vendredi 29 décembre 2017

Une religion appelée économie

Article original de Michele Migliorino, publié 19 novembre 2017 sur le site CassandraLegacy
Traduit par le blog http://versouvaton.blogspot.fr



L’idée que les religions cèdent la place à un niveau d’existence humain plus avancé fait partie du savoir commun. La science et la technologie émancipent l’humanité des discours mythiques et religieux sous l’effet de la croyance que seule la rationalité devrait nous guider. La raison a remplacé l’ancien Dieu.

Nietzsche, il y a plus d’un siècle, a averti que Dieu était mort et que nous l’avions tué. De nos jours, un spectre rode dans nos sociétés : c’est le « nihilisme », conséquence de la mort de Dieu. Qu’est-ce que c’est ? Selon Nietzsche, cela consiste en la « dévalorisation de toutes les valeurs » y compris les sacrements sur lesquels la civilisation occidentale a été fondée.



« Ce que je raconte, c’est l’histoire des deux siècles prochains. Je décris ce qui vient, ce qui ne peut plus advenir autrement : l’avènement du nihilisme. Cette histoire peut être relatée des maintenant, car la nécessité elle-même est à l’œuvre ici. Ce futur nous parle maintenant même par une centaine de signes. Cette destinée s’annonce partout ; pour cette musique du futur, toutes les oreilles sont déjà préparées dès maintenant… Depuis quelque temps, toute notre culture européenne se dirige vers une catastrophe, avec une tension accrue qui grandit de décennie en décennie : sans cesse, violemment, tête baissée, comme une rivière qui veut atteindre son embouchure, qui ne réfléchit plus, qui a peur de réfléchir. » (Nietzsche, Notes non publiées, 1887-1888)

Il n’est pas nécessaire qu’un Dieu soit transcendant. Une des conséquences de la laïcisation de la société est celle d’un Dieu nouveau et immanent : il s’appelle maintenant « économie ». Ce n’est plus l’« ascèse » (Max Weber) et la volonté du salut ; oikonomos (en grec, « affaires domestiques ») est devenue la seule préoccupation de l’homme. Cette nécessité s’était accrue au cours des siècles, en commençant déjà avec la Renaissance, lorsque la croissance du commerce mondial entama le processus qui conduirait, aujourd’hui, à une machine commerciale planétaire générant des milliards ou même des milliers de milliards de transactions monétaires informatisées à chaque seconde.

Pourquoi l’économie est-elle un Dieu ? Parce qu’elle a pris la place des anciennes valeurs et parce que nous l’utilisons pour combler le vide laissé par le nihilisme. Très simplement, le nihilisme est le résultat du dépassement d’une valeur fondamentale : la vie après la mort. Nous sommes maintenant dans la condition inconsciente de ne plus trouver de sens existentiel parce que pendant deux millénaires (peut-être beaucoup plus) nous avons cru qu’il n’y avait pas de sens dans cette vie. Cela impliquait l’existence d’une « copie originale » de notre existence ailleurs, dans un monde transcendant. De Platon au catholicisme, c’est la matrice fondamentale à laquelle nous devons faire face lorsque nous parlons de « notre culture ».

Le fait extraordinaire de notre situation est que nous ne voulons pas « voir » ce que nous avons fait ! C’est pourquoi nous sommes si troublés et agités : nous ne pouvons pas accepter qu’il n’y a rien au-delà de la mort ! Notre condition historique nous engage plutôt à comprendre la signification d’une existence mortelle finie. Mais, aujourd’hui, nous sommes sûrs qu’il n’y a aucun sens à notre vie terrestre et que, par conséquent, il vaut mieux saisir chaque instant de cette existence éphémère ; nous ne pouvons pas nous permettre de perdre une occasion parce que « toute chance qui vous passe sous le nez est perdue pour toujours ».

L’économie est cette « course » dans un cercle infernal rappelant la Divine comédie de Dante. C’est une croissance infinie dans un monde fini, libre de toute limite qui pourrait l’entraver. Comme il n’y a de sens dans rien, « tout est permis » (Dostoïevski) et il n’y aura jamais de conséquences. Aucun Dieu transcendant ne nous juge en termes de bonnes et de mauvaises actions.
Cependant, s’il n’y a aucun sens dans quoi que ce soit, ne serait-il pas préférable de tout terminer ici et maintenant ? Ne serait-ce pas une meilleure forme de pensée d’avant-garde ?
« Ne jamais être né est le mieux pour les hommes mortels, et si vous l’êtes, passez dès que possible les portes d’Hadès. » Hésiode
L’économie agit comme une grande « répression ». C’est comme si nous produisions le sens lui-même au moyen de nos activités quotidiennes. En effet, plus nous sommes occupés, plus la vie semble avoir du sens. Quand nous nous déplaçons – comme une sorte de marchandise – nous oublions ce « bruit cosmique profond » lequel nous empêche parfois de nous demander : quel est le sens de tout cela ?

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Peu importe à quel point les choses deviennent mauvaises, seules quelques personnes seront prêtes à accepter que l’économie n’est pas une bonne chose. Nous croyons en l’Économie, nous ne discutons pas son existence, précisément comme une religion avec un Dieu. Au lieu d’une vie après la mort, nous avons un Dieu argent qui nous permet de faire tout ce que nous voulons, ou du moins c’est ce que nous croyons. Le tout consiste à croire en quelque chose – c’est pourquoi il est difficile de comprendre le terme « religion » dans son sens le plus large.
Mais pourquoi l’économie n’est-elle pas une bonne chose ? Parce qu’il n’est pas possible de créer de la prospérité pour tous. La richesse est un terme relatif, c’est quelque chose qui ne peut appartenir qu’à quelques-uns. Je ne peux être riche que si vous êtes pauvre ; la richesse est une relation : il doit y avoir de la pauvreté pour qu’il y ait de la richesse.

Vous pouvez le voir facilement en considérant le problème de l’inégalité. Bien que le fossé entre les riches et les pauvres continue de croître au fil des décennies, le mode de vie des pauvres n’a pas vraiment empiré. Un succès du capitalisme ? Oui bien sûr. Ici, notre religion nous protège des hérésies telles que l’idée que nous devrions réformer le système économique, redistribuer la richesse, superviser le grand capital, contrôler les entreprises ! De cette façon, nous sauvons le monde. Donc, nous devons promouvoir la croissance économique en Afrique ! Et cela justifie les guerres d’exportation de la démocratie. Seulement par la démocratie, les gouvernements africains s’assureront que les Africains, aussi, auront accès à la richesse.

Vous pouvez voir comment la religion de l’économie détruit tout : la forêt, les mers, les espèces vivantes, nous-mêmes et nos cultures infinies existant sur toute la planète. À l’heure actuelle, le réalisme nous dirait qu’il est temps de jeter l’économie dans les poubelles de l’histoire et d’essayer de créer une société qui n’implique pas un gaspillage aussi méprisable d’énergie et de ressources. Il semble qu’il est temps de devenir profane envers cette religion. Pourtant, cela ne semble pas se produire.

Le « phénomène de foule » est difficile à surmonter parce que c’est le mécanisme lui-même qui génère notre évolution culturelle (selon René Girard). Nous avons peur de perdre notre propriété et nous avons peur les uns des autres. Il nous est difficile d’aller contre les autres. Il est extrêmement difficile de rejeter ce qui nous fait vivre : l’économie-Dieu.

Mais que se passe-t-il si ce qui nous rend prospères aujourd’hui est ce qui nous rendra misérables demain ?

Michele Migliorino

Note du traducteur

Merci à Ugo en ce jour de Noël pour avoir publié ce texte. Celui-ci a un léger relent malthusien, mais ma seule remarque concerne la fin, « nous avons peur les uns des autres ».

Il y a de sacrés raisons d'avoir peur, oligarchies occidentales, islamistes, marxismes culturels, dysgénisme. Chaque bloc civilisationnel va devoir balayer devant sa porte et demander aux autres un certificat de bonne moralité. Il va falloir reconstruire nos mythologies respectives et cela va prendre du temps, des générations sans doute. Comme nos ancêtres, on ne va pas passer de la terre plate à la terre ronde, de la pierre au feu en quelques clics. Il va donc falloir beaucoup de patience. Ça tombe bien, j'ai du retard sur mes lectures Platon, Aristote, Nietzsche, le Veda, Dostoievski, Marx, Dos Passos, Roth...

Et en même temps, il y a des raisons d'espérer. La multipolarité dévoile et annihile les projets impériaux, les peuples se réveillent et de nombreuses voix un peu plus honnêtes se lèvent pour les guider, l'endoctrinement au droit-de-l'hommisme aurait planté les graines d'un respect mutuel dont on va avoir besoin pour reconstruire une contre-civilisation globale et multiple.

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