Article original de James Howard Kunstler, publié le 13 juin 2017 sur le site kunstler.com
Traduit par le blog http://versouvaton.blogspot.fr
Au fur et à mesure que nos politiciens s’enfoncent toujours plus
loin dans une nature sauvage légalisée, cherchant des fantômes de
collusion russe, personne ne prête plus attention à la force la plus
dangereuse menaçant la vie américaine : l’effilochage de la
financiarisation de l’économie.
La financiarisation est ce qui se passe lorsque les personnes responsables créent des montants colossaux d’« argent »
ex-nihilo, en émettant des crédits, c’est-à-dire de la dette, puis
créent des profits stupéfiants à partir de ces bulles d’actifs, des
arbitrages des taux d’intérêt et d’autres opportunités pour éponger la
richesse artificielle ainsi générée. C’était une sorte de tour de magie,
qui a produit des monuments de richesse personnelle concentrée pour
quelques-uns et laissé le reste de la population se noyer dans les
obligations d’un avenir volé. L’avenir est maintenant sur nous.
La financiarisation s’est exprimée aussi de manière intéressante, par
exemple pour la rénovation étonnante de New York (Brooklyn surtout).
Cela ne s’est pas produit simplement parce que la génération X a été
révulsée par la banlieue ennuyeuse dans laquelle elle a grandi et a
désiré une vie de cocktails artisanaux. Cela s’est produit parce que la
financiarisation a concentré une immense richesse géographiquement dans
les très rares endroits où ses activités avaient lieu – pas seulement
New York, mais aussi San Francisco, Washington et Boston – et pouvaient
soutenir un luxe comme les aliments et les préparations artisanales.
Un peu de cette richesse a été extraite de la liquidation des biens
du reste de l’Amérique où la financiarisation était absente, une sorte
de vente de charité nationale des états oubliés et des personnes qui s’y
trouvaient. Cette dynamique, bien sûr, a produit le phénomène du
président Donald Trump, l’essence distillée de toute la détresse
économique « là-bas » et la rage qu’elle impliquait. Les gens
de l’Ohio, de l’Indiana et du Wisconsin ont été laissés avec un grand
sac de rien et ils ont certainement remarqué ce qui leur avait été fait,
mais ils n’avaient aucune idée de ce qu’il fallait faire à ce sujet,
sauf peut-être essayer d’échapper à cette douleur permanente de leur vie
ruinée avec de puissantes drogues.
Et puis, un champion s’est présenté, et a promis de ramener les
années merveilleuses de bien-être de l’après-guerre – même si le monde a
complètement changé – et les pauvres gens sont tombés dans le panneau.
Sans parler du fait que son adversaire – l’avare Hillary, avec ses
centaines de millions de richesses mal acquises – était un avatar de la
financiarisation qui avait mis leurs vies en bouillie. Cette femme les a
même appelés « panier de déplorables», pour bien leur faire remarquer ce qui leur était arrivé.
Et maintenant, les fausses promesses plutôt pathétiques du président Trump, tout le MAGA [Make America Great Again],
se délitent exactement au moment même où l’économie financiarisée entre
dans son moment de changement de phase catastrophique final. Les
monuments de la richesse – en particulier les portefeuilles d’actions et
d’obligations et la valeur présumée des placements immobiliers – se
livreront à un processus que vous pourriez qualifier de découverte des
prix de l’enfer, révélant leur valeur, c’est-à-dire quelque part entre
peu et rien. Les dettes monstrueuses accumulées [217 000 milliards de dollars, NdT]
des personnes, des compagnies et de sociétés souveraines seront
brusquement, de manière choquante, absolument et évidemment impayables,
et leurs titres seront absorbés par les vortex
espace-temps représentés dans les films sur les momies et les
astronautes. Et tout à coup, les avatars de cette richesse verront leur
vie tourner en eau de boudin, juste comme les déplorables décalés,
amateurs de Budweiser, accros à l’oxycodone et vivant sur des parkings
plats et ennuyeux, ces terres perdues de l’utopie en ruine du
tout-conduite, qui ont vu leurs vies réduites en bouillie
marron-et-jaune qui s’écoule dans le sens des aiguilles d’une montre
dans les toilettes de l’histoire.
Personne au pouvoir dans ce pays ne prête attention à la proximité de
ce moment épique – du moins, ils n’en parlent pas. Si la possibilité
existe que tout cela occupe même un coin éloigné de leur cerveau, ils ne
savent sûrement pas comment préparer la population, ni quoi faire à ce
sujet. La vérité est que les sociétés réagissent en urgence à des crises
majeures, comme l’éminente démolition de notre économie financiarisée,
souvent de manière désordonnée et surprenante. Je suppose que nous
devrons regarder ce spectacle écœurant et, en attendant, profiter du
mélodrame de la collusion russe pour ce qu’il vaut, probablement plus
qu’un billet pour Wonder Woman ou le nouveau film de Tom Cruise sur les momies.
James Howard Kunstler
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