mardi 1 janvier 2019

Une homélie saisonnière : Gratitude et joie !

Article original de Dmitry Orlov, publié le 25 décembre 2018 sur le site Club Orlov
Traduit par le blog http://versouvaton.blogspot.fr



Joyeux Noël ! Mais si vous n’aimez pas l’idée de célébrer le 2019ème anniversaire d’un enfant, né d’une chaste union entre une vierge et le Saint-Esprit, qui est ensuite mort pour vos péchés afin de vous sauver d’une éternité en enfer, alors bonne année ! Soyez reconnaissant que la Terre – notre seule et unique planète – ait réussi à faire le tour du soleil une fois de plus sans se faire frapper par une roche géante ou stériliser par une explosion de rayonnement interstellaire. Votre reconnaissance peut être plus efficace si votre gratitude est dirigée vers une divinité ou des divinités de votre choix qui, selon vous, vous ont fourni de si bonnes conditions. Cela peut vous aider à ressentir une certaine joie.


 


Sinon, vous pouvez me remercier personnellement de vous avoir fourni des choses à lire et à écouter pour vous garder sain d’esprit au milieu d’un monde de plus en plus fou. Si oui, vous pouvez cliquer ici et m’envoyer un cadeau. Et alors je ressentirai aussi de la joie.

La gratitude est importante. C’est la voie du monde sur laquelle les reconnaissants et les satisfaits prospèrent tandis que les ingrats et les mécontents languissent et périssent. Peu importe à quel point les choses vont mal, vous pouvez toujours être reconnaissant pour quelque chose. La situation de chaque personne est différente en ce qui concerne la gratitude, mais en zoomant un peu et en regardant autour du monde en cette fin d’année, nous pouvons facilement repérer un certain nombre de choses pour lesquelles nous pouvons tous être reconnaissants.

D’abord et avant tout, nous devrions être reconnaissants d’avoir pu assister aux dernières flèches mortelles de l’impérialisme le plus méchant jamais vu : L’impérialisme occidental. Sa réincarnation finale – les États-Unis – se retire de Syrie et tente de faire la paix avec les talibans en Afghanistan. Elle se retirera probablement aussi de l’Afghanistan après avoir échoué à vaincre les talibans au cours de ces 17 dernières années. L’Irak, toujours aussi peu démocratique, mais maintenant aligné sur l’Iran, est le prochain pays. Vient ensuite l’OTAN, inutile, dont la direction schizophrène pense simultanément que la Russie est si faible qu’elle est sur le point de s’effondrer, mais si forte et « agressive » qu’elle pourrait envahir l’Europe à tout moment, et se prépare en fait de manière inefficace à attaquer la Russie dans une sorte de mission suicide ridicule.

De plus, il est très important que le Pentagone démantèle toutes ses bases militaires outre-mer et rapatrie toutes ses troupes avant que l’argent ne soit épuisé, ce qu’il fera. Les troupes seront nécessaires pour défendre les frontières américaines et pour contrôler les mouvements séparatistes. À leur apogée, les Empires sont capables de contrôler d’autres pays, et les frontières d’autres pays, mais une fois qu’ils sont affaiblis par l’échec et la défaite, ils perdent la capacité de contrôler même leurs propres frontières. Actuellement, le gouvernement impérial de Washington est en cessation de paiement partielle parce qu’il est incapable d’affecter des fonds à la construction d’une grande muraille le long de sa frontière sud. (Au fait, comment la Grande Muraille s’est-elle finie pour les Chinois ? Réponse : ils ont fini par être gouvernés par les Mongols pendant 89 ans. Tu parles mongol, gringo ?). Pendant ce temps, la possession de l’Empire à l’étranger connue sous le nom d’Union européenne fait face à une rébellion interne en raison de sa propre incapacité à contrôler ses frontières. Bruxelles a peut-être aussi besoin de se refermer … avant que l’argent ne soit épuisé.

Parce que la prochaine chose dont nous pouvons nous réjouir, c’est que le ridicule plan pyramidal que l’Empire a érigé après l’effondrement financier de 2008, et qui a détruit les moyens de subsistance et les retraites de nombreuses personnes tout en enrichissant un petit groupe de psychopathes ultra-riches, est en train de se déliter sous nos yeux. La Réserve fédérale américaine, qui, si vous connaissez votre histoire financière, était une très mauvaise idée dès sa création, est maintenant acculée au pied du mur. Il lui reste trois mauvaises options : augmenter les taux d’intérêt, les baisser ou les maintenir au même niveau. Cela doit être un choix frustrant, et Donald Trump, qui se frustre facilement, pourrait congédier le président de la Réserve fédérale et commencer à fixer les taux lui-même, en utilisant Twitter. Ce serait une quatrième mauvaise option, bien pire que les trois autres, mais plus amusante à regarder. N’oubliez pas de lui être reconnaissant pour le divertissement gratuit !

Le prochain point à souligner est le pic pétrolier : il est de retour au menu et nous empêchera de brûler la planète entière jusqu’au bout. Le pic du pétrole conventionnel s’est produit en 2005, mais le pétrole non conventionnel, sous forme de schiste bitumineux américain et d’autres boues sales, a pris le dessus et a donné au monde un léger répit. Mais l’industrie du pétrole de schiste est en train de s’effondrer. Les trois quarts des sociétés d’énergie qui produisent du pétrole de schiste perdent de l’argent, certaines d’entre elles n’en ont jamais gagné du tout, et toutes sont lourdement endettées et devront s’endetter encore plus pour pouvoir continuer à forer. Et, à moins qu’elles ne continuent à forer, leur production diminuera chaque mois de plus d’un demi-million de barils par jour, par rapport à une production totale d’environ cinq millions de barils par jour. Si les turbulences financières qui s’aggravent actuellement rendent l’endettement plus problématique, il reste moins d’un an de survie pour le pétrole de schiste américain. Par la suite, les États-Unis devront soit reprendre l’importation d’une grande partie de leur pétrole, qui ne manquera pas de devenir cher, soit fermer une grande partie de leur industrie. Le plan visant à rendre l’Amérique encore plus grande en rapatriant la production industrielle de Chine et d’ailleurs devra être mis en suspens à tout jamais.

Les deux autres grands producteurs de pétrole (et, contrairement aux États-Unis, exportateurs nets de pétrole) sont la Russie et l’Arabie saoudite. Leur situation ne pourrait pas être plus différente. L’Arabie saoudite a besoin des recettes d’exportation du pétrole pour exister. Ce pays a également besoin d’un prix du pétrole élevé, supérieur à 87 $ le baril, afin d’équilibrer son budget, mais le Brent se négocie aujourd’hui à 50,49 $ le baril. L’Arabie saoudite exporte 7 millions de barils par jour, et la différence de prix entraîne un déficit budgétaire de plus de 250 millions de dollars par jour ou près de 100 milliards de dollars par an. Son budget total pour 2019 est de 266,5 milliards de dollars, et un déficit budgétaire de 40 % ne peut être maintenu longtemps. En fait, selon Nassim Nicholas Taleb, l’Arabie saoudite est déjà pratiquement en faillite. Bien sûr, s’ils parviennent à tenir le coup jusqu’à ce que la production américaine de schiste bitumineux s’effondre – ce qui pourrait se produire dès l’année prochaine – ils pourraient être en mesure de tenir le coup pendant un certain temps encore.

La situation de la Russie est encore radicalement différente. La Russie est un grand producteur et exportateur de pétrole et de gaz, mais elle préfère utiliser l’énergie elle-même pour produire et exporter des produits à valeur ajoutée plutôt que simplement de l’énergie. Ainsi, les Russes conduisent des Mercedes et des BMW, mais elles sont toutes fabriquées en Russie. La Russie exporte également beaucoup d’autres produits que le pétrole et le gaz : céréales, systèmes d’armes et produits de haute technologie comme les moteurs de fusée, les réacteurs nucléaires, le combustible nucléaire, des voitures et des camions, etc. En fait, si la Russie cessait complètement d’exporter du pétrole et du gaz, elle enregistrerait toujours un excédent commercial d’environ 20 milliards de dollars par an. Ainsi, pour la Russie, les exportations d’énergie sont un produit d’appel : elles empêchent les partenaires commerciaux de la Russie de s’effondrer économiquement par manque d’énergie abordable, ce qui permet à la Russie de continuer à exporter d’autres produits vers ces pays tout en important des produits que les Russes aiment consommer – parfums français ou vins italiens, par exemple, culottes de dentelle, meubles IKEA… Si cette situation doit donner une influence internationale à la Russie, vous avez parfaitement raison. Et cela remplit certaines personnes à Washington DC d’un certain sentiment d’appréhension appelé « Russophobie ».

La russophobie est une autre chose dont nous devrions être reconnaissants. Aujourd’hui, les gens m’écrivent souvent pour me dire à quel point ils en ont marre des accusations ridicules et injustes qui sont lancées contre la Russie, des sanctions ridicules et contre-productives, des efforts pour pousser les Ukrainiens dans une confrontation militaire suicidaire avec la Russie, de l’attitude stupide de l’OTAN qui se pavane et rode aux frontières russes, etc. Et je leur dis de ne pas s’inquiéter de la russophobie, parce que c’est essentiellement une taxe sur la stupidité. C’est une taxe sur les russophobes qui leur fait payer plus cher leur énergie : les Ukrainiens russophobes achètent maintenant leur gaz naturel russe aux Européens à des prix majorés ; les Polonais russophobes, dans une tentative d’éviter d’avoir à acheter du gaz russe, viennent de signer un contrat désastreux pour acheter aux États-Unis du gaz de schiste liquéfié coûteux et bientôt inexistant (et, incroyable, en en prenant livraison aux États-Unis et en le transportant à leurs propres frais jusqu’en Pologne). La russophobie pousse aussi les russophobes à payer plus cher pour leur défense : au lieu d’acheter des systèmes d’armes bon marché et efficaces fabriqués en Russie, ils finissent par payer beaucoup plus cher pour du matériel américain coûteux et défectueux.

Mais ce n’est que justice ; appelez cela le salaire de la stupidité. Nous n’avons pas à nous inquiêter de la russophobie – la selection darwinienne s’en occupera.
La stupidité, en général, est une autre chose dont nous devrions tous être reconnaissants. Cela fait plus de 500 ans que Desiderius Erasmus a publié son best-seller international Stultitiæ Laus (Louange à la folie). C’est un classique brillant qui mérite une place aux côtés d’Utopia de Moore (Erasmus et Moore étaient de grands amis) et Le Prince de Machiavel. Dans un sens, les trois livres parlent tous les trois de stupidité, ou de folie, d’une manière ou d’une autre. Pour paraphraser Machiavel, il vaut mieux craindre qu’aimer la stupidité, mais nous devrions quand même lui en être reconnaissants. La bêtise est précieuse, car sans elle, nous ne pourrions pas séparer le bon grain de l’ivraie, pour ainsi dire, et la forme la plus précieuse de bêtise est l’inconscience, l’autocélébration. C’est facile à repérer pour les non-stupides, et ils savent quoi faire à ce sujet. Les russophobes qui pensent que la Russie est sur le point de s’effondrer et que sa conquête va suivre, n’en sont qu’un exemple. Il y en a beaucoup d’autres aussi.

Par exemple, les fondamentalistes du libre marché font preuve d’une folie précieuse en pensant que tous prospéreraient si seulement le gouvernement cessait de s’ingérer dans le libre marché. Ils ne se rendent pas compte qu’un marché libre est un marché réglementé – réglementé par un gouvernement – et que sans contrôle gouvernemental, les marchés libres dégénèrent automatiquement en monopoles locaux contrôlés par les mafias et les chefs de guerre. Les adorateurs de l’or qui pensent que « l’argent sain » devrait être soutenu par des métaux précieux sont semblables ; ils ratent l’idée que dans une économie industrielle l’argent tire sa valeur de sa capacité à commander les ressources futures, le travail et l’énergie particulièrement. Les négationnistes du pic pétrolier, qui nient le fait que le pic du pétrole conventionnel a eu lieu en 2005 et qui commencent à faire preuve de sarcasme chaque fois que le prix du pétrole baisse un peu, en sont un autre exemple.

Les négationnistes du changement climatique font preuve d’un autre type de folie qui les rend faciles à repérer : une sorte de diarrhée verbale. Vous pouvez toujours repérer un négationniste parce qu’il utilise un dispositif rhétorique appelé argument fallacieux qui consiste à cracher des mensonges et des demi-vérités dans un flux sans fin : « Le climat a changé avant ! » ; « C’est les taches solaires, idiot ! » ; « Il n’y a pas de consensus scientifique ! » ; « Les modèles climatiques ne sont pas fiables ! » ; « Le record de température n’est pas fiable ! » ; « la température n’a pas augmentée depuis 1998 ! » ; « L’Antarctique se couvre de glace ! » ; « Nous allons vers une ère glacière ! » ; « Al Gore est un hypocrite gaspilleur de combustibles fossiles ! » ; « Chérie, il fait froid dehors ! » ; « L’élévation du niveau de la mer est exagérée ! » ; « La fonte de la glace arctique fait partie d’un cycle naturel ! » ; et, enfin, « Les climatologues sont dans le coup pour les sommes fantastiques qu’ils gagnent en restant dans les universités comme stagiaires post-diplôme ! ». Les russophobes ont aussi souvent recours aux arguments fallacieux, mais ce sont les négationnistes du changement climatique qui sont les plus programmés pour cela.

Ce genre de stupidité sans conscience de soi et d’autocélébration a de la valeur en ce sens qu’elle nous permet de trier efficacement toute l’humanité en déterminant rapidement et facilement qui fait quoi. Voyez-vous, certaines personnes valent la peine d’un débat tandis que d’autres n’ont qu’à se faire dire l’heure qu’il est (il est temps pour elles de s’en aller). Certaines personnes peuvent tracer la route et diriger le navire tandis que d’autres peuvent nettoyer le pont, désinfecter et pomper dans la cale ou gratter les coquillages sur la coque. Une bêtise timide et en sommeil est difficile à cerner parce que pour la découvrir il faut interroger les gens et leur faire passer des tests, alors qu’une bêtise qui surgit d’un gâteau comme une femme nue, est louable parce qu’elle peut être vue immédiatement, sans qu’on lui pose des questions. Soyons-en donc reconnaissants.

Si les démonstrations de folie individuelle sont louables parce qu’elles nous épargnent du travail, alors les démonstrations de groupe le sont encore plus. Les manifestations de folie par des pays et des groupes ethniques entiers peuvent sembler excessives, mais c’est peut-être le destin de certains pays de servir d’avertissement à d’autres. Les Kurdes feraient une étude de cas intéressante sur la folie ethnique, mais le pays qui vient à l’esprit en premier lieu comme un exemple particulièrement extrême de folie est l’Ukraine. Les Ukrainiens disent qu’ils veulent rejoindre l’Europe, où le fascisme est illégal, mais ensuite ils marchent avec des torches et des insignes nazis, adoptent des lois racistes, crient des slogans nazis et portent aux nues des collaborateurs nazis qui ont perpétré des actes de génocide contre les Juifs et les Polonais d’Ukraine, renomment les rues en leur nom et leur dressent des statues. Les Ukrainiens disent qu’ils veulent adhérer à l’OTAN, mais provoquent ensuite une rébellion ouverte dans certaines de leurs régions et perdent le contrôle de celles-ci, ce qui les disqualifie eux-mêmes pour entrer dans l’OTAN. Ils disent qu’ils sont en guerre avec la Russie, mais ils signent ensuite discrètement un accord de cinq ans avec TVEL, une division de Rosatom en Russie, pour fournir du combustible à la plupart des réacteurs nucléaires ukrainiens restants, qui produisent bien plus de la moitié de l’électricité de l’Ukraine. Ils disent qu’ils veulent avoir leur propre Église orthodoxe indépendante et se préparent à en confier le contrôle au faux Patriarcat de Constantinople (Istanbul pour être précis, Constantinople a cessé d’exister depuis 565 ans). Ils ont soumis à blocus leurs propres régions productrices de charbon et ont tenté d’importer du charbon des États-Unis, mais n’ont pas pu en importer suffisamment et sont maintenant congelés. Les grands pays peuvent mettre à genoux les petits pays qui se conduisent mal en leur passant un gros savon : Ne soyez pas comme l’Ukraine ! Voyez ce qui se passera si vous le faites !

Nous devrions être particulièrement reconnaissants à l’Ukraine pour sa volonté d’intervenir et de se ridiculiser, car de nombreux petits pays mal élevés ont besoin d’avoir sous leurs yeux cet exemple négatif. Plusieurs pays démocratiques de l’Union européenne sont confrontés à un problème : la démocratie fonctionne très bien lorsqu’il y a assez de butin pour diviser les richesses volées mais, lorsque la prospérité s’épuise, de mauvaises choses ont tendance à arriver aux démocraties. Les gens ne sont plus disposés à voter pour l’un ou l’autre parti impérialiste, où chacun conserve un avantage compétitif en se distinguant quelque peu de l’autre de manière triviale. Au lieu de cela, les gens commencent à voter pour les nouveaux incendiaires, le parti Mangeons les riches, le Front de libération troglodytique ou un autre groupe avec lequel les anciens partis impérialistes ne peuvent pas trouver une cause commune et former une coalition gouvernementale. Il en résulte une impasse, et au fur et à mesure que les conditions dégénèrent, les gens se mettent à réclamer le rétablissement de l’ordre, par des moyens autoritaires, voire fascistes si nécessaire. Et c’est là que l’Ukraine devient une leçon inestimable sur les échecs du fascisme moderne. Soyons-lui reconnaissants et espérons que son exemple négatif permettra d’éviter les flambées de fascisme au sein de l’Union européenne en voie d’effondrement et de désintégration.

Je pourrais continuer cette liste de choses auxquelles être reconnaissant pratiquement à l’infini, mais je vais la terminer ici par souci de brièveté. Soyez reconnaissants pour toutes ces choses et plus encore, et ressentez et partagez la joie ! Et si vous voulez me remercier d’avoir fait tout ce que je peux pour vous garder sain d’esprit dans un monde de fous, ne soyez pas timide et cliquez sur ce lien. Merci, et bonne année !
Les cinq stades de l'effondrement 

Dmitry Orlov

Le livre de Dmitry Orlov est l’un des ouvrages fondateur de cette nouvelle « discipline » que l’on nomme aujourd’hui : « collapsologie » c’est à-dire l’étude de l’effondrement des sociétés ou des civilisations.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire