mercredi 24 janvier 2018

Sanctions de merde

Article original de Dmitry Orlov, publié le 16 janvier 2018 sur le site Club Orlov
Traduit par le blog http://versouvaton.blogspot.fr

Brise-glace russe / LNG tanker

Christophe de Margerie
Quelle que soit la déité païenne responsable de la météo cet hiver, elle semble faire une blague aux Américains. Vous ne croyez pas au réchauffement climatique ? Bien, pourquoi n’avons-nous pas eu les Moscovites profitant de la vue rare de saules en fleur en janvier alors que vous gelez chez vous ? Le résultat a été brutal. Non seulement les très basses températures, dans une région où certaines personnes semblent croire qu’une casquette de base-ball est le couvre-chef idéal en hiver, ont exacerbé une saison de grippe déjà très mauvaise (le vaccin standard contre la grippe n’est efficace qu’à 10%) mais cela a provoqué une hausse des prix du gaz naturel jusqu’à 6,4 dollars le mètre cube, atteignant un record vieux de quatre ans et dépassant même le prix en vigueur en Asie.



Les Russes croient au réchauffement climatique. Ils ont ouvert les voies maritimes de l’Arctique à la navigation toute l’année, grâce a une nouvelle flotte de brise-glaces. Cela raccourcit le fret maritime mondial tout en contournant des points stratégiques tels que le détroit de Malacca, le canal de Suez et le détroit de Gibraltar. Les Russes profitent aussi du réchauffement de l’Arctique pour ouvrir la région à l’exploration et à la production de pétrole et de gaz. À la fin de l’année dernière, l’ambitieux projet de gaz naturel liquéfié de Yamal s’est ouvert en grande pompe. Une nouvelle ville a été entièrement construite au nord du cercle polaire. Poutine lui-même est venu et a donné l’ordre de commencer à pomper. Une nouvelle flotte de méthaniers brise-glace est en cours de préparation pour acheminer le gaz vers les clients du monde entier.

En 2012, j’ai écrit qu’il n’y avait pas vraiment de marché mondial du gaz naturel. Eh bien, maintenant il y en a un ! (Mais tout ce que j’ai écrit à ce moment-là est toujours valable). Entre-temps, les États-Unis se sont livrés à la fracturation hydraulique, une technique coûteuse et dommageable pour l’environnement, afin d’exploiter les hydrocarbures marginaux présents dans les roches mères. Ce programme a entraîné une augmentation temporaire des volumes de pétrole et de gaz mais aussi des niveaux d’endettement astronomiques pour les entreprises concernées, qui sont maintenant enfermées dans un scénario de type Ponzi, luttant pour leur survie tout en continuant à produire à perte. Mais les volumes de production temporairement en hausse ont permis aux Américains de rêver qu’ils seraient capables de fournir du gaz naturel à l’Europe et au-delà, évinçant Gazprom, la compagnie russe. À cette fin, au milieu de l’année dernière, l’administration Trump a imposé une série de sanctions visant à empêcher la Russie de développer sa part du marché européen du gaz (actuellement de 40%) provoquant la consternation de l’Allemagne, l’Autriche et d’autres pays qui ne voient aucun avantage à être forcé d’acheter du gaz américain cher et peu fiable.

À l’époque, je ne pensais pas que ce système fonctionnerait, et maintenant il s’avère que j’avais raison. Non seulement les livraisons de gaz étasunien à l’Europe s’avèrent une farce, mais la toute première cargaison de GNL du projet russe Yamal est partie pour… Boston. Elle doit arriver à l’usine de gazéification d’Everett le 22 janvier. Apparemment l’administration Trump est heureuse de laisser les Européens frissonner dans le noir, privés d’accès au gaz russe, mais pas les États-Unis eux-mêmes : sanctions de merde ! Le fait embarrassant, c’est que cet épisode met fin à l’idée que les exportations de GNL américaines puissent concurrencer le plus grand producteur de gaz du monde, Gazprom. Ce petit problème peut facilement être résolu en refusant de parler des importations de gaz russe et en parlant plutôt d’importation de migrants depuis des « pays de merde ».

Mais est-ce un événement singulier, causé par des records de basses températures, ou un signe des choses à venir ? Je crois que c’est la voie de l’avenir. D’une part, le régime des sanctions ne tient pas. Les États-Unis ne sont pas la seule « nation exceptionnelle » à ne pas respecter ses propres sanctions  : les Britanniques, confrontés à des pénuries de gaz, ont également choisi de les ignorer, désireux de devenir les nouveaux clients de Yamal. Après une telle ridicule performance, pourquoi quelqu’un, n’importe où dans le monde, devrait-il prendre au sérieux les déclarations de l’administration américaine ? À ce stade, les Américains eux-mêmes préféreront probablement garder le silence sur toute personne qui viole leurs sanctions, de peur d’être ridiculisés. Après tout, il existe des moyens beaucoup plus faciles de dominer le cycle de l’information ; par exemple, en disant simplement quelque chose qui donne l’excuse d’agir comme celui qui est offensé.

Mais tandis que les Américains sont occupés à crier à l’offense, un autre problème, beaucoup plus grand, se profile à l’horizon. Pensez-vous que le Peak Oil est mort ? Oh, alors qu’en est-il du réchauffement climatique ? Le fait est que 2017 a été tout simplement un désastre en ce qui concerne l’exploration pétrolière et gazière. Les géologues n’ont pu trouver que 11%  du volume d’hydrocarbures produits et consommés au cours de cette même année. C’est le pire résultat de tous les temps ! Rien de tel depuis les années 1940, quand le monde était trop occupé à mener une guerre mondiale pour s’engager dans l’exploration pétrolière et gazière. Comme je l’ai expliqué dans cet article, le conflit entre des prix plus élevés que ceux que les consommateurs peuvent se permettre mais trop bas pour couvrir les coûts de production, mettront en faillite les consommateurs et les producteurs, mais pas tous et pas en même temps. Ce qui est par contre certain, c’est que si cette tendance à long terme se poursuit (et pourquoi ne le ferait-elle pas ?), de graves pénuries de pétrole et de gaz vont commencer à se produire dans une décennie.

Ce qui est particulièrement remarquable à propos de ce triste résultat, c’est qu’il ne dérange nullement les Russes. Cela parce que la plupart des ressources de pétrole et de gaz nouvellement découvertes sont en Russie. Au cours de l’année dernière, la Russie a pu augmenter ses réserves de pétrole d’un milliard de tonnes, dont 350 millions pourront être produites sans investir dans de nouvelles technologies. En comparaison, l’année dernière, la Russie a produit 560 millions de tonnes. Ainsi, en fonction de son niveau d’investissement technologique, la Russie est soit au niveau de son seuil de rentabilité soit a pris de l’avance en termes de capacité à maintenir et accroître sa production pétrolière. Une situation similaire se présente en ce qui concerne le gaz naturel : l’année dernière, la Russie a pu augmenter ses réserves de 1500 milliards de mètres cubes. Cette tendance positive devrait se poursuivre, car lorsqu’il s’agit d’explorer ses vastes réserves dans l’Arctique qui se réchauffe rapidement, la Russie ne fait que commencer.

Depuis le coup d’État de 2014 en Ukraine, qui a été suivi par l’imposition de sanctions anti-russes, on a beaucoup réfléchi à ce qu’il faudrait faire pour que ces diverses sanctions soient levées. Et maintenant, il semble que nous ayons la réponse : tout ce qu’il faut, c’est un bon coup de froid. Le Royaume-Uni et les États-Unis en sont de bons exemples, mais en voici un encore meilleur : le temps très froid a amené le gouvernement ukrainien à lever ses sanctions contre la compagnie russe Yuzhtrans et à reprendre ses importations d’anthracite russe. L’Ukraine est une sorte de mini-moi pour le Dr Evil, qui lui dit que son travail est de haïr la Russie, et donc il fait de son mieux avec ses propres sanctions anti-russes, tous ces « faits alternatifs » que vous pouvez avaler et ce discours de haine ridicule. Mais geler à mort dans l’obscurité serait plus que ce qu’elle a négocié. Aussi achète-t-elle le combustible nucléaire russe, et maintenant le charbon russe.

Mais ça, c’est maintenant. Dans les années à venir, alors que les réserves d’hydrocarbures en dehors de la Russie seront réduites, les déficits de production deviendront monnaie courante et les marchés vont tanguer. Ensuite, les gouvernements dans une grande partie du monde, peut-être même aux États-Unis, se rendront compte qu’ils ne peuvent tout simplement pas se passer de l’énergie russe. Désireux d’empêcher les lumières de s’éteindre et les tuyaux d’éclater, ils reconnaîtront qu’il est dans leur propre intérêt de freiner leur russophobie, de faire la lumière sur la rhétorique anti-russe, de lever ou simplement d’ignorer les sanctions, et d’essayer simplement de passer le meilleur accord qu’ils pourront avec la Russie.

Les cinq stades de l'effondrementDmitry Orlov

Le livre de Dmitry Orlov est l’un des ouvrages fondateur de cette nouvelle « discipline » que l’on nomme aujourd’hui : « collapsologie » c’est à-dire l’étude de l’effondrement des sociétés ou des civilisations.

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