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C’était une journée grise et pluvieuse à Chisinau mais la météo était la dernière chose à laquelle Iurie Rosca pensait. Nous venions de quitter le bureau du juge chargé de traiter la première audience portant sur le fond de l’affaire et celle-ci avait été de courte durée : en fin de compte, il avait été convenu que les parties se réuniraient à nouveau le 30 novembre prochain afin de permettre à la Cour d’appel d’examiner la question en suspens concernant la saisie globale de biens immobiliers et d’espèces lors d’une descente matinale effectuée en février dernier par le notoire et tout puissant Bureau du Procureur anti-corruption au domicile de Rosca.
Cet incident n’est qu’une des raisons qui m’ont incité à me rendre à Chisinau les 11 et 12 novembre, car je dois avouer que j’ai lu une série d’articles sur les poursuites pénales engagées contre l’un des critiques les plus virulents du gouvernement moldave à l’égard de ce pays.
Iurie Rosca est un personnage plus grand que nature dans le monde de la politique moldave. Depuis 30 ans, il incarne le refus de la jeune République de s’incliner devant les grandes puissances qui se disputent l’influence de l’ordre post-soviétique. Pendant la période de la Perestroïka, Rosca est devenue une personnalité politique de plus en plus importante après l’effondrement de l’Union soviétique. Bien que son courage attachant et son attachement farouche aux principes fondamentaux de l’indépendance politique et de la souveraineté nationale n’aient pas réussi à le faire apprécier de ses adversaires, Rosca est devenue une source d’inspiration pour des millions de citoyens moldaves.
Iurie Rosca avait d’abord attiré l’attention du public lorsqu’en 1988, il a décidé, avec d’autres militants, de créer le premier parti anticommuniste du pays.
Après avoir fondé les premiers journaux “Samizdat“, Rosca a organisé un vaste mouvement populaire en faveur de l’émancipation nationale. En tant que chef de parti, il a participé à tous les grands événements des trois dernières décennies, ayant été député à quatre reprises entre 1994 et 1999. Il est ensuite devenu à deux reprises vice-président du Parlement avant de devenir vice-premier ministre en 2009.
Rosca a longtemps figuré comme l’un des journalistes et des spécialistes politiques les plus éminents. Il est également l’auteur de plusieurs livres. Tout au long de sa carrière politique, son combat acharné contre la corruption endémique a servi de catalyseur à la découverte d’une série de scandales et de crises politiques majeures. Depuis qu’il s’est retiré de la vie politique en 2009, ses articles et ses interviews ont régulièrement été publiés dans les médias nationaux et internationaux.
Ces dernières années, Rosca a dirigé un groupe de réflexion appelé Forum de Chisinau. Cela lui a permis de poursuivre sa critique virulente de l’establishment politique qui, à ce jour, garde le contrôle total de la politique moldave. Au fil des ans, le Forum de Chisinau a réuni des dizaines de personnalités d’Europe occidentale et d’Europe orientale, notamment des politologues, des économistes, des experts en géopolitique, des écrivains, des journalistes, etc.
Les autorités moldaves ayant fait l’objet de sévères critiques de la part de l’Union européenne, du Conseil de l’Europe et d’autres institutions internationales pour leur persécution des opposants politiques, il est devenu courant que le gouvernement ait recours à des organes d’enquête étatiques et judiciaires pour neutraliser les opposants. A la suite de ces persécutions à motivation politique, un certain nombre de dirigeants politiques et d’activistes civiques – y compris des journalistes et des avocats – ont été contraints de quitter le pays pour éviter d’être arrêtés et emprisonnés pour avoir simplement exercé leur droit fondamental à la liberté d’expression.
Le cas de Iurie Rosca n’est donc pas tant une exception qu’un élément d’une campagne de chasse aux sorcières plus vaste.
C’est une technique politique bien connue que pour neutraliser quelqu’un imperméable à toutes les pressions politiques, il devient nécessaire d’empiéter sur son caractère moral ou, comme l’écrivait Francis Bacon : “audacter calumniare, semper aliquid haeret” (“diffamer avec audace, quelque chose en restera toujours”). Après tout, cela a marché au Brésil où les deux anciens présidents Lula et Dilma Rousseff, tous deux accusés d’avoir pu bénéficier de pots-de-vin dans le contexte du scandale de corruption Petrobras, ont dû démissionner ou être placés en détention provisoire alors que les enquêtes judiciaires les empêchaient respectivement de se présenter aux élections ou de bénéficier de l’immunité présidentielle. De même, l’ancien président équatorien Rafael Correa, qui a été le fer de lance de l’émancipation de son pays face à l’ingérence américaine et a accordé l’asile politique au fondateur de Wikileaks, Julian Assange, est actuellement la cible d’une demande d’extradition présentée par les autorités judiciaires de son pays pour avoir prétendument ordonné, en 2012, l’enlèvement manqué d’un homme d’affaires à Bogota.
En ce qui concerne Rosca, quel meilleur moyen de saper son message que de l’impliquer dans une affaire présumée de trafic d’influence, à la suite de quoi il est allégué par le biais d’une plainte déposée seulement en février 2017 ( !!!) qu’entre 2009-2011, le fondateur du Front populaire de Moldavie déjà à la retraite aurait reçu des fonds en échange de la promesse présumée de faire annuler par la Cour suprême une décision du tribunal qui portait sur l’annulation des permis administratifs précédemment délivrés dans le cadre d’un accord obscur sur un développement commercial. Tout cela soulève la question : Ne commençons-nous pas à voir une tendance ici ?
Certes, Rosca m’avait déjà envoyé une version française de l’acte d’accusation, mais j’ai dû arriver en Moldavie afin de passer le dossier au peigne fin et d’obtenir la confirmation que Rosca est littéralement en train d’être “routée vers la prison”.
Les violations des droits de la défense sont endémiques
- Rosca n’a appris qu’il était suspect dans une enquête criminelle qu’en février 2018, même si :
- Son nom a été expressément mentionné dans la plainte de février 2017 déposée initialement par une personne elle-même condamnée pour corruption.
- Une lecture rapide du dossier révèle que Rosca est devenu un suspect officiel le 28 novembre 2017 alors que la loi AA 262 du Code de procédure pénale (qui permet un régime de ” mesures spéciales d’enquête “ est surtout utilisée selon une norme exigeant ” qu’une infraction pénale ait été commise “ sans qu’un suspect soit effectivement identifié. (Un cas classique d’une “expédition de pêche”)
- Ce régime de “mesures spéciales d’enquête” a créé un vide juridique qui a en outre permis la publication d’une ordonnance du 28 novembre 2017 demandant la constitution d’un groupe de travail afin de commencer la surveillance et l’écoute téléphonique du suspect. Il est intéressant de noter que cette même ordonnance prévoyait que la personne visée par l’équipe spéciale assemblée devait être informée dans les 30 jours de son droit de contester la composition de ladite équipe spéciale. La Rosca n’a jamais été informée de ce droit. (En effet, si l’on tient compte du fait que l’enquête officielle qui n’a pas explicitement nommé Rosca comme suspect a commencé en mars 2017, il y a tout lieu de soupçonner que pendant une période de plus de 11 mois, le droit de Rosca de contester l’application de ces mesures spéciales dans les 30 jours a été ignoré à plusieurs reprises jusqu’au 28 février 2018 où il a finalement appris sa qualité de suspect et même si l’État a totalement manqué à découvrir le moindre élément de preuve incriminante).
- Rosca a appris qu’il était soupçonné d’avoir fait l’objet d’une enquête criminelle le matin du 28 février 2018 lorsque les forces de l’ordre ont fait irruption chez lui à l’aube.
- Lors de la perquisition au domicile de Rosca, des biens personnels appartenant à des tiers ont été confisqués, qui font actuellement l’objet d’une procédure distincte en droit civil. (Au moment d’écrire ces lignes, la Cour d’appel dans l’affaire Comrat a rejeté la demande des demandeurs de restitution de leurs biens).
Il n’existe aucun élément de preuve à l’appui d’un lien quelconque entre l’accusé et la perpétration présumée d’un crime.
- L’Accusation n’a produit aucun témoin oculaire d’une tierce partie pour la ou les violations alléguées.
- L’Accusation n’a produit aucun élément de preuve des raisons du régime des “mesures spéciales d’enquête”.
- Aucune piste financière n’a été établie pour corroborer les allégations du demandeur selon lesquelles Rosca aurait reçu des “sommes importantes” d’argent.
Arnaud Develay est un avocat franco-américain spécialisé dans les droits de l’homme. On peut le joindre par courriel : international.lawyer75@yahoo.com
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