samedi 22 décembre 2018

Devrions-nous nous préparer à une nouvelle guerre mondiale ?

Article original publié le 11 novembre 2018 sur le site CassandraLegacy
Traduit par le blog http://versouvaton.blogspot.fr

Réponses dans les modèles du passé



Je sais que j’ai rassemblé trop d’idées ici : Tolstoï, Saint-François, les phénomènes critiques, la thermodynamique, et plus encore – c’est contraire aux règles d’un blog. Mais le centenaire de la fin de la Grande Guerre m’a donné l’occasion d’écrire quelque chose sur la façon dont, en 1914, les États européens ont somnambulé vers la Grande Guerre comme nous le faisons peut-être aujourd’hui. Si la Grande Guerre n’a pas pu mettre fin à toutes les guerres comme il était dit qu’elle était capable de le faire, une plus grande qui serait devant nous, pourrait-elle le faire, mais d’une manière très différente. La nouvelle guerre pourrait conduire à l’extinction de l’humanité. Alors, quel espoir avons-nous ? Je ne sais pas, mais la première étape pour résoudre un problème est de le comprendre. Jusqu’à présent, les humains n’ont pas beaucoup appris des erreurs du passé, mais, qui sait ? Peut-être qu’un jour, ils le feront.




Le centenaire de la fin de la Grande Guerre est une bonne occasion de repenser un peu les guerres : pourquoi, comment et quand les guerres se produisent et s’il y a un espoir d’arrêter aveuglément de marcher sur un chemin qui nous mène à la possibilité de l’annihilation complète de l’humanité. C’est une question qui a été posée à maintes reprises et à laquelle on n’a jamais répondu de façon satisfaisante. Le premier à tenter d’y répondre fut peut-être Léon Tolstoï dans son roman Guerre et Paix (1867), où il se demandait comment il était possible qu’un seul homme nommé Napoléon puisse amener des millions d’hommes à se déplacer tous ensemble vers l’Est dans le but de tuer d’autres hommes qu’ils n’avaient jamais rencontrés et qu’ils n’avaient aucune raison de détester.

Tolstoï n’était pas un scientifique, il opérait sur la base de son expérience et de son intuition. Mais, tout comme Darwin comprenait les lois de la génétique par expérience et intuition, Tolstoï comprenait les lois des réseaux sociaux. Dans Guerre et Paix, il a écrit :
« La combinaison des causes des phénomènes est hors de portée de l’intellect humain. Mais l’impulsion de chercher des causes est innée dans l’âme de l’homme. Et l’intellect humain, sans se douter de l’immense variété et de la complexité des circonstances qui conditionnent un phénomène, dont l’une ou l’autre peut être considérée séparément comme la cause, s’empare de la première approximation, la plus facile à comprendre, et dit : ‘Voici la cause’. »
Et,
« Il n’y avait donc pas de cause unique à la guerre, mais c’est arrivé simplement parce qu’il le fallait. »
Tolstoï avait compris que la guerre n’est pas le résultat d’un dictateur fou qui donne des ordres à ses partisans. Ce n’est même pas une lutte rationnelle pour les ressources ou l’argent, bien que ce facteur joue un rôle. C’est juste quelque chose qui arrive au-delà de la capacité humaine de le contrôler, ou même de le comprendre.

Un siècle après Tolstoï, les statistiques avaient progressé au point qu’une analyse quantitative du phénomène de la guerre était devenue possible. Le météorologue et physicien britannique Lewis Fry Richardson (1881-1953) a appliqué le concept à la fréquence et à l’ampleur des guerres humaines et plus généralement à ce qu’il a appelé les « querelles meurtrières ». Richardson a découvert que les guerres sont des phénomènes aléatoires, imprévisibles et sans rapport avec presque rien d’autre : elles surviennent tout simplement.

Des travaux plus récents ont confirmé les premières analyses de Richardson, selon lesquelles les guerres suivent les « lois de puissance ». Des travaux récents que nous avons réalisés avec mes collègues Martelloni et Di Patti confirment ce résultat sur une période de quelque 600 ans et dans le monde entier (résultats préliminaires, à paraître prochainement). Les « lois de puissance » sont des « phénomènes émergents » typiques qui se produisent dans des systèmes complexes. Elles sont le résultat de la dissipation de l’énergie accumulée qui se produit non pas graduellement mais en bosses. La quintessence du système qui se comporte de cette façon est le « tas de sable » que Per Bak a utilisé comme représentation de la condition qu’il a appelée « criticalité auto-organisée ».

Fascinantes dans un modèle mathématique, ces bosses peuvent être mortelles dans le monde réel. Les tremblements de terre, les glissements de terrain, les avalanches et d’autres phénomènes impliquant des catastrophes naturelles ont tendance à se produire à la suite de lois de puissance.

Ces résultats confirment l’intuition de Tolstoï : les guerres ne sont pas le résultat d’idéologies, de religions, de souverains fous, etc. Elles émergent d’un réseau social en raison de la façon dont le système est connecté. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de cause de guerre : elles sont le résultat d’un capital accumulé qui doit être dissipé d’une manière ou d’une autre. Là où il y a un déséquilibre dans l’accumulation du capital, l’excédent se répandra du côté le plus doté vers le moins doté. Dans un sens, la guerre est le produit du capitalisme, mais le capitalisme n’est qu’un autre phénomène émergent des sociétés complexes. Bref, les guerres ne sont pas causées par un manque de ressources, elles sont causées par un excès de ressources.

Quand une nouvelle guerre mondiale va-t-elle commencer ? Comme pour les tremblements de terre, on ne peut pas prédire exactement quand. Personne ne peut dire exactement où et quand un tremblement de terre majeur aura lieu, mais nous savons qu’il y a une certaine probabilité qu’il se produise dans les zones sismiques et, tôt ou tard, il se produira. Il en va de même pour les guerres. Ainsi, le fait que le début des guerres ne puisse pas être prédit avec précision ne signifie pas que nous ne pouvons pas voir qu’aujourd’hui nous courons à pleine vitesse vers une nouvelle guerre. Si la tendance des 600 dernières années se maintient, il y a une probabilité supérieure à zéro qu’il y ait une nouvelle conflagration qui pourrait dépasser d’un ordre de grandeur – ou peut-être plus que cela – la Seconde Guerre mondiale en termes de destruction et de nombre de victimes.

Pourrions-nous faire quelque chose pour éviter ce résultat ? Nous devons nous pencher sur l’essentiel : si les guerres sont comme des tremblements de terre, elles sont un phénomène thermodynamique qui dissipe l’énergie accumulée. Dans le cas des tremblements de terre, il n’y a rien que nous puissions faire pour éviter le mouvement des plaques tectoniques de la Terre et l’accumulation d’énergie aux failles qui les séparent. Dans le cas des guerres, l’énergie accumulée à dissiper se trouve sous forme de capital, au sens général d’argent, de richesse, de population, de ressources, etc. Pouvons-nous éviter l’accumulation de capital ? Pas si facile dans une société qui considère l’accumulation de richesses comme une bonne chose à encourager aussi bien chez les individus que dans des sociétés entières.

Alors, est-ce notre destin de voir la fin de l’humanité dans une série de nuages de fumée radioactive ? Peut-être. Mais je voudrais aussi ajouter quelque chose : le cycle de dissipation de l’énergie sous forme de guerre est quelque chose que nous ne pouvons approximativement mesurer que pour une période d’existence de l’humanité de quelques siècles dans le passé. Et c’était une période d’expansion économique, éventuellement soutenue par la disponibilité des combustibles fossiles. Une fois que nous aurons franchi le pic de ce grand cycle historique, beaucoup de choses pourraient changer et le capital pourrait être plus difficile à accumuler. Cela changerait beaucoup de choses, peut-être aussi les probabilités que des guerres majeures se produisent.

Bien sûr, il n’est pas nécessaire d’accumuler beaucoup de capital pour avoir une guerre. Nous savons que les sociétés tribales sont loin d’être pacifiques. Mais les guerres tribales, au moins, n’emportent pas avec elles tout l’écosystème de la Terre. Après tout, c’est quelque chose que saint François avait déjà découvert depuis longtemps au niveau individuel : la pauvreté matérielle peut faire de vous une meilleure personne si vous l’acceptez volontiers. Il a fallu mille ans avant que quelqu’un (Aurelio Peccei parmi les premiers) ne dise que l’inégalité entre les nations est la mère de toutes les guerres. La société humaine pourrait-elle accepter « Madame la Pauvreté » comme François l’a fait ? Cela éviterait-il les guerres ou, du moins, le genre de guerres apocalyptiques que l’on pourrait mener aujourd’hui ? Nous ne pouvons pas le dire, mais il reste peut-être une lueur d’espoir, même en cette période sombre.

Ugo Bardi

Note du traducteur

Paradoxalement, la dissipation d'énergie pourrait être à portée de main. L'énergie actuelle est largement embarquée dans la monnaie et plus précisément dans la monnaie dette qui est une promesse sur le futur, sur le travail futur pour être plus précis et donc sur l'énergie permettant ce travail futur. Si l'effondrement du système financier ou un jubilé sur les dettes devaient avoir lieu, ce serait l'équivalent d'une gigantesque dissipation d'énergie... virtuelle sans besoin de guerre.

Il resterait le capital humain à dissiper mais le travail de dedefensa sur la Première Guerre mondiale montre bien que la méthode guerrière sera difficile à mettre en œuvre tant l’efficacité de la « machine » est déjà phénoménale à travers le choix du feu ou le déchaînement de la matière. On pourrait facilement imaginer un couplage drone aérien, drone de combat au sol pour sécuriser les frontières à un coût relativement modique. Et s'il est imaginable, ne doutons pas qu'il sera un jour mis en place par la Chine pour sécuriser sa frontière Ouest, par les USA pour leur frontière Sud et par l'Europe et même le Maghreb pour leur frontière Sud ou encore Israël qui est en pointe dans ce domaine.

Il ne resterait que la dissipation par des épidémies, la méthode radicale de mère nature.

Et décidément, comme cet article est extrêmement fécond, concernant la pauvreté matérielle, la volonté des élites d'enferrer la masse vers le virtuel pour nous contrôler pourrait être aussi un outil d'accès à une connaissance libératoire... une richesse de l'intellect faisant de nous une armée de Diogène.

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