samedi 9 mars 2019

Tolstoï sur la guerre : la vision systémique d’une tragédie

Article original de Ugo Bardi, publié le 24 février 2019 sur le site
CassandraLegacy
Traduit par le blog http://versouvaton.blogspot.fr

Par Ugo Bardi – Le 1er février 2019 – Source CassandraLegacy


Tableau de Vasilii Nesterenko (2005) qui célèbre la défense russe de Sébastopol en 1855.

Léon Tolstoï situe son roman Guerre et paix (1867) lors de l’invasion napoléonienne de la Russie en 1812. Mais il n’avait pas été témoin de cette guerre – Tolstoï avait plutôt participé à une autre guerre insensée et sanglante, la guerre de Crimée (1853-1856), une expérience qui avait profondément influencé sa pensée. Tolstoï avait une vision profonde de la tragédie que sont les guerres et son point de vue est similaire au nôtre plus moderne basé sur les statistiques, bien qu’obtenu par intuition seulement.




Voici un extrait tiré de Guerre et paix de Tolstoï (1867) :

Pour nous, il est incompréhensible que des millions d’hommes chrétiens se soient entre-tués et torturés, soit parce que Napoléon était ambitieux ou qu’Alexandre était ferme, soit parce que la politique de l’Angleterre était astucieuse ou que le duc d’Oldenbourg avait tort. Nous ne pouvons pas saisir quel lien de telles circonstances ont avec le fait réel de massacre et de violence : pourquoi, parce que le duc a été lésé, des milliers d’hommes de l’autre côté de l’Europe ont tué et ruiné les habitants de Smolénsk et Moscou et ont été tués par eux.

Pour nous, leurs descendants, qui ne sommes pas des historiens et ne sommes pas emportés par le processus de recherche et pouvons donc considérer l’événement avec bon sens, un nombre incalculable de causes se présentent. Plus nous approfondissons la recherche de ces causes, plus nous en trouvons ; et chaque cause séparée ou série entière de causes nous apparaît également valable en elle-même et également fausse par son insignifiance par rapport à l’ampleur des événements, et par son impuissance – en dehors de la coopération de toutes les autres causes coïncidentes – à l’occasion de cet événement. Pour nous, le désir ou l’objection de tel ou tel caporal français de servir une seconde fois nous apparaît autant comme une cause que le refus de Napoléon de retirer ses troupes au-delà de la Vistule et de restaurer le duché d’Oldenbourg ; car s’il n’avait pas voulu servir, et si un second, un troisième et un millième caporal et soldat aussi avait refusé, il y aurait eu tant moins d’hommes dans l’armée napoléonienne et la guerre n’aurait pas pu avoir lieu…

Sans chacune de ces causes, rien n’aurait pu se produire. Donc, toutes ces causes – des myriades de causes – ont coïncidé pour les faire naître. Il n’y avait donc pas de cause unique à cet événement, mais il devait se produire parce qu’il le fallait. Des millions d’hommes, renonçant à leurs sentiments humains et à leur raison, ont dû aller d’Ouest en Est pour tuer leurs semblables, tout comme des hordes d’hommes étaient venus d’Est en Ouest quelques siècles auparavant pour tuer leurs semblables…

Il était nécessaire que des millions d’hommes entre les mains desquels reposait le véritable pouvoir – les soldats qui tiraient ou transportaient des provisions et des armes – consentent à exécuter la volonté de ces faibles individus, et soient incités à le faire par un nombre infini de causes diverses et complexes. …

Quand une pomme a mûri et tombe, pourquoi tombe-t-elle ? À cause de son attrait pour la terre, parce que sa tige se dessèche, parce qu’elle est séchée par le soleil, parce qu’elle devient plus lourde, parce que le vent la secoue, ou parce que le garçon debout en bas veut la manger ? …

Il n’y avait donc pas de cause unique à la guerre, mais c’est arrivé simplement parce que cela devait arriver.

Ugo Bardi


1 commentaire:

  1. « Il n’y avait donc pas de cause unique à la guerre, mais c’est arrivé simplement parce que cela devait arriver. »
    Voyons cela.
    C’est dans l'histoire de l'évolution physiologique de l'homme que nous trouvons l'origine et la cause de la guerre.
    C'est parce que la masse masculine est avide de mouvements, de luttes et de déplacements qu'elle suit les conquérants ; l'action violente, brutale, développant les instincts profonds de la nature masculine, cela les grise, c'est pour cela qu'ils aiment la guerre.
    La lutte est d'instinct masculin.
    Si l'homme aime les combats c'est parce qu'il possède des facultés motrices qui ont besoin d'emploi. C'est pour avoir le plaisir de batailler, bien plus que pour défendre telle ou telle cause, pour venger tel ou tel affront. Le motif de la bataille lui importe peu. C'est la bataille elle-même qu'il aime et qu'il cherche. Et ce qui le prouve c'est que le pugilat est, pour lui, un jeu amusant.
    Et ne voyons-nous pas, à chaque instant, les jeunes garçons se livrer sous nos yeux à des combats qui ont les motifs les plus futiles ou qui n'ont même pas de motif du tout ? L'instinct qui les pousse est le même que celui qui pousse les animaux à se poursuivre et à se battre, sans que leurs combats, qui sont leurs jeux, aient aucun motif. Du reste, les jeux du cirque, les combats de taureaux, les anciens tournois, simulacres de guerre, et tous les jeux qui simulent une bataille, prouvent bien que, pour l'homme, la lutte est un plaisir, presqu'un besoin.
    Donc la guerre a eu, pour principe, la satisfaction de l'instinct masculin.
    C'est lorsque les hommes vieillissent et perdent leurs facultés motrices, si exubérantes dans la jeunesse, qu'ils changent...
    Suite : https://livresdefemmeslivresdeverites.blogspot.com/2017/07/le-bien-et-le-mal.html
    Cordialement.

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