « négocier » tous les problèmes potentiels entre eux.
En se souvenant du nouveau rôle de la Russie en République centrafricaine, il est évident que le « pivot vers l’Afrique » de la Russie vise directement le cœur géostratégique du continent quand on prend en compte ses dimensions rwandaise et congolaise. En outre, le Rwanda, en tant que président de l’Union africaine cette année, a signé un accord de libre-échange continental (ZLEC) il y a quelques mois pour créer une base commerciale sans frontières semblable à l’UE. Au cours de son voyage, Lavrov a annoncé que la Russie et l’Union africaine rédigeaient un accord de coopération qui visera vraisemblablement à formaliser les intérêts de son pays auprès du bloc suite à son récent « pivot » vers l’Afrique centrale. En fin de compte, les prochaines initiatives de Moscou en Afrique dépendront dans une large mesure de ce qui va se passer au Congo et de son habileté à tirer parti de ses dernières relations en Afrique centrale pour faire avancer une politique continentale globale dans la nouvelle guerre froide.
L’article présenté est la transcription partielle du programme radiophonique CONTEXT COUNTDOWN sur Sputnik News, diffusé le vendredi 8 juin 2018.
Andrew Korybko est le commentateur politique américain qui travaille actuellement pour l’agence Sputnik. Il est en troisième cycle de l’Université MGIMO et auteur de la monographie Guerres hybrides : l’approche adaptative indirecte pour un changement de régime (2015). Ce texte sera inclus dans son prochain livre sur la théorie de la guerre hybride. Le livre est disponible en PDF gratuitement et à télécharger ici.
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