Article original de Andrew Korybko, publié le 31 Décembre 2017 sur le site Oriental Review
Traduit par le blog http://versouvaton.blogspot.fr
L’Amérique latine est dans les limbes puisque l’opération Condor 2.0 des États-Unis a plus ou moins réussi à réduire la multipolarité dans la région, bien que les prochaines élections présidentielles mexicaines et brésiliennes pourraient annoncer un changement de paradigme si les partis de gauche remportent les plus hautes fonctions dans ces deux grandes puissances.
Les États-Unis ont systématiquement démantelé la multipolarité dans l’hémisphère occidental depuis le début de leur contre-offensive asymétrique de 2009 soutenant le coup d’État militaire contre le président hondurien Manuel Zelaya. Depuis lors, les gouvernements de gauche d’Argentine et du Brésil sont tombés en raison de coups d’État électoraux et constitutionnels, renversant sévèrement les effets de la « marée rose » et ouvrant le bloc commercial du Mercosur au même type d’influence néolibérale qu’il avait précédemment voulu contrecarrer.
Le Venezuela a connu les affres d’une guerre hybride meurtrière et sans cesse croissante, et même si le gouvernement du président Maduro n’a pas été renversé, son influence régionale en a été considérablement affaiblie. De plus, les États-Unis rassemblent une coalition d’États régionaux pour intensifier la pression exercée sur la République bolivarienne, ce qui pourrait déboucher sur un nouveau modèle de « Lead From Behind » qui pourrait être utilisé ailleurs dans l’hémisphère.
Parlant de cela, il semble probable que la Bolivie connaisse une période de troubles l’année prochaine après l’annonce par le tribunal du pays que le président Morales sera autorisé à briguer un quatrième mandat malgré la perte de peu du référendum de l’an dernier qui devait lui conférer ce droit dans les urnes. La Bolivie est également l’État de transit central du Transoceanic Railroad qui reliera le Pérou et le Brésil. Les États-Unis ont donc une autre raison de déstabiliser cet État socialiste multipolaire et gazier qui a récemment étendu ses partenariats avec la Russie et la Chine.
Le Nicaragua pourrait également rencontrer des difficultés alors que le gouvernement du président Ortega est contraint de réagir à la détérioration de la situation économique dans le deuxième pays le plus pauvre de l’hémisphère occidental. Il s’agit aussi d’éviter que le piège de la guerre hybride ne déclenche à répétition, tout le long de la côte des Moustiques, des conflits comme celui des Contras. Le Honduras voisin, l’un des plus grands États d’origine pour les migrants illégaux aux États-Unis et un lieu de transit crucial pour les opérations de trafic de stupéfiants, pourrait s’inquiéter si le peuple continue de s’agiter contre le gouvernement après que le président Juan Orlando Hernandez a volé les dernières élections pour s’octroyer pour lui-même un second mandat sans précédent à ce poste.
Dans cette situation aussi désespérée que possible, il y a en fait deux occasions potentielles d’inverser le cours des événements et repousser la domination unipolaire qui s’est glissée dans cet hémisphère sud. Elles se retrouvent toutes les deux dans les élections présidentielles du Mexique et du Brésil l’année prochaine. Andres Manuel Lopez Obrador, populairement connu sous ses initiales abrégées d’AMLO, est un leader de l’opposition nationaliste de gauche très populaire au Mexique et il a une sérieuse chance de remporter la présidence en juillet. Il a déjà disputé plusieurs élections dans le passé, perdant en 2006 à cause d’une prétendue fraude, et sa victoire potentielle l’année prochaine pourrait pimenter les relations américano-mexicaines.
AMLO est considéré par beaucoup comme une version mexicaine de Trump, quoique du point de vue de la gauche, même s’il est loin d’être un second Chavez. Son entrée en fonction pourrait immédiatement avoir de lourdes conséquences pour les États-Unis, notamment en termes de renégociation de l’ALENA et au sujet des migrants illégaux. Il est encore trop tôt pour évaluer ses chances de gagner, mais il y a néanmoins beaucoup d’énergie positive autour de lui, et il ne faut pas oublier que le scénario des élections de 2006 pourrait à nouveau se répéter. Il pourrait alors finir par réclamer sa victoire en cas de faible défaite sur fond de fraude. Ce scénario pourrait perturber la situation au Mexique et transformer le pays en un risque pour la sécurité des États-Unis, raison pour laquelle il doit être surveillé.
En ce qui concerne le Brésil, les autorités dirigeantes calibrent les « lois » pour essayer d’empêcher l’ancien président ultra populaire connu sous le nom de Lula de se présenter de nouveau, s’appuyant sur son prétendu lien avec le vaste plan de corruption « Opération Lava Jato » en essayant de le rendre inéligible. En tout cas, le Parti des Travailleurs pourrait bien se débrouiller et profiter du ressentiment généralisé contre la domination de Temer pour remporter une victoire. Mais en même temps, les électeurs ont largement perdu leurs illusions autour de ce parti, scandalisés par le scandale, et ils pourraient opter pour l’option Marina Silva avec Soros à la manette et sa nouvelle filiale du Parti socialiste appelant à un réseau de durabilité.
En raison de l’incertitude quant à la direction géopolitique de l’Amérique latine, il est raisonnable de décrire toute la région comme étant dans les limbes entre multi-polarité et uni-polarité, avec les forces pro-américaines à l’initiative stratégique mais n’ayant pas encore fermement assuré tous les rênes du pouvoir. Les prochaines élections au Mexique et au Brésil détermineront dans une large mesure la trajectoire future de l’hémisphère Sud, tout comme l’issue de la guerre hybride contre le Venezuela et les conflits naissants qui pourraient également éclater contre ses partenaires boliviens et nicaraguayens.
Andrew Korybko est le commentateur politique américain qui travaille actuellement pour l’agence Sputnik. Il est en troisième cycle de l’Université MGIMO et auteur de la monographie « Guerres hybrides : l’approche adaptative indirecte pour un changement de régime » (2015). Ce texte sera inclus dans son prochain livre sur la théorie de la guerre hybride. Le livre est disponible en PDF gratuitement et à télécharger ici.
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