Article original de Ugo Bardi, publié le 12 avril 2018 sur le site CassandraLegacy
Traduit par le blog http://versouvaton.blogspot.fr
Quelque chose m’a fait penser qu’il pourrait être approprié de reproposer ici un article que j’ai publié sur Cassandra’s Legacy en 2015 sur l’opération sous « faux drapeaux » que le gouvernement Mussolini a montée en 1940 pour justifier l’attaque italienne contre la Grèce. C’est l’un des rares cas documentés d’un tel type d’opération pratiqué par un gouvernement national à l’époque moderne.
L’étude des opérations modernes sous « faux drapeaux » est fascinante mais en même temps difficile et même dangereuse. La conséquence en est l’extrême rareté des études historiques sérieuses sur le sujet. Une étude récente que je pourrais suggérer au lecteur intéressé est celle publiée par Maddox en 2016. Riche en données et en exemples, en la lisant, vous pourrez constater par vous-même combien il est difficile d’éviter une bonne dose de politiquement correct dans ce genre d’études, mais ainsi va la vie. Au moins, l’étude de Maddox montre que les opérations sous faux drapeaux existent, prennent une variété de formes et sont relativement communes dans l’histoire moderne.
J’avais l’intention d’écrire une petite histoire des opérations sous faux drapeaux mais, en travaillant sur le sujet, il a progressivement grossi, perdant en même temps de sa précision, immergé dans une mer de mal-information, de désinformation, de conspirationnisme et de psyops. Donc, pour le moment, je vais seulement résumer ce que j’ai appris jusqu’à présent. Le point fondamental, je crois, est que le type moderne d’opérations sous faux drapeaux est un phénomène récent si nous le définissons comme des opérations menées par les gouvernements en termes de dommages auto-infligés afin de justifier des représailles.
D’après ce que je peux en dire, le premier exemple de ce type de stratégie est « l’incident de Gleiwitz » exécuté par les Allemands en 1939 pour justifier leur attaque contre la Pologne. Il y a beaucoup de désinformation associée à cette histoire mais les faits historiques de base semblent bien établis. Le mécanisme de l’opération est également clair : transformer l’agression en légitime défense en infligeant des dommages à ses propres forces ou aux forces d’un allié. Les nazis allemands étaient des innovateurs dans de nombreux domaines, pas seulement avec des chars et des missiles mais surtout avec la propagande. Avec l’incident de Gleiwitz, ils ont créé un exemple qui allait bientôt être suivi par Mussolini en Italie. Et il a été suivi plus tard par beaucoup d’autres gouvernements, même si à mesure que vous vous rapprochez de l’époque actuelle le brouillard de la guerre devient plus épais.
Pour finir, je dirais que ce genre d’opérations est une propriété émergente de la démocratie moderne, un bon exemple de tout ce qui ne va pas avec la démocratie telle que nous l’entendons aujourd’hui : la diabolisation agressive des opposants, le mépris éhonté des faits, le fait de cacher la manipulation du débat, l’application stricte de la rectitude politique, et plus encore. Les opérations sous faux drapeaux font partie du phénomène plus général des « fakes news » qui, à leur tour, font partie de la science complexe que nous appelons « gestion de la perception » connue autrefois sous le nom de « propagande ». C’est une technologie « douce » mais, couplée à des technologies « dures » telles que les armes nucléaires, elle pourrait bien être la technologie la plus dangereuse jamais inventée. Et, comme d’habitude, nous avons tendance à utiliser de nouvelles technologies bien avant de comprendre leurs conséquences ultimes.
Ugo Bardi est professeur de chimie physique à l’Université de Florence, en Italie. Ses intérêts de recherche englobent l’épuisement des ressources, la modélisation de la dynamique des systèmes, la science du climat et les énergies renouvelables. Il est membre du comité scientifique de l’ASPO (Association pour l’étude du pic pétrolier) et des blogs en anglais sur ces sujets à « Cassandra’s Legacy ». Il est l’auteur du rapport du Club de Rome, Extrait : Comment la quête de la richesse minière mondiale pille la planète ? (Chelsea Green, 2014) et Les limites de la croissance revisitée (Springer, 2011), parmi de nombreuses autres publications savantes.
Note du traducteur
Le premier incident est sans doute celui de l'USS Maine monté par nos « partenaires » américains, pourtant cité par l'étude de Maddox. Ugo Bardi est aussi soumis au politiquement correct et il est plus facile de taper sur les méchants « fascistes » que de remuer la boue de nos « démocraties » de manière trop précise, même si sa conclusion est assez honnête... Une propriété émergente de la démocratie moderne
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