Article original de Franz J. Marty, publié le 10 Mars 2017 sur le site thediplomat.com
Traduit par le blog http://versouvaton.blogspot.fr
Les talibans semblent déterminés à améliorer leur stratégie
de 2016, ce qui représente une menace pour les capitales provinciales.
KABOUL – Comme ils l’ont fait en 2016, les Talibans
se concentrent de nouveau sur la domination des villes afghanes cette
année. À la fin de février 2017, les talibans avaient déjà lancé une
attaque contre Mehtar Lam, la capitale de la province de Laghman, à
l’Est de l’Afghanistan. Et selon un rapport confidentiel obtenu
exclusivement par The Diplomat, les Talibans ont modifié leur tactique, en raison d’une agression prétendument imminente contre la ville de Kunduz [Kondoz, au nord-est sur la carte, NdT], où des forces américaines et allemandes sont également déployées.
Le 28 février, des semaines avant l’offensive insurrectionnelle du
printemps qui commence traditionnellement en avril, des militants ont
attaqué Mehtar Lam, les combats atteignant les faubourgs de la ville à
deux kilomètres du centre. Deux jours plus tard, le 2 mars, le
gouverneur de Laghman a d’abord reconnu que les militants avaient réussi
à prendre plusieurs avant-postes, mais il a ensuite assuré que ces
avant-postes avaient été repris par les forces gouvernementales et que
l’attaque avait été repoussée avec succès. Cependant, une déclaration du
gouvernement provincial, publiée le 13 mars, a encore affirmé avoir
déjoué le plan des Talibans pour capturer Laghman, ce qui implique que
les combats se sont poursuivis au moins jusqu’à récemment. Et les
rapports datés du 18 mars ont même indiqué que les insurgés étaient
encore aux alentours de Mehtar Lam.
Ce n’est malheureusement pas une surprise. Puisque les talibans ont
réussi à brièvement envahir Kunduz, la capitale de la province du nord
du même nom, fin septembre et début octobre 2015 – ce qui a marqué le
premier cas d’occupation de capitale provinciale depuis le renversement
de leur régime en 2001 – ils ont depuis lors constamment gardé les
villes dans leur viseur. En 2016, les insurgés ont exercé des pressions
sur les capitales des provinces de Kunduz, Faryab, Farah, Helmand et
Uruzgan. Alors qu’ils ont réussi à entrer temporairement dans Kunduz et
Tarin Kot, la capitale d’Uruzgan, les combats se sont limités à la
périphérie des autres villes.
Habituellement, la tactique des Talibans était de saisir les zones
rurales environnantes, avant de lancer un assaut plus vaste sur les
villes elles-mêmes [la tactique de Mao, NdT]. Cependant, selon un rapport confidentiel exclusivement obtenu par The Diplomat,
les Talibans ont modifié cette tactique, tout en préparant une nouvelle
attaque imminente contre Kunduz. Le rapport indique que cette fois, les
insurgés se concentreront sur l’infiltration des forces de défense et
de sécurité nationales afghanes, afin d’assaillir la ville de
l’intérieur. En outre, le rapport indique que les insurgés se
concentrent sur le blocage total des routes principales vers Kunduz,
avant l’attaque prévue sur la ville elle-même. Alors que les insurgés
avaient au moins partiellement bloqué les routes principales dans les
assauts précédents sur Kunduz, le rapport suggère que les militants se
préparent à le faire plus efficacement cette fois. En tout état de
cause, le rapport affirme que les forces gouvernementales ont déjà mis
en place des contre-mesures efficaces et que Kunduz ne s’effondrera pas.
Corroborant ce rapport, une source de haut rang au sein des forces de
défense et de sécurité afghanes à Kunduz, parlant sous condition
d’anonymat, a déclaré à The Diplomat qu’il y avait
effectivement des infiltrés talibans parmi les forces de police de
Kunduz. Cependant, il a également mentionné que cela avait été le cas
dans le passé et que cela ne voulait pas dire que les infiltrations
avaient augmenté. La même source a également reçu des rapports selon
lesquels les militants ont l’intention de bloquer complètement les
routes d’accès à Kunduz, mais ces rapports n’ont pu confirmer dans
quelle mesure les Talibans avaient effectivement mis en place une telle
tactique. Il a cependant indiqué que Qari Shafiq, connu sous le nom de
Dawood, le nouveau commandant taliban d’Aliobod, un district directement
au sud de la ville de Kunduz, a récemment commandé des attaques sur la
route principale qui relie Kunduz au reste du pays. L’une de ces
attaques concernait un avant-poste du gouvernement près de l’aéroport de
Kunduz, qui se trouve juste à l’extérieur de la ville et accueille
également la 20e division de l’armée nationale afghane. La
source a ajouté que l’on s’attend à ce que les Talibans lancent une
autre attaque contre Kunduz au début du mois d’avril (il a mentionné une
date spécifique, que cet auteur a décidé de garder pour lui pour des
considérations de sécurité).
D’autre part, une source au sein de l’Armée nationale afghane
à Kunduz a insisté sur le fait que les services de contre-espionnage
avaient empêché avec succès toute infiltration insurrectionnelle dans
l’armée afghane (il n’avait aucune information sur la police),
corroborant en partie les affirmations de contre-mesures efficaces
mentionnées dans le rapport confidentiel. La même source allègue en
outre que les Talibans à Kunduz ont été et continuent d’être pressés par
des opérations gouvernementales et ont été considérablement affaiblis,
ce qui les a laissés incapables de lancer une attaque réussie. À cet
égard, il a également mentionné la disparition de Mullah Salam, le
gouverneur taliban de l’ombre de Kunduz, cité comme le cerveau des
assauts antérieurs sur la ville de Kunduz, mais qui a été tué lors d’une
attaque aérienne américaine dans le district Dasht-i Archi de Kunduz,
le 26 février.
Cependant, la source a également mentionné que des forces américaines
et allemandes sont actuellement stationnées à Kunduz, ce qui pourrait
indiquer que la situation n’est pas aussi bonne que celle décrite par l’ANA. Le capitaine Bill Salvin, directeur des affaires publiques de Resolute Support,
la coalition internationale dirigée par l’OTAN, a confirmé le
déploiement de forces de la coalition près de Kunduz, y compris des
soldats allemands et américains. Selon Salvin, ces troupes effectuent
des entraînements, du conseil et une mission d’assistance auprès des
forces afghanes. Il est difficile de déterminer depuis quand,
exactement, les forces de la coalition sont stationnées à Kunduz et leur
rôle en cas de nouvelle offensive insurrectionnelle.
Apparemment en contradiction avec sa vision optimiste, l’observateur, qui a parlé anonymement, a déclaré à The Diplomat
que les insurgés avaient déployé 200 combattants professionnels à
Kunduz, pour une agression imminente. Cela a été en partie corroboré par
la source de sécurité susmentionnée, qui a allégué qu’environ 150
combattants insurgés des provinces du sud de Helmand et Kandahar sont
stationnés à Chahor Dara, encore un autre district de Kunduz. À cet
égard, il faut noter cependant que, bien que de telles forces talibanes
puissent constituer des combattants plus professionnels et mieux
organisés, elles sont – bien que les rapports médiatiques les qualifient
souvent de « forces spéciales talibanes » – loin des forces spéciales au sens de celles d’une armée moderne.
Quoi qu’il en soit, la concentration constante des talibans sur les
villes pour les prendre d’assaut semble être, dans une certaine mesure,
étrange. De nombreux analystes conviennent que les Talibans – tout en
pouvant menacer ou peut-être encore contrôler une ville – ne peuvent pas
tenir un centre urbain. En fait, cela a été corroboré par un exposé du Royal United Services Institute for Defence and Security Studies, basé sur les entretiens de novembre 2016 avec « sept personnages talibans bien connectés, représentant différentes circonscriptions au sein du mouvement ». Dans ce contexte, le briefing a également noté que « de nombreux commandants talibans craignent que les gains militaires ne soient pas durables » et que « les victoires tactiques soient très coûteuses », les Talibans interviewés ayant « souligné
les lourdes pertes des talibans au cours des trois derniers mois [se
référant apparemment à l’automne 2016] lors des combats à Farah, Faryab,
Helmand, Uruzgan et Kunduz », « qui ont laissé beaucoup de combattants du mouvement se questionner sur l’utilité de ces sacrifices militaires« .
Par conséquent, cela soulève la question de savoir pourquoi les
talibans se concentrent néanmoins sur l’assaut des villes. Bien sûr,
l’effet de propagande de prendre une ville, même très brièvement, est
immense. Cependant, d’un point de vue militaire, les coûts semblent
l’emporter sur ces avantages.
Toutefois, compte tenu de l’année écoulée et des développements les
plus récents de Laghman et Kunduz, il faut s’attendre à ce que les
Talibans continuent à essayer de prendre les capitales provinciales tout
au long de 2017. Et leur première opération majeure en 2017 pourrait
très bien être lancée prochainement à Kunduz, affectant les forces
américaines et allemandes qui y sont stationnées.
Franz J. Marty est un journaliste indépendant
basé en Afghanistan. Il écrit sur un large éventail de sujets, mais se
concentre sur la sécurité et les problèmes militaires. Il peut être
suivi @franzjmarty sur Twitter.
Liens
chroniquesdugrandjeu.com : La nouvelle guerre perdue de l’oncle Sam
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