samedi 16 mars 2019

Que fait l’Empereur Trump ?

Article original de Ugo Bardi, publié le 11 février 2019 sur le site
CassandraLegacy
Traduit par le blog http://versouvaton.blogspot.fr

Il est occupé à diviser l’Empire en deux



Donald Trump semble faire ce que les empereurs romains comme Dioclétien, Constantin et Théodose ont fait il y a longtemps : diviser l’empire en deux parties. Trump n’a peut-être pas consciemment décidé de le faire, mais un Empire ne peut avoir que la taille qu’il peut se permettre et l’Empire américain ne peut plus se permettre de dominer le monde entier.




Flavius Theodosius Augustus « Le Grand » (347-395 de notre ère) fut le dernier empereur à régner sur tout l’empire romain. Son succès était probablement dû en grande partie à son habitude de piller les temples païens pour leur or dont il avait besoin pour payer ses troupes. Mais les temples païens étaient une ressource limitée et Théodose lui-même a semblé le comprendre lorsque, peu avant sa mort, il partagea l’Empire entre ses deux fils, Arcadius et Honorius. Par la suite, l’empire ne devait plus jamais être uni sous un seul empereur.
L’Empire romain avait été une puissance fortement centralisée à ses heures de gloire, mais il n’a jamais été très intéressé à créer une unité ethnique et linguistique entre ses sujets. Les autorités romaines ont compris qu’il était moins coûteux de tolérer la diversité que de forcer l’uniformité – une politique typique de la plupart des empires. Ainsi, l’Empire est resté divisé en deux grandes moitiés linguistiques : les Pars Occidentis de langue latine et les Pars Orientis de langue grecque. Théoriquement, le latin était la langue officielle mais, dans la pratique, l’Empire restait une entité bilingue et, aux IIe et IIIe siècles, l’élite romaine avait même tendance à parler grec – langue considérée comme plus raffinée et plus classe que le latin.

La scission des deux côtés de l’Empire n’était pas seulement linguistique, elle était aussi économique. Les Pars Occidentis ont gardé une économie basée sur la richesse minérale qui, à son tour, a alimenté la puissance militaire de l’Empire. Le Pars Orientis était plus basé sur le commerce et la fabrication et il exploitait sa position géographique favorable en tant que terminal de la route de la soie qui reliait la Chine à l’Europe. Pendant la période d’expansion, la puissance militaire de l’Occident l’a rendu dominant mais, avec l’épuisement des mines d’or en Espagne, il a perdu les ressources nécessaires pour payer son appareil militaire surdimensionné. Avec le temps, l’Empire occidental est devenu incapable de contrôler même son propre territoire et il a gaspillé ses ressources restantes dans d’immenses murs frontaliers. Il s’est effondré et a disparu à la fin du Ve siècle de notre ère. L’Empire d’Orient a duré près d’un millénaire de plus mais n’a jamais pu reconstruire le pouvoir de l’ancien Empire romain.
Si on regarde la situation actuelle, il est clair que l’Empire américain est confronté à la même situation que les Romains vers le IIe siècle de notre ère. Comme l’ancien Empire Romain d’occident, l’économie de l’Empire américain repose principalement sur les ressources minérales, notamment le pétrole brut. Mais, avec l’épuisement progressif de ces ressources, l’empire ne peut plus se permettre de dominer le monde entier.

L’Empereur Trump semble avoir une capacité étrange à comprendre la situation, même s’il n’est pas un expert en histoire romaine. Ses actions sont parfaitement compréhensibles à la lumière du projet de scission de l’empire en deux parties. Une moitié (Pars Occidentis) sera toujours dominée par Washington, l’autre moitié (Pars Orientis) aura Pékin comme capitale. La partie occidentale conservera la langue impériale originale, l’anglais. La partie orientale pourrait passer au chinois.

Avec constance, Trump prévoit d’abandonner l’Afghanistan et la Syrie, à la fois trop loin et trop cher à défendre et il n’était pas non plus intéressé par une confrontation totale avec la Corée du Nord. Mais il semble considérer l’Amérique du Sud comme faisant partie de la zone d’influence occidentale, alors il bouge ses pions pour prendre le contrôle du Venezuela. Trump agit également pour détruire l’hégémonie du dollar comme monnaie de réserve mondiale. Apparemment, l’idée est que l’Empire d’Occident saurait mieux se prémunir des désastres financiers si le dollar devient seulement une devise occidentale. Ainsi, les sanctions économiques décrétées contre l’Iran, la Russie et d’autres pays forcent l’Empire de l’Est à développer de nouvelles devises et de nouveaux systèmes financiers indépendants du dollar.

De toute évidence, L’Empereur Trump fait face à une forte résistance. Tout comme de nombreux empereurs romains, il n’a pas complètement le contrôle de l’appareil militaire impérial et une opposition de taille tente de maintenir l’Empire américain en vie sous sa forme la plus étendue et la plus coûteuse : dominer la planète entière. Mais la direction est claire et la situation est simple : un Empire ne peut pas être plus grand que ce qu’il peut se permettre. L’épuisement progressif des ressources minérales et l’augmentation des coûts de la pollution rendent impossible un empire mondial.

L’Empire du monde globalisé était une belle créature tant qu’il prospérait, mais il brûlait le bâton de dynamite par ses deux extrémités. L’époque de la domination mondiale est révolue et l’Empire est maintenant dans une phase convulsive : la retraite est la manœuvre militaire la plus dangereuse et il est préférable de l’exécuter en maintenant une position agressive. C’est exactement ce que fait l’Empereur Trump avec ses menaces de guerre. Mais il est également vrai que le jeu de la poule mouillée est le deuxième jeu le plus dangereux connu (le premier est la roulette russe). Ainsi, le retrait de l’Empire d’Occident n’impliquera peut-être pas seulement un effondrement rapide de Sénèque, comme ce fut le cas pour l’ancien Empire romain, mais un dernier feu d’artifice sous la forme d’une guerre nucléaire qui mettra fin à la civilisation telle que nous la connaissons. Ce n’est pas joli, mais c’est comme ça.

Il reste un point de discorde : l’Europe occidentale fait-elle partie de l’Empire d’Orient ou d’Occident ? Certes, la Grande-Bretagne a tendance à faire partie de l’Empire occidental en raison de ses liens linguistiques avec les États-Unis. Mais les régions non anglophones de l’ancienne UE n’ont pas ce lien et elles ont des liens forts – pratiquement inébranlables – avec la Russie en tant que fournisseur d’énergie. Elles pourraient donc faire partie de l’Empire de l’Eurasie de l’Est.
Il semble que Trump comprenne très bien ce point également, et c’est en ces termes que vous pouvez interpréter le clash avec ses alliés de l’OTAN à la réunion du G7 de l’an dernier. Le message de Trump aux États qui ont formé l’Union européenne était simplement : « Désolé, les gars, nous ne pouvons plus nous permettre de vous défendre à moins que vous ne nous payiez avec plus d’argent que vous ne pouvez vous le permettre ». En ce sens, l’Europe occidentale pourrait jouer le rôle de la Grande-Bretagne et de la Dacie aux IIIe et IVe siècles de notre ère, abandonnées par le gouvernement central romain et laissées à elles-même pour se défendre contre les envahisseurs barbares. Qui sait ? L’histoire rime à nouveau et nous pourrions même avoir un nouveau roi Arthur.

La chute de l’Empire romain d’Occident fut-elle un effondrement de Sénèque ?
Oui, bien sûr que oui. Regardez-moi ça :

Taagepera, Taille et Durée des Empires, 1978 – L’échelle verticale est en millions de milles carrés.
Voir aussi « Donald Trump peut-il être le dernier empereur du monde ? »
Et vous serez peut-être aussi intéressé par la façon dont la fille de Théodose, Galla Placidia, a réussi à maintenir la cohésion de l’Empire occidental, sans même piller les temples. L’histoire est ici.

Ugo Bardi

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