Article original de Alexandre Zapolskis, publié le 17 octobre 2019 sur le site Club Orlov
Traduit par le blog http://versouvaton.blogspot.fr
L’histoire récente des Kurdes syriens a montré que les États-Unis peuvent trahir absolument n’importe qui, quelles que soient leurs relations personnelles ou leurs promesses et garanties officielles. Rien de personnel, vous savez, strictement professionnel…
Par exemple, qu’ont en commun les Ukrainiens et les Kurdes syriens ? À première vue, leur peuple, leur géographie et leur histoire sont complètement différents. Mais qu’en est-il des tweets paniqués de l’ancien ministre ukrainien des affaires étrangères Pavlo Klimkine dans lesquels il se demande avec une profonde inquiétude si les États-Unis peuvent trahir l’Ukraine tout comme ils ont trahi leur principal allié en Syrie. Mais qu’en est-il de l’éternelle amitié promise sans fin ?
Il est facile de comprendre le dilemme de Klimkine. Le pari de l’Ukraine sur le soutien américain est aujourd’hui la dernière et seule pierre angulaire de l’État ukrainien en déliquescence. Il y a peu de temps, le bloc de l’Ouest, auparavant monolithique, s’est effondré d’une manière flagrante, évidente et brutale. Washington et Bruxelles sont engagés dans une guerre de sanctions, et l’UE considère à présent que la perspective de continuer à soutenir le projet américain en Ukraine est dispendieux. L’Europe a déjà arraché aux malheureux Ukrainiens tout ce qu’elle pouvait souhaiter.
Grâce aux efforts des banques européennes, américaines et internationales, du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale en particulier, les Ukrainiens ont été réduits à une servitude contractuelle permanente. Avec un PIB nominal de seulement 124 milliards de dollars pour 40 millions d’habitants et un énorme déficit budgétaire, la dette extérieure du gouvernement ukrainien a atteint 74,32 milliards de dollars en novembre 2018, dont 13 milliards sont dus aux créanciers internationaux, 21,19 milliards aux autres propriétaires de la dette ukrainienne et 7,29 milliards aux entités nominalement privées (comme la compagnie ferroviaire ukrainienne) mais avec des garanties gouvernementales.
La liste des créanciers de l’Ukraine est longue et variée. Elle comprend à la fois des institutions financières internationales et des gouvernements étrangers. Le pays doit 500 millions de dollars au Japon, 300 millions au Canada, 260 millions à l’Allemagne, 610 millions à la Russie, mais seulement 10 millions à son ancien meilleur ami, les États-Unis. En d’autres termes, même si l’Ukraine se transforme en une ruine totale et disparaît de la carte politique, les États-Unis subiront des pertes qui, par rapport aux 60 milliards de dollars vomis chaque mois par les imprimeries de la Réserve fédérale, ne seront pas perceptibles.
Si l’interprétation américaine du mot « amitié » semble exotique, celle des Ukrainiens l’est aussi. Devant la facilité avec laquelle Trump a abandonné les Kurdes syriens à l’invasion des chars turcs, les responsables ukrainiens ont soudainement commencé à souligner l’inviolabilité de l’ancienne amitié, ayant commodément oublié qu’il y a seulement trois ans ils essayaient activement de saper la position de Trump en conspirant avec ses ennemis. Pendant ce temps, l’histoire de l’ingérence politique ukrainienne dans le processus démocratique aux États-Unis devient chaque jour plus comique et grotesque. Cela a commencé comme une tentative de renverser Trump en l’accusant d’être un usurpateur, installé par une ingérence secrète des services spéciaux russes, mais tout en poursuivant la recherche de preuves à utiliser contre Trump, ses ennemis ont réussi à renverser un classeur rempli de squelettes très embarrassant.
Les efforts visant à déterrer des preuves de l’ingérence russe se sont tous soldés par un échec, mais il s’avère que l’ingérence ukrainienne s’est vraiment produite. Cela est connu depuis 2017, bien que les médias américains, qui sont ouvertement et sans retenus biaisés contre Trump, aient réussi à garder ce fait hors de la vue du public, en mettant en avant la nature non prouvée des allégations, en le présentant comme faisant partie des interminables batailles bureaucratiques partisanes aux États-Unis, et par d’autres formes de mauvais éclairage de la situation.
Ils voulaient vraiment trouver un rôle pour les Russes dans tout cela, et ils ont fait de leur mieux pour ignorer tous les faits qui n’ont pas fait avancer cet objectif. Et tout aurait pu être gardé secret, si ce n’était la propension des Ukrainiens à marcher sur le même râteau encore et encore. Lors d’une apparition à la radio, l’ancien procureur général ukrainien, Yuri Lutsenko, a déclaré directement que son pays s’était non seulement mêlé de la manière la plus directe possible des élections présidentielles américaines de 2016, mais que l’un des principaux participants à ce processus était nul autre que l’actuel directeur du Bureau national anti-corruption d’Ukraine, Artëm Sytnik.
Sytnik n’a violé aucune loi ukrainienne, alors où est le problème ? Il vient de remettre des copies des documents financiers de l’implication du Parti des régions ukrainien dans la campagne d’Hillary Clinton. Il n’avait pas l’intention de s’en mêler. Il voulait simplement couper le financement américain en faveur de ses ennemis politiques intérieurs, le Parti des régions. Et ses partisans politiques américains se sont avérés être pour la plupart des partisans de Trump. Et l’ennemi de mon ennemi est… oups !
C’était un peu trop malin. Ce stratagème a permis à Hillary d’accuser Trump de collusion avec Moscou. Vous voyez, le Parti des régions était considéré comme pro-Kremlin, et si les partisans de Trump le soutenaient, alors ils soutenaient le Kremlin, alors que recevait Trump en retour ? Il peut s’agir d’argent, d’informations secrètes, d’opérations visant à influencer l’opinion publique – et de telles allégations pourraient être utilisées pour déclarer invalides les résultats des élections.
Les Démocrates se glisseraient dans cette liasse de documents avec appétit. Il y aurait des enquêtes. Le financement américain du Parti des régions s’épuiserait. Il ferait d’une pierre deux coups : assommer le Parti des régions (qui n’avait pas assez de canaux de collecte de fonds propres) et rendre les Démocrates (dont on prédisait la victoire) très reconnaissants. En retour, cette gratitude se traduirait par un afflux de fonds américains à l’appui de la « démocratie ukrainienne », c’est-à-dire dans les poches des fonctionnaires ukrainiens corrompus. Tout le monde devait y gagner !
Au-delà de l’envie de tapisser leurs nids avec de l’argent américain, les responsables ukrainiens entretenaient également certaines ambitions mégalomaniaques. La guerre contre la Russie a été l’un des principaux leitmotivs de la campagne présidentielle d’Hillary Clinton. En cela, elle coïncidait parfaitement avec les tendances fratricides des nationalistes ukrainiens, les amenant à rêver que les Américains leur fournissent des armes, de l’argent, et peut-être même se présentent en personne pour combattre les Russes. Et puis les Ukrainiens iraient jusqu’à la Place Rouge juché sur un char d’assaut Abrams. Ensuite, ils pourraient désosser les territoires russes occupés. Tous les meilleurs d’entre eux seraient réclamés par leurs maîtres de part les mers, mais même les Ukrainiens pourraient espérer quelques miettes de la table des maîtres.
Si vous pensez que cette façon de penser est totalement illusoire, vous avez raison. La pensée des Ukrainiens est délirante et hilarante, les Ukrainiens n’arrivent toujours pas à comprendre pourquoi un projet aussi prometteur a échoué. S’ils y arrivaient, ils se tairaient. Mais ils ne peuvent tout simplement pas absorber l’idée que même si la Russie et les États-Unis peuvent avoir des intérêts divergents, l’Amérique sous Trump n’est pas du tout celle qu’elle l’aurait été sous Hillary Clinton.
L’Amérique de Trump a pu reconnaître que les efforts d’Obama pour entraîner la Russie dans une guerre fratricide avec l’Ukraine ont échoué, rendant l’Ukraine complètement inutile en ce qui concerne les intérêts américains. Bien au contraire, les États-Unis s’intéressent désormais beaucoup plus à la disparition de l’Ukraine. Ce n’est même pas une question de vengeance, bien que Trump est connu pour être compulsivement vengeur et il a une bonne hache pour s’occuper des Ukrainiens. Trois facteurs sont encore plus importants.
Premièrement, avec son soutien au régime antirusse de l’Ukraine, les États-Unis n’ont plus d’espace de manœuvre. Il a été démontré que les sanctions anti-russes ne font que renforcer la Russie, alors que militairement, tout ce qui est possible est de déclarer la guerre nucléaire à la Russie, et les États-Unis s’y opposent fermement. Mais les USA ne peuvent pas simplement envenimer la situation sans perdre la face dans un important concours géopolitique.
Plus important encore, les États-Unis considèrent maintenant la Russie comme une cible secondaire dans leur guerre d’attrition économique beaucoup plus importante avec la Chine. Dans cette situation, une retraite tactique brillamment exécutée semble être la meilleure option. Idéalement, cela se ferait d’une manière qui annulerait toutes les déclarations, accords et engagements américains antérieurs, fournissant une liste vierge sur laquelle écrire d’autres promesses vides.
Deuxièmement, les Américains qui avaient tout à gagner de l’endettement désespéré de l’Ukraine l’ont déjà fait, et même sa ruine complète et totale ne leur causerait pas de pertes appréciables. Bien au contraire, cela nuirait surtout aux institutions que Trump a promis à plusieurs reprises de réformer, en particulier le FMI et, plus important encore, l’Union européenne.
Les États-Unis n’ont pas signé les Accords de Minsk – les principaux documents internationaux conçus pour obliger le gouvernement ukrainien à poursuivre des efforts pour la paix avec les régions séparatistes de l’Est, à se transformer en une fédération (et, étant donné les différences inconciliables entre ces régions, à se dissoudre peu après). Par conséquent, Washington peut maintenant se laver les mains du désordre ukrainien, déclarant qu’il s’agit d’un problème interne européen.
Troisièmement, en élargissant le scandale ukrainien dans toute la mesure du possible, Trump peut maintenant porter un coup aux Démocrates qui sont maintenant au centre de toutes les attentions. Avec sa réélection dans un an, c’est de loin la considération la plus importante pour lui. L’élargissement de la portée de ce scandale à l’approche des élections de 2020 a amélioré ses chances et nuit à celles des démocrates, non seulement parce que les chances de Joe Biden ont été instantanément anéanties, laissant derrière lui une Elizabeth Warren beaucoup plus faible, mais aussi parce que la réputation de quiconque s’associerait au Parti démocrates serait automatiquement entachée même si ce dernier trouvait un candidat plus prometteur.
L’enquête Mueller a montré que Moscou n’a pas aidé Trump et cela est maintenant établi comme un fait. Et de plus, il s’avère que l’adversaire de Trump s’est en fait servi d’une ingérence étrangère. Dire que c’est gênant et embarrassant pour les Démocrates serait un euphémisme ! Mais l’Ukraine porte chance à tous ceux qui s’engagent avec elle, et il reste à voir si Trump sera l’exception qui prouve la règle.
L’Ukraine a porté particulièrement malheur aux Ukrainiens eux-mêmes. Depuis la visite de Mike Pompeo à Sotchi en mai dernier, l’élite au pouvoir n’a toujours pas été en mesure d’assimiler la signification des multiples avertissements qu’ils reçoivent de l’autre côté de l’Atlantique, à savoir que le projet ukrainien est en cours de liquidation. Certains responsables ukrainiens peuvent encore rêver de se remplir les poches en sortant, mais l’État ukrainien n’a pas d’avenir, littéralement.
En admettant librement et ouvertement l’ingérence ukrainienne dans la dernière élection présidentielle aux États-Unis, les autorités ukrainiennes ont signé leur propre arrêt de mort. Elles ont réussi à faire l’impossible : unifier l’esprit de revanche de Trump et ses adversaires contre lui. Ils ne veulent pas voir leur linge sale être déballé en public et ne veulent certainement pas risquer leur propre argent, comme c’est le cas avec la compagnie du fils de Nancy Pelosi.
Le plus amusant, c’est qu’aucune de ces parties intéressées n’a à faire quoi que ce soit pour faciliter la liquidation rapide de l’Ukraine. Washington n’a pas à soutenir militairement l’Ukraine et peut refuser d’influencer le FMI, qui est devenu réticent à lui accorder d’autres tranches de financement, vu que son gouvernement n’a montré aucun progrès dans la lutte contre la corruption ou dans la vente des terres agricoles (une demande clé du FMI).
Pendant ce temps, tous les voisins de l’Ukraine veulent l’obliger à mettre en œuvre les accords de Minsk : une désescalade militaire, entamer des négociations avec ses provinces séparatistes de l’Est et se fédéraliser. Mais c’est politiquement impossible, car l’élite dirigeante ukrainienne n’a pas d’idées au-delà d’un nationalisme ukrainien radical, que la fédéralisation rendrait nulle et non avenue.
Même si l’élite se réveillait et se rendait compte qu’elle n’a de toute façon pas d’avenir, il y a toujours le problème des nationalistes ukrainiens eux-mêmes. Aucune force politique interne ne peut les contrôler et, bien que le nombre de manifestants qui se sont prononcés contre la mise en œuvre des accords de Minsk n’ait été que d’environ 10 000, leur niveau global de soutien au sein de la population n’est pas inférieur à 3-4 millions de personnes, soit 8-10% de la population, et ils ne vont pas se rendre sans combattre.
Peut-être plus important encore, la classe politique ukrainienne tout entière et l’oligarchie ukrainienne s’opposent d’une manière ou d’une autre à la paix, car si la paix était rétablie et l’ordre public rétabli, on s’attendrait à ce qu’ils en portent tous la responsabilité – plus de 10 000 morts, un demi-million de blessés, les dommages matériels dramatiques, la ruine économique… tout ! Mais ils veulent tous vivre, et ils n’ont nulle part où aller.
Ils avaient un dernier espoir : que leur parrain à l’étranger les renflouerait. Cet espoir a continué même après le voyage désastreux du président Zelensky à Washington, au cours duquel Trump lui a dit que les Européens n’en faisaient pas assez pour aider l’Ukraine, et que les États-Unis ne ferait rien non plus, et, plus précisément, qu’il devrait parler à Poutine et résoudre leurs différends. Cet espoir résiduel s’exprimait surtout par des explosions irrationnelles, émotionnelles, du genre : « Mais comment peuvent-ils nous faire ça ? »
Vint ensuite l’abandon des Kurdes syriens, démontrant que l’Amérique, surtout lorsque la survie politique de son président est en jeu, peut abandonner absolument n’importe qui, ignorant toutes les promesses et engagements précédents. Et c’est là que les sueurs froides ont commencé à couler sur les visages des Ukrainiens, non pas tant de la part de ceux qui sont actuellement au pouvoir (qui pensent encore pouvoir sortir de ce cul-de-sac de leur propre création) que de leurs prédécesseurs, comme l’ancien président Peter Poroshenko et son ministre des Affaires étrangères Pavlo Klimkine, déjà cité. Ils savent maintenant qu’ils sont devenus des consommables et sentent dans leurs sphincters anaux que leurs scalps sont sur le point d’être offertes en paiement.
Ces Ukrainiens se pensaient si intelligents, tenant tête à Moscou, se rangeaent du côté de Washington et manipulant les élections américaines. Ils se sentaient au-delà du modèle byzantin en terme de ruse et de fourberie. Mais maintenant, ils devront payer pour leur stupidité… tout comme les Kurdes syriens.
Alexandre Zapolskis
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire