Article original de Jonathan D. Moreno, publié le 1er Novembre 2011 sur le site the-scientist.com
Traduit par le blog http://versouvaton.blogspot.fr
Comment la recherche en neurosciences peut-elle nous informer
des tactiques militaires de contre-espionnage et des responsabilités
morales qui accompagnent cette recherche ?
Pensez à une question ou à une technologie d’intérêt pour les
neurosciences et il existe une application à potentiel militaire ou de
contre-espionnage. L’interfonctionnement cerveau-machine peut rendre les
drones (véhicules sans pilote) plus efficaces. Les médicaments
anti-sommeil pourrait prévenir les erreurs au combat pour les soldats en
temps de guerre. Les aérosols calmants pourraient résoudre une
situation tendue de prise d’otage. Et de nouveaux dispositifs d’imagerie
médicale pourraient améliorer la détection de la tromperie, alors qu’un
relèvement de certaines neuro-hormones naturelles pourrait aider
pendant un interrogatoire.
Plus tôt cette année, j’ai publié une mise à jour de mon livre publié en 2006, Guerres mentales : Recherche sur le cerveau et défense nationale,
dans lequel j’ai décrit les implications de la neuro-science pour les
technologies militaires et de contre-espionnage. La publication de la
nouvelle version, Guerres mentales : Recherche sur le cerveau et impacts militaires au XXIe siècle,
était plus que justifiée à la fois par la réception favorable de la
première édition (étonnamment, c’est toujours le seul livre sur le
sujet) et la suite d’un regain d’intérêt pour les questions soulevées
dans le premier livre. Tant au sein de la communauté des neurosciences
que parmi les diverses organisations gouvernementales et non
gouvernementales, les applications potentielles de la recherche sur le
cerveau pour la sécurité nationale ne sont plus ignorées.
Parmi les neuro-scientifiques, il y a eu une discussion animée sur la
responsabilité des scientifiques au sujet des fins ultimes de leur
travail. Bien sûr, ce dilemme ne se limite pas aux neuro-scientifiques,
mais s’étend à un large éventail de disciplines, mis en évidence par les
souches récentes du virus de la grippe aviaire H5N1 transmises par les
furets. (Voir Deliberating Over Danger, The Scientist,
April 2012. ) Une analogie avec les premiers physiciens atomiques me
vient immédiatement à l’esprit : le travail théorique et expérimental
des principaux chercheurs en physique a mené au développement d’une des
armes les plus destructrices que l’humanité ait jamais connu. Mais
contrairement à la bombe elle-même, développée dans un but explicite
sous la pression de la sécurité nationale, les découvertes en
neurosciences et autres sciences de la vie sont plongées dans un
problème philosophique plus difficile : comment pouvons-nous tenir un
scientifique individuellement moralement responsable des applications
finales de notre travail lorsque de telles applications sont souvent
difficiles à prévoir ?
Un exemple classique est le document d’Einstein de 1905 sur la
relativité spéciale, qui a servi de base théorique aux travaux
ultérieurs sur la bombe atomique. Einstein devrait-il donc être tenu
pour responsable de la dévastation à Hiroshima et à Nagasaki ? Bien que
la distinction entre science « fondamentale » et « appliquée »
soit floue, une telle ligne dans le sable peut être nécessaire pour
déterminer la responsabilité éthique directe de l’application de son
travail. Einstein lui-même était prêt à soutenir le projet de la bombe
par crainte que l’Allemagne n’y arrive d’abord.
Certains au sein de la communauté des neurosciences ont exhorté leurs
collègues à s’engager simplement à ne pas travailler sur des projets
qui pourraient intéresser l’establishment de sécurité nationale. Mais un
problème pratique avec cette proposition est que les chercheurs ne
connaissent pas toujours la source précise, et encore moins le but
ultime, des fonds associés à une demande de recherche. Dans les années
1950, par exemple, la CIA a créé une organisation de couverture appelée Société pour l’étude de l’écologie humaine qui a financé la recherche sur les hallucinogènes et d’autres expériences de « lavage de cerveau ». Les chercheurs financés par cette société n’ont jamais su que la CIA était derrière elle.
Et puis il y a le fait évident que tous les neuro-scientifiques
seraient d’accord avec le postulat que travailler pour une agence de
sécurité nationale pose des problèmes éthiques. Certains peuvent
considérer cela comme un acte de patriotisme – par exemple, certains
scientifiques peuvent considérer leur travail avec ces agences comme un
élément central de la lutte contre les régimes théocratiques – ou
simplement d’intérêt personnel professionnel. Enfin, si les
neuro-scientifiques s’inquiètent de l’utilisation imprévisible de leur
travail, ce que cela pourrait signifier dans la pratique, c’est de
refuser d’accepter le financement de certains organismes
gouvernementaux.
Tout cela peut sembler beaucoup de rationalisation, si ce n’est que
je suis un philosophe et un historien et pas un neuro-scientifique, par
conséquent, en ce sens, je n’ai pas d’intérêt dans l’histoire.
Cependant, il y a un effort connexe pour lequel je ne vois aucune
objection raisonnable à la participation vigoureuse des
neuro-scientifiques : la formulation des conventions internationales
pour établir des limites à l’utilisation des innovations basées sur la
neuroscience dans un conflit international. Certaines drogues sont déjà
couvertes par les traités contre les armes chimiques et biologiques, et
le droit international des droits de l’homme interdit dans son principe
de nombreuses pratiques qui exploitent la connaissance du cerveau et du
système nerveux central. Mais, par exemple, la convergence des
neurosciences avec la cyber-technologie et autour des drones soulève de
nouvelles questions qui n’ont pas été envisagées auparavant.
La neuroscience avance rapidement, et les applications expérimentales
se déroulent à un rythme vertigineux. Mais les États souverains peuvent
mettre des décennies pour parvenir à des accords multilatéraux
contraignants. Compte tenu des conséquences de la lenteur de
l’application des règles régissant l’utilisation des armes atomiques,
les générations futures pourraient se demander : qu’attendons-nous
maintenant ?
Jonathan D. Moreno est professeur d’université
de Lyn Silfen à l’université de la Pennsylvanie et l’auteur de guerres
mentales : La recherche sur le cerveau et l’armée au 21ème siècle.
Liens
Des psy-Op à la guerre psychologique : La psychologie de la victoire
Note du traducteur
Cet article est issu d'une recherche sur le concept de Mind War ou Guerre psychologique à la suite de la traduction de l'article de Michael A. Aquino. Il pose assez clairement le problème de la recherche, dont les applications militaires ou dans le domaine de la surveillance de masse.
L'auteur semble clairement technophile et son article donne l'impression d'être un plaidoyer pour un accord tacite en faveur d'un laisser-faire.
Il ne peut ignorer les implications de ces recherches sur l’ingénierie sociale, la controverse sur les applications autour de l'intelligence artificielle ou du transhumanisme. On peut le vilipender, mais au vu de la machine implacable qui fait croître la techno-sphère jour après jour, avec la collaboration implicite de chacun à son petit niveau, il est difficile de lui jeter la pierre. Entre ceux qui poussent et ceux qui ne freinent pas, on peut dire que le projet avance, quel qu'il soit.
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