Article original de James Howard Kunstler, publié le 20 Mars 2017 sur le site kunstler.com
Traduit par le blog http://versouvaton.blogspot.fr
Vous pourriez ne pas le savoir, étant donné tout le bruit ambiant du moment, mais au-delà des tourments des news
et de la propagande, il y a encore quelque chose que l’on appelle la
nation. C’est plus qu’un simple pacte politique. Jusqu’à il n’y a pas si
longtemps, c’était aussi une culture, un ensemble convenu de valeurs,
de pratiques et de coutumes qui constituaient une identité : je suis
américain. Si vous aviez interrogé la foule au Yankee Stadium un
après-midi d’été en 1947, j’imagine que chaque personne aurait répondu
de cette façon, plutôt que de dire : je suis un vétéran de guerre
blessé, je suis un WASP, je suis une femme au foyer opprimée, un noir,
un Italien, un juif, je suis membre du syndicat, je suis communiste, je
suis queer, je suis une victime de viol…
Ces jours-ci, les difficultés de l’histoire sont en train de briser la
nation et notre réponse politique consiste à nous réfugier dans une
matrice de rackets. La plupart de ces rackets sont économiques, parce
que c’est l’essence du racket de tirer le plus grand bénéfice possible
de l’objet de votre racket, au moindre coût pour le racketteur. En
clair, c’est une façon organisée d’obtenir quelque chose pour rien. La
politique identitaire de notre époque est une autre forme de racket –
extrayant les avantages maximums actuels pour des réclamations de
mauvais traitements, souvent passés, spécieux, ou seulement imaginaires.
Et donc, une des questions vraiment existentielles du moment est de
savoir si nous continuerons à être une nation, même géographiquement, et
beaucoup d’observateurs sensibles n’en sont pas si sûrs. Apparemment,
nous ne sommes pas vraiment sûrs de vouloir même être. C’est pourquoi le
slogan de Hillary Clinton, «Plus forts ensemble», a sonné si
faux quand le Parti démocrate a travaillé avec tant de diligence en
2016, pour construire des fortifications identitaires distinctes et a
ensuite déclaré la guerre culturelle à la majorité déclinante en dehors
des remparts. Et vous êtes surpris que Donald Trump ait gagné
l’élection?
Trump a gagné en faisant des promesses qu’il ne pourra jamais tenir,
dans les circonstances actuelles. La principale promesse était de
rétablir le niveau de vie dont jouissaient les anciens travailleurs
industriels et les commis, au cours des dernières décennies. Sa promesse
était basée sur une méconnaissance de l’Histoire : la notion selon
laquelle l’organisation industrielle de la vie quotidienne faisait
partie intégrante de la condition humaine. Vous pourriez détecter, en ce
début de XXIe siècle, que ce n’est plus le cas. C’est
précisément pourquoi nous avons essayé de la remplacer par une économie
basée sur le racket. Quand il ne reste rien d’autre, beaucoup de gens
essayent d’obtenir quelque chose pour rien, parce qu’il n’y a rien
d’autre à faire.
D’où la financiarisation de l’économie. Dans les années 1950, la
finance représentait environ 5% de l’économie. Sa mission était alors
assez simple et juste : gérer la richesse accumulée de la nation
(capital) et l’attribuer ensuite à ceux qui se proposaient de générer
plus de richesses via de nouvelles activités productives, pour la
plupart industrielles, à l’infini. Il s’est avéré que ad infinitum
ne fonctionne pas dans un monde aux ressources finies – mais la balade a
été si enivrante, que nous n’avons pas pu le croire et nous n’y
arrivons toujours pas.
Avec l’industrie en état de mort clinique aux USA ou sa
délocalisation (également temporaire), nous avons gonflé le système
financier à près de 40% de l’économie. La nouvelle financiarisation
était, en effet, une matrice de rackets en action. Ce qui avait servi
auparavant pour la gestion du capital, a été autorisé à muter en
diverses formes d’escroquerie et de fraude – comme le regroupement de
prêts hypothécaires mal acquis en obligations gigantesques, pour ensuite
les vendre à des caisses de retraite désespérées d’obtenir du « rendement »
ou l’orgie de fusion et acquisition dans le milieu des soins de santé,
qui ont transformé les hôpitaux en caisses enregistreuses ou les flux de
revenus sur des « jeux » autour des dérivés de crédit équivalant à des paris sans possibilité de jamais être remboursés ou à des jeux de bonneteau pour arbitrer les taux d’intérêt pratiqués par les banques centrales et leurs concubins, les « gros trafiquants d’argent« .
Une partie de ce que j’ai énuméré ci-dessus peut être
incompréhensible pour les lecteurs du blog. C’est parce que ces rackets
ont été conçus pour être opaques et abscons. Les rackets se poursuivent,
sans réglementations ni poursuites, parce qu’il y a un accord tacite,
au sein du gouvernement et dans les salles des conseils
d’administration, que c’est tout ce qu’il nous reste. Ce qui reste du
standard de vie habituel en Amérique est soutenu par le désir et la
fausseté et tout ce qui est maintenant à venir, c’est une apogée, alors
que nous fonçons à toute vapeur pour devancer la loi de Murphy : si
quelque chose peut aller mal, cela arrivera.
Quand toute l’Amérique se rendra compte que le Président Trump ne
sait pas ce qu’il fait, cela fera passer la dépression nerveuse
nationale de novembre dernier pour un cas momentané de vapeurs. Ce
mauvais karma attend les marchés, les banques, les devises et les
énormes dark pools
d’obligations de contrepartie qui forment des trous noirs, où les
notions de valeur sont aspirées en dehors de notre univers. Il y a
tellement de choses qui peuvent mal tourner. Mais cela adviendra. Et
puis, peut-être que cela nous amènera à envisager d’être à nouveau une
nation.
James Howard Kunstler
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