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Reuters vient de sortir un rapport scandaleux, fait à la va-vite, avec des déclarations de « sources anonymes » alléguant que la tripartite composée de la Russie, de l’Iran et de la Turquie conspirent à « découper la Syrie en sphères d’influence ». Considérant qu’il est bourré de « déclarations invérifiables » et de spéculations hasardeuses, l’article ne devrait pas être pris trop au sérieux et pourrait très bien être de la désinformation conçue pour affaiblir le partenariat multilatéral en développement entre ces trois grandes puissances.
Néanmoins, il est crédible pour certaines personnes car il tourne autour de tendances très réelles qui ont été signalées par d’autres observateurs précédemment. C’est la tendance de certaines voix favorisant une solution « fédérale » (partition interne) à la guerre en Syrie, la musique persistante qui parle d’une « transition politique » pour écarter le président Assad, et l’hésitation présumée de l’Iran à s’engager pleinement dans la tripartite. Parce qu’il n’y a pas de réponse solide à aucune de ces suppositions, les rumeurs sont capables de prendre racine et d’influencer le récit primordial à propos du processus de réconciliation après le conflit.
Ainsi, cette analyse portera sur les trois questions susmentionnées, telles que présentées dans le rapport de Reuters dans une tentative de descendre au fond de ce qui se passe réellement. Les points soulevés dans le rapport sont certainement provocants, et il est intéressant d’expliquer, de démystifier et de contrecarrer chacun d’eux. L’auteur convient que la situation évolue très rapidement et que certains des scénarios mentionnés dans le texte de l’agence pourrait se dérouler vraiment, même de façon inattendue, peu importe qu’ils puissent paraître peu probables en ce moment. C’est pourquoi il est nécessaire de les étudier et de prévoir leur trajectoire.
La première partie de la recherche commence en examinant le prétendu plan de « fédéralisation » (partition interne) qui est encore dans les options possibles, puis j’enchaînerai avec une analyse des discussions portant sur la mise à l’écart du président Assad au cours de la « transition politique ». Ensuite, le travail se penchera sur certaines des préoccupations de l’Iran au sujet de la tripartite et des négociations prochaines à Astana. La deuxième partie de la série offre quelques suggestions réalistes sur ce que le côté syrien devrait faire afin de sauvegarder ses intérêts souverains au cas où certains éléments du rapport de Reuters devaient s’avérer exacts. Enfin, la dernière section est une revue succincte des deux précédentes, destinée à servir de source de référence permettant au lecteur d’examiner tous les détails assez complexes des deux parties précédentes.
Lutter contre la « fédéralisation »
Il est devenu à la mode dans de nombreuses relations internationales et cercles politiques étrangers de se jeter sur la « fédéralisation » comme une « solution » supposée aux conflits internes apparemment insolubles, et la Syrie n’est bien sûr pas un cas à part. Bien qu’elle soit depuis longtemps promu par l’Occident, l’idée a aussi récemment été légèrement caressée par certaines factions au sein du ministère russe des Affaires étrangères, à savoir ceux qui sont prédisposés envers les Kurdes en raison de la relation de plusieurs décennies de Moscou avec ce groupe démographique. Aussi attrayante, ou non, que cette « solution » peut paraître à certains diplomates russes pour diverses raisons, le rapprochement russo-turc a complètement changé le calcul de ce groupe de lobbying parce que ce serait évidemment préjudiciable aux intérêts de sécurité nationale d’un grand et puissant partenaire de Moscou, pour ne rien dire de la catastrophe que ce serait pour la Syrie elle-même.La mise en place d’un Kurdistan large et indépendant dans le nord de la Syrie équivaudrait à la création d’un second « Israël » géopolitique qui pourrait être utilisé alors comme un tremplin pour la projection d’influences unipolaires dans toute la région. La Russie, l’Iran, la Turquie et la Syrie, tous comprennent combien cela pourrait constituer une menace pour l’ordre mondial multipolaire émergent. Voici donc pourquoi ils sont unis pour s’y opposer. Pourtant, si l’article de Reuters est crédible, alors la proposition de « fédéralisation » serait remixée par les factions pro-kurdes du ministère russe des Affaires étrangères en posant le principe d’une « autonomie alaouite » au préalable, ce qui est tout aussi dangereux en raison de la réaction en chaîne que cela déclencherait inévitablement pour les Kurdes, les sunnites, et d’autres diverses populations pesant démographiquement en Syrie. L’appel aux Alaouites est destiné à « adoucir » la population syrienne pour accepter ce qui équivaudrait par inadvertance à la partition interne de son pays, car il a déjà été vu à quel point les tentatives antérieures ont été contre-productives, plaidant pour cette « solution » sous le prétexte de « récompenser » les Kurdes.
La Russie, l’Iran et la Turquie ne veulent pas « partitionner » la Syrie comme les allégations de l’article de Reuters le sous-entendent, mais cela pourrait se finir ainsi si le plan de « fédéralisation » est autorisé à être mis en œuvre, peu importe qu’il soit « bien intentionné ou non » (comme pour protéger les Alaouites, possible victimes de représailles). L’auteur a analysé les implications théoriques et pratiques de ce développement dans sa publication sur le thème Identité Fédéraliste : De « E Pluribus Unum à E Unum Pluribus » pour l’Institut national russe pour la recherche sur la sécurité mondiale. Elle conclut que le fédéralisme identitaire pour une situation démographique conduit toujours à des politiques similaires menées dans l’urgence pour les autres identités, et cela met en danger de manière existentielle le centre du pouvoir de l’État et pourrait devenir rapidement une menace pour lui avec sa dissolution en une collection de petits états centrés sur leur identité et gouvernés de manière quasi-indépendante par des milices et des seigneurs de la guerre « fédéraux ». Par conséquent, ce scénario doit être absolument évité, sauf si il n’y a littéralement pas d’autre alternative réaliste. Dans ce cas, Damas aurait alors à réfléchir en urgence à des moyens créatifs pour elle de préserver pacifiquement l’unité nationale au milieu de ce qui pourrait alors de façon convaincante ressembler à la victoire irréversible des forces centrifuges.
Assad et Les Alaouites
En lien avec l’appel au « fédéralisme » (partition interne) prétendu, plan qui doit être « vendu » aux Alaouites, il faut parler du sort du président Assad lui-même, sujet aussi abordé. L’article de Reuters prétend qu’un « candidat alaouite moins polarisant » est envisagé pour remplacer le président Assad lors des prochaines élections. Le directeur général du Conseil russe pour les affaires internationales, Andrey Kortunov, est cité, disant que « quelques noms au niveau de la direction ont été mentionnés (comme successeurs potentiels) ». L’expert russe respecté a refusé de nommer l’une des personnes dont il a parlé pour ce poste, mais la tendance à faire appel aux Alaouites est visiblement apparente. Il semble y avoir un motif manifeste et sans équivoque dans le texte pour tenter de « justifier » les mesures controversées, telles que « fédéralisation » (partition interne) et changement de régime « en douceur » contre le président Assad en les faisant apparaître comme des gestes « généreux » aux Alaouites, opposés aux desseins finaux de ces mesures.Les Syriens de toutes les confessions et ethnies se sont ralliés derrière leur président non pas parce qu’il est un alaouite, mais parce qu’il est le symbole de leur civilisation inclusive et l’intendant courageux qui a conduit leur patrie au bord de la victoire dans la guerre internationale horrible qui a été sans cesse menée contre eux depuis près de six ans maintenant. Le remplacer à la tête du parti Baas pour une candidature à la présidence par un autre alaouite ne se traduira pas automatiquement par un vote des Syriens pour celui-ci, quel qu’il soit, car personne n’est capable en ce moment de reprendre la flamme unificatrice du leader historique. La guerre de l’information qui a été menée contre les esprits du public mondial durant tout ce temps a réussi dans une certaine mesure, avec un long lavage de cerveau, à faire croire au gens que le président Assad est « polarisant » et « impopulaire ». Mais c’est une fausse affirmation, totalement démystifiée lorsque l’on analyse les résultats des élections de 2014 quand 88,7% des électeurs ont décidé de réélire leur chef avec un taux de participation nationale de 73,42%.
Aucun des représentants des États profonds de la Tripartite (représentants permanents de l’armée, des services secrets et des bureaucraties diplomatiques) n’est vraiment tombé dans ce mensonge, mais si l’on en croit le rapport, la Russie et la Turquie envisagent évidemment ce projet comme un « compromis » entre grandes puissances pour mettre fin à la guerre en Syrie. La position publique de la Russie a toujours été de soutenir qu’elle n’est pas intervenue en Syrie pour protéger personnellement le président Assad, mais pour combattre le terrorisme dans le pays, et que c’est au peuple syrien de décider de son destin politique. Cela donne à Moscou la marge de manœuvre diplomatique pour ne pas perdre la face si le gouvernement syrien et les représentants de l’opposition, lors des négociations de paix d’Astana et d’autres rassemblements ultérieurs, s’entendent pour que le président Assad finisse par s’écarter, car ce serait techniquement une « décision » prise au nom de leurs représentants politiques. Pour mémoire, l’auteur est fermement opposé à un changement de régime « en douceur » contre le président Assad comme une condition préalable pour parvenir à une « solution » durable à la guerre sur la Syrie, mais si le chef national, son gouvernement et les personnes qu’ils représentent sont d’accord à cet égard, quelles qu’en soient les raisons, l’auteur respecterait pleinement leur décision et la soutiendrait.
Intransigeance iranienne
L’article de Reuters semble curieusement conjecturer que le principal obstacle à la « fédéralisation » et au changement « en douceur » du régime contre le président Assad est l’Iran, qui, selon certaines informations, n’a pas encore misé sur l’une ou l’autre de ces deux propositions. Encore une fois, il faut souligner qu’il n’y a aucun moyen de vérifier l’une ou l’autre de ces affirmations faites dans l’article de l’agence et que cela pourrait très bien être simplement une arme dans la guerre de l’information, soigneusement conçue pour semer la suspicion et la méfiance parmi la Tripartite. Mais néanmoins, les points sur lesquels il s’appuie méritent d’être abordés. C’est un fait que le ministre iranien de la Défense Hossein Dehghan s’oppose à l’incorporation de l’Arabie saoudite dans les pourparlers de paix tripartite sur la Syrie, en particulier les négociations d’Astana, mais la Russie et la Turquie sont intéressées à éventuellement l’y inclure pour trouver rapidement une solution à la guerre en Syrie. Cette approche met deux des membres de la tripartite en désaccord avec le troisième, mais cela ne semble pas encore être un briseur d’accord qui pourrait mettre à mal le partenariat naissant.Malgré cela, à cause des hostilités de longue date entre Téhéran et Riyad, certains Iraniens sont extrêmement insensibles aux tensions sectaires manufacturées qui se sont produites à travers le Moyen-Orient au fil des ans, bien que la République islamique doive évaluer objectivement la réalité de la situation en Syrie et reconnaître qu’il est extrêmement difficile de mettre fin au conflit sans la participation de l’Arabie saoudite sous une forme quelconque. Bien sûr, cela ne signifie pas que Riyad mérite automatiquement un siège à la table des négociations du conflit, juste qu’il doit être engagé dans une certaine mesure de façon constructive, mais sans aller jusqu’à lui faire confiance dans ce format. Un autre des calculs en jeu pour Téhéran est que le président Assad et la nature unitaire de l’État syrien sont de puissants remparts contre l’expansion du sectarisme chaotique dans le Moyen-Orient et qu’il est douteux que l’Iran puisse conserver une bonne partie de son influence positive si la Syrie devait se terminer informellement comme pays pour devenir un État partiellement divisé, encore moins si un candidat de l’« opposition modérée » devait battre le futur remplaçant alaouite du président Assad.
L’Iran en est arrivé tardivement à la conclusion qu’il va être sur la défensive au cours des quatre à huit prochaines années de l’administration Trump et il y a fort à parier qu’il regretterait vivement toute perte de la précieuse profondeur stratégique qui a été jusqu’ici maintenue par l’alliance avec la Syrie unitaire et le président séculier Assad, ce qui explique sa réticence à accepter ce que Reuters dit (mais qui ne peut être prouvé et pourrait factuellement être faux) sur la proposition russo-turque pour la possible « fédéralisation » du pays et un changement de régime « en douceur » contre son leader. Les observateurs civils ne savent pas si quelque chose dans le rapport a un peu de crédibilité ou non, mais, faute de prudence comme tous les analystes et stratèges responsables devraient le faire, il est possible de suggérer un ensemble de propositions que le gouvernement syrien devrait suivre pour améliorer sa position lors des négociations et pour contrecarrer les scénarios négatifs présomptifs ou issus de spéculations contenus dans l’article de Reuters.
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Andrew Korybko est le commentateur politique américain qui travaille actuellement pour l’agence Sputnik.
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