vendredi 4 mai 2018

La guerre Kabuki

Article original de James Howard Kunstler, publié le 16 Avril 2018 sur le site kunstler.com
Traduit par le blog http://versouvaton.blogspot.fr

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Lorsque ce chapitre de l’histoire américaine sera finalement écrit, il ressemblera à une plongée en eau profonde dans une cuve de soupe aux lentilles. En Syrie, vendredi soir, nous sommes venus, nous avons vu et nous avons lancé 103 missiles de croisière vers des cibles largement symboliques, y compris une supposée usine d’armes chimiques juste à l’extérieur de Damas et d’autres endroits où nous ne risquions pas de tuer des militaires russes. Les Russes ont apparemment décidé de tout simplement laisser tomber, sachant que la guerre « civile » en Syrie est presque terminée. Alors quoi ?


Les États-Unis toléreront-ils ce qui est devenu un État client de la Russie au Levant, avec des pépites iraniennes par dessus ? Les Saoudiens ne se réjouissent pas de cette perspective et on se demande à quel point le chef saoudien, le prince héritier Mohammed bin Salman, a mis la pression sur les officiels américains (y compris le Golem d’Or) pour faire quelque chose (!) quand il s’est payé une tournée ici il y a quelques semaines. Israël n’aime peut-être pas que le parrain du Hezbollah, l’Iran, campe à sa porte mais il y a des raisons de croire que Bibi et Poutine se comprennent suffisamment et que la Russie fera le nécessaire pour modérer l’axe chiite Iran–Hezbollah. La frappe israélienne de février contre les installations de défense aérienne syrienne rappelait à toutes les parties concernées que les Israéliens agiraient de leur propre initiative lorsqu’ils le voudraient. Enfin, la Russie n’a certainement aucun intérêt à protéger les maniaques du califat car l’Ours a beaucoup de factions islamiques rétives dans ses anciennes républiques soviétiques voisines.

Ces divers mouvements et déclarations ayant été faits, l’équilibre du pouvoir en Syrie pourrait s’installer dans une sorte de gel. En fait, tout ce qui arrête le processus de transformation de la Syrie en un autre État failli au Moyen-Orient est préférable à cette alternative. Avant qu’al-Qaïda, ISIS et leurs nombreuses armées mutantes soient apparues, avant que la Russie entre en scène, avant que les États-Unis mettent en branle cette crise régionale en Irak, la Syrie n’était pas le problème du monde. Mais le Vietnam ne l’était pas non plus en 1963.

Tout cela soulève la question : quand les gens raisonnables aux États-Unis − s’il en reste − vont-ils commencer à voir la Russie « se mêlant de nos élections » comme une tentative bâclée de préparer une distraction géante au cygne américain lui-même, nageant vers son propre échec ? Les mouvements sur ce terrain de jeu ont été si grossiers et si bizarres que la machinerie même de la république s’effondre comme si c’était une volonté intentionnelle. Le président Trump commence à ressembler à un pitoyable otage sans défense face à des forces invisibles. Pour le moment, il ne peut pas contrôler un ministère de la Justice malhonnête, même quand il empiète sur un pilier de la procédure en saisissant les papiers de son avocat personnel et ses dossiers informatiques. Il fait ce que ses généraux lui disent de faire dans la salle des opérations de guerre. Il affecte de combattre tout ce chaos et cette incohérence avec des aboiements d’illettré et des cris sur cette plate-forme ridicule qu’est Twitter. Et il semble n’y avoir aucun moyen d’avancer dans ce bourbier, sauf à casser encore plus les institutions et à organiser le désordre.

Jusqu’à présent, le système financier ne s’est pas désintégré, bien que des fissures se manifestent depuis des semaines avec une extrême volatilité des marchés. Ces marchés sont surveillés et chouchoutés par cette autre branche de l’État profond, la Réserve fédérale et ses forces auxiliaires, dont les « principaux dealers » sont les banques trop grosses pour faire faillite. C’est incroyable de voir le stress que ces marchés supportent et plutôt que de l’attribuer à une « force mythique de l’économie » je parierais que cela a plus à voir avec l’utilisation des algorithmes et des robots pour faire tout ce qu’il faut pour préserver un vernis de normalité.

Quand cette ligne de défense, ici à la maison, craquera, personne ne portera plus aucune attention à la Russie ou à la Syrie, et la grande barge de vœux sur laquelle vogue Donald Trump pourrait finalement couler. Même si le prochain rapport du DOJ et de son inspecteur général sur les méfaits politiques du FBI incite à un nettoyage sévère de celui-ci et met un pieu dans le cœur de l’enquête de Mueller, un déraillement de Wall Street va tuer toute illusion que les États-Unis pourraient revenir à l’âge d’or des années 1950 avec son utopie de la « Vie de Riley » qui hante nos rêves. Les réputations du gouvernement et des médias seront en lambeaux, et même les observateurs attentistes seront discrédités pour ne pas avoir respecté la réalité.

James Howard Kunstler

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