Article original de Ugo Bardi, publié le 7 octobre 2018 sur le site Cassandra Legacy
Traduit par le blog http://versouvaton.blogspot.fr
États et empires après la fin de l’ère fossile
Les empires sont des structures à courte durée de vie créés et
maintenus ensemble par la disponibilité de ressources minérales, les
combustibles fossiles à notre époque. Ils ont tendance à décliner et à
tomber avec le déclin des ressources qui les ont permis, et c’est aussi
le destin de l’Empire mondial actuel : l’Empire américain. De nouveaux
empires seront-ils possibles avec la disparition progressive des
abondantes ressources minérales du passé ? Peut-être pas, et Donald
Trump pourrait être le dernier empereur de l’histoire.
Un seigneur de guerre nommé Sargon d’Akkad
fut peut-être le premier homme de l’histoire à régner sur un véritable
empire, vers le milieu du deuxième millénaire avant JC en Mésopotamie.
Avant lui, les humains s’affrontaient depuis des millénaires, mais les
plus grandes structures sociales qu’ils avaient développées n’étaient
pas plus grandes que des cités-États. Progressivement, de nouvelles
formes d’agrégation sociale ont émergé : des royaumes et des empires,
des structures maintenues ensemble par un gouvernement central qui,
normalement, implique une figure masculine plus grande que nature,
empereur ou roi, qui dirige la machine de l’État en combinant force,
prestige et dons.
L’Empire de Sargon a connu le destin normal des empires qui l’ont
suivi : gloire et pillage au début, puis lutte, destruction et, enfin,
effondrement. Rien d’inhabituel pour un cycle qui couvrirait des
millénaires d’histoire humaine. Taagenpera montre comment les empires
vont et viennent (source de l’image)
La montée en puissance et la chute des empires ressemblent à une
réaction chimique, qui consiste à brûler du combustible puis à se
réduire, comme une réaction à court de réactifs – puis à redémarrer
lorsque de nouveaux réactifs se sont accumulés. Pour les empires, les
réactifs pourraient être des ressources minérales – il se peut fort bien
que l’empire de Sargon soit le résultat de l’argent métal qui serait
devenu un moyen standard d’échange en Mésopotamie. Avec de l’argent,
Sargon pouvait payer ses soldats. Avec ses soldats, il pouvait voler
plus d’argent. Et, avec plus d’argent, il pourrait payer encore plus de
soldats – et voilà : le chemin de la gloire et du meurtre est ouverte.
Les Romains construisirent leur prodigieux empire en utilisant l’or
et l’argent de leurs mines en Espagne. Quand les mines ont été épuisées,
l’Empire romain le fut aussi, mais il a laissé une impression si
profonde que pendant plus d’un millénaire des gens ont essayé de le
reconstruire. Charlemagne construisit son Saint Empire romain germanique au IXe siècle après J.-C. grâce à de nouvelles mines d’argent découvertes en Europe de l’Est. Plus tard, au XVIe
siècle, Charles Quint relance l’idée de Charlemagne avec son empire sur
lequel le soleil ne se couche jamais, construit sur l’or provenant des
Amériques. Mais ces empires, eux aussi, ont connu un cycle de croissance
et de déclin, parallèlement à celui des ressources qui les avaient
créés.
Le XXe siècle a été l’époque des empires fossiles. Les
Britanniques ont utilisé le charbon pour créer le plus grand et le plus
puissant empire jamais construit – il s’est éteint avec le déclin
progressif de sa production de charbon. Un autre empire ancien,
l’Autriche-Hongrie, dernier vestige du concept d’empire européen, s’est
effondré pendant la première guerre mondiale, le seul État a n’avoir pas
survécu à cette guerre. La tentative de l’Italie de recréer l’Empire
romain en 1936 avec la conquête de l’Éthiopie a eu pour seul effet de
générer l’empire le plus éphémère de l’histoire du monde, cinq ans
seulement, mais, au moins, cela a pu démontrer qu’aucun empire ne peut
exister longtemps sans ressources minérales abondantes disponibles. À la
fin de la seconde guerre mondiale, il ne restait que deux grands
empires : le soviétique et l’américain. Tous deux étaient basés sur les
combustibles fossiles et, en particulier, sur l’abondance du pétrole
brut qu’ils pouvaient produire. Pendant un certain temps, l’empire
soviétique a contesté la suprématie mondiale de l’empire américain –
mais il a dû abandonner et se coucher lorsque ses ressources pétrolières sont devenues trop chères pour alimenter son appareil militaire.
Aujourd’hui, le seul héritier de quelque quatre millénaires et demi
de construction d’empires est l’empire américain, une structure
extraordinaire qui domine les océans du monde et une grande partie des
terres du monde. Mais, comme pour les anciens empires, celui des
États-Unis ne durera que le temps de sa production de combustibles
fossiles. Et la fin est en vue : la production de pétrole conventionnel
est en déclin depuis des décennies sur le territoire américain, tandis
que la production à partir des schistes bitumineux ne peut que retarder
l’inévitable. Il se peut bien que le puissant empire américain suive
bientôt la voie de ses prédécesseurs. Si c’est le cas, l’effondrement
sera rapide et brutal, le genre d’effondrement que nous appelons parfois
une Falaise de Sénèque.
L’ensemble du débat politique aux États-Unis reflète cette situation.
Les démocrates (ou la gauche) en sont venus à embrasser le point de vue
impérialiste, poursuivant une politique étrangère agressive. Les
républicains (ou la droite) ne sont pas des ennemis de l’empire, mais
beaucoup d’entre eux sont favorables au repli à l’intérieur des
frontières nationales américaines. Il y a une certaine logique dans ces
positions : la base politique des démocrates se trouve dans les restes
appauvris de la classe moyenne et, pour eux, le seul espoir de survie
est l’expansion économique qui pourrait venir du pillage des pays
étrangers. Les républicains, au contraire, représentent les élites et,
pour elles, le moyen le plus facile de maintenir leur domination est de
piller la classe moyenne américaine.
Donald Trump représente bien le point de vue des élites. Il semble
comprendre (ou, du moins, sentir) dans quelle direction le vent souffle
et ce qu’il fait, en plus de se vanter avec exagération, c’est d’essayer
de transformer l’économie parasitaire impériale des États-Unis en une
économie nationale autonome. Ce n’est pas une tâche facile et Trump
pourrait bien échouer dans sa tentative. Mais l’histoire n’échoue jamais
: les empires suivent toujours un cycle de croissance et
d’effondrement, ce n’est qu’une question de temps.
Donc, l’empire américain est destiné à disparaître, mais que va-t-il
se passer après sa chute ? Très probablement, nous verrons une situation
ressemblant à celle de la chute de l’empire romain, quand il n’y avait
pas de ressources pour construire un autre empire de la même taille.
L’Europe est revenue à une époque de villes et de mini-États
indépendants. De nos jours, beaucoup de gens semblent penser que la
disparition des combustibles fossiles entraînerait un retour du
Moyen-Âge. Cela peut arriver : les grandes organisations ont besoin de
beaucoup d’énergie pour fonctionner et, en plus, notre civilisation sera
durement touchée par le réchauffement climatique. Il peut en résulter
une fragmentation des entités politiques actuelles, un retour aux
États-nations ou même un retour aux cités-États. Il n’y aura pas d’autre
empire mondial et Donald Trump pourrait être, sinon le dernier
empereur, du moins le dernier à diriger un empire aussi grand que
l’empire américain actuel.
Le retour au Moyen-Âge pourrait être évité, du moins en partie, si
l’humanité investissait une partie des ressources restantes dans la
construction d’une infrastructure énergétique basée sur les énergies
renouvelables, mais, à l’heure actuelle, il semble que ces ressources
seront gaspillées dans une nouvelle série de guerres pour les
ressources. Et ainsi de suite, c’est le grand cycle de l’Histoire qui va
de l’avant. Les humains luttent, se battent et se querellent, mais les
meilleurs efforts des souris et des hommes
n’aboutissent à rien lorsqu’ils essaient de garder les choses comme
elles sont et comme elles ont été. La seule chose qui ne change pas dans
l’histoire, c’est que les choses changent toujours.
Ugo Bardi
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