Article original de Ugo Bardi, publié le 1er Décembre 2016 sur le site CassandraLegacy
Traduit par le blog http://versouvaton.blogspot.fr
Le pic de la production de brut conventionnel a été atteint entre 2008 et 2011. Il semble que nous ayons dépassé le pic «tous liquides»
en 2015, bien qu’il faudra encore un peu de temps pour s’assurer qu’une
tendance à la baisse irréversible ait bien commencé. Bien sûr,
atteindre le sommet a généré un déni véhément que le pic même existe.
Dans cet article, Eugène Marner commente comment et pourquoi les
élections présidentielles ont complètement ignoré les faits réels de la
baisse de l’approvisionnement en énergie nette des combustibles
fossiles.
The Daily Star, par Eugene Marner
Ici aux États-Unis, nous avons tenu récemment une élection qui en a
surpris et consterné beaucoup puis rendu impatients beaucoup d’autres
pour expliquer ce qui s’est passé, pourquoi cela s’est produit et ce que
nous faisons maintenant. Beaucoup de pensées profondes et de
respirations lourdes ont transpiré dans ces analyses et je ne veux pas
rivaliser ici avec les étudiants en histoire et en politique. J’aimerais
cependant offrir ce que je pense être une partie importante du contexte
des événements récents, un contexte qui est défini et appliqué par la
géologie et la physique. Je suggère que l’élection de 2016 peut être
appelée l’élection du Peak Oil, même si la question n’a certainement jamais été soulevée en public.
En novembre 2000, The Daily Star a publié un de mes articles dans lequel j’ai écrit sur le Peak Oil,
au moment où la production mondiale de pétrole atteignait son maximum
et commençait son déclin inévitable. J’avais espéré inciter les gens à
réfléchir aux graves conséquences que cela entraînerait lorsque le
pétrole, la principale ressource qui alimente et soutient notre
civilisation, ne serait plus disponible en grande quantité et à bon
marché. Manifestement, cela n’a pas très bien fonctionné, car la plupart
des gens n’ont toujours aucune idée de ce que signifie le Peak Oil
et encore moins des conséquences qui en découlent autour de nous en ce
moment. Sans doute nos médias, toujours complices de l’agenda des
corporations (les compagnies pétrolières sont de grands annonceurs),
n’ont pas beaucoup contribué à informer le public mais, plus inquiétant
que le mépris de la population, c’est l’ignorance apparemment absolue
des deux principaux candidats présidentiels et de la plupart de leurs
conseillers et entourages ainsi que le Congrès. Le Corps d’ingénieurs de
l’Armée a publié un rapport en septembre 2005 intitulé Energy Trends and Implications for US Army Installations qui sonnait l’alarme au sujet du Peak Oil à venir, mais il n’a pas obtenu beaucoup d’attention non plus.
L’économie est largement reconnue comme étant le facteur critique
dans la plupart des élections. Donald Trump et Hillary Clinton, comme la
plupart des politiciens partout dans le monde, ont parlé et continuent
de parler de «croissance économique». Les électeurs peuvent
pardonner les scandales, le fanatisme, la négligence, la stupidité et à
peu près tout le reste, mais quand ils voient leur niveau de vie tomber,
les emplois disparaître, leurs enfants sans avenir (et parfois sans
rien à manger), ils accusent les politiciens, à tort ou à raison. Les
politiciens prétendent généralement avoir des solutions qui impliquent
presque toujours un chemin ou l’autre vers la «croissance».
Bien qu’aucun d’entre nous vivant aujourd’hui ne se souvienne d’un
moment où la croissance économique ne faisait pas partie de nos attentes
pour l’avenir, une telle croissance n’a été mise en œuvre que depuis
environ 200 ans. Jusqu’à ce que les combustibles fossiles soient devenus
l’énergie qui a alimenté la révolution industrielle, les économies ont
grandi en faisant la guerre à leurs voisins et en s’emparant de leur
richesse. C’était la substance de l’Histoire : les empires se sont levés
sur le principe de capturer le territoire pour exiger des tributs et
avant de finir par s’effondrer sous le poids de leurs coûts militaires
et des dépenses pour remorquer tout le butin à la maison.
Les Européens avaient presque épuisé les ressources de leur coin
d’Europe continentale eurasienne quand Christophe Colomb tomba sur ce
qu’on a appelé le Nouveau Monde. Bien sûr, il était tout aussi ancien
que n’importe quel autre endroit et, contrairement à la mythologie
persistante, n’était pas vide, mais plein d’animaux, de plantes et, oui,
de millions d’êtres humains vivant dans des cultures complexes. Pendant
les trois siècles qui suivirent, les Espagnols et les Portugais, et
bientôt les Hollandais, les Français et les Anglais, traversèrent
l’Atlantique pour vaincre, conquérir, tuer et voler les habitants.
L’Europe redevint riche. C’est ainsi que la croissance a été faite avant
1800 et le début de l’âge des combustibles fossiles.
Dès le début du XIXe siècle, la révolution industrielle
était alimentée par du charbon, qui était sale, mais qui contenait
beaucoup plus d’énergie que le bois et le charbon de bois, les
principaux carburants que les humains utilisaient jusqu’alors. En 1859,
un manipulateur qui s’appelait lui-même «le colonel» Edwin Drake
a foré le premier pétrole commercialement viable à Titusville, en
Pennsylvanie, et l’âge du pétrole a commencé.
Le pétrole est un
combustible incomparable : au début il a été facilement extrait,
facilement transporté et, cerise sur le gâteau, un seul gallon d’huile
contenait autant d’énergie qu’un homme apte à travailler dur pendant
trois mois, ou environ 700 hommes travaillant pendant une heure. Un
gallon. Cette énorme quantité d’énergie soudainement disponible est ce
qui a donné lieu à ce que nous appelons maintenant la «croissance économique».
Plus de production et de consommation exigent plus d’intrants
énergétiques et le pétrole a rendu cela possible. Mais sur une planète
finie, rien ne peut durer éternellement et, dans les années 1960, les
compagnies pétrolières ont commencé à trouver moins de pétrole chaque
année que nous n’en brûlions. Ainsi, environ 40 ans plus tard, voici
venue l’heure du Peak Oil. Le charbon et le gaz continueront
d’être disponibles pendant un certain temps, mais les deux commenceront
aussi à décliner dans une décennie ou deux. Les deux ont déjà des
problèmes financiers sérieux, et ni l’un ni l’autre ne peut faire ce que
le pétrole fait.
Permettez-moi de revenir sur les raisons pour lesquelles j’ai appelé cela l’élection du Peak Oil.
Aucun des deux candidats n’en a parlé. Peut-être qu’ils ne savent rien à
ce sujet. Ou s’ils le savent, ils ne veulent pas le croire. Ou
peut-être qu’aucun politicien ne peut être élu en promettant que
l’économie continuera à se contracter et que les approvisionnements en
énergie deviendront toujours plus rares. C’était l’élection du Peak Oil
parce que le pic pétrolier les a battu tous les deux. Sans augmentation
de la consommation d’énergie, il ne peut y avoir de croissance
économique et, sans augmentation des approvisionnements, il ne peut y
avoir d’augmentation de la consommation d’énergie. Les énergies
renouvelables dépendent totalement des combustibles fossiles pour leur
fabrication, l’installation et l’entretien et sont beaucoup moins des
concentrés d’énergie que les combustibles fossiles.
Puisque la production pétrolière ne peut pas être augmentée, la
croissance économique est maintenant terminée, c’est un fait. La
promesse de Donald Trump de reprendre la production de charbon,
d’accroître l’extraction de tous les combustibles fossiles et de
reconstruire l’industrie ne se produira tout simplement pas, non pas à
cause de Trump, mais parce que la politique [au sens actuel, NdT]
n’est plus la solution. Désormais, ce sont la géologie et la physique
qui décident. Le reste du pétrole est trop cher à obtenir et à extraire.
Les compagnies pétrolières ne peuvent pas réaliser de bénéfices au prix
que les clients d’une économie en contraction peuvent se permettre de
payer. Le jeu de la croissance est terminé, comme le sera bientôt la
multitude des fraudes financières qui, à partir du pic de la production
pétrolière des États-Unis en 1970, sont venus parasiter une grande
partie de notre économie.
Nous avons besoin d’un nouveau type de politique et d’économie :
locale, coopérative, communautaire, peu énergivore, écologiste, non
polluante, une économie qui soutient durablement les besoins biologiques
et la santé, plutôt que de poursuivre l’accumulation des richesses. Je
ne pense pas que les politiciens vont faire cela pour nous. Nous devrons
le faire pour nous-mêmes.
Dans la Genèse 3:19, Dieu instruit Adam de son châtiment pour sa désobéissance : «C’est à la sueur de ton visage que tu mangeras du pain…»
Apparemment, les humains n’aiment pas tellement cela, comme toute
l’Histoire le montre, qui les voit essayer de contourner ce décret par
tous les moyens possibles : forcer les autres à faire le travail
(l’esclavage), s’enrichir et embaucher d’autres pour faire le travail
(esclavage salarial), ou en brûlant le pétrole (esclavage énergétique).
Il est encore temps pour la coopération communautaire, pour des
solutions de faible technologie comme la puissance des bœufs, des
chevaux et des mulets, pour des technologies simples relativement peu
coûteuses qui peuvent être fabriquées localement, comme des houes, des
faux et des fourches et pour la sueur de nos visages. Ce n’est pas une
question de vertu, mais de nécessité. Une vie plus simple est le
futur, que nous choisissions ou non de l’embrasser.
Eugene Marner vit à Franklin.
Ugo Bardi
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