dimanche 6 janvier 2019

Peak Oil, 20 ans plus tard : échec d’une prédiction ou vision utile ?

Article original de Ugo Bardi, publié le 19 Novembre 2016 sur le site Cassandra Legacy
Traduit par le blog http://versouvaton.blogspot.fr


Peak Oil by Campbell and Laherrere 1998
Pic pétrolier par Campbell et Laherrere 1998
Il y a 20 ans, Colin Campbell et Jean Laherrere publiaient un article dans la  Scientific American qui devait lancer le deuxième cycle d’intérêt sur l’épuisement du pétrole (le premier avait été lancé par Hubbert dans les années 1950). Leur prédiction s’est avérée trop pessimiste, du moins en ce qui concerne l’approvisionnement en liquides combustibles, qui continue de croître aujourd’hui. Pourtant, il s’agissait d’un précieux avertissement, malheureusement ignoré par les décideurs du monde entier.


Le premier cycle d’intérêt pour l’épuisement du pétrole a été lancé par Marion King Hubbert dans les années 1950. Bien qu’il a fourni des prévisions fructueuses pour la production de pétrole brut aux États-Unis, l’intérêt pour l’épuisement du pétrole s’est dissipé dans les années 1980. Le même destin de croissance et de déclin attendait le second cycle, qui a pris le nom de « Mouvement autour du Peak Oil » et qui a été généré en 1998 par un article célèbre publié par Colin Campbell et Jean Laherrere dans la revue Scientific American.

Aujourd’hui, le deuxième cycle s’achève et il suffit de mentionner le concept de « pic pétrolier » pour être qualifié de catastrophiste pur et dur, incapable de comprendre comment la révolution effilochée nous conduit vers une nouvelle ère de prospérité sous la domination énergétique de l’Amérique. Pourtant, il y a des symptômes que le grand pic pourrait enfin arriver et – qui sait ? – un troisième cycle d’intérêt pour l’épuisement du pétrole pourrait commencer.

J’ai publié quelques considérations à ce sujet dans un article paru dans Energy Research & Social Science. Après avoir réexaminé l’histoire du cycle du pic pétrolier, je conclus qu’il n’y avait aucune raison valable de rejeter les études sur le pic pétrolier, comme cela a été fait depuis le milieu des années 2000. Les raisons de ce rejet étaient davantage liées à l’incompatibilité du concept de pic pétrolier avec les vues économiques (encore actuelles) fondées sur l’idée que l’épuisement des ressources naturelles n’est pas – et ne peut être – une contrainte à la croissance économique.

Il faudra du temps avant que certains concepts passent de l’économie biophysique dans les médias économiques – si jamais ils le font. Pendant ce temps, les humains continuent de détruire les ressources qui les font vivre, en courant aussi vite qu’ils le peuvent vers la Grande Falaise.


Voici un extrait de mon article – les conclusions

De « Peak Oil 20 Years Later » par Ugo Bardi

Recherche en énergie et sciences sociales
Volume 48, février 2019, pages 257-261

… Globalement, on peut dire que, même si le rôle des sources de pétrole non conventionnelles n’a pas été correctement évalué et la date du pic manquée au niveau mondial, la théorie de Hubbert a produit des prévisions correctes et, en général, un précieux avertissement des difficultés à venir. Il n’y a donc jamais eu de raisons impérieuses, fondées sur des données historiques, de rejeter l’idée du pic pétrolier comme fausse ou insoutenable. Néanmoins, c’est ce qui s’est passé.
[…]

Le pic pétrolier, le changement climatique et les limites de la croissance – sont liés les uns aux autres et ont en commun le fait que les modèles sur lesquels ils sont basés prédisent le déclin inévitable de l’économie mondiale ou, du moins, l’impossibilité pour celle-ci de continuer à croître pendant longtemps. Cette vision conduit facilement à une vision de « fin du monde » de l’avenir et le mouvement du pic pétrolier tend à considérer le pic pétrolier comme un tournant apocalyptique pour l’humanité, une interprétation qui n’est certainement pas basée sur ce que le modèle en lui-même peut soutenir. Peut-être en accord avec cette attitude millénariste, le mouvement du pic pétrolier n’a pas réussi à générer une proposition politique. Ce point est bien décrit par Schneider-Matherson qui montre comment les membres du mouvement ont eu tendance à se préparer à l’événement en termes individuels, mettant l’accent sur la résilience locale et personnelle. Dans certains cas, ils ont adopté ou proposé une stratégie de survie, y compris le stockage de nourriture, d’armes et de munitions en prévision de l’effondrement imminent. Inutile de dire que cette attitude n’a pas attiré l’attention des principaux médias sur le mouvement.

On peut donc en conclure que les prévisions du pic pétrolier ont été jugées incompatibles avec les idées reçues qui considèrent la croissance économique comme toujours nécessaire et souhaitable et l’épuisement et la pollution comme des phénomènes marginaux qui peuvent être surmontés au moyen du progrès technologique. C’est la raison pour laquelle l’idée du pic pétrolier a été abandonnée, victime d’un « choc d’absolus » avec la vision dominante du système économique. Dans l’affrontement, le pic pétrolier s’est avéré être le perdant, non pas parce qu’il était « sans fondement », mais surtout parce que c’était une opinion minoritaire. L’avenir apportera de nouvelles données et, avec elles, le concept de pic pétrolier pourrait retrouver sa popularité pour la deuxième fois, tout comme il l’a fait pour la première fois avec les travaux de Campbell et Lahérrere de 1998.

Ugo Bardi

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire